En poésie

Des poètes 

Le 7 décembre 1996, Wislawa Szymborska, la poétesse polonaise, prononçait devant l’académie Nobel un discours qui nous parle de nous et que je m’empresse de partager avec vous.

« Le poète contemporain est un être sceptique et méfiant, même, sinon surtout à l’égard de lui-même. Il hésite à se déclarer poète comme s’il en avait honte. …L’inspiration n’est pas un privilège exclusif des poètes, ou des artistes en général. Il existe, il a toujours existé, il existera toujours d’autres hommes qu’elle fréquente. Ce sont ceux qui, en toute connaissance de cause, choisissent leur travail, et l’exercent avec amour et imagination. Certains sont médecins, d’autres enseignants ou jardiniers, que sais-je encore. Leur travail peut devenir une aventure permanente, à condition qu’ils sachent en faire jaillir toujours de nouveaux défis. En dépit de toutes les peines, de toutes les défaites, leur curiosité ne tarit jamais. De chaque solution qu’ils trouvent, s’envole un essaim de questions nouvelles. L’inspiration, quelle que soit sa véritable nature, naît d’un éternel « Je ne sais pas ».

Ils ne sont pas très nombreux. La plupart des habitants de cette planète travaillent pour gagner leur vie, travaillent par contrainte. Ils n’ont pas choisi leur travail par passion, ce sont les circonstances de la vie qui ont fait ce choix pour eux. Un travail qu’on n’aime pas, qui ennuie, qu’on estime uniquement parce que, même sous cette forme, il n’est déjà pas à la portée de tout le monde, constitue une des plus grandes détresses humaines.

Je peux donc me permettre de vous dire que, tout en privant les poètes du monopole de l’inspiration, je les range malgré tout parmi les très rares élus du destin. …

Il est des tortionnaires, dictateurs, fanatiques, démagogues décidés à conquérir le pouvoir grâce à quelques slogans hurlés à tue-tête, qui aiment, eux aussi, leur travail, et le pratique avec un zèle très imaginatif. Oui mais voilà, ils savent. Ils savent et ce qu’ils savent leur suffit à tout jamais. Ils ne sont curieux de rien d’autre, car ceci pourrait écorner leurs arguments. Et tout savoir incapable d’engendrer de nouvelles questions trépasse à court terme, perdant de cette chaleur qui est la condition même de toute vie. …

C’est pour cela que je tiens en si haute estime ces quelques petits mots : « je ne sais pas ». Petits mais fortement ailés. Ouvrant notre vie sur les espaces que nous portons en nous-mêmes. »

Un poète, conclut Wislawa, un poète si c’est un vrai poète se doit lui aussi de répéter : « je ne sais pas ». Dans chaque nouveau poème, comme dans chaque rencontre, soignant et poète essaient d’y répondre. Mais après chaque point final un nouveau doute l’envahit, une nouvelle hésitation ; conviction qu’il s’agit une fois de plus d’une réponse provisoire et absolument insuffisante.

Je nous souhaite de douter suffisamment, je nous souhaite d’être des soignants inspirés. Je nous souhaite d’être des poètes soignants. (bis)

D. F, Toulouse, 2008, 5ème journée serpsy.