Chroniques d'Auxerre (II), Vérot J-P
Chroniques d'Auxerre (II)
Bédé Rouge et chu tanné d’moé.
Nous préparions le premier rassemblement organisé par l’A.E.R.L.I.P. à Bédé.
Bédé, « le gratin de la psy » en Ile de France reconnaît Barthélémy Durand, un C.H.S. à Etampes dans l’Essonne, là où en 1952 G. Perec étudiait au collège Geoffroy-Saint-Hilaire (cf. Correspondance Georges Perec et Jacques Lederer, Ed. Flammarion).
Bédé était un nouvel hosto qui provoquait bien des réactions : « …anachronique d’ouvrir un si grand nombre de lits de psychiatrie à Etampes, alors que…la politique de secteur préconisait des réponses thérapeutiques de proximité et…d’une certaine manière un dépassement de l’hôpital psychiatrique… ». Il faudra revenir sans aucun doute sur ce que nous voulions signifier par « dépassement de l’hôpital psychiatrique », en aucun cas nous ne demandions la suppression de l’hospitalisation en psychiatrie, surtout pour les patients psychotiques. Il s’agissait, pour nous, de donner un autre contenu au cadre thérapeutique, mais nous en reparlerons.
Plusieurs agglomérations : Juvisy, Ste Geneviève des bois, Savigny sur orge, Corbeil… se trouvent à 30 ou 40 km de Bédé, ce qui ne facilite pas les rencontres…(certains médecins dénonçant haut et fort cette contradiction, postulaient portant à Bédé !!).
B.D était un fief rouge, le P.C.F. y régnait, le terme est un peu faible parce que le contrôle d’un établissement quel qu’il soit, par un parti politique via le syndicat, faut voir c’que c’est ! La carte, l’ancienneté, les luttes, les tracts, l’entrée de l’hôpital, les panneaux, la grève, le directeur, ce « mal aimé » tant recherché pour s’le faire en réunion, les grosses rigolades autour d’un barbecue, le rouge, la bidoche, les sardines, documents sur le front populaire, Jean Ferrat, la résistance, le parti, « les murs résonnaient de paix en Indochine… ». Adolescent, j’ai vu « Paix en Algérie ! », je l’ai vu écrit, j’ai vu des gars peindre « Paix en Algérie » sur des wagons de chemin de fer, et même que ça dégoulinait.
« Paix en Indochine », j’étais trop jeune, je ne sortais pas le soir.
Y paraît qu’c’est partout pareil, je veux dire dans n’importe quel parti, c’est comme ça, le pouvoir, ça s’prend de n’importe quelle manière et ça s’exerce par tous les moyens possible imaginables et inimaginables. C’qui compte c’est la fin, c’est à dire qui faut l’exercer, et pour l’exercer il faut le conserver, y compris avec des stratégies les plus viles, peu importe la casse de la classe, ceux qui l’ont fait diront, c’est pas nous, pouvaient-on faire autrement ? Ou ne seront plus de ce monde.
H. Bieser, infirmier, a été l’un des principaux organisateurs du premier regroupement de l’A.E.R.L.I.P. à Bédé, préparant le terrain par de multiples contacts avec la direction.
Auparavant, nous nous étions réunis chez lui pour travailler sur un questionnaire dont les résultats et analyses doivent figurer dans le document que nous avons publié.
Lors du dépouillement, une réponse à la question : Conseillerez-vous à votre fils d’être infirmier en psychiatrie ? m’avait beaucoup amusée, car, si mes souvenirs sont exacts, la réponse était : Plutôt à un infirmier d’être mon fils !
H. Bieser m’avait fait visiter Bédé, je me souviens d’un hôpital « vide », je ne rencontrai presque pas de malades, mais des pavillons de plain pieds, pas un Asile, mais un p’tit camp, propret, ambiance scout, « new-psy », un je ne parle pas, je cause ! Des blouses, des bureaux, salles de réunions, matériel administratif. J’avais froid, pourtant c’était l’été, j’éprouvais un malaise, je ne me sentais pas en confiance. Le bouquet étant cette salle qui ressemblait à une salle d’op. pour je ne sais quelle intervention chirurgicale. Bieser disait ne pas comprendre non plus, sans doute en prévision d’éventuelles lobos.
La visite est terminée.
Lorsque nous sommes arrivés au matin du rassemblement, je devais me tenir à l’accueil, derrière une table recouverte de doc.diverse. Bieser m’avait dit que les gens étaient accueillis avec le matériel de l’hosto : café, couverts, petits pains etc, de l’hosto, comme ça, ça leur faisait voir ce que c’est qu’ l’hosto.
En effet, il y a avait des nappes de l’hosto, beurre et confiture hosto, et tous les etc de l’hosto.
Les gens arrivaient, un à un, par petits groupes. Inconnus, solitudes, attentes, croisements, je cochais sur la liste en fonction de leurs noms, prénoms, et l’hosto d’origine.
Beaucoup avaient dormi dans le train, je découvrais silencieusement des visages un peu fatigués, ils cherchaient à poser leur sac, première cigarette, café, debout, assis, quelques-uns regardaient au loin, à travers les fenêtres. J.P. Catonné allait et venait tranquillement comme d’habitude, prenait le temps d’échanger avec des gens, avec la main gauche dans la poche arrière de son blue-jean, caressant sa barbe avec la droite.
C’était la première fois que j’entendais parler anglais si prés de moi, j’entendais des gens qui utilisaient des termes anglais dans leur discours. Une jeep, je savais ce que c’était, le jerk aussi, une danse qui permet d’avancer par saccade y paraît, mais j’apprenais aussi que cela pouvait signifier « stupide » « andouille » « conard » ou « abruti ».
Les interventions commencèrent. Je n’étais pas assez assidu puisque j’allais et venais de l’accueil à la salle, assit au plus près de la sortie pour rester disponible sans déranger les autres.
Nos positions étaient contestées surtout dans la forme, on nous reprochait d’utiliser un langage souvent inacceptable, indigne de soignants.
Quelqu’un s’était levé pour dire que les révolutions salutaires, celles qui tiennent, sont celles qui ont été préalablement préfigurées par des petits groupes.
Un autre : A quoi bon la quantité si la qualité n’y est pas ?
Et puis, nous étions également critiqués parce que nous dénoncions des situations qui allaient s’étioler d’elles-mêmes avec la mise en place du secteur. D’autres bondissaient pour dire que le secteur n’était qu’un maillage de flichiatres !
Nous voulions que les gens viennent simplement d’eux-mêmes consulter les soignants, peu importe à l’hôpital, au C.M.P. ou H.D.J., que les visites à domicile n’avaient pas besoin de policiers, sans filet, les mains nues, le dos au mur…nous demandions une formation adéquate pour tous les soignants qui veulent travailler en psychiatrie, et comme la psychiatrie touche à l’essence de la liberté, nous options pour un fonctionnement démocratique des groupes. La référence à Kurt Lewin était explicite, mais le psychodrame tel que le concevait Moreno, Lébovici, Diatkine était également important. Nous voulions une psychiatrie plus douce et plus ouverte, la communauté thérapeutique pouvait être un projet réel à condition que l’esprit sectaire ne noyaute pas le fonctionnement. Comment faire ? D’abord soigner sur le terrain d’origine en tenant compte des différentes interactions, rechercher et proposer une assistance spécifique aux patients en terme de moyens financiers et utiliser de manière privilégiée des petits groupes de vie, favorisant les relations informelles et les activités, ce que les établissements ne peuvent pas penser et bien moins mettre en place.
Chimère, chimère…l’image du Don Quichotte libérateur des « fous » est une représentation combattue par L. Bonnafé qui n’était pas au regroupement ce jour là, du moins pas à ma connaissance, mais quelqu’un avait repris sa position.
Je ne savais pas que le programme de 73, celui qui allait donner la première génération des I.S.P. était sur le point d’entrer en application si cela n’était déjà fait.
Quelqu’un d’autre faisait remarquer qu’il était ennuyeux de traiter des principes de la psychiatrie de secteur de manière conventionnelle et qu’il fallait chercher les aspects paradoxaux de cette mise en place pour trouver des espaces de parole, donc de soins, permettant de personnaliser les réponses.
La présence de l’équipe où qu’elle soit, devait être désaliénante et dépsychiatrisante. Nous voulions nous désaliéner, il fallait se démarquer des murs, des barreaux, de la hiérarchie verticale, des horaires, bref, de la standardisation des réponses ou des réflexes archaïques. L’architecture des lieux de soins, la manière de les habiter c'est-à-dire d’organiser et d’animer la vie sociale à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital, participait à la désaliénation des malades dans la mesure où les équipes se désaliénaient elles-mêmes. En schématisant un peu, nous devions nous approprier le dispositif de soins et ne pas laisser le processus décisionnel à une minorité politico-médico-sociale-administrative. On se foutait pas mal de ce que pouvait dire Bonnafé.
En début d’après-midi, quelqu’un a quitté la salle pour faire quelques pas dehors. Il portait un veston de velours et, de sa poche, dépassait le titre d’un bouquin dont nous avons tous entendus parler : Sur la route de J. Kerouac. Spontanément nous avons sympathisé, je ne me souviens plus de son nom, il était psychologue au CHS de St Egrève. Je lui posai des questions au sujet de Sur la route, il m’a répondu qu’il avait du mal à le finir, et que ça le barbais un peu.
Après avoir lu ce livre et d’autres ouvrages de J. Kerouac, je partage son avis, j’ai eu des difficultés à finir Sur la route, je pense que ce bouquin n’a rien de la Beat Génération. Visions de Gérard m’a beaucoup ému par contre. Par la suite, j’ai pu écouter l’enregistrement sur cassette d’un entretien sur Radio Canada de J. Kerouac. La première fois, je n’ai quasiment rein compris, cela me semblait inaudible en partie à cause de son accent, je saisissais malgré tout quelques bribes : Je suis né à Lowell, well, well, well, canadien, bien, bien, bien…Mon père est né dans le Témiscouata…il était imprimeur…la rue Beaulieu, la rue Boisvert (rien à voir avec le club Cécile j’espère !!). Lorsqu’il voulait ajouter quelque chose, il disait toujours « pis »… pis le club, pis dans la neige, pis les chiens, pis y a des machines et des Pontiacs à c’t’heure…Je riais, tout en ayant conscience que je ne comprenais pas grand-chose. Même lorsque je croyais comprendre, je doutais. Par exemple, un journaliste lui pose la question : Vous aviez des frères et sœurs ? Kerouac répond : J’avais une sœur, Caroline, pis un frère, Gérard. Sont tous les deux morts ! Le public s’est mis à rire. Kerouac pose la question : Qu’est-ce qu’ils ont à rire, c’est lui qui demande des questions ?
J’avoue ne pas avoir compris les rires de l’assistance, cela me paraît discordant, irrespectueux et violent.
J’ai essayé de prendre des notes à partir de l’enregistrement, c’est intransmissible à mon niveau. J’ai bien noté : pis à c’t’heure, pis ça a donné un musique, pis à c’t’heure ils s’appellent new génération, action génération, love génération, LSD génération, …Il disait que beatnik est un mot péjoratif, inventé après spoutnik, pour avoir l’air idéaliste comme ceux de l’Amérique qui ont de l’indépendance…nik…vietnik…beatnik…peacenik… chu tanné…chu tanné d’moé même…chu pas un homme de courage, la seule chose que j’sais faire, c’est d’écrire de histoires. C’est toute.
La plupart des textes de J Kerouac sont, à mon avis, des textes erratiques, ce sont des écrits vagabonds qui relatent l’intensité émotionnelle vécue dans la rencontre instantanée. Ils n’ont pas grand-chose de la « Beat Génération » si ce n’est le côté antiélitiste et contre-doctrinaire. C’est François Ricard qui utilise le néologisme de « vécriture » pour désigner le texte de vie représentant l’existence de J. Kerouac (cf. La littérature contre elle-même, Ed. Boréal Express, Montréal, 1985 p. 93-98). Lorsque j’utilise le terme vagabond pour qualifier d’une certaine manière, les écrits de J. Kerouac, j’écarte d’emblée l’implicite péjoratif. C’est l’image de la mobilité transmise par ses textes qui m’oriente vers ce mot. Il y a probablement, comme cela a été dit à maintes reprises à son sujet, une quête métaphysique dans ses déplacements par ailleurs rarement solitaires. Il n’est ni un flâneur, ni promeneur, plus un quêteur de Paradis, sacré Sal Paradise. Par moment, il s’ensauvage, 5 dollars en poche c’est pour acheter de l’alcool ou d’autres choses qui donnent le feu. Ce n’est pas en termes du mal à le finir que je parlerai de ses textes vagabonds. J’ai le sentiment que quelque chose le pousse à partir sans qu’il parvienne réellement à s’en éloigner.
Errer = to wander en anglais et to wonder = s’émerveiller en français. A suivre ses écrits vagabonds, je suis tenter de faire un rapprochement. Comment peuvent s’articuler ces deux termes chez J. Kérouac ? Ce sera sans doute l’occasion d’y revenir un peu plus tard. Restons en psychiatrie, si toutefois nous nous en étions éloignés.
Folie, maladies mentales, animation des lieux de soins.
Le débat concernant folie/maladies mentales dans leurs rapports avec le corps social nous mettait en difficulté, car nous avions peu de recul et encore moins d'arguments de réflexion. Nous étions conscients que toute définition sérieuse des maladies mentales risquait d'être ennuyeuse, longue, trop technique, et nous ne pouvions pas soutenir l'échange.
Synthèse de nos discussions :
- Une définition des maladies mentales ou de " la folie " (remarquez que nous passons du pluriel au singulier et vice versa), comme là où les conséquences d'un dysfonctionnement localisable dans le cerveau. Dans ce cas l'étiologie serait organique et les symptômes observés seraient secondaires au fonctionnement inadéquat de l'organe en cause. Hypothèse univoque, organiciste, biologique, neuronale, neuroscientifique, qui éloigne ou écarte toute investigation de la subjectivité et de l'intersubjectivité.
- Une définition des maladies mentales ou de " la folie ", comme étant le reflet ou la résonance d'un fonctionnement pathogène du milieu (thèse des antipsychiatries), l'étiologie des maladies mentales serait sociogénétique, et les traitements consisteraient à modifier le contexte ou le milieu pour améliorer ou guérir les patients, ce qui peut avoir une certaine valeur mais ne peut pas être appliquée à l'ensemble des patients.
- La troisième définition est avancée par la psychanalyse qui cherche à expliquer les causes des maladies mentales par un déséquilibre du fonctionnement de l'appareil psychique et propose des traitements essentiellement psychiques, les psychothérapies d'origine analytique ayant un rapport avec l'œuvre de Freud, surtout la théorie de l'inconscient.
Nous n'avions pas connaissance des travaux et hypothèses cognitivistes.
Notre position était de rechercher les convergences entre ces trois définitions (sont-elles définitions d'ailleurs ?), je veux dire, émanent-elles d'un ensemble de professionnels qui se sont auparavant mis " d'accord " sur : qu'est-ce une maladie mentale? Que sont les maladies mentales reconnues comme telles aujourd'hui ? Nous disions que les professionnels de la psychiatrie (que j'écrivais avec un accent circonflexe sur le a), existaient davantage que la psychiatrie elle-même, puisque nous éprouvions les plus grandes difficultés à trouver un accord sur les causes et des traitements crédibles des maladies mentales et du coup, la psychiatrie ne pouvait être considérée comme une discipline à part entière. Les professionnels de la psychiatrie sont des personnes réelles à qui d'autres personnes demandent de manière plus ou moins explicite, des soins. Rappelons toutefois que les psychotiques commencent par ne pas se reconnaître comme des personnes malades, donc pas besoin de soins ! On est d'abord soignés par la volonté des autres en psychiatrie. C'est la question du déni des troubles qui est mise en avant dans le cadre de la rencontre avec les malades mentaux. En ce sens, les professionnels existent davantage que " la psychiatrie ", dans la mesure où nous rencontrons de grandes difficultés à définir notre objet : " Que sont les maladies mentales ? Qui soigne-t-on et comment ?" parce que dans le même temps, au fur et mesure que nous essayons de répondre au mieux à ce qui nous est demandé à la fois par la société et les patients, les pathologies évoluent, elles sont particulièrement instables dans leurs modalités d'expression, leur synthèse nous échappe, ne nous permet pas de les fixer ou de les stabiliser, et notre culture médico-sociale exige plus de certitudes, surtout lorsqu'il s'agit de répondre aux questions de la souffrance psychique et aux troubles du comportement.
Sur le mot folie.
Retenons qu'il est un mot différent de maladies mentales, moins technique et plus courant. Le mot " fou " est employé dans des proportions diverses par tout le monde, pour désigner des attitudes sociales " Conduire comme un fou… " " Raconter une histoire de fou… " " Etre fou du roi… de la reine…ou du chocolat Lanvin… " " Ne me regarde pas comme ça, je ne suis pas fou…je sais ce que je dis… " " Il rit comme un fou… " etc. Fou est un terme beaucoup plus ancien que maladies mentales. Il a tantôt désigné une outre gonflée vers l'an 1000, puis un mécanisme déréglé à la fin du 16ème siècle, " Une montre folle… " " Un jardin envahi par des herbes folles… " " Une balance folle… " " De l'avoine folle… ", et prend une valeur superlative au début du 17ème " Etre amoureux fou… ", " Il y avait un monde fou… ", " Avoir un succès fou… ", " Prendre un temps fou… ", et puis chaque dictionnaire de bonne qualité nous apprend que le mot " fou " désigne à partir du latin fagus, également un arbre, le hêtre dont la consistance très dure permet entre autre, de confectionner des jouets pour les enfants.
Un collègue infirmier avait remarqué que le terme " fou " était situé dans le dictionnaire entre fossoyeur et fouace qui vient de focacia, signifiant foyer, et en langage populaire, un biscuit très dur. Il avait donné l'interprétation suivante : en situant le mot fou entre fossoyeur et fouace (denrée à prendre par la bouche), la folie occupe une place intermédiaire dans la langue entre l'oralité et la mort.
Je ne me souviens plus de son nom, je crois qu'il travaillait à Moisselles, c'était un type plus grand que la moyenne, barbu, avec une forte corpulence, qui participait activement à la rédaction des cahiers de l'A.E.R.L.I.P. Il a occupé la place de G. Daumezon lorsqu'une fois entrés dans la salle du congrès à Auxerre, l'électricité fut coupée et les médecins présents à la tribune décidèrent de partir dés la lecture du texte rédigé collectivement à St Bris le Vineux.
Il y a eu des photos, on le reconnaît facilement.
Majastre l'avait repris en se référant à R. Barthe pour qui la langue était fasciste, et qu'il n'y avait aucune raison de tirer des conclusions aussi générales par rapport au terme " fou " en fonction de sa situation dans la langue française, probablement valable pour tel dictionnaire, mais occupant une place très différente dans une autre langue.
Ceci pour illustrer un peu les débats que nous avions. Malgré toutes ces difficultés, nous progression pas à pas, lisant, discutant, écoutant, réfléchissant. Ce n'était pas facile mais on se serrait les coudes.
Cette discussion avait fait l'objet d'une synthèse avec M. Monroy, J.P Catonné, Karavokyros et d'autres dont je faisais partie :
Le mot " fou " est un terme moins technique que maladies mentales, il a un sens beaucoup plus large, ce ne sont pas les mêmes qu'on appelle " fous " et de fait, le terme introduit une donnée plus relative que maladies mentales.
Lorsque le mot " fou " est utilisé, c'est en règle générale pour désigner quelqu'un qui a un comportement s'écartant de la norme jusqu'au point d'être désigné comme tel. Ainsi lorsqu'on utilise " fou " ou " folie " plutôt que celui de maladies mentales, on met l'accent sur des rapports sociaux plus que sur une demande de soins et une réponse thérapeutique. Il existe des malades mentaux qui ne démontrent pas de manière patente de troubles des " conduites sociales ".
Ceci est très important car dans nos pratiques, nous sommes aussi des membres et représentants de cette société et nous agissons en son nom, même si cela n'est pas toujours conscient. Nous sommes contraints d'agir à deux niveaux, celui des représentations sociales et des techniques thérapeutiques. Compte tenu de la réalité sanitaire et sociale dans laquelle était la psychiatrie à la fin des années 60 et au début des années 70, y compris la formation des infirmiers qui n'étaient encore pas des ISP mais des infirmiers des hôpitaux psychiatriques, celle des psychiatres souvent isolés dans leurs responsabilités, du nombre de malades dans les hôpitaux, et des balbutiements des techniques de soins " modernes ", il était évident que nous nous confrontions à d'énormes difficultés tant du côté des soins que des représentations sociales.
Se former pour soigner.
Un autre paramètre viendra compliquer notre démarche avec l'arrivée massive de nouveaux élèves infirmiers, qui vont opter pour la carrière par le biais d'une formation rémunérée, percevant ainsi un " salaire " pendant toute la durée des études, masquant de fait pour beaucoup d'entre eux, leurs réelles motivations à soigner les malades.
Ceci nous a été suffisamment reproché pour ne pas en faire état, néanmoins la généralisation de cet argument ne peut pas être retenue, car nombre de collègues ont été et restent de nos jours, de très bons professionnels après avoir découvert l'intérêt thérapeutique de la réflexion et des pratiques tout en étant rémunérés.
Par ailleurs, ces études d'ISP payées, ont permis le recrutement de futurs professionnels ayant déjà un métier (menuisiers, soudeurs, imprimeurs, aides-soignants etc.) et d'artistes (peintres, écrivains, sculpteurs etc.) qui ont su rapidement allier leur savoir-faire ou leur art, aux nouvelles techniques thérapeutiques.
Il s'agit d'une révolution au sens où nous devions réaliser des efforts d'adaptation très intenses, mettant fréquemment un nombre important de professionnels en difficultés tant du côté des risques physiques que psychiques. Les stratégies d'adaptation vont être différentes, je les résume sans doute en schématisant :
- Celle qui consiste à investir personnellement la fonction thérapeutique du rôle infirmier en psychiatrie, en étayant le contenu des soins psychiques par le biais des séminaires cliniques et leurs conséquences sur les démarches thérapeutiques, prenant en compte l'analyse institutionnelle dans l'engagement personnel et professionnel.
- Celle qui consiste à orienter sa carrière vers une activité de moniteur ou d'enseignant dans les centres de formation, donc à s'éloigner des soins directs.
- Celle qui consiste à désinvestir l'engagement dans les soins en recherchant dans un ailleurs échappatoire, des sujets de discussion (la maison… vacances…repas de fêtes… bricolage…travail en double…), pour éviter le plus possible la confrontation aux difficultés. On reconnaît ceux qui ne disaient jamais rien, en réunion de soignants, avec les malades, seuls, en duo, rien, ils ne disent jamais rien, seulement des moues, grimaces, regards ou éclats de rires, parlent de tout autre chose, en résumé ils s'en foutent.
Mais combien de collègues doux, calmes, brillants, d'une dextérité relationnelle enviée par beaucoup de médecins et de psychologues, une façon de faire et de dire qui relève de l'art, s'autorisaient à tutoyer quelques patients schizophrènes : " Salut…comment tu vas ? ", le patient regardait de manière attentionnée en direction du collègue, le contact chaleureux était établi.
" Tu sais que nous avons atelier peinture…cette après-midi…tu as pensé à ramener des objets… ? ". Le patient tournait les talons en murmurant " Je vais les chercher… ". Le collègue : " Je reste là…j'attends… ". Le patient revenait avec une chopine, une vieille lampe, et un journal : " Bon…on va bien voir c'qu'on va en va en tirer de tout ça ! J'aimerai bien peindre les lettres du journal…le titre… ". Mon collègue écoutait tout en regardant le titre du quotidien sans commenter, il allume sa pipe… " Pourquoi pas…y a un pinceau assez fin ? Faut aller chercher la clé…en route… on y va…" Trois patients, un infirmier, de la musique, des pinceaux, des couteaux à peindre, des portraits, des poèmes écrits aux murs :
Quartier Latin de Léo Ferré
Ce quartier
Qui résonne
Dans ma tête
Ce passé
Qui me sonne
Et me guette
Ce Boul'Mich'
Qu'a d'la ligne
En automne
Ces sandwichs
Qui s'alignent
Monotones
Quartier latin…Quartier latin…Quartier Latin
Chez Dupont
Ca traînait
La journée
C'était l'pont
Qui durait
Tout' l'année
L'examen
Ca tombait
Comme un'tête
Au matin
Sans chiqué
Ni trompettes
Quartier latin…
Cett' frangine
Qui vendait
Sa bohême
Et ce spleen
Qui traînait
Dans sa traîne
J'avais rien
Ni regrets
Ni principes
Les putains
Ca m'prenait
Comm' la grippe
Quartier latin…
Ce vieux prof
Qui parlait
A son aise
Très bien, sauf
Que c'était
Pour des chaises
Aujourd'hui
Un diplôme
Ca s'rupine
Aux amphis
Tu point's comme
A l'usine
Quartier latin…
Les années
Ca dépasse
Comme une ombre
Le passé
Ca repasse
Et tu sombres
Rue Soufflot
Les vitrines
Font la gueule
Sans un mot
J'me débine
J'ferm'ma gueule
Je r'trouv'plus rien
Tell'ment c'est loin
Quartier Latin… Quartier Latin… Quartier Latin…
(A suivre !)
Jean-Pierre Vérot, Site ancien serpsy, 2002
Pour se replonger dans l'ambiance de l'époque, Léo Ferré chante Quartier latin :
https://www.bing.com/videos/search?q=l%c3%a9o+ferr%c3%a9+quartier+latin&ru=%2fvideos%2fsearch%3fq%3dl%25c3%25a9o%2bferr%25c3%25a9%2bquartier%2blatin%26FORM%3dHDRSC3&view=detail&mid=8D6260144FB4B9882E7D8D6260144FB4B9882E7D&&FORM=VDRVRV
L'interview de Kerouac dont parle Jean-Pierre :
https://www.bing.com/videos/search? q=kerouac+sur+la+route&docid=607992787184583554&mid=5A72275C3EE16E5EFEA45A72275C3EE16E5EFEA4&view=detail&FORM=VIRE
Date de dernière mise à jour : 28/09/2020
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