Chaigneau H., Soigner la folie
« Soigner la folie
Une vie au service de la clinique »
Hélène Chaigneau
Quelques petits cailloux qui jalonnent la rencontre avec le sujet réputé schizophrène et nous emmènent au cœur de l’aventure schizophrénique.
« La formule de Daumézon suggérant « la mise en œuvre d’une pratique thérapeutique des maladies mentales qui prenait en compte et pour moyen de traitement les faits concrets de l’institution » n’a pas vieilli, mais nous sommes un peu comme des apprentis alchimistes qui espèreraient l’appliquer avec succès tout en faisant l’économie de l’initiation. Nous avons à mettre à jour -peut-être même au jour- une phénoménologie de la rencontre dominée par la notion de continuité de l’existence du sujet et de ses accidents conjoncturaux avec les structures de soins. Rien ne permet de penser, par exemple, que le passage d’une structure de soins à une autre corresponde pour le sujet du passage d’une phase évolutive à une autre. »
L’autrice
Hélène Chaigneau (1919-2010) est une des trop rares psychiatres, femme, à avoir marqué la psychothérapie institutionnelle de son empreinte. Médecin-chef à Prémontré, en début de carrière, où elle côtoya son collègue Paul-Claude Racamier (1924-1996), elle fit l’essentiel de sa carrière de chef de service à Ville-Evrard puis à Maison Blanche. Nommée au CTRS (Centre de Traitement et de réadaptation sociale) de Ville-Evrard, elle succéda à Paul Sivadon (1906-1998). Les CTRS avaient pour objectif de promouvoir une psychiatrie inspirée par la psychothérapie institutionnelle. Les six postes d’internes attribués au CTRS étaient fort demandés en raison de la qualité de l’enseignement d’Hélène Chaigneau. Essentiellement oral, cet enseignement était arc-bouté sur une clinique exigeante qui naissait de l’examen des patients et des problèmes suscités par leur admission au CTRS. Lorsque le découpage de 1964 attribua à Maison Blanche le 19ème arrondissement, elle choisit d’y organiser un service sectorisé où elle travailla jusqu’à sa retraite. A plus de 80 ans, appuyée sur sa canne, elle poursuivait encore son enseignement auprès des infirmiers. Elle intervenait régulièrement au Centre Hospitalier de Laragne où j’exerçais. La formation, qui durait plusieurs jours, avait pour intitulé « L’aventure schizophrénique ». Tout un programme. Je la croisais lors des pauses. Mobilisé moi-même comme formateur, je ne pus jamais bénéficier de cette formation qui enchantait mes collègues et suscitait beaucoup de discussions et de réflexions. Un vrai regret.
« Lorsqu’on part en voyage avec un groupe de malades, on sort du service et on sort de la hiérarchie claire et un peu fermée du tout-venant des responsabilités thérapeutiques. On sait que ça va déboucher sur une quotidienneté commune entre eux et soi. Il y a de la part des soignants comme une prise en main prématurée de la vie quotidienne à laquelle ils se disposent et, dans ce cas de prématurité, elle est forcément fantasmée. Est-ce qu’il n’y aurait pas là une zone à travailler ensemble, celle de l’attente, on saurait qu’il y a quelque chose à attendre de ce projet que ne maîtrisent pas les gens qui le soutiennent et qui l’investissent, qui vont le mettre en œuvre et dont le responsable, lui, cet interlocuteur contesté et affolant, n’a pas la clé. »
L’ouvrage
Si l’enseignement d’Hélène Chaigneau a été essentiellement oral, elle a publié des articles dans diverses revues. L’ouvrage présenté reprend 4 articles (dont un inédit en France) et la retranscription d’une série d’entretiens avec J. Nohra-Puel qui fut pendant 16 ans, la psychologue de son service. En nous invitant à réfléchir à la « prise en charge institutionnelle des sujets réputés schizophrènes », Hélène Chaigneau interroge le cadre des soins. Le patient reste d’abord pour elle un sujet qui n’est pas totalement envahi par sa maladie. Il n’est que réputé schizophrène. « On peut mener toute une vie psychotique sans être hospitalisé, soigné ou diagnostiqué. » Il est essentiel de le rappeler et surtout de le mettre en œuvre.
Si le sujet doit être hospitalisé, il importe que l’armature des soins (son cadre) ne vienne masquer la seule véritable problématique qui est celle de la rencontre. La notion « d’entrée » pour un sujet qui souffre de schizophrénie peut être aussi hypothétique, inarticulée que l’est sa personne. Ce n’est qu’à la condition que s’aménagent des liens transférentiels dans le collectif qu’apparaîtront les possibilités de rupture avec le milieu d’origine, rupture qui peut prendre le sens d’une délimitation de Soi. La fugue (Sortie sans autorisation) peut permettre de contrôler la réalité de cette rupture ce qui favorise un retour spontané au sein de ces repères collectifs. De nombreux exemples de rencontre avec des fugueurs jalonnent l’ouvrage. Il importe donc que, dès son arrivée, le sujet trouve à l’hôpital un réseau articulé de personnes, d’organismes où s’instaurent de multiples rencontres, prévues et imprévues. Le sujet se nourrit d’abord des rencontres des autres entre eux pour peu que ces relations conservent une fraîcheur, une souplesse telles qu’elles soient préservées de l’immobilité et du formalisme. « La rigidité organisationnelle fait disparaître la possibilité de parole. Or, il est véritablement urgent que le schizophrène soit nourri par la parole. »
Tout ce qui s’institue doit avoir pour objectif de favoriser la dynamique des échanges sans oublier qu’un schizophrène, où qu’il soit, institue un mode relationnel qui tend à reproduire le système familial. Quelle attitude avoir lors de l’accueil d’un sujet schizophrène ? Comment appréhender le sens que prend pour lui notre rencontre dans sa trajectoire ? L’idéal serait de faire ce qu’il suffit, rien d’autre et rien de plus.
Comment y parvenir ? Le cadre, que n’a pas encore trouvé la psychothérapie institutionnelle, peut être une réponse s’il s’appuie sur l’expérience directe (avec aussi les cicatrices qu’elle nous laisse), les rencontres professionnelles, les conférences, les confrontations, les écrits. Si Hélène Chaigneau illustre ses propos de nombreux exemples tirés du quotidien, elle aborde également son quotidien de chef de service, avec ses doutes, ses questions. Ce passage du livre est passionnant et à des années-lumière des propos de nombre de ses collègues qui cherchaient d’abord à contrôler d’une façon « totale » la vie de l’institution. J’aime l’humilité d’Hélène.
« Une fois j’avais eu maille à partir avec l’administration de Ville-Evrard à propos d’un jeune patient, plutôt névrotique, pas très malade et pas pour très longtemps. Il était visité régulièrement par sa petite amie régulière, c’était une relation affective stable entre ces deux êtres que nul ne pouvait contester, faisant partie de sa vie connue et reconnue et qui paraissait bien compréhensible quand il s’agissait de deux êtres d vingt-cinq ans d’âge, et puis il n’était pas abruti par les médicaments. Ces sentiments s’exprimaient quand elle venait et ils étaient chaleureux ; il faisait assez beau et ils avaient, fort heureusement pour eux, découvert un grenier, un étage d’un bâtiment peu utilisé, il y avait une échelle, ils y étaient montés pour jouir de leur intimité et une fois là-haut ils avaient retiré l’échelle pour être tranquilles. Ils ont été découverts par l’administration qui était toute disposée à en faire toute une affaire. Et je me rappelle avoir dit : « Enfin, je ne comprends pas, où est le problème ? Ils avaient enlevé l’échelle ! » […] moi je pensais que je n’avais pas à répondre que sur ce point-là, à savoir, qu’on n’aille pas me raconter d’histoires concernant les manifestations agies, sexuelles de personnes qui n’avaient pas attenté à la pudeur : ils ne s’étaient pas donnés en spectacle, ils n’ont pas fait ça dans la chambre, ils avaient quitté le pavillon, ils ont pris soin de réaliser des conditions d’intimité. »
L’intérêt pour les soins
Il est majeur. Qu’il s’agisse de penser la « guérison », d’opposer à la demande sans limite un « projet humble », d’évoquer les « gratifications indiscrètes » qui s’imposent au patient sans s’assurer qu’il est prêt à les recevoir, de poser le concept d’historial qui n’est pas qu’une histoire du patient et encore moins une anamnèse, les pépites sont nombreuses. Hélène Chaigneau éclaire le chemin à sa façon. En s’appuyant sur la vie quotidienne, banale qui enseigne les soignants pour peu qu’ils acceptent de se laisser secouer. Un livre à butiner en formation ou lors de séances de lecture collectives.
Dominique Friard
Date de dernière mise à jour : 15/09/2024
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