Tausk V., Œuvres psychanalytiques

Œuvres psychanalytiques 

Victor Tausk

Un ouvrage qui ravira les passionnés de psychanalyse et de son histoire, et un texte fondateur où Tausk livre le récit d’une de ses patientes qui décrit « un appareil à influencer » dans le but d’expliquer, de rationaliser les hallucinations dont elle est victime.

Tausk

" Quand il me fallut me charger de l'expertise psychatrique des déserteurs, l'idée que je me faisais du déserteur ne dépassait pas celle d'un patriotisme de lycéen dont l'aptitude au combat n'avait pas encore reçu le baptême du feu. Je me disais qu'un déserteur était soit un cabochard refusant d'obéir à l'empereur, soit un lâche qui tremble pour sa propre vie quand tout autour de lui ses frères tombent, meurent, sacrifient généreusement leur vie à la patrie, celle de leurs proches et ceux qu'ils aiment.

J'ai pu me faire une petite idée de ces généreux sacrifices par des soldats qui avaient pris part à des assauts. J'ai alors appris qu'ils ne sacrifient rien et rien moins que généreusement, mais qu'ils sont toujours eux-mêmes victimes d'une peur insensée, affolante, qui ne sait plus ni reculer ni avancer, qui ne fait qu'écouter et dont l'héroisme consiste à endurer un martyr inconcevable." (Contribution à la psychologie du déserteur, p.137). 

 L’auteur

Destin tragique que celui de Victor Tausk (1879-1919) : enfant terrible de la psychanalyse, considéré comme un des plus brillants disciples de Freud, il laisse une œuvre originale, longtemps occultée par l’historiographie psychanalytique officielle, en raison d’une rivalité intellectuelle avec Freud et surtout des circonstances de son suicide. En 1918, Tausk demande une analyse à Freud ; la réponse de celui-ci est négative. Il suggère à Tausk de faire une analyse avec Hélène Deutsch, sa patiente depuis trois mois ; c'était flatteur pour elle mais insultant pour lui. Tausk accepte donc d'aller en analyse six fois par semaines sur le divan d'Hélène Deutsch. Mais Tausk ne parle que de Freud et, sur le divan de Freud, Hélène Deutsch ne parle que de Tausk. Freud explique à Hélène Deutsch que Tausk est un obstacle à sa propre analyse. Elle doit choisir. Pour Hélène Deutsch, ce n'était pas un choix mais un ordre. La cure de Tausk cesse immédiatement. Tausk se tue quelques mois plus tard. Cet épisode sera abondamment décrit et commenté, fournissant des armes à ceux que la psychanalyse indispose.

Il est cependant évident que bon nombre de malades se plaignent de toutes ces rigueurs sans les attribuer à l'action d'un appareil. Certains malades ressentent des modifications éprouvées au niveau de leur propre corps et de leur esprit tantôt comme étrangères, tantôt comme hostiles; ils attribuent ces altérations uniquement à une influence psychique étrangère, une suggestion, une force télépathique proveenant des ennemis. D'après mes observations et celles d'autres auteurs, il ne fait aucun doute que les doléances des malades qui ne font pas intervenir l'influence d'un appareil précèdent l'apparition du symptôme de l'appareil à influencer : l'"appareil" est une manifestation plus tardive de la maladie. Son apparition viserait, selon divers auteurs, à chercher et à trouvr une cause aux transformations pathologiques qui dominent la vie affective et sensorielle du malade et qui ont manifestement éprouvées comme étranges et désagréables."

L’ouvrage

Les œuvres psychanalytiques de Tausk se limitent à 14 chapitres d’importance inégale. Nous passerons très vite sur les six pages consacrés à deux rêves homosexuels et sur les deux pages décrivant un rêve de chiffres pour nous concentrer sur la contribution majeure de Tausk à la psychanalyse, le chapitre intitulé : « De la genèse de « l’appareil à influencer » au cours de la schizophrénie ». Chacun sait que Freud a peu écrit sur les psychoses et qu’il n’a lui-même pas suivi de patients schizophrènes. Centrer sa réflexion sur les schizophrènes, c’est là, une première originalité de la réflexion de Tausk. Il s’attaque, par ailleurs, à un élément important de la schizophrénie, l’appareil à influencer, c’est-à-dire ce que les patients se fabriquent afin de trouver une cause aux transformations pathologiques qui dominent leur vie affective et sensorielle et qu’ils éprouvent comme étranges et désagréables.

Tausk reprend donc les « propos » de Melle. A ancienne étudiante en philosophie qui souffre d’une surdité organique qui la contraint à communiquer avec son entourage par écrit. Sa plainte essentielle se centre sur les effets d’un appareil électrique fabriqué à Berlin. Lorsque Tausk la reçoit, elle est sous l’influence maléfique de cet appareil depuis plus de six ans et est devenue capable d’en faire une description écrite précise. Cette machine a une forme humaine assez similaire à la sienne. Le tronc ressemble à un couvercle bombé qui évoque celui d’un cercueil, des membres y sont rattachés. La tête n’est pas visible par la patiente. L’appareil possède également des organes génitaux. A l’intérieur de l’appareil se trouvent des batteries dont la forme est proche de celle des organes internes de l’homme. Melle. A ignore comment l’appareil est activé et comment elle s’y trouve reliée (elle suppose que des phénomènes de télépathie sont impliqués). Lorsque l’on manipule l’appareil tous les effets produits sur celui-ci sont transposés sur son propre corps. Ainsi, un lupus apparu sur son nez avait d’abord été produit sur le nez de l’appareil. Cette machine manipulée par des malfaiteurs provoque chez elle des sécrétions nasales, son corps dégage des odeurs répugnantes la machine perturbe aussi ses pensées, ses rêves, ses propos. Progressivement, elle s’est familiarisée avec cet appareil dont ses voix lui avaient parlé. Elle sait qu’il est manipulé par un de ses anciens prétendants qu’elle a éconduit dans le passé. Celui-ci a usé de l’appareil sur elle mais également sur ses proches et même sur ses médecins.

L’appareil à influencer que décrit la patiente de Tausk diffère essentiellement de tous les autres appareils par lesquels un certains nombre de schizophrènes se plaignent d’être persécutés mais il permet cependant, par ses détails de construction, d’aborder une tentative d’explication psychanalytique de l’origine et du but psychique de cet instrument construit par le délire. Cet appareil à influencer, retrouvé par Tausk chez de nombreux patients schizophrènes est le plus souvent de nature mystique. Les patients se réfèrent à leurs connaissances techniques pour le décrire : boîtes, leviers, manivelles sans pour autant réussir à en trouver une explication exacte sur un plan scientifique. L’appareil produit des images. Il dérobe les pensées, les sentiments. Parmi d’autres remarques, toutes pertinentes, Tausk  émet l’hypothèse que ces symptômes correspondant à un retour à un stade précoce du développement de l’enfant, « stade où l’homme ne ressent pas ses organes comme les siens propres et ne les reconnaissant pas comme lui appartenant, les abandonnerait à la puissance d’une volonté étrangère. » (1) Nous pouvons relier cette hypothèse à celles de Tosquelles, Oury et quelques autres à propos du transfert dissocié. Le "pseudopode narcissique indifférencié" décrit par G. Gimenez peut aussi en représenter un avatar.  

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L’intérêt pour les soignants

La schizophrénie nous renvoie à une telle étrangeté que toute réflexion qui nous donne la sensation d’y comprendre un peu quelque chose est la bienvenue. Comment l’étudiant, comment le jeune infirmier peuvent-ils se représenter l’expérience schizophrénique ? Comment se rapprocher d’un tel vécu ? Ce texte de Tausk peut les y aider. Il est évidemment à lire, à expliquer pas à pas, à commenter. L’expérience de la psychiatrie de l’enseignant, sa capacité à accompagner un groupe dans la découverte d’une certaine complexité est évidemment un facteur déterminant dans cet accompagnement réflexif. 

Dominique Friard

Notes :

  1. TAUSK (V), Oeuvres psychanalytiques, Sciences de l’homme, Payot et Rivages, Paris 2000.

Date de dernière mise à jour : 23/12/2023

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