Etre soignant auprès d’adolescents en difficulté…

Etre soignant auprès d’adolescents en difficulté

Christophe est infirmier psychiatrique, il travaille avec des adolescents et pense sa pratique avec un certain nombre d'outils qu'il nous présente ici : esthétique, éthique et médiation. 

 Je suis Infirmier de Secteur Psychiatrique. Mon diplôme a disparu en 1992, lors de sa « fusion » avec le Diplôme d’Etat Infirmier.

« Diplômé » en 1993 à Niort, dans les Deux-Sèvres, « l’avant-dernière promotion », j’ai exercé mon métier d’Infirmier, au départ « en mal d’équivalence » avec le diplôme d’Etat de mes collègues, pendant plus de 8 années dans les services de psychiatrie pour adultes. J’y ai forgé la conviction inébranlable, avec ma formation initiale et les situations originales qui n’ont pas manqué de se succéder, que ce « diplôme » est le « titre de transport » pour des voyages vers des rencontres, souvent difficiles, mais ô combien enrichissantes.

Prémices

Ces voyages se sont poursuivis ; d’abord auprès d’enfants à « l’intelligence troublée », en service de pédopsychiatrie, pendant 3 années. Aujourd’hui, et depuis bientôt 16 ans, j’ordonne ma pratique soignante avec des adolescents en difficulté psychologique ou éprouvant des difficultés psychologiques, sur un certain nombre de présuppositions ou prémices de départ, à savoir :

  • Quelles sont les connaissances dont dispose le soignant sur la psychologie des adolescents dont il s’occupe ?
  • Comment le soignant se définit-il lui-même ?
  • Quel domaine du soin doit-il investir ?
  • Quelle est sa conception de la prise en charge ?

Ces questions permettent de poser les conditions de possibilité d’une pratique de prise en charge éducative et infirmière des adolescents, voire des enfants en général, elles autorisent la réflexion sur des thèmes aussi variés qu’indispensables : autorité, soumission, hétéronomie, autonomie, socialisation, reconnaissance, responsabilité, etc…

En somme, quel peut être le travail sur mes représentations de soignant dans le cadre de ma pratique soignante ? Telle est la question anthropologique et professionnelle à poser. Question qui mène à l’idée de la psychanalyse de la pratique soignante : une psychanalyse freudienne qui vise la relation ou le rapport aux autres, mais surtout une tentative « bachelardienne » qui donne pour objet le rapport au savoir. Cette psychanalyse que prône Bachelard et dont nous devrions sans cesse être appelés à nous inspirer est méthodologique : elle a pour but de libérer la pensée du soignant de ses pesanteurs, de lui rendre sa mobilité, de lui faire franchir les obstacles qu’inévitablement elle secrète ; l’obstacle étant entendu comme étant une connaissance, mais une connaissance investie d’une charge d’affectivité, les plus résistants renvoient toujours à des à priori, à l’imaginaire, à un archétype, au fantasme…

Si une connaissance peut faire obstacle, s’il peut fonctionner comme un piège affectif, comment remanier cet inconscient cognitif dans la pratique soignante ? Par la catharsis, c’est-à-dire un travail sur les représentations de chacun d’une situation, d’un comportement, d’un événement par une confrontation de ces représentations, afin d’énoncer des difficultés, de poser des questions pour formuler des problèmes, phase à partir de laquelle peut s’enclencher une démarche de résolution.

L’adolescence et l’éthique

A l’adolescence, le corps change ; l’adolescent est donc attentif, de manière narcissique, à son corps. Son rapport à l’autre est alors souvent pensé comme une « instrumentalisation » pour satisfaire ses besoins.

Pour rencontrer, il faudrait par conséquent éduquer les besoins, « éduquer » signifiant « sortir du sillon ».

Parallèlement aux besoins, on trouve une configuration d’émotions qui sont, pour la plupart, centrées sur l’individu ; sauf pour 3 d’entre elles :

  • Le sublime
  • Le beau
  • Le sacré.

Ces 3 émotions sont les seules « intéressantes » qui détournent de soi. Quant au fanatisme, il n’est que l’accès « paresseux » au sublime car il n’appelle pas à la singularité mais à l’égocentrisme.

L’éducation du besoin passe par des médiations qui détournent de soi, pour être en rapport avec l’autre. Tant que l’adolescent est un être de besoins, il n’est pas singulier.

L’instrumentalisation est nécessairement violente, il n’y a pas d’entre deux. La violence est essentiellement la production de l’égocentrisme et, dans ce cadre, le passage à l’acte est souvent l’expression des besoins sans médiation, quand il n’y a pas de possibilité de langage.

Il faut une « médiation éthique » pour éduquer les besoins et les émotions (l’émotion étant l’absence de Verbe) : ce qui est « bon » dans un temps T peut ne plus l’être à un autre moment. Cette éthique, souvent confondue avec la moralité des choses (ce qui est bien ou mal), a besoin de la rationalité et du droit qui définit les tenants et aboutissants d’une règle.

L’éthique est une ouverture à l’autre, nécessairement « féconde » qui permet à chacun d’en tirer bénéfice.

L’adolescent(e), de par son égocentrisme, subit le besoin ; il lui faut donc une « autorité » pour exister. L’autorité, c’est l’auteur ; exister, c’est sortir de soi ; elle est différente de l’autoritarisme qui est un dérivé perverti de l’autorité et sans fondement. Quelqu’un qui a l’autorité est celui qui a les capacités de convaincre du bien-fondé de ce pourquoi on propose un changement, pour montrer que la somme des coûts est inférieure à la somme des bénéfices. L’autorité qui « augmente, accroît la capacité » suppose une négociation qui permet de faire vivre et exister l’adolescent(e).

L’adolescent cherche une autorité mais il ne la reconnaît pas par le titre et/ou l’étiquette, mais plutôt par l’effort de comprendre et de chercher.

L’adolescent épouse fréquemment l’idée qu’on se fait de lui ; ainsi, il veut faire différemment de cette idée pour être « autonome ». L’autonomie est le moyen de son indépendance.

Un atelier écriture original

Depuis un peu plus de 2 ans maintenant, est mis en place, dans le service où j’exerce ma profession d’infirmier, un atelier écriture dont l’originalité se situe dans une offre de « passerelles » vers un ailleurs où l’on vient parler de soi et de ce qui nous touche ou nous bouleverse devant un micro. Cet endroit, Radio Pinpon, « la thérapie par les ondes », permet à l’autorité soignante bienveillante d’apporter à l’adolescent les moyens de choisir une certaine forme d’indépendance.

Etre responsable veut dire répondre à… Ce concept, comme d’autres, va toujours avec l’affect et avec le précept. Plus la pensée est large et féconde, plus l’affectif est fécond et plus la perception est grande.

A travers tous ces « voyages » à Radio Pinpon, avec le concours et le soutien d’Eric Lotterie, infirmier à l’origine de ce projet radiophonique, on change de concept et changer de concept, c’est, sans danger, changer de pratique. Cela suppose de passer par le langage ; ce qui se communique étant l’expérience (qui signifie « traverser le danger »), par l’introduction de modalités d’apprentissage (ce qui fait défaut dans la pathologie mentale par exemple, c’est le déficit du langage).

Les contenus psychiques sont souvent limités à une norme ; si je ne conteste pas cette norme, je ne peux pas aider l’autre dans son dépassement : il faut donc parler de la norme avec l’adolescent(e) et non pas parler pour lui (ou pour elle) qui l’infantilise. L’atelier écriture, au départ de l’activité à Radio Pinpon, se fait donc à partir de 5 types de questionnements :

  • Qu’est-ce qui est désirable ?
  • Qu’est-ce qui est préférable ?
  • Qu’est-ce qui est faisable ?
  • Comment évaluer ce qu’on fait ?
  • Pourquoi faire ? En vue de quoi ? Quelle est la raison ?

Eduquer, c’est aussi donner un rapport au temps. Ce qui fait une génération, c’est la même temporalité : le temps d’une musique, d’une chanson est un temps homogène qui enlève toute singularité. Plus le temps est homogène, plus le besoin devient égocentrique. Dans l’atelier écriture et, à fortiori, à Radio Pinpon, nous ne cherchons pas à être en conformité avec l’adolescent(e), ce qui permet de communier mais pas de communiquer, mais plutôt instituer une singularité.

Au cours de ces « voyages radiophoniques », mon accompagnement soignant met en évidence qu’une rencontre humaine suppose le dépassement du besoin, de l’immédiateté, de l’égocentrisme.

Ce qui peut effrayer l’adolescent(e), c’est le système de certitudes de l’adulte. Il doit donc y avoir, dans la proposition de soins atelier écriture-Radio Pinpon, rencontre entre deux singularités et pas entre deux égocentrismes (« L’enfer, c’est les autres » - Jean-Paul Sartre – quand soi est instrumentalisé par l’autre).

Les espaces de soins proposés, conjointement, entre l’Unité pour Adolescents et le studio de Radio Pinpon, démontrent, une fois encore, que notre diplôme « spécialisé » d’infirmier psychiatrique nous a formés à être présent, du terme « presens » (être au-delà de soi comme le comédien dans une pièce de théâtre) et penser qu’ « un problème qui n’a pas de solution est un problème mal posé » (Albert Einstein).

Quant à être « impuissant », c’est avant tout prendre conscience de ses possibilités et de ses limites, pour pouvoir passer les relais.

Vive Radio Pinpon, car « derrière le mur, il y a du son ! 

Merci à Eric Lotterie et merci aussi à Dominique Friard.

Ecoutez l'histoire du chien qui pisse en cliquant sur le lien :

https://soundcloud.com/user-504919806/le-chien-qui-pisse?fbclid=IwAR1PHeVei42NH96JNEUEwj2Wq_TbYqoUNI2DXmgQFYVI5T5wnWEE-aVH2d4

 

Christophe Rudelin,

Infirmier Psychiatrique,

Le 13 mai 2020

 

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