Marzano M., Je consens donc je suis ...
« Je consens donc je suis …
Ethique de l’autonomie »
Michela Marzano
Une réflexion philosophique de qualité qui ne donne pas la primauté à la volonté, à la raison mais prend en compte l’inconscient et ses tours et détours.
« Une fois soulignées les ambiguïtés du concept de consentement, reste la question fondamentale de son lien avec l’autonomie et donc de sa place à l’intérieur des réflexions éthiques contemporaines. S’il est en effet facile de montrer que le consentement ne justifie pas, à lui seul, une conduite ou une action d’un point de vue moral, à partir du moment où on le considère comme une expression de l’autonomie personnelle, c’est vers cette dernière notion qu’il faut se tourner. C’est d’ailleurs précisément l’autonomie qui est en cause aujourd’hui lorsqu’on s’intéresse aux questions d’éthique appliquée, que ce soit dans le domaine de la médecine ou dans celui de la sexualité : une autonomie que l’on définit de plusieurs façons, que l’on a parfois tendance à surévaluer en tant qu’expression de la liberté, que l’on a d’autres fois envie d’effacer en tant qu’ennemie numéro un de la dignité de la personne ; une autonomie qui, dans un sens strictement kantien, renvoie à la capacité de l’homme de se soumettre tout seul à une loi universelle -et qui par-là devient l’expression même de la moralité-, mais qui, un fois transformée en l’expression du simple vouloir subjectif, semble difficilement pouvoir déterminer la nature licite ou illicite d’un acte. » (p.5-6)
L’autrice
Maria Michela Marziano, née à Rome en août 70, est une philosophe italienne contemporaine. Après son intégration à l’Ecole supérieure de Pise, elle s’oriente vers des études de philosophie en suivant parallèlement un cursus de philosophie analytique et de bioéthique à l’Université de Rome « La sapienza ». Sa thèse, soutenue en 1998, qui traite du statut du corps humain, la conduit à progressivement s’intéresser à ses champs de recherche actuels. Elle arrive en France en 1999, où elle intègre le CNRS en 2000. Depuis 2010, elle est professeur de philosophie à l’Université Paris Descartes. Elle travaille dans le champ de la philosophie morale et politique et s’intéresse plus particulièrement à la place qu’occupe aujourd’hui l’être humain en tant qu’être charnel et à la fragilité de la condition humaine. Elle situe sa démarche dans le domaine de l’éthique appliquée. Editorialiste au journal La Repubblica, elle intervient régulièrement dans le débat public en Italie et en France (par exemple autour de DSK et de ce que l’affaire révèle sur le consentement et la situation des femmes).
« En 1966, Lacan écrivait que « la ruse de la raison » consiste à faire croire aux individus que « le sujet, dès l’origine et jusqu’au bout, sait ce qu’il veut ». Or même sans recourir à Lacan et à sa théorie de l’inconscient, il suffit d’observer les êtres humains pour se rendre compte que personne n’est un simple agent rationnel ; que personne ne suit de façon cohérente un certain nombre de de principes établis une fois pour toutes ; que personne ne décide ni ne choisit uniquement sur la base de motifs raisonnables et rationnels. » (p.29)
L’ouvrage
Le concept de consentement a acquis progressivement une importance accrue au point de devenir un critère qui départage le licite et l’illicite. L’autrice nous invite à nous interroger sur le consentement : est-il toujours une expression de l’autonomie personnelle ? Quels liens existent entre les concepts d’autonomie, de liberté et de dignité de la personne ?
Le verbe « consentir » signifie : « accepter qu’une chose se fasse et ne pas l’empêcher ; approuver et souscrire ; autoriser et permettre. » Le consentement revêt ainsi des significations bien différentes. On oscille entre un sens négatif « ne pas empêcher » et un sens positif « approuver ». Ne pas prendre en compte le consentement de quelqu’un, ou ne pas le respecter, signifie exercer sur cet individu une violence physique ou symbolique. On ne décide pourtant jamais librement ; de nombreuses contraintes sociales, culturelles, économiques et psychologiques influencent les choix individuels. L’autrice organise sa réflexion autour de six chapitres : les paradoxes du consentement dans les réflexions contemporaines ; les racines de l’autonomie (en prenant en compte l’éthique à la française et l’éthique à l’américaine) ; le consentement du patient et l’éthique médicale qui va du paternalisme à l’autonomie ; le consentement et la sexualité avec la question de la place du sujet ; la raison, les désirs et l’autonomie de la personne et enfin qui parle quand « je » parle ?
L’être humain n’est pas un simple agent rationnel, il est toujours pris à l’intérieur des conditions particulières qui conditionnent, d’une façon ou d’une autre ses choix. L’autonomie ne saurait être l’expression d’une liberté totale qui permettrait à chacun de faire et réaliser tout ce qu’il veut. La notion de désir pourrait occuper une place centrale. A la différence des besoins et des pulsions, les désirs répondent à une certaine logique et permettent à l’individu de donner une direction à sa vie. Les désirs qui ne sont pas uniquement le fruit d’une délibération rationnelle, enracinent un être au monde, le poussent à exécuter un certain projet, fruit du désir d’être authentiquement « soi ». Qui dit « je » lorsque le « je » dit « je veux » ? Telle est l’ultime question, une question qui doit sous-tendre toute réflexion sur le consentement et l’autonomie. Si « je » s’exprime et exprime ainsi (par son « oui » ou par son « non ») son autonomie personnelle et son désir, il peut aussi se perdre dans sa parole et s’évanouir dans un discours qui le dépasse. Chacun se débrouille en bricolant avec les cicatrices de son passé, ses souvenirs plus ou moins refoulés, et les modèles plus ou moins normatifs que l’Etat, la religion, la famille lui ont légués. L’inconscient demeure présent dans la vie et dans les choix de chacun, nous poussant à rechercher l’accueil ou le rejet, la douceur ou la blessure. S’il est important de prendre au sérieux la parole de « je », c’en est une autre de croire que son consentement suffit à légitimer toute sorte de conduite de vie. Le sujet vit parfois ses choix comme une source de souffrance. Divisé, il n’est pas totalement en conformité avec son moi. « On peut alors décider d’agir d’une façon ou d’une autre, parce qu’on est sincèrement convaincu que c’est par là que passe l’accomplissement de son autonomie, mais on peut aussi agir « faute de mieux », n’arrivant pas à se libérer du poids d’un passé lourd et étouffant qui, finalement, empêche le moi de s’affirmer différemment. »
« Parler du désir en se concentrant soit sur son seul « objet », soit sur son seul « sujet », ne permet pas d’en saisir la nature. Tout en étant lié à l’objet désiré, le désir dépend aussi de la nature du sujet désirant ; tout en étant lié au sujet du désir, il dépend aussi de l’objet désiré -comme constate Spinoza, « il y a autant d’espèces de Désir qu’il y a d’espèce d’objets par où nous sommes affectés ». Un désir est toujours désir de quelque chose, mais, en même temps, il est désir d’autre chose que de l’objet désiré. Il s rapporte, selon Spinoza, à l’effort qu’on accomplit pour persévérer dans son propre être et se présente donc comme une force qui pousse l’être humain à vouloir ce qui lui permet d’accroître sa puissance […] » (p. 204)
L’intérêt pour les soignants
Consentement ou autonomie ne constituent pas des concepts simples, ils renvoient à une philosophie complexe qui, derrière nos actes, nos réflexes parfois, de soignants, offre une place particulière à l’individu, objet ou sujet de soins.
Que faire de la parole du sujet ? La prendre toujours au sérieux et la respecter, ce pourrait être un positionnement éthique de soignant. La respecter, certes, mais également la relancer sans cesse. La consentement n'est jamais donné une fois pour toutes. « Je » se dit souvent entre les lignes, « je » dit même ce qu’il ne croit pas, pour provoquer, choquer ou entendre une objection, parfois « je » n’arrive même pas à se dire, étouffant ses mots avant même de les dire, dans l’attente que quelqu’un d’autre les reformule ou les dise à sa place.
Cette réflexion est essentielle quels que soit les sujets, mais l’est peut-être encore davantage dès que l’on se confronte aux troubles de la personnalité du type borderline.
Dominique Friard
Date de dernière mise à jour : 16/09/2024
Ajouter un commentaire