Acte d'accusation

SERPSY - Soins Etudes et Recherche en Psychiatrie

Colloque du 24 mai, Voyage en nos troubles

Procès fictif,

Où nous voyons L’État mis au banc des accusés.

 

Chef d’inculpation :

Destruction caractérisée du service public psychiatrique entraînant une perte de chance pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques.

Argument général du procès fictif

Dès la fin des années soixante des voix ont été entendues au plus haut niveau de nos gouvernements successifs (depuis le rapport Nora, 1967 et autres qui ont suivi) pour accroître l’efficience des services publics au nom de la rentabilité financière par l’abandon de lignes non rentables, des tarifs différenciés selon les coûts réels, et des transferts d’activités au privé, et réduire ainsi la dépense publique.

La santé fait partie des services publics de L’État ayant pour mission la continuité du service rendu sur tout le territoire, l’adaptabilité aux besoins de la société et aux innovations dans le domaine, et l’égalité d’accès sans discrimination. Ces valeurs socles du service public ont été profondément bousculées par la tendance à coller les logiques marchandes des entreprises privées au secteur public.

La psychiatrie, en particulier, par sa place singulière dans l’ensemble du secteur de la santé, en a particulièrement fait les frais. Aujourd’hui, on assiste à un mouvement antagoniste : face à l’augmentation des demandes de soins, l’État, par ses services décentralisés, les Agences Régionales de Santé (ARS), maintient coûte que coûte sa politique de restriction budgétaire par des fermeture de lits, et des baisses d’embauches du personnel soignant.

On assiste à une multiplication des mesures de contention et d’isolement, dessinant une zone où le soin psychique et les demandes d’une société à forte tendance sécuritaire s’amalgament. Les soignants s’éloignent du secteur public. Cette désaffection accentue la dégradation des conditions de travail et de soins. Les patients trouvent de moins en moins de lieux où être accueillis d’abord en première intention, puis dans le suivi de leur traitement qui, dans ce domaine, ne se limite pas à avaler une pilule.

Cette transformation de l’esprit, et du sens du service public s’est modifiée conjointement à d’autres événements. Le plus notable est la suppression du diplôme d’Infirmiers du Secteur Psychiatrique (ISP) en 1992, mettant à mal la transmission de ce savoir infirmier spécifique aux générations nouvelles.

Nous observons aujourd’hui, avec la perte de cette transmission, que le socle théorico-clinique, qui mettait la notion de « sujet » et d'inconscient au centre de la relation de soin, est jeté aux oubliettes du scientisme.

Plus rien ne s'oppose à ce qu’un nouveau paradigme apparaisse. Nous assistons à l’éclosion d’un monopole d’expertise selon les seules visions biologico-organicistes ou comportementales, présentées comme des innovations contemporaines, avec pour corollaire le résultat comme preuve absolue. Ce qui, en matière de sciences de l’humain, est éthiquement gênant voire discutable.

Ces nouvelles approches sont beaucoup portées par des entreprises privées qui n’intègrent pas l’organisation mise en place depuis les années 1960, où l’offre de soin est pensée en secteur géographique assurant justement la continuité des soins de ces patients atypiques. Ce qui a été désigné comme « la psychiatrie de secteur »

Extraits de la circulaire du 14 mars 1990, qui définit le secteur psychiatrique. Elle fait suite à celle de 1960.

« Le secteur psychiatrique constitue pour la psychiatrie publique le mode d'organisation privilégié permettant aux établissements hospitaliers publics et privés participant au service public de mettre à la disposition d'une population résidant sur une aire géographique donnée une gamme de prestations diversifiées de prévention, de diagnostic, de soins et de réinsertion, notamment dans le cadre des équipements et services définis par l'arrêté du 14 mars 1986, au sein desquels le centre médico-psychologique assure une fonction de pivot.

L'équipe pluridisciplinaire placée sous l'autorité d'un psychiatre hospitalier constitue, dans chaque secteur, la base de cette organisation. Elle doit garantir aux malades la continuité, la complémentarité et la coordination des prestations et prises en charge nécessaires dans et  hors de l'hôpital. Cette équipe et l'ensemble des moyens matériels, immobiliers et mobiliers dont elle dispose quel que soit le lieu dans le secteur constitue le plateau technique de psychiatrie de secteur »

Dans le contexte actuel de restructuration générale, les patients sont de plus en plus en rupture de soins, livrés à leur souffrance ; les soignants désorientés, troublés de ne plus reconnaître ni leurs lieux de soins, ni leurs « outils théoriques » à penser le soin, ni les valeurs de service public qui fondaient leur profession.

Les conséquences sont lourdes en termes de cohésion sociale, de coût public, de qualité de soins, d'avancée humaine.

Dans ce procès fictif, nous mettons en cause la responsabilité de l’Etat et sa politique de santé psychiatrique, face aux patients et aux soignants que nous présentons comme les plaignants, c’est-à-dire les victimes de cette politique délétère et inconséquente.

Chacun des témoins de l’accusation, patients, parents, infirmiers, psychiatre, va témoigner d’un parcours particulier, de ses tentatives de s’y retrouver vaille que vaille dans cette nébuleuse opaque qu’est devenu le système de soins psychiatrique en France. Parcours parfois heureux, parfois chaotiques et fatals, par démission, burn-out, abandon, rejet social, suicide, et autres actes violents.

Les 6 jurés populaires seront désignés par tirage au sort parmi les auditeurs du procès.

Lors de ce procès, à travers ces quelques témoignages, de patients et de soignants, et autres professionnels de la santé psychique, nous nous interrogeons.

Qu’est devenu ce souci collectif de protection des plus démunis, des plus faibles, des plus atypiques qui caractérise le système social français ?

Assistons-nous oui ou non, à la destruction du service public ?

Assistons-nous au retour d'un système asilaire qui enferme et stigmatise avec une offre de soins à deux vitesses ?

L’Etat est-il responsable oui ou non, de cette destruction ? Qui est l’Etat ?

Sommes-nous spectateurs impuissants d’une mutation inéluctable vers une société fragmentée, individualiste, normative, coercitive, et à plusieurs vitesses ? 

Existe-t-il des alternatives ?

Nous souhaitons au terme d’un débat contradictoire avoir une vision plus claire des responsabilités de chacun dans ce paysage actuel qui trouble nos engagements soignants et nous saisit quand on pense au chemin que prend de la psychiatrie aujourd’hui.

Date de dernière mise à jour : 02/06/2024

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