Mornet Joseph, L'objet invisible. Soins corporels et représentations du corps

« L’objet invisible

Soins corporels et représentations du corps »

Joseph Mornet

Mornet joseph

Un ouvrage passionnant qui fournit au soignant quelques outils pratiques et théoriques pour penser les soins corporels.

« Une institution se trouve fatalement confrontée, à un moment ou à un autre de son histoire, aux limites des projets qu’elle a mis en place : ils échouent sur tel patient malgré l’engagement thérapeutique de l’équipe, ou bien sur tel autre qui est comme un laissé pour compte du dispositif. Cet échec est une ouverture, un appel à d’autres mises en place de soin, à d’autres projets. Invariablement, c’est la question du soin du corps de ses patients qui réapparaît alors pour l’équipe. »

L’auteur

Joseph Mornet est psychologue et psychothérapeute. Ceux qui fréquentent les congrès organisés par le courant de la psychothérapie institutionnelle connaissent bien son visage barré par une belle moustache. Il a participé à la création, en 1972 du Centre Psychothérapique de Saint Martin de Vignogoul près de Montpellier. Il a travaillé jusqu’en 2011 dans ce qui fut un des pôles de la psychothérapie institutionnelle (avec la clinique de La Borde), racheté en 2007 par le Groupe Oc Santé. Il a été secrétaire national de la Fédération d’Aide à la Santé Mentale Croix Marine (devenue Santé Mentale France en Juin 2016). A des années lumières de la caricature du psychologue distant, qui jargonne et ne se mouille pas,  J. Mornet, thérapeute corporel, psychodramatiste et psychothérapeute animait à St Martin un groupe de physiothérapie. Il est également formateur, superviseur et analyste des pratiques de soin. Peintre, il réinvestit sa passion de l’art dans son questionnement professionnel. L’ouvrage est le fruit de ces différents regards.

« Il est clair que ce n’est pas impunément que peut s’entreprendre un travail institutionnel d’accompagnement de régression corporelle poussée à son extrême limite. Si l’on n’y prend garde, c’est toute l’équipe qui peut s’effondrer. Si l’on ne sait pas fournir un cadre, si l’on ne se forge pas les outils de références conceptuelles, si l’on ne se soumet pas à une rigoureuse obligation de contrôle de pratique, la protection minimum qui garantit le soin n’existe plus. »

L’ouvrage

Premier mode de communication pour l’être humain, le corps ne peut se réduire à une seule dynamique d’échanges physico-chimiques. « Du corps disséqué de l’anatomiste au corps morcelé du schizophrène, du corps physiologique au corps exalté de l’hystérique, du corps numérisé des imageries médicales à la « fiancée juive » de Rembrandt, les écarts sont immenses. » (1) A ces représentations diverses correspondent des abords pluriels du corps. Les thérapies corporelles permettent un travail sur les sensations primaires, sur la sensorialité et par là peuvent ouvrir des possibilités de rencontre entre soi et l’autre. Le soignant ne reste pas en dehors : il est dedans, engagé avec son corps et ses propres sensations. C’est cet engagement partagé qui ouvre un devenir possible. Mornet a choisi de témoigner d’une pratique institutionnelle en physiothérapie pour nous inviter à réfléchir avec lui à la clinique du soin du corps et de la psychose. Son ouvrage décrit ainsi la complexité qui unit une institution et son patient à travers les soins qu’elle lui propose. Le groupe de physiothérapie se réunit une fois par semaine pour une séance de quatre heures. Il rassemble trois soignants et entre quatre à cinq patients. Le premier temps est consacré à la psychomotricité. Un temps pour la relation la plus archaïque au corps : échange avec autrui, manipulation d’objets, jeux, découverte de soi-même, relaxation, massage. Le deuxième temps est celui d’un repas partagé avec toutes les dimensions sociales que cela implique. Le troisième temps se déroule dans l’atelier de modelage. Il s’agit de modeler la terre et de produire un objet représentant un corps. Les participants commencent par des représentations de soi-même pendant la séance de psychomotricité avant de les étendre à la représentation d’autres personnages. Cette œuvre est prétexte à une verbalisation sur le personnage puis sur le contenu de la séance. C’est une invitation à dépasser un vécu qui resterait au seul plan de l’imaginaire pour en faire une parole échangée avec autrui.

Ainsi, à partir des situations cliniques rencontrées dans ce groupe, Mornet nous invite à penser les soins du corps. L’ouvrage comprend quatre parties. Du maternage individuel au groupe de psychothérapie corporelle nous retrace la naissance et l’élaboration du groupe de physiothérapie. Nous pensons avec les soignants de St Martin. Nous sommes pris dans les mêmes questionnements et percevons la nécessité qui mène à la création de ce groupe.  Les histoires de Sarah et de Carole nous illustrent par l’exemple, à la fois le fonctionnement du groupe, l’évolution des deux patientes et la façon dont les soignants pensent le soin. La deuxième partie nous invite à nous interroger sur les soins corporels à travers le parcours clinique d’Annie qui montre que l’image du corps est un processus en perpétuel devenir, une synthèse vivante de nos expériences émotionnelles. La troisième partie part du constat qu’une réflexion sur les soins corporels et l’institution ne peut s’arrêter à la seule relation soignant-soigné. Le groupe institutionnel a, lui aussi, un corps. Il faut savoir en prendre soin tant il occupe une place privilégiée de projection et de support des dynamiques psychiques qui traversent la vie de l’institution et s’expriment le plus souvent en symptôme ou passage à l’acte. Cette partie est réellement passionnante. L’histoire de Christiane qui l’illustre est un grand moment de clinique institutionnelle. Enfin, le soin du corps suppose des représentations de ce corps. Quatre d’entre elles sont confrontées : celle du médecin, du bodybuilder, du psychanalyste et de l’artiste. Une étrange familiarité apparaît ainsi entre les étapes jalonnant l’œuvre du sculpteur Giacometti et celles que parcourt le clinicien dans sa rencontre avec le corps du dit-psychotique (Je m’étais fait la même remarque en lisant les écrits de Joan Miro).

Du côté de la pratique

Le confinement généré par la Covid nous invite à limiter nos réunions d’équipe a six personnes, pas davantage. Il devient ainsi impossible de mettre en travail la question du groupe pensé comme une unité. On ne peut soigner sans une prise en compte de la dimension collective et institutionnelle qui sert de cadre d’exercice au soin. Ainsi que l’écrit Joseph Mornet : « le meilleur soignant n’aura aucune efficacité thérapeutique si l’institution dans laquelle il exerce va à l’envers de tout soin possible. Il est nécessaire de soigner l’institution  et de « soigner les soignants ». Comment faire en cette période ? Qu’inventer pour nous soigner collectivement ?

Apport de cette lecture aux soignant(e)s

En proposant des outils à la fois conceptuels et pratiques pour penser le soin au corps, Mornet défriche un domaine quasi vierge. C’est à lire, à lire, à lire. A plusieurs. Et pas seulement entre infirmiers.

Dominique Friard

Notes :

1- MORNET (J), L’objet invisible, Soins corporels et représentations du corps, Ed. Champ social, Coll. Collection Psychothérapie institutionnelle, Nîmes 2003.

 

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