Du mythe de l'agitation au traitement collectif du quartier d'Agités : des savoirs oubliés

Du mythe de l’agitation au traitement collectif du quartier d’agités : des savoirs oubliés

Autour de la publication de l’ouvrage « Philippe Paumelle, un psychiatre dans la cité », l’Association de Santé Mentale du XIIIème organisait ce 24 mars une journée de réflexion et d’échange autour de celui qui fut son fondateur. Moins connu qu’Oury, Tosquelles ou Bonnafé, Philippe Paumelle (1923-1974) fut à l’initiative du secteur psychiatrique dont il posa les premiers jalons, plus de deux ans avant la circulaire du 15 mars 1960, qu’il inspira. Il consacre sa thèse aux quartiers d’Agités et montre comment il est possible de se passer d’isolement et de contention. Invité à cette belle journée, j’y présentais le texte suivant.    

Il y a 70 ans, Philippe Paumelle écrivait sa thèse. Il y a 30 ans, quasiment jour pour jour, l’Etat supprimait le diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique et les études qui y menaient. Un double anniversaire qui circonscrit une boucle temporelle. Paumelle décrivait les étapes menant à la suppression des quartiers d’agités et les contentions dont on usait et abusait. S’ouvrait avec cette thèse une période d’espoir pour la psychiatrie et surtout pour les patients qu’elle prenait en charge. Il devenait possible d’être soigné en subissant un minimum de mesures coercitives. Avec la suppression du diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique, ce qui n’avait été finalement qu’une parenthèse, commença à se refermer. Les contentions réapparues se sont banalisées. Les nouveaux quartiers d’agités se nomment maintenant UPID, UMAP, USIP. Les hôpitaux psychiatriques s’en dotent les uns après les autres : Edouard-Toulouse et Montperrin pour la région PACA en sont des exemples.

Bien sûr, Paumelle avait eu des prédécesseurs : Tosquelles notamment. Il leur rend hommage dans sa thèse qui se focalise sur quatre lieux : les pavillons Dupré et Moreau-de-Tours à Fleury-Les-Aubrais où avait travaillé Georges Daumézon, son fugitif chef de service à Maison Blanche, le quartier d’agitées femmes de Saint-Alban, le service de Lucien Bonnafé à Saint-Yon et celui de Paul Balvet au Vinatier. Il y décrit comment les équipes de ces différents lieux de soin sont parvenus à supprimer les contentions et la nécessité même du Quartier d’Agités. Le plus précis de sa thèse est la description des étapes traversées au 3-6 de Maison-Blanche où il exerçait. On perçoit au passage l’habileté stratégique de Paumelle qui ne décrit pas une expérience pilote mais un mouvement dans lequel en tant qu’interne, il s’inscrit.

Une démangeaison

En tant qu’infirmier, j’ai longtemps travaillé avec mon Paumelle dans la poche. Je dois reconnaître qu’ici ou là, de petites choses me gratouillent et provoquent même un léger prurit. Lisons ce qu’écrit Paumelle à propos des soignantes de Maison-Blanche :

« Sœur L.T., autoritaire, voire criarde, le cœur sur la main et la main leste ; fille et sœur de marin, elle se voit en capitaine de bateau pêcheur, mettant la main au filet avec tous, mais requérant une obéissance sans discussion. » (1)

Ou d’une soignante de Fleury-Les-Aubrais

« Au milieu, une individualité, femme d’une quarantaine d’années, déçue par la vie, ancienne commerçante, d’un très grand dévouement, tranche par sa personnalité expansive, sa disponibilité, qui en fait une aide précieuse pour les sœurs. [Madame E.] leur fait tolérer un certain franc-parler, une tendance à humaniser les relations avec les malades, elle sera le pivot de l’expérience. » (1)

Dans sa thèse, les médecins sont nommés par leur nom, ils sont tous tellement pétris de qualité que l’on se demande comment ces quartiers d’agités peuvent exister. Les patients, quand ils sont nommés, le sont par leur prénom. Seules les infirmières ont droit à l’initiale qui prévaut dans les cas cliniques. Bien sûr, en tant qu’infirmier ça m’énerve, même si je sais que la condescendance médicale vis-à-vis des infirmières ne date pas de Paumelle et qu’elle a encore de beaux jours devant elle. Le contexte d’une thèse de médecine n’invite pas non plus à mettre en avant des infirmières. Peu de thèses évoquent d’ailleurs les infirmières, en dehors bien sûr de celle de Daumézon. (2)  

Quand je lis Paumelle, je suis ambivalent. Certes, il ne nomme les infirmières que par une initiale, certes il s’autorise à brosser leur portrait psychologique ce qu’il ne fait pas quand il parle d’un médecin mais il est le premier avec Tosquelles, à mettre en avant leur importance dans l’organisation de la vie quotidienne. Mme E. à Maison Blanche., Sœur O à Saint-Alban ont réellement contribué à supprimer les quartiers d’Agités. Il décrit leur contribution de la même façon, avec la même précision que Tosquelles quand il parle de ses deux larrons : Louis Gauzy et Marius Bonnet. Il est, par ailleurs, un des rares psychiatres à nommer Jean-Baptiste Pussin et à décrire l’importance de son rôle auprès de Philippe Pinel.

Le mythe de l’agitation

Donc en tant qu’infirmier et formateur, j’ai longtemps travaillé avec mon Paumelle dans la poche. Chaque fois que j’aborde l’histoire de la psychiatrie en formation initiale ou en formation continue je raconte l’histoire de la suppression des quartiers d’Agités. Je détaille l’histoire de Marcelline, la patiente rebelle qui mettait le 3-6 à feu et à sang et le pari de Paumelle de lui proposer de promener ses enfants dans le parc de Maison Blanche. Cet acte parlant cohabite dans mon esprit avec le stylo de Balvet. Dans ces petits récits que je partage avec les infirmiers d’aujourd’hui, je fais en sorte d’assurer le passage générationnel. Les anecdotes marquent davantage les esprits soignants que la théorie. On peut faire autrement qu’attacher les patients, écrivait Paumelle, et je vais vous montrer comment nous avons procédé. Que cette leçon nous vienne d’un homme qui mourut en 1974, après avoir été à l’origine du secteur psychiatrique en fait tout le prix.  

Que nous apprend donc Paumelle à propos des isolements et contention et des moyens de s’en passer ?

En se référant à ceux qui l’ont précédé dans cette voie alors que la pharmacopée était réduite à rien ou peu de choses, il montre d’abord que la nécessité d’attacher à leur lit les dits-aliénés n’est en rien une fatalité. Marandon de Montyel, à Ville-Evrard, en 1897, organisa son service de telle sorte que toute contention y était inutile.

Son article Le mythe de l’agitation des malades mentaux, aujourd’hui quasiment introuvable, malgré une réédition par L’information psychiatrique en 1976, nous montre que l’idée que les malades mentaux s’agitent, sont violents et doivent être « recadrés » comme on dit aujourd’hui ne va pas de soi. Il y a, il y aura toujours des patients qui s’agitent et cela n’est pas réellement un problème. Ça fait partie de la vie et plus particulièrement de celle des groupes et des sociétés humaines. Le comportement ne devient problématique que lorsqu’il se multiplie, lorsque de nombreux patients en sont bouleversés. Et là ce n’est plus un problème individuel mais collectif. Le quartier d’Agités, tout comme nombre de nos actuels unités de soins avec ses espaces dédiés à l’isolement et à la contention « est prévu pour la contention et la répression des agités, c’est-à-dire pour la provocation à l’agitation. » (3) Paumelle n’hésite pas à affirmer que cette organisation « est le milieu de culture de l’agitation et celle-ci est le produit des collectivités pathogènes de l’asile classique. L’agitation est pourriture d’asile, comme la gangrène était pourriture d’hôpital. » (3)

Pour soigner l’agitation il faut donc d’abord soigner l’institution psychiatrique. Sans cela autant pisser dans un violon. Ça ne sert à rien. Les tenants de la psychothérapie institutionnelle ne disent pas autre chose. Le titre de la thèse de Paumelle est à cet égard éloquent : « Essai de traitement collectif du quartier d’agités ».

Nos institutions sont-elles réellement contenantes ? Les guerres entre médecins, les batailles entre médecins et infirmiers, guerres de territoire, guerres lasses où l’on abandonne à l’autre l’illusion qu’il contrôle, et où l’on utilise les patients et leur dite violence à ses propres fins, les oppositions sourdes contre l’administration, la direction, l’encadrement font le lit de toutes les contentions.

Je suis souvent intervenu comme formateur dans des établissements qui se sentaient débordés par la violence, forcément celle des patients ou d’un patient aussi emblématique que pouvait l’être Marcelline à Maison Blanche, dans la thèse de Paumelle. J’y passais en général deux ou trois ans, le temps que se traitent les dysfonctionnements institutionnels qui l’attisait quand ils n’en étaient pas l’origine. La violence se transformait en turbulence puis cessait d’être décrite comme une fatalité ou un symptôme dès que s’apaisaient les conflits institutionnels. Avant de renaître d’une façon ou d’une autre. Le conflit fait partie de la vie. Il ne sert à rien d’appeler les pompiers quand ça brûle, le mieux est d’entretenir régulièrement les sous-bois et les fourrés. Et pour cela il faut y être.

Il faut y être

Paumelle y était, incontestablement. Il habitait avec sa femme et ses quatre enfants dans un ancien pavillon désaffecté de Maison Blanche. Reprenons ce qu’écrit Koechlin, qui était interne dans le service de Daumézon, au même moment que lui. Rappelons que Daumézon, en 1936, a fait sa thèse sur les infirmiers psychiatriques. Si nous avions le temps, nous pourrions nous arrêter davantage sur cette date. Rappelons simplement qu’en 1938, le diplôme d’infirmier des asiles est supprimé. Première suppression. Cette abolition tient moins à la volonté de l’Etat qu’à la façon très singulière dont les médecins-directeurs concevaient le contenu des études d’infirmiers. Si les hôpitaux de la Seine avaient fait en sorte que les gardiens puissent bénéficier d’une formation de qualité répondant aux critères exigés par le diplôme d’Etat d’Infirmier, à peu près partout ailleurs, les médecins forment leurs infirmiers à la va-vite, se bornant à en faire des exécuteurs dociles et peu renseignés des prescriptions médicales. Daumézon, avec Germaine Le Guillant, via les CEMEA, est à l’origine des premières actions de formation continue des infirmiers psychiatriques qui ne bénéficient plus, à l’époque du moindre espace pour interroger et formaliser leur pratique. Les infirmières psychiatriques dont parle Paumelle ne bénéficient plus d’aucune formation. Certaines d’entre elles, dûment formées entre 1922 et 1938, titulaires d’un diplôme d’Etat, en ont été déchues. Différents auteurs énoncent volontiers que Paumelle préférait recruter des infirmières diplômées d’Etat, certes, mais il faut se souvenir qu’il n’avait pas le choix. Ce n’est qu’en 1955 qu’est mise en place une formation spécifique aux soins en psychiatrie. Il faudra de nombreuses années avant que ceux-ci soient majoritaires en psychiatrie. La formation proposée par l’ASM XIII est alors une nécessité.  

Daumézon donc, avait quelques convictions qu’il mettait en œuvre dans les différents services où il a exercé, notamment celle « que les mutations réelles des services ne résultent pas des décisions des soi-disant médecin-chefs. Il est vrai, précise Koechlin, que beaucoup d’infirmiers ont un désir de changement. Daumézon souhaite que des propositions soient faites, que l’émulation joue aussi avec les services « d’en face ». » (4) Donc aussi entre internes.

La première démarche a consisté à tenir des réunions entres les infirmières de l’équipe du matin et celles de l’après-midi. Quel était l’objectif de ces réunions : « Les connaître, connaître leur travail et les problèmes posés par certaines malades difficiles ». (4) Ces premières réunions ont un succès de curiosité même si elles se résument à un monologue médical. « Ce qui avait une valeur c’était l’existence même de la réunion : jamais depuis cinq ans de service une infirmière ne s’était assise à la même table que le patron pour discuter de la marche de la section. Jamais non plus, infirmières et surveillantes n'avaient vu se dissoudre ainsi la distance qui les sépare continuellement dans la vie journalière. Enfin, les deux équipes se voyaient par la force des choses, conviées à travailler ensemble et par là même à faire cesser leur mesquine rivalité habituelle. » (4) Nous pourrions rajouter aux propos de Paumelle que le fait de posséder les mêmes informations diminuait le risque de déformations, de captations du pouvoir au bénéfice de celles qui savent parce que proches des décisions. S’intéresser, pour de vrai, à ce que vivent les infirmières, entendre leurs mots même si elles s’expriment peu ou pas. Les petits portraits de Paumelle me gratouillent mais pour décrire ainsi ces infirmières, il faut échanger avec elles, leur parler autrement que pour leur donner des prescriptions. Il faut s’intéresser à ce qu’elles vivent, pensent, ressentent. Il ne faut pas faire que passer dans le service.

Certaines pensionnaires, plus ou moins déléguées, vont progressivement participer à ces réunions et être consultées pour apporter des améliorations concrètes à apporter au service. Nous avons là l’ébauche d’une médiation, presque d’une pair-aidance.

Paumelle remarque alors qu’une malade se tient ostensiblement en marge des réunions, griffonnant des écrits ou tenant des liasses en apparence dérisoires. « Il obtient que cette malade les lui confie, comme elle semble en avoir envie. Il découvre de brèves remarques sur le service, textes parfaitement pertinents, tout à tour ironiques et déchirants. » (4)

Il ne peut le constater que parce qu’il est présent à ces réunions qui rassemblent/opposent les équipes et les patients et les soignants. Le modèle de la grande visite qui voit le médecin passer dans chaque chambre et dortoir avec tout son aéropage d’internes, de surveillants et d’infirmières au garde-à-vous ne permet pas de faire ce type d’observations. Paumelle est présent et il se détache suffisamment de l’animation de ces réunions pour pouvoir remarquer le comportement de cette patiente. Il est suffisamment curieux pour pouvoir s’intéresser à ce que cette femme écrit. Il est également convaincu que ce qu’elle écrit peut avoir un sens partageable. Il est intéressant de comparer son attitude avec celle des soignants décrits par Rosenham dans sa célèbre expérience des années 70. (5) Dans un même cas de figure, le patient est étiqueté graphomane alors qu’il rédige ses notes de recherche au vu et au su de tout le monde.

Travailler l’ambiance

Cette « telle malade » atteinte d’excitation atypique, volontiers opposante et ironique, commença donc le 8 mai 1951 à écrire. Nous quittons Koechlin pour revenir au texte de Paumelle. « Au lieu des propos délirants de schizophrène que nous attendions, leur contenu nous émerveilla : petits poèmes ou longues descriptions en prose, tous exprimaient suivant les jours les aspects intolérables de la situation du malade au pavillon d’agitées ou des propositions concrètes d’amélioration. » (1) De la présence, un intérêt pour la vie du pavillon que ce soit du point de vue des infirmières ou des patientes, et … la capacité à s’émerveiller, Paumelle dresse en creux les qualités du médecin. Un psychiatre (ou un infirmier) qui ne s’émerveille pas des créations de ses patientes peut songer à changer de métier.

Paumelle lit donc ces textes, les analyse, les utilise même pour « concrétiser les exposés souvent trop théorique [qu’il faisait] au personnel. Elle peint sur le vif, écrit-il, tout le monde névrotique du sado-masochisme qui faisait l’essentiel du « vieux » 6. » (1)

Certains des écrits de cette Mme Telle malade résonnent encore aujourd’hui : « Il suffit de nous parler de maillot (entendre camisole, contention ou isolement) pour nous effrayer, nous avons l’impression de subir un châtiment. Méritons-nous d’être punies comme des enfants ? » (1), « Les malades ne sont pas des domestiques, on ne les commande pas : on s’occupe d’eux, ou mieux encore, on se dévoue pour eux. » (1) A propos des veilleuses (entendre infirmières de nuit) : « Il arrive parfois qu’elles attachent les malades les plus agitées et qu’elles s’installent le plus confortablement possible pour passer la nuit en attendant avec impatience que le jour se lève. » (1)

Ces écrits abordent les mille petits problèmes concrets susceptibles d’une amélioration presque immédiate. Paumelle évoque à leur sujet une psychopathologie de la vie quotidienne collective dont il va s’inspirer pour modifier l’ambiance du quartier d’agitées : « Il faut orienter la vie des « internés » vers une vie       qui se rapproche de plus en plus de la vie familiale, de la vie normale.

Une femme qui vit pendant des années dans un hôpital psychiatrique, passant la plupart de ses journées au lit, et qui reprend brusquement contact avec les dures nécessités de la vie, dans un milieu familial qui ne la comprend pas, retombe très souvent. La souffrance que procure l’idée de se savoir enfermées, peut donner l’idée d’abuser de la liberté retrouvée. »

« Le journal des internées pourrait exprimer leurs idées sur la vie de l’hôpital, leurs désirs, leurs idées « originales ou pas » sur les problèmes de la vie … » (1) Etc. etc.

Cette Mme Telle Malade qui expose spontanément l’essentiel de la vie sociale à l’hôpital psychiatrique au sens où l’entendent Daumézon, Balvet, Bonnafé, Tosquelles et Oury n’a pas laissé son nom à la postérité. Nulle initiale pour la désigner, pas de prénom, ni de nom et pourtant tout autant que les infirmières elle aura contribué à changer l’atmosphère du 3/6. On se souvient de Marcelline mais pas de Mme Telle malade, l’Anna 0. de Paumelle ?

Les différents groupes deviennent perméables les uns aux autres ; un échange réel se fait entre malades et infirmières, échange constructif qui n’a plus rien à voir avec celui des injures et des coups.

Avril, mai, juin 1951. Les choses avancent vite.

Des psychiatres qui mouillent la chemise

Interne et médecin-chef avancent de concert. Ainsi Daumézon emmène-t-il dans sa voiture personnelle un vieille érotomane, internée depuis douze ans, voir son mari qui souffre de paralysie générale. Il conduit aussi à Chartres, dans sa famille, la jeune déséquilibrée terreur du quartier. Chacun tire dans le même sens. Les médecins ne se contentent pas de passer dans le service, de prescrire ou d’ordonner, ils mettent la main à la pâte, donnent l’exemple et réalisent des accompagnements que la plus audacieuses des infirmières du service n’oserait imaginer.

Paumelle, lui, déménage. On lui affecte un logement dans un ancien quartier cellulaire qu’il décide de faire aménager par les malades du 6. « Chaque après-midi, pendant trois semaines (de fin mai au 15 juin 1951), 10 à 12 d’entre elles armées de balais, d’échelles, de pelles à poussière, de pinceaux et même de binettes, de bêches et de râteaux pour défricher le jardin attenant, y travaillent dans le plus grand calme et de façon coordonnée. Peu d’infirmières acceptent de les y accompagner, Elles désapprouvent manifestement l’utilisation par les malades des outils de jardinage qui pourraient être autant d’armes dangereuses. Seule la surveillante d’après-midi, du type caïd, se fait une gloire d’y passer quelques heures. » Paumelle écrit en note de bas de page : « Il est frappant de voir le rôle joué dans la transformation de services par l’acceptation de soignants à faire participer des malades à leur vie personnelle ou même familiale (les difficultés à assumer de telles situations exigent, bien entendu, de pouvoir garder une distance affective). » (1) La distance affective dont parle Paumelle diffère de la distance physique et psychique mise en œuvre habituellement à l’asile. Elle est éclairée et élaborée à partir de cette époque par la psychanalyse qu’il a débutée.  

Les infirmières, elles-mêmes, sont invitées à sortir. Daumézon, le médecin-chef leur offre un voyage à Fleury-Les-Aubrais, dans son ancien service, où elles apprendront de leurs collègues que « cela peut changer ». Au retour, il y a des enthousiastes, et celles qui disent : « Nous n’y arriverons jamais ». Mais dans l’ensemble, chacune accepte, à sa façon, de faire quelques tentatives loyales. Il faut le voir pour le croire. Visiter les services où l’on se passe d’isolement et de contention, voire y faire des stages d’une semaine pour croire que c’est possible. Bien peu d’établissements contemporains en organisent.

Avec mon Paumelle dans la poche, j’ai souvent mis en travail l’ambiance quotidienne, les petits riens qui amorcent les grands changements. Je le lis, le relis, annote les pages de l’Essai du traitement collectif du quartier d’agités. Ma rencontre, au Canada, avec Stanislas Tomkiewicz, qui en a rédigé la postface fut un des grands moments de ma carrière d’infirmier. Rappelons que Tom y distinguait trois outils pour guérir l’institution : la « révolution culturelle » proprement dite dont nous avons esquissé quelques moments, la médicalisation entreprise avec les outils disponibles à l’époque (qui entraînaient de grandes souffrance chez les patients à l’image des chocs au cardiazol de sinistre mémoire ou des maxiton chocs) et la remise à l’honneur de la thérapie occupationnelle. (6) En suivant ces fils, en étant un psychiatre ou un soignant suffisamment présent, en ne craignant pas d’y mettre les mains, de se salir physiquement ou éthiquement, en travaillant en équipe, en considérant chaque patient et chaque infirmière comme un sujet, en se préoccupant de l’ambiance quotidienne dans l’unité, dans le pas à pas de Paumelle on peut soigner l’institution et faire reculer isolement et contention.

Pour conclure

Participant à un groupe de travail à la Haute Autorité de Santé sur les situations de violence en psychiatrie, j’évoquais le mythe de l’agitation et l’essai de traitement collectif du quartier d’agités. Les travaux de ce groupe de travail majoritairement composé d’infirmier et de cadres de terrain, ce qui est assez exceptionnel dans ce lieu, s’appuyaient sur une bibliographie dite exhaustive effectuée par les experts de la HAS. J’ai sorti mon Paumelle de ma poche et me suis étonné qu’il ne soit pas dans la biblio. Quand j’ai énoncé son année de publication, j’ai vu fleurir quelques sourires goguenards. J’ai bien vu qu’ils me prenaient par un has been. « Ah ces infirmiers psychiatriques ! Toujours avec leurs vieilleries psychanalytiques ! » Même certains des psychiatres présents.

Les bibliographies n’explorent que les ouvrages et articles publiés lors des dix dernières années. Paumelle était sorti de mémoires guère entretenues. La lecture de la table des matières et notamment les tests d‘évaluation collective les firent changer d’avis. J’eus ainsi le plaisir de contribuer à redonner à Paumelle la place qui lui revient. Je terminais mon propos par ces mots qui achèveront ma contribution à cette journée : « Aujourd’hui et plus que jamais, pour supprimer les contentions, il faut lire, relire et faire lire Paumelle ! »

Merci !

Dominique Friard

Notes :

  1. Paumelle P., Essais de traitement collectif du quartier d’agités, Editions ENSP, Rennes, 1999.

  2. Daumézon G., Situation du personnel infirmier des asiles d’aliénés, Doin, 1935.

  3. Paumelle P., « Le mythe de l’agitation des malades mentaux », L’Information Psychiatrique, Vol. 52, N° 6, Juin 1976.

  4. Koechlin P., « Préface », in Paumelle P., Essais de traitement collectif du quartier d’agités, op. cit., pp. 13-20.

  5. Rosenham D.L., « On Being Sane in Insane Places », Science (New York, N.Y), Vol. 179, n° 70, janvier 1973, pp. 250-258.

  6. Tomkiewicz S., « Postface », in Paumelle P., Essais de traitement collectif du quartier d’agités, op. cit., pp. 13-20.

 

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