Toute personne souffrant de maladie mentale a une famille prête à l’aider à être aidé
Toute personne souffrant de maladie mentale a une famille prête à l’aider à être aidé
Isabelle Aubard
Infirmière de secteur psychiatrique
Cadre de santé
En 2006, Isabelle Aubard, ISP et cadre de santé, réfléchissait à la place de la famille dans le soin, à la fois dans un registre thérapeutique et politique. Vers une alliance thérapeutique élargie et une réelle participation des uns et des autres aux décisions. Un texte publié sur l'ancien site serpsy.
Depuis 20 ans j’exerce le métier d’infirmière de secteur psychiatrique. J’ai travaillé dans divers lieux d’accueil et d’hospitalisations à temps complet ou à temps partiel. J’ai découvert et ai été formé à différents modèles de travail.
Depuis quelques mois j’assure la fonction de cadre de santé sur un CMP au centre de Paris.
Au cours de ces 20 années d’exercice, j’ai vu le contact avec les familles et leur place dans nos institutions changer, mon regard de clinicienne se modifier…
Passons par quelques constats que nous pouvons faire aujourd’hui
- « les étiquettes diagnostiques, en psychiatrie institutionnelle, sont à la fois médicales et sociales, car elles signalent des troubles relationnels pouvant évoluer vers le drame, la répétition, la chronicité invalidante ;
- les traitements médicamenteux ont leur ambiguïté, contrôlant ces troubles mais laissant des difficultés durables
- les diagnostics sont hésitants, ou parfois contestables quand ils sont trop précis
- la psychiatrie institutionnelle exige une réflexion sur le travail en groupe, tant chez les soignants que chez les soignés
- ses institutions conservent une étiquette sociale particulière, lieux de la folie quoi qu’il en soit
- l’opacité des réactions psychotiques graves laisse peser un sentiment d’indéchiffrable.[1]
Parallèlement à ce constat, depuis désormais plusieurs années les professionnels de la psychiatrie ont un intérêt croissant pour le travail de réflexion avec les familles et l’entourage du patient.
Historiquement la relation entre la psychiatrie et les familles, a été orienté sur l’influence pathogène que les familles exerçaient sur leurs proches « malades ».
La société a évolué et les pratiques en psychiatrie publique également. L’ouverture des champs d’intervention et de prises en charge sur le milieu de vie a mis en contact soignants, milieu familial, entourage, voisinages, et plus récemment même les politiques.
La famille et l’entourage s’imposent de plus en plus comme une réalité prégnante, incontournable, essentielle du quotidien du contexte de travail pour les professionnels de la psychiatrie.
- Réalité d’un contexte de soins, la famille est le plus souvent demandeuse d’une intervention thérapeutique
- réalité d’un contexte agissant, le lieu de vie et les rapprochements se font le plus généralement dans la famille quand la maladie survient
- réalité d’une histoire, histoire de vie celle du patient, celle des soignants, celles des familles, des institutions [2]
« L’implication de membres de la famille des patients dans les soins aide les intervenants à prendre quelque distance avec le trouble immédiat et à s’occuper directement de l’environnement de chaque patient. Les implications familiales complémentaires libèrent les intervenants de liens cachés, multiples et déroutants. Elles atténuent les angoisses et les manipulations, apaisant les prises en charge. Il devient plus facile d’instaurer une méthode généralisée de réunions, tant à l’hôpital que sur le secteur, qui maintienne des relations fiables entre les soignants. Ces apprentissages sont personnels et collectifs, traitement et prévention de la contamination pénible créée par la chronicité angoissée des malades… »[3]
Accueillir au plus tôt la famille
Quand on parle d’accueil, dans le champ qui nous intéresse, c’est de qualité d’écoute d’abord dont nous parlons. La qualité cela ne va pas obligatoirement de soi. Ca s’acquiert par le temps mais aussi par des formations
Le début des soins amène parfois à une rupture entre le milieu familial et la personne souffrante. Cette rupture peut être demandée par la famille mais aussi être imposée par un tiers extérieur comme l’équipe de soin, le préfet, les services d’urgences, le maire….
C’est lorsqu’une situation est devenue insupportable que le patient, les familles viennent consulter. Notre responsabilité, en tant que soignant, est grande. « Il nous faut accueillir la souffrance de celui qui fait symptôme sans déposséder ceux qui l’accompagnent. »[4]
Souvent lorsque survient la maladie, les familles souffrent depuis longtemps mais n’ont pas pu ou eu l’occasion d’en parler. Elles ne comprennent généralement pas ce qu’il se passe et se sentent culpabilisée.
Ces familles sont dans le désarroi car nous ne pouvons oublier que la psychose n’est pas et ne sera jamais une maladie comme les autres et on ne peut la réduire « qu’à une maladie du cerveau »
Le soutien que ces familles procure, est un temps sans relâche, sans congés et sans repos
La formation initiale et continue des professionnels doit donc s’intéresser de très près au travail à faire avec les familles, à la capacité à écouter et à reconnaître dans l’entourage proche les ressources relationnelles et psychiques.
Les familles possèdent « des compétences et des savoirs uniques sur les maladies psychiques, basées sur l’observation des manifestations de la maladie dans la vie quotidienne hors des structures de soin…
(Elles) ont une connaissance de la symptomatologie du début de la maladie avant que n’apparaisse la première crise ;
Les réactions aux médicaments dans la vie quotidienne et leur efficacité, si variable selon les individus ;
Les associations entre la survenue de la maladie et certains faits observés par les familles et l’entourage. »[5]
Les premières hospitalisations en psychiatrie retentissent comme des annonces. Annonce de la maladie. Ces premières rencontres ont une influence considérable sur le processus de soin. Temps fondamental qui va orienter ce que nous pourrions nommer « la trajectoire du patient et de son entourage avec sa maladie ». Les hospitalisations posent la question de la séparation et celle de la mobilisation de l’entourage.
Il faut aider la famille, non parce que son dysfonctionnement serait la source du symptôme exprimé, mais parce que la crise du patient psychotique est une crise familiale. Prendre en compte cet aspect permet de construire un cadre d’entretiens collectifs entre patient-familles-soignants. Ce cadre reste centré sur l’évolution du malade. Les ambitions visées sont autres que celles des thérapies dites familiales, qui elles visent avant tout à changer la structure de la famille.
Travail en entretien collectif
La mise en œuvre d’emblée, d’entretien collectif crée une situation de fait globale, à laquelle participe différents membres des équipes institutionnelles, le malade et sa famille. « Cette pratique intégrative impose un effort d’informations réciproque et des habitudes d’échange qui facilitent les actions des interventions thérapeutiques, médicamenteuses, psycho ou sociothérapiques voire réadaptatives ».[6]
Ces rencontres outre l’afflux des informations qu’elles apportent et qu’elles permettent d’échanger sont des lieux de recherche d’un consensus pour les soins, les aménagements de la vie quotidienne, les projets à court, moyen et/ou long terme. Elles éclairent sur les relations dans un milieu humain naturel.
Afin d’instaurer une alliance thérapeutique, qui est généralement définie comme une habileté observable du thérapeute et du patient à travailler ensemble dans une relation réaliste, de collaboration, basée sur un respect mutuel, sur la confiance et sur un engagement dans le travail de la thérapie (Foreman & Marmar, 1985) :
Les échanges avec un ou plusieurs membres de la famille se situent toujours en présence du patient.
Mettre en œuvre des entretiens collectifs familiaux en psychiatrie d’adultes suppose que le patient ait accepté le principe.
Cette pratique des entretiens collectifs m’a permis d’éclairer différemment ma clinique, sous divers aspects :
- au travers des entretiens collectifs, les protagonistes tissent des liens entre eux. A chaque fois, c’est une équipe singulière et unique qui se réunit autour du patient et de son entourage. Ces entretiens s’adaptent souplement aux interventions thérapeutiques diverses et deviennent un lieu de rencontre, d’information et éventuellement de décision.
- L’individu est envisagé dans son contexte ; ce qui amène la possibilité de réintroduire la réalité extérieure évacuée le plus souvent dans la psychose. Cette approche permet un décentrement contextuel vers le dehors. Elle nous permet également d’apprendre’ à reconnaître l’individualité de chacun d’entre nous.
- S’assurer de la présence du patient à toutes les rencontres avec ses proches c’est lui proposer une fonction de décideur. C’est le désigner comme seul compétent en ce qui concerne son avenir et son évolution.
Si en tant que soignants, nous sommes experts en thérapie, le patient est expert pour SA thérapie.[7]
Plusieurs études et analyses ont été réalisées, ces dernières années, auprès d’équipes incluant dans les soins le milieu familial sous forme de thérapie familiale, d’entretiens familiaux de soutien voire de programme éducationnel.
Il semble bien qu’à long terme, le fait de faire participer la famille à la thérapie, et cela le plus précocement possible et de manière régulière, diminue de manière significative le taux de rechute psychotique. Ce qui souligne l’importance de l’affiliation aux familles.
Illustration brève d’un entretien collectif
Monsieur Djabi, homme de 34 ans, présente de graves troubles schizophréniques. Il est suivi depuis de nombreuses années sur le secteur. Il est le dernier d’une fratrie de 8 enfants et vit chez ses parents, qui sont des personnes âgées.
Les troubles du comportement de M. Djabi perturbent beaucoup la cellule familiale.
Des entretiens familiaux ont lieu régulièrement. Y participent, M. Djabi, son père, sa mère son médecin traitant et moi-même, infirmière référente de M. Djabi.
Au cours d’un entretien le père requiert mon aide afin d’établir un dossier de nationalité française pour son fils. M. Djabi est algérien. Le père demande cette aide car il ne sait ni lire, ni écrire et que les démarches sont complexes. M. Djabi sait parfaitement lire et écrire mais son père ne souhaite pas faire ces démarches avec son fils, disant très en colère : « Il perd tous ses papiers. On ne peut rien lui confier ».
Mr Djabi se met, à ce moment-là, à avoir des propos incohérents et des rires immotivés.
La mère soupire et se détourne.
Nous conviendrons, au cours de cet entretien, d’aider la famille à réaliser ce dossier mais en incluant la participation de M. Djabi. Nous déterminerons ensemble qu’aucune démarche ne pourra être entreprise sans sa présence.
Notre alliance est centrée sur le patient et nous lui proposons de reprendre « sa » place dans les démarches sociales le concernant. Nous entendons la demande du père et tentons par notre réponse de diminuer le seuil d’inquiétude de la famille.
L’alliance thérapeutique doit prendre en compte les problèmes du patient mais également ceux de la famille, tout en évitant de prendre parti pour l’un ou pour l’autre. La souffrance exprimée par la famille doit être entendue comme une demande d’aide et doit être accueillie par l’équipe soignante.
Les Familles – Partenaires
Dans ma pratique quotidienne, le travail avec les familles s’établit également sur un niveau tout autre, celui du réseau.
Les familles, l’entourage, les patients ou ex-patients se sont beaucoup investis et impliquées. Ils ont mis en œuvre des associations, des fédérations qui sont devenus au fil des années de véritables partenaires pour les professionnels de la psychiatrie. Ils sont présents dans les établissements hospitaliers et participent à l’élaboration du projet médical d’établissement.
La psychiatrie fait le constat que les personnes souffrant de troubles psychiques peuvent difficilement vivre sans accompagnement. Accompagnement par leurs familles et/ou par un milieu faisant fonction de famille.
Les associations des familles et les associations d’usagers se trouvent actuellement porteurs des projets et orientations des politiques de soin. Aujourd’hui, les projets tels que les SAVS[8], les clubs (d’entraide), la reconnaissance du handicap psychique ont été portés par des associations de famille et d’usagers. Ils ont un rôle de « facilitateur » et leurs travail et présence ont permis de mettre en œuvre, dans plusieurs départements, ces projets de services : SAVS et Club. En outre sur Paris (secteur que je fréquente), plusieurs réunions, entre l’UNAFAM, des services d’aides à domicile, des associations médico-sociale et les services de psychiatrie publique, nous ont permis de préciser le type de prestations et l’implantation des services. Nous avons pu définir des partenariats et écrire de réelles conventions qui vont permettre de pouvoir proposer à la fois des soins de qualité et des prestations de suivis détachées de l’hôpital psychiatrique.
Ces rencontres entre usagers, famille et professionnels favorisent le dialogue. Nous apprenons à nous connaître et à nous faire confiance. Nous tissons des liens.
Ces liens entre les secteurs de psychiatrie et les associations de famille et d’usagers sont importants à travailler et à entretenir.
Alors…
De l’accueil à l’alliance ?
Un apprivoisement à faire….
Un chemin à parcourir pour chaque équipe, chaque famille, chaque patient…
Isabelle Aubard
Infirmière de secteur psychiatrique
Cadre de santé
Hôpital Esquirol
Secteur Paris Centre 75 G 01
[1] J.C Benoit, « Patients, familles et soigants », p.11-12, ERES, nouvelle édition 2003
[2] P.Bantman, « Alliance thérapeutique avec la famille », site serpsy.org
[3] J.C Benoit, « Patients, familles et soigants », p.11-12, ERES, nouvelle édition 2003
[4] D.Friard, D.Marchand, A.Obéa, L.Pinet, « Des entretiens infirmiers pour renouer le dialogue », Journées « Accueils ? » et CEMEA les 29 et 30 mai 1999, site serpsy.org
[5] B.Escaing, Vice-Président Racherche de l’UNAFAM, « Quand les familles se mobilisent pour la recherche », Santé Mentale, N°94
[6] J.C Benoit, entretiens collectifs familiaux en psychiatrie d’adultes, Encycl. Med. Chir. Paris. Psychiatrie, 37819 D10, 12-1980
[7] M.C Cabié, « Un apport systémique en santé mentale. L’entretien infirmier en institution : un temps fondamental »
[8] Service d’Accompagnement à la Vie Sociale
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