Freret-Hodara M., Dans la peau d'une interne en psychiatrie

Dans la peau d’une interne en psychiatrie

Myriam Freret-Hodara

Freret hodara

Une bouffée d’air frais ! Tous les psychiatres ne succombent pas à l’attrait exclusif des neurosciences et du cerveau, Freret-Hodara a habité d’autres peaux avant d’être interne en psychiatrie, entre autres celle d’une étudiante en littérature et en philosophie. Sa blouse de médecin s’est posée par-dessus des pages et des pages de romans, de poèmes, de sciences humaines (oui, oui), de pensées en tout genre, mais aussi de peintures, de sculptures, de voyages. En lisant son abécédaire dédié à son parcours d’interne en psychiatrie, j’ai rencontré une consœur.

« Je donne à l’histoire du patient à ce moment-là toute la crédulité dont je suis capable, je rentre dans son récit comme si j’étais spectatrice de théâtre, et je ne me pose pas la question de la véracité du propos. Ainsi la « vérité » dans l’entretien psychiatrique n’est pas du côté de ce qui est conforme à la réalité, mais bien plutôt du côté d’une vérité subjective et conforme à la réalité intérieure. […] Pour ce qu’il en est de l’histoire qui nous est racontée, et du sens donné par celui qui l’exprime, je m’en tiens à ce que le patient veut bien en révéler. C’est sa vérité. C’est sa façon de vivre les évènements. C’est sa façon d’interpréter. C’est son monde. »

L’autrice       

Myriam Freret-Hodara était étudiante en master de philosophie et en analyse. Sa sœur était inscrite en médecine. Qu’est-ce qui a fait pencher la balance du côté de la psychiatrie ? Elle seule en sait quelque chose. « J’ai étudié la philosophie, mais alors que j’étais stagiaire à France Culture dans l’émission de Francesca Piolot, j’ai rencontré le psychanalyste Paul-Laurent Assoun (lui-même docteur en science politique), je lui ai fait part de mon désir de devenir psychanalyste ou psychologue, il m’a conseillé de faire des études de médecine. » 

On se doute qu’avec un parcours aussi atypique, elle sera un psychiatre différent. Ce livre dit-elle : « C’est ma thèse de psychiatrie. En la rédigeant, je voulais évoquer tellement de choses, il y avait tellement de choses qui me traversaient que j’ai écrit plein de textes qui, mis bout à bout ont pris la forme d’un abécédaire, une forme littéraire que j’adore. Il s’agit d’une thèse très atypique, comme il n’y en a plus beaucoup aujourd’hui. Je ne voulais pas faire de théorie, ce jargon-là ne s’accroche pas à moi. »

Elle est actuellement psychiatre. Elle exerce à Strasbourg dans un cabinet libéral et dans un CMPP.  

« Silence. Long silence. Silence pesant. Silence silex ? Silence qui serre la poitrine. Silence où aucun ange ne passe. Silence effrayant d’une nuit de garde où je suis réveillée pour accueillir une femme, une femme qui n’arrive pas à trouver le sommeil, une mère, une mère qui a perdu sa fille. Silence. Silence qui n’en finit pas. Silence qui étouffe. Je ne sais plus combien de temps cela a duré. Ça m’a paru une éternité. La patiente est assise en face de moi, de l’autre côté du bureau, elle est là et elle n’est pas là mais son regarde est ailleurs. Je dois oser rompre ce silence. »

L’ouvrage

De « B » comme blues à « XYZ » comme « eXaminate Your Zipper » (Vérifiez votre braguette), sigle utilisé sur les portes des toilettes publiques dans les pays anglo-saxons, Myriam nous emmène au gré de ses rencontres avec les patients dont elle dresse portrait, à la manière de Jasper Gwyn (J). Gwyn est un personnage de l’écrivain italien Alessandro Baricco, prix Médicis étranger en 1995. Romancier britannique d’une quarantaine d’années, Gwyn décide, un jour, de devenir « copiste », c’est-à-dire de réaliser des portraits, à la façon d’un peintre mais avec des mots, et sans pour cela faire un descriptif. « Il écrivait un bout d’histoire, une scène, comme si c’était le fragment d’un livre […]. Jaspers m’a enseigné que nous ne sommes pas des personnages mais des histoires. Chacun de nous s’arrête à l’idée qu’il est un personnage engagé dans Dieu sait quelle aventure, même très simple, or nous devrions savoir que nous sommes toute l’histoire, et pas seulement ce personnage. Nous sommes la forêt dans laquelle il chemine, le voyou qui le malmène, le désordre qu’il y a autour, les gens qui passent, la couleur des choses, les bruits vous comprenez ? » Notre travail de soignants en psychiatrie (psychologue, infirmier de secteur psychiatrique, psychiatre, ergothérapeute ou éducateur), c’est très exactement cela. Nous accueillons le « patient-ensemble », le patient dans son ensemble, et le patient en coprésence, avec le soignant. C’est ce que j’ai tenté de raconter dans « J’aime les fous », des histoires d’hommes et de femmes, de soins, de présence à l’autre. C’est ce que raconte l’abécédaire auquel il manque les lettres "A" et "S".  

Il ne raconte évidemment pas que cela, il montre comment devenir psychiatre ou psychologue ou infirmier, une façon de le devenir avec des rencontres, des émotions, des lectures.  Ses portraits de patients qui la racontent elle aussi, nous parlent de nous, des patients que nous avons ou non rencontrés, des silences que nous avons ou non troublés. La théorie est présente, évidemment, mais sans bruit, sans envahir le texte, en sourdine. Mais là. Elle structure chaque texte. « O » comme Oury, quel jeune psychiatre, se réclame aujourd’hui de Jean Oury ? « Mon internat de psychiatrie ne s’est pas déroulé à La Borde, mais malgré la hiérarchisation à outrance qui règne dans les services hospitaliers, malgré les protocoles de soin qui laissent peu de de place à la spontanéité et au hasard, malgré l’organisation institutionnelle qui ne prend pas soin d’elle, malgré un référentiel théorique qui ne me faisait pas rêver ; j’espère avoir attrapé les valeurs chères à Jan Oury qui me semblent fondamentales dans le soin clinique. Fondamentales et surtout trop belles pour les laisser là, dans leur abandon. » Un jugement esthétique tout autant que théorique. Il faut qu’une théorie soit belle.

Myriam ne cache pas les aspects moins reluisants du soin : isolement et contention. « A mon arrivée en tant qu’interne dans un service fermé de psychiatrie adulte, Juliette est en chambre d’isolement depuis plusieurs semaines déjà, et elle suit un protocole de contention très particulier. Chaque jour, elle a une heure de moins de contention. Au moindre écart à la règle du service, Juliette risque de revenir au point de départ et être contentionnée de nouveaux plusieurs heures par jour. » Elle relève que cette façon de faire est tout à fait contraire aux Recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé de février 2017. Et pourtant, « face à une équipe soignante restreinte qui s’occupe de patients agressifs, la prescription de mise en isolement de ces patients s’impose parfois car il est évident que pour éviter certains violences, le psychiatre n’a pas le choix. » Est-ce suffisant pour évoquer ce que Mathieu Bellahsen nomme une « culture de la contention » dans son dernier ouvrage ? Je ne crois pas. Une culture, c’est autre chose. Une culture, ça s’assume. On n’en est pas honteux. Myriam ne reste pas sur ce constat. Après tout, elle est interne de psychiatrie, elle n’est pas sans pouvoir ni ressource.  D’abord, elle observe soigneusement le « mode opératoire » de Juliette.  Elle l’analyse et remarque que ce qu’attaque Juliette c’est tout autant le lien avec des personnes qu’elle apprécie que la personne elle-même. Observation classique chez des sujets borderline. Mais trop oubliée. Elle adresse au foyer qui s’occupe de Juliette et à son chef de service, un courrier afin d’envisager un autre mode de soin, la contention s’avérant de fait inefficace. En parallèle, elle fait venir l’adolescente chaque jour dans son bureau pour des entretiens quotidiens. « Je l’ai écoutée comme on écoute une petite fille, nous avons inventé des histoires, nous avons dessiné, nous avons chanté et même rigolé. » Depuis la thèse de Paumelle (et probablement bien avant même), on sait ce qu’il convient de faire dans ce type de situations, très exactement ce que fait Myriam. Je ne crois pas qu’il existe une culture de la contention, ce que je sais, en revanche, c’est qu’il existe une culture du « contenir ». De nombreux soignants (psychiatres, infirmiers, psychologues, psychomotriciens, éducateurs spécialisés, psychanalystes) y ont contribué. Encore faut-il les lire et les citer. Faute de le faire, on contribue à entretenir la confusion entre contention mécanique ou pharmacologique et « fonction conteneur » (pour reprendre une expression chère à W.R. Bion) ou travail du « contenir ». C’est ce travail qu’illustre l’ouvrage de Myriam Freret-Hodara.

L’intérêt pour les soignants

Les lignes qui précèdent le montre amplement.

Je suis régulièrement frappé par la propension des infirmiers à taper sur les médecins, à les rendre responsable de tout ce qui ne fonctionne pas dans un service. Je suis également frappé par les critiques des médecins vis-à-vis des infirmiers. Ils sont ignorants, manquent de clinique ou de distance, sont agressifs ou violents vis-à-vis des patients. On a du mal à repérer ce que ces deux catégories de professionnels peuvent avoir en commun. On se demande même, parfois, si les patients ne sont pas utilisés pour renforcer un camp ou un autre. On peut bien sûr y repérer les effets de la déliaison ou de l’identification projective.   

Je viens d’une autre époque, d’une autre tradition du soin. Dans mes vertes années, il y avait évidemment des conflits entre infirmiers et médecins, mais me semble-t-il on différenciait mieux ce qui incombait à la personne (du médecin, de l’infirmier) et ce qui relevait du métier (statut, rôle). Nous cherchions davantage le commun, ce qui nous rassemblait et étions prêts à consentir à des efforts pour travailler ensemble. Nous savions que l’on ne soigne pas seuls. Nous savions apprendre les uns des autres. Peut-être était-ce aussi parce que nombre d’entre nous étaient en analyse et éprouvaient sur le divan que nous ne savions pas grand-chose.

L’ouvrage de Myriam Freret-Hodara nous parle de ça aussi. Il nous montre ce qu’il y a de commun entre nos expériences de la folie. Infirmier, psychiatre, psychologue, éducateur, assistant social, aide-soignant nous éprouvons le même désarroi face à la folie. Ça nous trouble. Et de ça les sciences cognitives ne disent rien. Ce n’est pas dans le cerveau que l’on apprend à travailler en équipe.

Pour l'écouter parler de son livre : Myriam Freret-Hodara : "Quand je suis avec un patient, je l’écoute pour de vrai" (radiofrance.fr)

Dominique Friard

Date de dernière mise à jour : 03/06/2024

Ajouter un commentaire