Postel Jacques, Quetel Claude, Nouvelle histoire de la psychiatrie
« Nouvelle histoire de la psychiatrie » (1)
Sous la direction de Jacques Postel et Claude Quetel
Une introduction à une histoire d’une prodigieuse richesse, faite d’avancées fulgurantes et de régression tout aussi manifestes. Une histoire où l’on brûle les sorcières et où l’on découvre l’hypnose, la psychanalyse. Une histoire où le grotesque côtoie le sublime.
« L’historien de la psychiatrie n’est plus là pour écrire des discours funéraires, et enterrer, réenterrer, … ceux qu’il est chargé, au contraire de faire revivre, en commettant le moins d’anachronismes possibles et en essayant de détruire les mythes successifs de cette histoire. »
Les auteurs
Près de 48 contributeurs pour une nouvelle histoire de la psychiatrie. Excusez du peu ! Les présenter dans un tel cadre relèverait de la gageure ! J’étais un tout jeune élève infirmier lorsque j’ai rencontré Jacques Postel qui était alors pédopsychiatre chef de service au C.H. Esquirol. Je me souviens de ses cours et notamment de celui qu’il avait fait sur Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron. En ce temps-là, l’histoire de la psychiatrie et de ses pratiques s’enseignait à l’école d’infirmiers, et Postel était chargé de la rendre vivante. Peu d’entre nous s’intéressaient à l’histoire. On prétendait que Postel connaissait mieux Victor que les enfants de son service. N’empêche que je me souviens de sa description des efforts du pauvre Itard pour éduquer Victor, je me souviens qu’il s’était inspiré de ses travaux sur les sourds, que la personne centrale était sa brave bonne et son solide bon sens. Je me souviens aussi que Victor mourut à Charenton. Comment ne pas penser à Victor et à Itard au moment de réfléchir sur l’autisme et sur l’aspect éducatif de leur prise en charge ? Nous étions en 1979, Postel était en pleine préparation de cette histoire de la psychiatrie qui fait si peu de place aux infirmiers. Je lui dois certainement une partie de mon goût pour l’archéologie de ma profession.
" Deux pôles à l'action thérapeutique : à l'intérieur de l'institution, on cherche à faire de celle-ci une micro-société, avec le risque de l'enfermer de nouveau dans un isolement autarcique et satisfait. A l'extérieur, il s'agira d'assurer la post-cure et la prévention, au risque, en poussant les choses un peu loin, de transformer la communauté en une macro-institution."
L’ouvrage
Chacun raconte l'histoire à sa façon. L'histoire n'est pas une. Entre l'histoire de la folie de Michel Foucault et l'histoire de la psychiatrie d'Alexander et Selesnick, l'ouvrage dirigé par J. Postel et C. Quetel a su trouver sa place. Réédité régulièrement, parfois introuvable il a sa place dans notre bibilothèque. Il est divisé en sept chapitres et en deux parties. Si la première nous invite à parcourir l’histoire de la psychiatrie de l’antiquité au 20ème siècle en passant par le Moyen-Age, la Renaissance, les Lumières, la naissance de la psychiatrie, et le 19ème siècle, la seconde partie, plus courte, présente quelques aspects de la psychiatrie en Europe et en Amérique à travers 19 pays.
Cette nouvelle histoire de la psychiatrie est un peu mon livre de chevet. Elle n’est jamais loin de moi. Elle témoigne de ma dette vis-à-vis des générations de soignants qui m’ont précédés. Elle inscrit le moment présent dans une histoire qui me dépasse et nous dépasse. Elle affirme que nous ne sommes que des maillons d’une chaîne qui commence avec des chamans, tout aussi thérapeutes parfois que nous avec nos neuroleptiques antipsychotiques. Lorsque jeune élève infirmier, je me promenais dans les couloirs du Centre Hospitalier où j’ai débuté, je sentais la présence d’une histoire infiniment riche. L’histoire d’un lieu inauguré en 1645. Je marchais dans les pas d’Esquirol, dans ceux de Bayle qui décrivit la paralysie générale. J’empruntais les mêmes chemins que Sade lui-même. J’aurais pu situer la léproserie originaire. Ouvrir cette histoire de la psychiatrie, c’est accepter d’être dominé par 40 siècles d’histoires de la maladie mentale, c’est apprendre au fil des pages que le progrès n’est pas sûr, que les régressions sont certaines, que la psychiatrie est fille du politique qui oblige des chemins de traverse. C’est aussi découvrir que psychiatrie rime parfois avec barbarie, que les traitements imposés eurent parfois peu à voir avec le soin : clitoridectomie aux hystériques, bain surprise aux mélancoliques, chaises tournantes. Le musée des horreurs psychiatriques est particulièrement riche. Lire l’histoire de la psychiatrie c’est aussi découvrir des hommes qui n’ont jamais renoncé à soigner humainement, c’est rendre hommage à un Henri Baruk qui refusa toute sa vie électrochocs et neuroleptiques, à Conolly qui répudia dès 1860 isolements et contention. Si la psychiatrie naît en tant que science au début du 19ème siècle avec Pinel et Pussin, cet avènement est précédé de réflexions et de pratiques que nous ne saurions renier. Les récits de cas antiques sont ainsi tout à fait fascinants. Cette médecine rudimentaire a enlevé à la haine et au mépris une première « fournée de malades mentaux ». Elle a observé et classé. Elle a tenté de soigner. On peut toujours se gausser des croyances médiévales en matière de maladie mentale. Il n’empêche que celles-ci ont toujours court aujourd’hui, y compris peut-être chez certains médecins somaticiens qui considèrent encore les fous comme des lépreux à exclure. Travailler en psychiatrie sans connaître l’histoire de ses théories, de l‘élaboration lente de la psychopathologie, sans être capable de mettre en perspective ses pratiques, y compris les pratiques évaluatives, la place faite aux théories biologiques, sans connaître l’histoire de ses institutions c’est faire du tourisme dans une discipline qui implique de s’engager, de s’inscrire dans une filiation. C’est aussi par son histoire que la psychiatrie se sépare de la médecine. Lire l’histoire de la psychiatrie c’est percevoir cette constante recherche de reconnaissance de la discipline, recherche de reconnaissance qui n’est pas qu’infirmière. Les seuls psychiatres qui obtinrent le prix nobel de médecine avaient découvert l’un la malariathérapie (von Jauregg) qui soignait la paralysie générale, l’autre (Moniz) la lobotomie de sinistre mémoire. La psychiatrie ne peut être reconnue qu’en cessant d’être elle-même.
Du côté de la pratique
Le Centre Hospitalier de Laragne, dans les Hautes-Alpes, a été ouvert en 1959. La légende raconte que le maire de Laragne voulait absolument offrir un gisement d'emplois à ses administrés. Pour être choisi, le site actuel de l'hôpital devait, comme au XVIIIème siècle, être suffisamment alimenté en eau potable. Le jour où les spécialistes du ministère sont arrivés le maire a fait bloquer toutes les rivières et cours d'eau des environs. Il était convenu avec les membres du Conseil municipal, tous complices pour l'occasion, que lorsqu'il ferait tomber son mouchoir, ils lèveraient tous les clapets qui empêchaient l'eau de couler. Celle-ci s'emballerait et coulerait alors comme un gentil courant haut-alpin, plein de vie, de pureté et de potentialités thérapeutiques. Ce qui fut dit fut fait et Laragne remporta les suffrages. Manon des Sources avait encore eu le dernier mot.
Apport de cette lecture aux soignant(e)s
Il n’est pas de soin en psychiatrie sans histoire. Une discipline sans histoire n’existe pas, elle n’est qu’un amalgame, qu’un collage qui ne tient pas. La crise de la psychiatrie repose aussi sur une bien étrange amnésie. Une discipline qui ne connaît que le présent n’a pas d’avenir. Et si à l’arrivée, je ne vous ai parlé que d’histoire et peu du livre c’est pour qu’à votre tour vous vous laissiez emporter, pour qu’à votre tour vous puissiez vous dire enfants de Pussin, du père Pouthion de Manosque ou de Bonnafé.
Dominique Friard
Notes :
1- POSTEL (J), QUETEL (C), Nouvelle histoire de la psychiatrie, Dunod, Paris, 1994.
Date de dernière mise à jour : 06/07/2020
Commentaires
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- 1. benjamin villeneuve Le 23/07/2020
Un ouvrage issu d'un travail de recherche colossal. Une lecture qui permet de retracer avec précision la grande histoire de la folie. Même si à mon sens il doit être complété par d'autres, ce livre reste une référence. Merci à J.Postel pour les éléments historiques concernant la professionnalisation des infirmiers psychiatriques même si clairement, dans l'ouvrage, les infirmiers ne semblent représenter que de simples figurants dans cette histoire.
Pourtant au regard de leur nombre en comparaison de celui des psychiatres (ou des aliénistes) si influents soit-ils, il serait interessant d'aller chercher l'impact réel de cette classe "socio professionelle" (religieux, gardiens, infirmiers, ISP...) dans cette histoire... Les grandes découvertes biomédicales d'illustres médecins suscitent certainement plus d'interets que la gestion du quotidien asilaire effectué par de parfaits inconnus. Et pourtant...
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