La psychanalyse (cure par la parole)

Modèles de compréhension de la maladie mentale (V)

La psychanalyse (cure par la parole)

La psychanalyse naît à Vienne, dans la même ville que la malariathérapie. S. Freud, après avoir étudié auprès de Charcot et de Bernheim fait le constat que les hystériques ignorent l’anatomie. Autrement dit, les paralysies hystériques, ne sont pas causées par des lésions identifiables. Pour Freud, les hystériques souffrent de réminiscences qu’il faut ramener à la conscience afin de faire disparaître ces paralysies. Il essaye différents moyens d’amener ces patients à se remémorer les traumatismes responsables de leur état, jusqu’au moment où Anna O., une des patientes de son confrère Breuer, suggère d’associer librement à partir de ses symptômes, de faire « un ramonage de cheminée » intérieur qu’elle nomme la « talking cure ».

La psychanalyse est la discipline fondée par Freud dans laquelle on peut distinguer, avec Freud lui-même et dans la définition proposée par Laplanche et Pontalis trois niveaux :

« A) une méthode d’investigation consistant essentiellement dans la mise en évidence de la signification inconsciente des paroles, des actions, des productions imaginaires (rêves, fantasmes, délires) d’un sujet. Cette méthode se fonde principalement sur les libres associations du sujet qui sont le garant de la validité de l’interprétation. L’interprétation psychanalytique peut s’étendre à des productions humaines pour lesquelles on ne dispose pas de libres associations.

B) Une méthode psychothérapique fondée sur cette investigation et spécifiée par l’interprétation contrôlée de la résistance, du transfert et du désir. A ce sens se rattache l’emploi de psychanalyse comme synonyme de cure psychanalytique ; exemple entreprendre une psychanalyse (ou : une analyse).

C) Un ensemble de théories psychologiques et psychopathologiques où sont systématisées les données apportées par la méthode psychanalytique d’investigation et de traitement. »[1] 

Psychanalystes

Cette découverte bouleverse l’ensemble des champs de connaissance. Elle contribue à remodeler la nosographie, notamment du côté des névroses. Elle propose une théorie du psychisme divisé d’abord en conscient, préconscient et inconscient (1ère Topique), puis en moi, ça et surmoi (2ème Topique). Nous ne saurions dans l’espace imparti présenter l’ensemble des concepts développés par Freud et ses successeurs. Elle inaugure un certain nombre de déplacements dans le soin aux personnes qui souffrent de troubles psychiques. Nous retiendrons le rôle donné à l’écoute. Si Freud en tant que praticien s’est essentiellement intéressés aux névroses, le théoricien aborde la psychose dans de nombreux articles. Il contribue à séparer nettement les deux modes d’organisation de la personnalité.

Sigmund Freud, entre 1915 et 1917, débute les 28 conférences qui constituent son « Introduction à la psychanalyse », en relevant que la première difficulté de la psychanalyse, tient au fait que dans l’enseignement de la médecine, on est habitué à voir. « Vous voyez la préparation anatomique, le précipité qui se forme à la suite d’une réaction chimique, le raccourcissement du muscle par l’effet de l’excitation des nerfs. Plus tard, on présente à vos sens le malade, les symptômes de son affection, les produits du processus morbide, et dans beaucoup de cas on met même sous vos yeux, à l’état isolé, le germe qui provoqua la maladie. Et jusque dans la psychiatrie, la démonstration du malade avec le jeu changeant de sa physionomie, avec sa manière de parler et de se comporter, vous apporte une foule d’observations qui vous laissent une impression profonde et durable »[2]. Le professeur en médecine remplit le rôle d’un guide et d’un interprète qui nous accompagne dans un musée où il nous décrirait les œuvres présentées. Les œuvres pour êtres parlantes (sur un plan émotionnel ou esthétique), n’en sont pas moins muettes, ce qui n’est pas le cas du patient en psychothérapie, en psychanalyse ou dans le quotidien de la relation. « Le traitement en psychanalyse ne comporte qu’un échange de paroles entre l’analysé et le médecin. Le patient parle, raconte les événements de sa vie passée et ses impressions  présentes,  se plaint, confesse ses désirs et ses émotions. Le médecin s’applique à diriger la marche des idées du patient, éveille ses souvenirs, oriente son attention dans certaines directions, lui donne des explications et observe les réactions de compréhension qu’il provoque ainsi chez le malade ».[3] Freud, dans ce passage, donne une définition  minimale du traitement psychanalytique. Tous ceux qui soignent par l’écoute peuvent s’y retrouver, quelles que soient leurs théories de référence. Nous savons que la psychanalyse est beaucoup plus complexe et exigeante. Nous pouvons néanmoins cheminer à partir de cette définition d’un traitement par l’écoute qui s’oppose à un traitement qui renvoie à ce qui est visible, directement mesurable. Il est, par ailleurs, impossible de connaître ces « simples discours » de l’intérieur.  Le malade  ne parle  « que s’il éprouve pour le médecin une affinité de sentiment  particulière ; il se taira, dès qu’il s’apercevra  de la présence ne serait-ce que d’un seul témoin indifférent ».[4] Le malade livre ce qu’il y a de plus intime dans sa vie psychique, ce qu’il doit « en tant que personne sociale autonome, cacher aux autres et, enfin, à tout ce qu’il ne veut pas s’avouer à lui-même, en tant que personne ayant conscience de son unité ».[5] Autrement dit, on ne peut pas assister en auditeur à un « traitement par l’écoute ». « Vous pouvez seulement en entendre parler et, au sens le plus rigoureux du mot, vous ne pourrez connaître la psychanalyse que par ouï-dire ».[6] Freud  conclut  ce paragraphe  en écrivant : « Tout dépend en grande partie du degré de confiance que vous inspire celui qui vous renseigne ».[7] L’essentiel est quasiment dit dans ce court paragraphe : d’un côté le monopole du visuel en médecine et la tendance à l’objectivation qu’il implique, de l’autre les différentes figures du transfert et le travail sur l’intimité que l’écoute suppose.

Si l’on n’a pas attendu la psychanalyse pour soigner avec de « simples discours », la psychanalyse est réellement la première thérapie (et la première théorie) à se construire à partir du discours du patient qu’elle nomme analysé ou plus justement avec Lacan analysant. Si les prédécesseurs de Freud (Pussin, St Jean de Dieu, Mesmer, Puységur, etc.) ont utilisé la parole pour soigner, il s’agissait de leurs mots et en aucun cas de faire advenir la parole du patient. C’est donc bien la psychanalyse qui crée une certaine façon d’écouter un patient enfin reconnu comme sujet. Toutes les autres modalités de soins par l’écoute qui naîtront ensuite en découlent.

La psychanalyse ne s’impose pas d’emblée en France, il faudra attendre les lendemains de la seconde guerre mondiale pour que ses effets sur la psychiatrie deviennent perceptibles.

Dominique Friard (A suivre !)


[1] LAPLANCHE (J), PONTALIS (J.B), Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, Paris, 1967, pp.350-352.

[2] FREUD (S), Introduction à la psychanalyse, trad. S. Jankélévitch, Petit Bibliothèque Payot, Paris, 1961, pp. 6-8.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] FREUD (S), Introduction à la psychanalyse, op. cit.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

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