Interroger les patients sur leur vécu de l'isolement
Interroger les patients sur leur vécu de l’isolement en 1996
Lorsque nous avons entrepris nos travaux de recherche sur la chambre d’isolement, il nous a semblé « évident » que nous ne pourrions pas nous contenter de recueillir le discours des soignants. Il nous faudrait « inventer » un dispositif qui permettrait aux patients d’exprimer leur vécu de l’isolement. Aujourd’hui, une telle démarche va de soi. Nul ne chercherait à diminuer le recours aux mesures coercitives sans s’appuyer d’abord sur les patients, leur vécu individuel et collectif ; la pairaidance n’étant qu’un des moyens de le faire. En 1994, s’il existait, ici ou là, des unités qui proposaient des réunions soignants-soignés ou communautaires (le contenu ne sortait pas de l’unité), interroger des patients sur leur vécu de l’isolement avec l’idée de le publier et d’en produire un travail universitaire frisait le passage à l’acte. Même dans le cadre d’un travail ancré dans le droit médical, je dus le justifier, indépendamment des aspects méthodologiques propres à toute recherche.
Il m’a semblé intéressant, trente ans après, de reprendre cette argumentation qui paraîtra vieillotte à de nombreux soignants tant cette démarche est entrée dans les mœurs. L’empowerment des usagers est tellement la priorité, notamment du courant orienté rétablissement qu’il est même inimaginable de se passer de la prise en compte du vécu des usagers. Il faut donc se souvenir qu’à cette époque, les soignants sont convaincus que l’isolement dans une chambre fermée est thérapeutique. Remettre en cause ce dogme c’est remettre le soin lui-même en cause. L’auteur doit prendre en compte cette représentation pour avancer, d’où le style, parfois un peu lourd et répétitif qu’il utilise.
« Lors de toute MCI (Mise en Chambre d’solement), il faut donc connaître et respecter la Loi, ne s’autoriser à isoler un patient qu’après avoir clarifié collectivement notre rapport à l’agressivité et à la violence, élaborer un protocole, justifier chaque isolement par des références cliniques rigoureuses ; tout cela permet certainement d’éviter de transformer une mesure de contrainte nécessaire en acte de violence, mais ça ne suffit pas. Il faut encore entendre le point de vue des patients.
Point de vue subjectif, point de vue de ceux qui dénient leur pathologie, point de vue de ceux qui sont parfois agis par une violence plus forte qu’eux, tout cela est vrai. Mais ce sont eux qui sont isolés, ce sont eux qui ont peur.
Et après tout, comment n'auraient-ils pas peur de nous ? Imaginez que vous vous promeniez tranquillement dans la rue, que des policiers sous un prétexte que vous ne comprenez pas vous conduisent à l'hôpital psychiatrique. Ne seriez-vous pas agressifs ? Ne penseriez-vous pas que cet hôpital n'est pas un véritable hôpital, que ces soignants sont de faux soignants ? Confrontés à un risque vital, à un complot dont vous ne saisissez pas les ramifications, ne vous défendriez-vous pas avec l'énergie du désespoir ?
Les individus viennent à la rencontre de l'institution soignante avec leurs souffrances, leurs inquiétudes qui renvoient toutes à la vie, à la mort, c'est-à-dire à l'essentiel.
Quelles que soient les précautions prises, la notion de Mise en chambre d'isolement ne peut qu'être polémique, opposer soignants et soignés. Sur un plan idéologique, il faut pouvoir assumer cette opposition, les intérêts des soignants et des soignés sont naturellement divergents. Ce conflit, aussi inévitable que la lutte des classes, doit être traité par l'institution qui doit constamment prendre en compte le point de vue des soignés, et non pas uniquement le sien propre. Les soignants, quelle que soit leur capacité à se remettre en cause ne peuvent qu'épouser le fonctionnement institutionnel et veiller à sa pérennité. C’est eux qui ont le pouvoir, pouvoir exorbitant d’enfermer celui qu’ils perçoivent comme pervers, comme manipulateur, comme perturbateur sans qu’il existe de vrai contrôle.
Les soignés, situés du côté de l'institué, sont nécessairement éloignés des intérêts institutionnels et ne peuvent que viser sinon à sa transformation du moins à un aménagement qui leur permette d'exister en tant qu'individus.
Dans le discours et les pratiques, le patient semble être un sujet étrangement absent, qui n’apparaît que lorsqu’il s’agit de justifier les libertés prises avec la Loi. Ce sujet bien particulier, dont les troubles et la nécessité de le soigner justifie qu’il soit enfermé ne peut être considéré comme un sujet de droit que si nous créons un espace où il fera entendre non pas ses voix mais sa voix.
Quelle que soit la pertinence du point de vue des cliniciens (nous avons vu que cette pertinence pouvait être remise en cause), il n'empêche que cette MCI implique une restriction importante des libertés individuelles.
Être malade c'est prendre place, être soumis à un certain mode de gestion de la santé, de la folie, à un moment particulier. Se souvenir de cela, c'est éviter qu'au nom de la maladie on privilégie des constructions théoriques qui évitent de penser le patient en tant que client (qui finance le soin d'une façon ou d'une autre), que citoyen (qui vote), que personne en souffrance (patient), que plombier, chômeur, électricien, ou enseignant, que père ou mère de famille, etc. Se souvenir de cela c'est affirmer que l'homme et donc le patient est un être composite, sous l'emprise de plusieurs groupes d'affiliation dont aucun ne suffit à le définir de façon exclusive. Comment le citoyen malade mental ou le « santoyen » pour reprendre le néologisme forgé par Philippe Duprat 131 vit-il sa mise en chambre d'isolement ?
Nous tenterons de répondre à cette question grâce à un questionnaire de 14 items que nous avons soumis à 10 patients suivis par le secteur XIV de Paris.
Cette écoute d’un patient considéré comme acteur ou partenaire du soin pose un certain nombre de problèmes.
Satisfaction des usagers ?
La satisfaction des patients fait aujourd’hui partie, que cela plaise ou non, des critères de qualité pris en compte dans l’évaluation des établissements. Encore faut-il trouver des critères d’évaluation.
Il existe des échelles de mesure de la satisfaction des patients, dont une, rapporte V. Kovess 132, expérimentée à Bordeaux.
Une autre approche concerne la mesure de la qualité de vie. Elle a été utilisée aux Etats-Unis, au Canada, en Belgique et récemment en France, dans le contexte de l’évaluation des soins ambulatoires ou de postcure. Partant du principe que ces soins souvent lourds et à long terme doivent pouvoir être évalués pour se justifier, des chercheurs ont mis au point une échelle de qualité de vie, simple et utilisable pour des psychotiques chroniques stabilisés. V. Kovess a proposé cette échelle à des patients psychotiques séjournant en hôpital de jour. L’échelle explore au moyen de figures tristes et souriantes la satisfaction dans les différents domaines de la vie, pratiques et affectifs, puis explore comment les patients organisent leur vie, leur réseau relationnel, les choses qui leur ont fait plaisir ou déplaisir, leurs projets.
Plutôt que d’imaginer des visages tristes ou souriants, il nous a semblé beaucoup plus simple de poser directement nos questions aux patients et de noter leurs réponses par écrit. Poser des questions implique évidemment que nous considérons que les réponses des patients sont fiables. Pourquoi ne le seraient-elles pas ? Parce qu’ils délirent ? Parce qu’ils ont des troubles du cours de la pensée ?
Il ne s’agit pas du premier questionnaire que nous réalisons avec des patients. L’enquête sur l’information donnée aux patients psychotiques a été réalisée avec des soignants mais également avec des patients. Trente-trois patients, soit 17 en Intrahospitalier et 16 en Extrahospitalier ont accepté de répondre à nos questions. Nous n’avons interrogé que des patients sortis de l’état aigu, leurs réponses étaient tout à fait fiables et corroboraient tout à fait ce que nous rapportaient les infirmiers. Pourquoi douterions-nous de la pertinence de leur témoignage ?
Avant cette enquête, certains d’entre nous avaient participé à l’animation et à l’édition d’un journal publié dans le secteur. Si les textes écrits engagent parfois profondément les auteurs, nous n’avons jamais véritablement reçu de textes délirants. Certains patients ne pouvant écrire ou souhaitant dicter leur texte à un soignant référent, j’ai souvent assisté, en direct, à la création de ces textes, j’ai même vu certains patients s’arrêter pile, à la lisière de leurs thèmes délirants, et me dire : “ Note pas çà, çà fera des histoires ”. Quelques thèmes abordés dans ce journal : Le travail, La famille, les représentations de la maladie, La guerre, la grève, l’aventure, L’an 2000, “ Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ”, le soin. Il n’y a vraiment aucune raison d’estimer que le point de vue des patients n’est pas pertinent, d’autant plus que ce que nous leur demandons d’exprimer, c’est leur vécu. Pour peu qu’ils aient le désir de le faire, pour peu qu’ils soient en confiance, il n’y a aucune raison de douter de l’authenticité de ce qu’ils nous transmettent, ni de leur pertinence. Près de 400 patients ont écrit ou dicté leurs textes pour l’un ou l’autre journal édité dans le secteur.
Lorsque dans les années 60, les citoyens se sont reconnu « consommateurs » et ont cherché à se protéger en tant que tels, de nombreuses associations ont vu le jour. Ces mêmes citoyens également « consommateurs », « utilisateurs » se sont définis en tant qu' « usagers », en particulier des services de santé. C'est dans ce contexte que sont apparues des associations de malades ou de familles de malades, citons : l'UNAFAM (fondée en 1963), l'Association des porteurs de valves cardiaques (1974), l'Association des stomisés de France (1976). Beaucoup plus récemment, des associations se sont créées dans le champ de la santé mentale : l'Association “ Revivre ” (1981), l'Association pour le Mieux Etre de l'Existence (1990), l'Association des Psychotiques Stabilisés Autonomes. Dans le but de mieux coordonner leurs actions, ces associations ont créé en avril 1992 la FNAPSY.
En juin 1992, la direction du CH Esquirol crée une commission d'évaluation des conditions de vie des patients composée de représentants du personnel médical, du personnel soignant et du personnel technique et administratif. Cette commission décide très rapidement d'étudier la possibilité d'associer un membre d'une association représentative des familles à une des instances de proposition ou de décision de l'établissement. En mars 1993, l'UNAFAM est représentée à la réunion de la commission. Le problème d'une représentation des patients eux-mêmes se pose toujours. Après avoir étudié à Amsterdam, le fonctionnement d'un conseil de Patients à la Fondation Frédérik Van Eeden, après avoir pris contact avec différentes associations françaises d'usagers (la FNAPSY et le Fil Retrouvé) quatre membres de ces associations participent à la réunion de la commission. Lors d'une réunion les représentants explicitent les difficultés psychologiques des patients à créer un conseil des patients : peur du médecin, peur de l'institution psychiatrique, difficultés à prendre la parole, absence d’habitude de ce type de pratiques. La commission s'oriente alors vers la création d'une « association de patients » à l'hôpital Esquirol. L'association « ESQUI » voit le jour en novembre 1995. Elle a pour but de :
- créer un dialogue direct entre les usagers des différentes structures de l'hôpital et les instances institutionnelles ;
- prendre une part active dans la réflexion sur les orientations de l’établissement ;
- mettre en valeur la notion de citoyenneté pour les personnes soignées dans les institutions psychiatriques et consommatrice du service public ;
- créer un réseau de soutien entre patients et anciens patients notamment en vue d'aider à leur réinsertion sociale ;
- contribuer à changer l'image de la psychiatrie.
Esqui est exclusivement composée d'usagers mais a bénéficié au départ d'une aide logistique de l'hôpital. Elle participe actuellement au Conseil d'Administration de l'établissement ainsi qu'à la commission de conciliation. (133)
Si des patients et d'anciens patients peuvent valablement participer au Conseil d'Administration d'un établissement, pourquoi serait-il impossible de recueillir leur ressenti quant aux soins ? Il y aurait même quelque chose de paradoxal à les associer au fonctionnement de l'hôpital et à leur interdire toute possibilité de faire entendre leur point de vue dans les unités de soins. L’administration d'un établissement serait plus à l'écoute des conditions de vie des patients que les soignants qui partagent leur quotidien ?
En supposant que leurs témoignages soient suspects, le seraient-ils davantage que n’importe quel témoignage de n’importe quel entretien de recherche ? Ne devrions-nous pas de la même façon établir un recueil de données, et nous livrer à une analyse de contenu ? La meilleure façon de montrer que ce que les patients disent de l’isolement n’est que billevesées, n’est-ce pas encore de les écouter ?
Recueillir le témoignage des patients sur un sujet aussi délicat que l’isolement est certainement très difficile ... pour les soignants. Nous avons transmis la grille à des collègues d’autres hôpitaux (Saumur, La Timone à Marseille, etc.), un seul questionnaire nous est revenu.
Depuis la publication de nos premiers travaux sur ce thème, près d’une dizaine d’étudiants en soins infirmiers ont effectué leur Travail de Fin d’Etudes sur l’isolement. Plus éloignés de la pratique, certains d’entre eux ont pu interroger des patients. Nous comparerons les réponses obtenues par V. Héritier aux nôtres afin d’intégrer une méthodologie différente.
Interroger les patients sur leur vécu de l'isolement n'est pas si banal que cela. Souvenons-nous que certains textes de lois les comparaient à des bêtes féroces.
Si nous demandons aux patients de faire retour sur leur vécu en chambre d’isolement ce n’est pas pour nous donner facilement bonne conscience, c’est pour vérifier s’ils en perçoivent l’effet thérapeutique, si leur comportement en est modifié et comment, s’ils comprennent mieux leurs réactions face à une frustration et s’ils peuvent en tirer une expérience qui leur servira une fois sorti de la chambre d’isolement et surtout une fois sorti de l’hôpital.
Même s’ils bénéficient lors de cette sortie d’un suivi extrahospitalier, les soignants ne seront pas constamment derrière eux à les surveiller. Il est donc nécessaire que ces patients puissent découvrir leur façon à eux de gérer leur agressivité d’une façon socialement acceptable.
L’ENQUETE
Le questionnaire
Interroger une personne souffrant de troubles psychiques sur la façon dont elle a vécu l’isolement, c’est-à-dire dans une chambre fermée à clé, entraîne un certain de difficultés dont l’outil de recueil de données devait tenir compte.
Il était par exemple impossible de recueillir le témoignage au moment où le patient était enfermé. Aucune équipe n’aurait supporté que nous nous immiscions d’une telle façon dans le soin. Si le modèle théorique suppose que le patient isolé ne supporte pas la relation, toute tentative pour réaliser un entretien à ce moment-là aurait impliqué la création d’une relation, soit une remise en cause insupportable du modèle. Il est probable que nous serions alors entrés en conflit avec les soignants et les médecins risquant ainsi de modifier les éventuelles réponses du patient interrogé. Nous aurions risqué d’apparaître comme des tiers auquel le patient aurait pu faire appel pour sortir de la chambre d’isolement. Nous n’aurions certainement pas eu l’autorisation de nous entretenir avec ces patients. Enfin, n’oublions pas que le patient isolé est souvent agité et que tout entretien (c’est le clinicien qui parle) apparaît souvent comme impossible : le risque d’agression physique est souvent réel.
Interroger le patient dans l’après-coup rejoignait nos a priori théoriques : substituer à un acte imposé par la situation une parole qui permette à chacun d’exprimer sa vérité, son ressenti. Entre un patient qui vient de sortir de la chambre d’isolement, qui reste donc encore fragile et un patient qui a pu prendre du recul sur une mesure qui remonte à six mois lequel choisir ? Nous n’avons pas voulu faire de choix. Parmi les patients hospitalisés en novembre 1996, nous avons demandé à ceux qui avaient été isolés, s’ils souhaitaient répondre à un questionnaire sur ce thème. Tous les patients hospitalisés à l’hôpital de jour à l’exception de François (soit ceux qui avaient le plus de distances avec l’isolement) ont refusé. En intrahospitalier, de nombreux patients (9) ont accepté. Les patients suivis à l'hôpital de jour n'ont pas voulu se replonger dans une expérience décrite comme douloureuse. Tous ont répondu qu'ils préféraient oublier ce qu'ils avaient vécu en C.I.
Cinq isolements remontaient à moins de trois semaines, trois à trois mois, un à un an, et un à deux ans. Ces durées ne renvoient à rien par elles-mêmes. C’est la distance psychique et intellectuelle prise par rapport aux troubles qui importe.
Quel mode de recueil de données retenir ?
Il apparaissait difficile d’effectuer un entretien classique, enregistré au magnétophone. Si les patients n’étaient plus isolés, ils n’en restaient pas moins encore fragiles : ceux qui se sentaient persécutés par l’extérieur risquaient de l’être davantage en raison de la présence du magnétophone et de prendre l’intervieweur comme persécuteur. Leur difficulté à se concentrer, leur instabilité, l’akatisie rendaient difficile l’utilisation d’un magnétophone.
Le plus simple et le plus évident nous a semblé être l’élaboration d’un questionnaire. Celui-ci ne pouvait être uniquement composé de questions fermées. S’agissant de recueillir un vécu, il semblait impossible sur la forme d’en prévoir toutes les occurrences et sur le fond de fermer l’espace d’expression. Une telle enquête n’ayant jamais été réalisée en France, nous ignorions ce qui allait être exprimé par les patients. Le questionnaire ne comprend donc que quatre questions fermées et dix questions ouvertes (questionnaire joint en annexe).
Le questionnaire élaboré, fallait-il en remettre un exemplaire aux patients ou au contraire recueillir leurs réponses par écrit au cours d’un entretien ? La seconde possibilité a été retenue en raison des difficultés de concentration, des effets secondaires des neuroleptiques (troubles de l’accommodation qui rendent la lecture difficile), et que nous tenions autant que faire se peut à accompagner les patients dans une réflexion qui nous a, très vite, semblé réveiller un passé douloureux. Seuls deux patients, François et Pascal, ont rempli leur questionnaire seuls.
Ce principe étant posé, il fallait soigneusement choisir l’intervieweur. Celui-ci ne pouvait être un soignant de l’unité, un soignant mêlé de près ou de loin à la Mise en Chambre d’isolement, cela aurait constitué un biais trop important. Si cet interviewer ne pouvait être un soignant exerçant en intrahospitalier, il nous apparaissait essentiel que ce soit malgré tout un soignant en raison de l’aspect sensible de l’évocation proposée. Travaillant en hôpital de jour depuis près de dix ans, ne connaissant donc pas les patients et n’étant pas connu des patients hospitalisés en intrahospitalier, n’ayant aucun rôle vis à vis d’eux, je fus donc chargé des interviews.
L’ensemble des soignants du secteur ayant participé à différentes étapes de la réflexion sur l’isolement (ouverture des portes des unités, élaboration du protocole d’isolement) nous eûmes assez facilement l’accord des différentes autorités du secteur pour interroger les patients. Nous prîmes également l’avis des soignants des trois unités fonctionnelles et des différents médecins avant d’interviewer qui que ce soit. Nous n’essuyâmes aucun refus, les patients étant demandeurs, nos démarches en ont été facilitées. Nous vîmes avec les infirmiers quels patients inconnus des membres du groupe de recherche avaient été isolés et lesquels pouvaient être interrogés. Les infirmiers m’introduisirent également auprès des patients. La démarche fut largement facilitée par la relation de confiance existant entre les membres du groupe et les différents soignants du secteur. Il était convenu qu’ils n’auraient aucun compte-rendu individuel de ce que rapporteraient les patients, que la seule évaluation serait globale et que l’identité des patients serait masquée. Ces différentes exigences expliquent, en partie, qu’il ne fut pas possible d’aller enquêter dans un autre secteur.
Les patients ont donc été interviewés dans un bureau de l’unité. Avant de commencer l’entretien, je leur énonçais que leur anonymat serait respecté, que je serais seul à savoir ce qu’ils avaient répondu aux questions posées, que le compte-rendu de l’enquête serait global et que leur prénom serait modifié afin qu’ils ne puissent être identifiés. Je leur expliquais évidemment à quoi devait servir l’enquête, qui en étaient les commanditaires, et le devenir de ce qu’ils allaient déclarer. Je leur redemandais s’ils étaient d’accord et leur lisais une première fois les questions. Tout en leur redemandant leur accord, je leur précisais qu’ils pouvaient ne pas répondre à telle ou telle question si celle-ci les gênait, qu’ils pouvaient interrompre l’entretien à tout moment, que cet entretien n’avait rien d’obligatoire et que l’interruption ne leur nuirait en aucune façon. Je commençais ensuite à poser les questions et à noter leurs réponses. Il me fut parfois difficile de tout prendre au vol, surtout lorsque le patient étant encore un peu hypomane. Une fois l’ensemble des questions posé, j’ai relu les réponses à chaque question et demandé à chaque patient s’il souhaitait modifier quelque chose. Je laissais passer un temps et attendais les réactions du patient, il y en eut pratiquement à chaque fois, il me fallut alors permettre au patient de s’interroger plus avant sur ce qu’il avait vécu, sur le sens que cela revêtait ou non pour lui. Après chaque entretien un temps d’élaboration, de construction fut nécessaire justifiant ainsi le choix d’un intervieweur soignant. »
Dominique Friard, L’isolement en psychiatrie : séquestration ou soin ? , Coll. Souffrance psychique & soins, Editions Hospitalières, Paris, 1997. (extrait)
Date de dernière mise à jour : 02/01/2025
Ajouter un commentaire