Malinowski C., Accompagner les crises en psychiatrie
Accompagner les crises en psychiatrie
Quelles postures infirmières et d’équipe pour prévenir et soigner ?
Christophe Malinowski
Un ouvrage dédié aux différents types de crise que l'on peut rencontrer en psychiatrie, en intrahospitalier. Un outil pour les penser, les prévenir, les accompagner. Un outil pour subvertir notre lien fétichiste parfois aux protocoles, avec Germaine, l'ancienne, pour les dynamiter.
« La qualité de présence implique, engage et oblige. Pour le dire simplement, c’est celle qui suggère au patient aux nous sommes là, que je suis là, que tu es là. Il s’agit ici de veiller à ne pas être là sans être là. En effet, on voit parfois qu’untel est là physiquement, mais qu’il n’est pas avec nous, il est ailleurs -et cela nous est arrivé à tous d’être absents, que ce soit à cause de préoccupations personnelles ou autre.
Être vraiment là, aux côtés du patient, c’est être disponible et attentif, capable de déceler même le moindre changement d’humeur, les plus infimes modifications de son état psychique, des parcelles de gêne ou des tensions naissantes. Nous sommes là, individuellement et en équipe, pour l’accueillir et le porter, comme les parents portent l’enfant, si l’on fait référence à la fonction phorique, jusqu’à ce qu’il puisse prendre son envol. » (pp. 43-44)
L’auteur
Christophe Malinowski est infirmier en psychiatrie depuis 1999. Il exerce aussi des fonctions de formateur auprès des professionnels de psychiatrie. Il est l’auteur du livre « Être soignant en psychiatrie. Un papillon sur un roseau » (Chroniques sociales, 2016).
Il anime le blog « Il était une fois en psychiatrie » (http://iletaitunefoisenpsychiatrie.blogspot.com) où il évoque son quotidien de soignant.
Vous l’avez peut-être entendu, lors d’un congrès (par exemple lors des Rencontres Soignante en psychiatrie), présenter les aventures de Germaine, une infirmière de secteur psychiatrique, qui vient régulièrement mettre un peu de doute voire de jeu dans les fragiles certitudes de ses jeunes collègues qui considèrent que le règlement c’est le règlement et qu’il ne faut, sous aucun prétexte, y déroger.
« Un jour, donc, Germaine avait parlé avec lui [Marcel].
« Tu sais Christophe », avait-elle ajouté, « derrière l’ivrogne agressif, il y a un homme effondré qui ne parvient pas à se relever, qui crie son désespoir. Abject, repoussant, agressif, odieux, sale, ou quelle que soit sa présentation, tu dois toujours aller à la rencontre du patient devant toi, au-delà de tes émotions qui peuvent t’en empêcher, pour le comprendre et ainsi l’accueillir comme il se doit, puis créer un lien avec lui pour mieux l’accompagner.
Certes, Marcel n’est pas toujours tendre avec moi non plus, mais parfois, à force de travail, il accepte que je lui prenne la main quand tout s’agite autour de lui et il se montre moins agressif à mon égard.
Ta force est là Christophe, dans ta main -me disait-elle en me montrant la sienne-, dans ta main … Tends-là vers lui. Tu sauras qui il est et tu comprendras sa souffrance. » (P.62)
L’ouvrage
On considère aujourd’hui que la crise résulte de l’interaction entre l’individu et son milieu. Chacun de nous passe par différentes étapes de vie ou crises maturatives : enfance, adolescence, maturité et vieillesse. Les hasards de la vie conduisent également à des crises accidentelles ou situationnelles. La perte d’un être proche et l’état de deuil qui en résulte, un conflit conjugal, la naissance d’un enfant, un départ en retraite sont autant de situations qui mobilisent nos défenses et nous contraignent à expérimenter d’autres façons de faire face aux événements. Devenir père (ou mère) nous oblige à jouer un autre rôle ; nous ne pourrons le faire que si nos propres parents (qui deviennent grands-parents) et notre conjoint époux ou épouse (qui devient père ou mère) nous reconnaissent dans ce rôle et modifient leur manière d’être. En ce sens, l’évolution de chacune de ces étapes de vie, de crise maturative, est aussi dictée par l’entourage ce qui en signe la dimension familiale. Le passage d’un moment de vie à un autre potentialise aussi la vulnérabilité des sujets qui les traversent ; certains individus fragiles décompensant alors une pathologie psychiatrique. C’est souvent au moment de la crise d’adolescence que les personnes vulnérables entrent dans une schizophrénie. C’est le moment où ces personnes en crise (lors du moment où « ça » déborde) vont rencontrer Christophe dans le temps-plein hospitalier.
En psychiatrie, au fond, à l’hôpital nous n’avons à faire qu’à des crises. En ambulatoire, quand les troubles se sont chronicisés, nous faisons en sorte de les éviter. Nous pouvons aussi accompagner ces situations de crises, faire en sorte qu’elles s’apaisent, que les personnes trouvent de nouveaux mécanismes de défense, de nouvelles façons de fonctionner, plus économiques pour elles. Rappelons-nous que 65 % des personnes suivies en psychiatrie, ne seront jamais hospitalisées. Seule une sur quatre le sera.
Christophe travaille dans le temps-plein hospitalier et y rencontre, entre autres, des personnes en crise suicidaire, en crise d’agitation ou de violence. Parfois, c’est même l’équipe soignante qui est en crise. Il est ici important de rappeler que la violence n’est qu’un aspect de la crise, le plus spectaculaire peut-être, mais pas le plus fréquent.
Christophe commence par nous présenter les outils qu’il utilise pour prévenir la crise, l’anticiper et agir pour la contenir. Christophe n’est pas un théoricien, il ne fabrique pas de concept nouveau mais, en poète peut-être, il propose des métaphores qui permettent d’imager les rôles et fonctions du soignant. Elles parlent. Le « débroussaillage » décrit le travail sur l’ambiance au sein de l’unité, la vigie correspond à la qualité de présence du soignant et à la création d’un lien de confiance avec le patient, l’anticipation est reflétée dans la posture du soignant. Le soignant papillon, inspiré par une métaphore de Konrad Lorenz, illustre la qualité du soignant capable d’identifier et d’anticiper les possibles impacts positifs ou négatifs de sa posture et de chacun de ses choix, pour ensuite adapter ces derniers, et favoriser ainsi la création d’une ambiance chaleureuse et rassurante au sein du service, de même qu’un lien de confiance fort et durable avec les patients. « Ses fonctions soignantes les plus disponibles, authentiques, empathiques, souples et attentionnées seront alors le battement d’ailes par le souffle duquel le soignant pourra amener apaisement, sérénité et confiance tout autour de lui. » Petite cause grands effets. Nul n’est obligé d’adhérer à ses métaphores mais elles permettent de penser nos attitudes. Nos attitudes les plus anodines deviennent des actes même si nous ne les pensons pas comme tels. En ce sens, Christophe bricole du sens à nos actions les plus ténues. Ce bricolage conceptuel fournit des repères à des soignants qui en sont souvent dépourvus.
Il s’attaque ensuite aux crises suicidaires, violente et d’équipe.
Je ne suis pas certain que les spécialistes du suicide apprennent grand-chose à la lecture du chapitre qui fait néanmoins des rappels très utiles, à la nuance près et elle est de taille que Christophe la pense à hauteur de soignant travaillant en équipe dans une unité de soin. « La crise suicidaire a en effet ceci de particulier qu’elle peut légitimement nous terrifier. Cette peur, si nous n’en contrôlons pas les réactions associées, nous empêche de penser de manière sensée, au risque fâcheux de voir nos espoirs de diminuer les risques échouer ; avec même des possibilités conséquentes d voir ces risques se majorer. »
Le chapitre sur les crises d’agitation et de violence est construit sur le même modèle. L’auteur différencie bien agitation, agressivité et violence. Il en décrit les fonctions. Il décrit deux types de prévention : la prévention d’ensemble qui mobilise tous les acteurs de l’institution (direction comprise) et la prévention directe plus spontanée, improvisée et initiée par un soignant de manière individuelle ou par l’équipe au regard d’une situation singulière. Il aborde la question de la désescalade. Il ne recule pas face à la question de l’isolement et de la contention sur laquelle il est parfaitement clair. « A ce propos, chacun peut régulièrement se poser la question suivante : le patient est-il à l’isolement parce qu’il est agité, ou est-il agité parce qu’il est à l’isolement ? »
La chapitre consacré à la crise d’équipe, plus court, a déjà le mérite d’exister. La littérature infirmière nous présente régulièrement des équipes idéales où tous tirent dans le même sens qui ne correspondent pas vraiment à la réalité rencontrée dans nombre de services. Christophe se coltine cette problématique : Qu’est-ce que faire équipe ? Quelles sont les valeurs qui doivent habiter une équipe ? Comment les partager ? Il met l’emphase sur la tolérance, la communication et les échanges informels, sur la fonction sentinelle de l’équipe. Dix pages, enfin, sont dédiées à l’équipe en souffrance. On pourra trouver que c’est court. Certains considèreront qu’une équipe en souffrance ne prend pas vraiment en charge les crises suicidaires et suscitent de l’agitation et de la violence. L’attention portée à l’équipe et à son fonctionnement devrait primer sur toute autre considération. En tant que superviseur d’équipes, je n’affirmerai pas le contraire mais … Germaine.
Christophe a organisé à l’intérieur de son ouvrage une forme de subversion de ses propos. Germaine, une ancienne infirmière de secteur psychiatrique, dont Christophe écrit les aventures dans des chapitres courts, remplit cette fonction. Il nous propose à la fois un modèle identificatoire et une façon de constamment remettre en question les aspects figés du cadre de soin. Germaine incarne l’effet papillon, elle en est même une virtuose. Christophe s’appuie sur elle pour dire le soin. Je vous souhaite à tous d’avoir une Germaine dans votre service. J’en connais une, aujourd’hui retraitée, et je ne peux m’empêcher de penser à elle chaque fois que je lis un texte mettant en scène Germaine. C’est le tutorat en acte.
Dans mon ouvrage « J’aime les fous » dont le sous-titre est « Dans la tête d’un infirmier psychiatrique », j’ai tenté, avec plus ou moins de succès, d’inviter le lecteur dans ma tête de soignant, de lui faire partager mes associations Christophe Malinowski invite lui aussi le lecteur à entrer dans son esprit mais là où je restais dans le soin direct et les pensées que la rencontre suscitait, il nous emmène dans ses rêveries, dans ses paysages intérieurs. J’aime beaucoup cet aspect-là de ses écrits comme si pour être suffisamment présent, il fallait aussi parfois s’absenter le temps d’un rêve. Rares sont les soignants qui associent clinique et rêverie … maternelle.
Tant qu’on peut rêver, ça tient.
« Nous sommes les premiers remparts de la crise.
Nous sommes son premier filet protecteur et son premier remède.
Nous sommes les petits riens aux grands effets.
Nous sommes l’ambiance, la présence et la posture.
Nous sommes l’adaptabilité, la tolérance, la créativité, l’autonomie, la bienveillance.
Nous sommes le débroussaillage, la vigie, le papillon, la sentinelle.
Nous sommes la paire de lunettes, le café chaud, la cigarette et la main sur l’épaule.
Nous sommes le soignant.
Nous sommes l’équipe. » (p.179)
L’intérêt pour les soignants
C’est un ouvrage écrit par un soignant pour les soignants. Il y parle le langage des soins avec tout ce qui le limite, qui énerve même parfois (Pourquoi ne va-t-il pas plus loin ? Pourquoi s’arrête-t-il en chemin ?), mais aussi qui transfigure le moindre du soin et permet de le penser. Il tend aux soignants un miroir dans lequel ils auront envie de se refléter. Qui ne souhaiterait être un soignant papillon, à la fois vigie et sentinelle, à la fois présent et attentif ? Qui ne souhaiterait avoir Germaine comme collègue même si parfois ...
Dominique Friard
Date de dernière mise à jour : 05/11/2024
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