Sortir de l'impasse thérapeutique

Sortir de l’impasse thérapeutique

Véritables "pots au noir" de la pensée, les situations d'impasse thérapeutique empoisonnent la vie de nombreuses équipes  et entravent l'évolution de nombreux patients. Comment les penser, comment en sortir ? Comment redonner de la vie à ces prises en charge qui se survivent. 

L’exercice clinique quotidien confronte parfois les soignants à des situations d’impasses thérapeutiques. La science médicale les définit classiquement comme des situations sans issue favorable, le patient est atteint d’une pathologie grave qu’il n’est pas possible de traiter ou dont tous les traitements testés se sont avérés inefficaces.

L’impasse thérapeutique en psychiatrie

En psychiatrie, l’expression désigne plus particulièrement une situation de blocage où soignants et soignés ont la sensation que plus rien ne peut bouger pour le patient sinon en pire. Tous se sentent englués dans un fonctionnement auquel ils ne peuvent rien changer. L’impasse se  traduit souvent par une escalade symétrique dans laquelle le soignant propose de plus en plus d’interventions toutes plus inefficaces les unes que les autres, qu’il s’agisse de traitement médicamenteux, d’isolement voire de contention. A moins qu’il ne renonce tout simplement … Mettre fin à la prise en charge semble impossible, ou presque, du fait du risque (effondrement dépressif, rechute, passage à l’acte auto ou hétéroagressif, clochardisation, prise massive de toxiques, etc.) alors que le soin semble vidé de sens, que le séjour hospitalier (ou les consultations et entretiens ambulatoires) est marqué par la résistance du patient voire sa violence et la saturation des professionnels.

L’impasse thérapeutique pour les systémiciens

Dans le champ de l’intervention systémique C. Whitaker énonce que la situation d’impasse thérapeutique se réalise face à « une relation thérapeutique qui se détériore, un retrait émotionnel et le sentiment de frustration des thérapeutes et des clients »[1]. Rober évoque « une conversation thérapeutique rigide et statique dans laquelle thérapeutes et clients ont l’impression d’être empotés »[2]. L’impasse peut être le fait du client ou du thérapeute. Si elle provient du thérapeute, elle désigne une capacité amoindrie à « s’ouvrir aux réalités multiples d’une situation donnée »[3], le thérapeute ne parvient plus à créer un espace pour le « pas-encore-dit ». Rober situe l’impasse thérapeutique chez le thérapeute à deux niveaux. En manque d’inspiration, il répète les mêmes réponses aux problèmes présentés par son patient. Pris dans ce que le psychanalyste P.C. Racamier nomme le transfert inanitaire[4], il est confronté à un blanc dans sa propre pensée qui tourne en rond. Le thérapeute peut également être préoccupé par certains aspects du comportement du patient mais non par ses propres affects qui peuvent être eux-mêmes inducteurs. L’autre niveau est le courage : « Le thérapeute sait ce qu’il devrait faire pour aider, mais le courage lui manque pour le mettre en œuvre ».[5] Ces deux niveaux peuvent aussi se retrouver chez le patient.

L’impasse dans le courant psychodynamique

Dans le champ psychodynamique, pour F. Millaud l’impasse thérapeutique signale « l’incapacité des participants de l’aventure thérapeutique à résoudre un conflit transféro-contre-transférentiel … l’impasse thérapeutique constituerait toutefois davantage un échec, une impossibilité pour le couple thérapeute-patient de modifier le scénario transféro-contre-transférentiel dans lequel ils sont prisonniers. »[6]

Régulièrement, les cliniciens rencontrent dans leur pratique des patients qui posent problème au point de vue diagnostic, compréhension de la dynamique psychique, intervention thérapeutique, cadre thérapeutique, agirs agressifs, etc. Le traitement de ces patients constitue parfois de véritables impasses dont on ne sait plus comment sortir. Perçus par certains professionnels comme un défi, ces problèmes peuvent aussi être vécus par d’autres avec un sentiment d’impuissance, voire quelquefois d’incompétence.

Un changement de perspective

Nous vous invitons à changer de perspective, à ne plus concevoir ces situations comme des échecs mais comme un appel à la créativité de chaque équipe. Dans l’impasse, il n’existe pas de solution connue (les soignants l’auraient trouvé depuis longtemps), pas d’alternatives disponibles (elles auraient déjà été testées), la seule issue est donc de créer du nouveau, d’inventer un chemin psychique et intellectuel qui n’a pas encore été emprunté.  

Quels patients ?

Ces situations d’impasse thérapeutique peuvent se rencontrer :

  • avec des patients de structure hystérique qui ne s’engagent pas dans un véritable travail d’élaboration psychique,
  • avec des patients « état limite » dont les attitudes abandonniques, les conduites d’échec, les alternances d’idéalisation excessive et de disqualification totale rendent compte de leur désocialisation fréquente,
  • avec des patients schizophrènes
    • enfermés dans une production délirante qui envahit toute leur vie relationnelle au point que rien ne semble pouvoir l’endiguer,
    • ou exprimant leur délire dans un comportement qui semble compromettre toute tentative de socialisation,
    • ou encore rechutant après chaque stabilisation, par suite, notamment d’une consommation de toxiques,
  • avec des patients souffrant d’une PMD (troubles bipolaires) qui multiplient des accès atypiques sans réelle phase euthymique.

La déliaison à l’œuvre

Le génie de certains de ces patients est de nous conduire, quasiment dès le début de la prise en charge, à évacuer la démarche clinique pour privilégier en corollaire, presqu’en miroir, le recours à la pensée opératoire. Le patient n’est plus pris en compte dans sa dimension psychopathologique. La recherche d’une solution (traitement, structure d’accueil, isolement, etc.) signe le primat de l’agir. Le patient (ou sa maladie) est alors considéré comme une entité close qui se définit par des troubles du comportement. Le patient n’est plus inscrit dans un environnement avec lequel il interagit. On est amené à méconnaître l’effet de l’organisation de l’appareil psychique du patient sur l’autre, sur les autres et de sa projection sur l’institution. L’identification projective et le clivage sont au centre des interactions. Ainsi que l’écrit J.P. Vignat : « Les mécanismes de défense – qui conditionnent les manifestations cliniques – ont à voir avec les processus de déliaison : clivage, déni, identification projective, sans perdre de vue que ces mécanismes sont, en fin de compte, différents chez le schizophrène et chez le patient « état limite ». » [7] La déliaison attaque la pensée associative.

L’effet est d’abord individuel, notamment au plan du positionnement relationnel de chaque acteur du soin vis-à-vis du patient. « Le discours sur le patient est strictement factuel, façon « rapport de gendarmerie », indispensable pour décrire un comportement ou un événement mais très insuffisant pour échanger sur la réalité clinique et sur la psychopathologie qui la sous-tend. L’observateur a sous les yeux un cliché polaroïd en noir et blanc, sans relief, bien peu exploitable pour élaborer un projet thérapeutique. »[8] L’effet de déliaison est également collectif. Il se repère par la perte de cohésion et de cohérence de l’équipe soignante. Le cadre de soin n’apparaît plus contenant et organisateur. L’équipe est dite « clivée » entre bons (rares) et mauvais objets.

Les troubles s’aggravent, notamment au plan comportemental. Il n’est pas rare qu’une partie de l’équipe éprouve de la peur ou de l’exaspération, alors que l’autre partie disqualifie ce vécu.

Sortir de l’impasse

Ainsi que l’écrit J.P. Vignat, les impasses thérapeutiques ne sont pas une fatalité. Il est possible d’en sortir.

Il faut pour cela rendre au patient figure humaine en remettant la clinique au centre du soin. Penser ensemble est plus important qu’agir. De nombreuses situations d’impasses ont été travaillées dans le cadre de la consolidation des savoirs en psychiatrie. Les nombreux textes présentés, au fil des années, en sont un témoignage.

Penser la clinique singulière du patient dans un espace et un temps tiers, en formation continue, en analyse des pratiques professionnelles ou en supervision constitue une première étape. Il n’est pas nécessaire que tous les membres de l’équipe soient présents. Il suffit que ceux qui se lancent dans cette démarche investissent suffisamment la situation pour en produire un récit.

Il s’agit de créer un espace commun de pensée dans le but de produire une modélisation plus ou moins consensuelle de l’organisation psychopathologique du patient, d’en tirer des directions de soins, des objectifs thérapeutiques, et surtout des repères de positionnement relationnel et d'attitude. Il s’agit de permettre à chaque professionnel quelle que soit sa fonction, de verbaliser librement sa représentation du patient et de la situation clinique, dans ses trois composantes intellectuelle, émotionnelle et intentionnelle. La représentation finale unifiée, ainsi élaborée en commun dans un dispositif éprouvé garantit les processus de liaison. La situation d’impasse devient comme une énigme  à résoudre qui procure un véritable plaisir de pensée.

Dominique Friard, superviseur d’équipes


[1] WHITAKER (C), 1982, The Psychotherapeutic Impasse In J. R.Neill, D. P. Kniskern, Eds., From Psyche To System: The Evolving Therapy of Carl Whitaker, Guilford New York cité dans Rober, 1999.

[2]  ROBER (P), Le dialogue intérieur du thérapeute dans la pratique de la thérapie familiale. Quelques idées sur le Moi du thérapeute, l’impasse thérapeutique et le processus de réflexion, 1999, Thérapie familiale, 2, 131-154.

[3] Ibid.

[4] RACAMIER (P.C.), Omnipotence inanitaire, omnipotence créatrice, in Les schizophrènes, pp. 87-96. Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1980.

[5] ROBER (P), Le dialogue intérieur du thérapeute dans la pratique de la thérapie familiale. Quelques idées sur le Moi du thérapeute, l’impasse thérapeutique et le processus de réflexion, op.cit.

[6]  MILLAUD (F), Le passage à l’acte. Aspects cliniques et psychodynamiques, Masson, Paris, 2009.

[7] VIGNAT (J.P.), Les impasses thérapeutiques : une fatalité ? in Soins Psychiatrie,  Vol 37, n°305, Juillet 2016, pp. 12-15.

[8] VIGNAT (J.P.), Les impasses thérapeutiques : une fatalité ? op.cit.

Date de dernière mise à jour : 19/05/2020

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