Généralités à propos du suicide

Généralités à propos du suicide

Le risque suicidaire n’est pas un risque théorique, près de 200 000 tentatives de suicides sont recensées en France chaque année. S’il convient d’être vigilant, la surenchère coercitive ne saurait être la solution. Il convient de bien connaître le suicide, la façon dont les sujets y ont recours, la forme qu’il prend selon les structures de personnalité, bref de porter un regard clinique sur ce qui y pousse.

Le suicide mobilise plusieurs champs interdisciplinaires, comme la  sociologie, la santé mentale, l’éthique,  la législation... Cela permet d'étudier, le geste, la crise, la conduite suicidaire, de prendre en compte les facteurs de risques, le deuil, la relation thérapeutique, la souffrance de l’autre.... Le suicide concerne tout le monde, toutes les couches de la société. Selon les derniers chiffres de l’OMS, plus de 700 000 personnes se sont suicidées (2012-2019)  dans le  monde. En France, il est recensé près de 8900 décès pour l'année 2017, ce qui représente l'un des taux de décès les plus élevés en Europe. Le suicide est-il une cause d'Etat ? 

Un baromètre récurrent

L’acte suicidaire (l’autolyse) nous plonge dans l’univers de la santé mentale. Pour le dictionnaire médical de l’Académie de médecine,  30 à 70 % des suicides sont liés à un état dépressif. Le suicide vient du latin  “sui” signifiant  « soi » et "cide" (dérivé de "caedere") signifiant "tuer". Le suicide est attesté dans la littérature en 1734. Il implique de commettre un meurtre envers soi-même, de mettre fin à ses jours. Cet acte provient souvent d’un processus  autodestructeur, nous entendons souvent. « Il a des pensées suicidaires ». Pour autant, la rumination ne conduit pas forcément au suicide. Le suicide peut être individuel mais aussi collectif. Il peut être suggéré, sublimé (idée romantique). Le suicide est brutal, soudain, comme dans le cas  d'une personne atteinte de schizophrénie, éprouvant le désir irrépressible et soudain de se tuer (raptus). Le suicide peut arriver après une crise dite suicidaire. C’est une “crise psychique dont le risque majeur est le suicide”. Celle-ci survient lorsque le suicide est perçu comme la seule solution face à une souffrance vécue, subie, réelle, invisible ou bruante. Le Baromètre de Santé publique France (2017) édite des chiffres sur les idées suicidaires et les tentatives de suicide (TS).  “Près de 5% des 18-75 ans de la population générale déclaraient avoir pensé à se suicider au cours des 12 derniers mois et plus de 7% déclaraient avoir fait une TS au cours de leur vie. Les femmes étaient plus touchées que les hommes. Plusieurs facteurs associés aux comportements suicidaires y sont identifiés, comme avoir vécu un épisode dépressif, faire face à des situations financières difficiles, le célibat (ou être divorcé, veuf), l'inactivité professionnelle, l'exposition aux violences ainsi que les événements traumatisants dans l'enfance...” 200 000 tentatives de suicide sont recensées chaque année en France. Aux Etats-Unis, les centres de contrôle et de prévention des maladies ont récemment publiés des chiffres liés aux  tendances suicidaires chez les jeunes :

  • Pour les filles (âgées entre 10 et 14 ans), le taux global de suicides a augmenté, passant de 0,5 % en 1999 à 2 % en 2019.

  •  Pour les garçons (âgés entre 10  et 14 ans), le taux global de suicides a augmenté, passant de 1,9 % en 1999 à 3,1 % en 2019. 

Le processus de l’acte suicidaire

Il existe plusieurs types de processus. Il y a celui de la personne mélancolique qui peut planifier son suicide des années à l’avance. Il y a celui qui vient de la maltraitance qui s’installe dès l’enfance...

D’une manière générale, le processus de l’acte suicidaire comporte 6 étapes :

1) Période de détresse avec une recherche de solutions;

2) Flash (fantasmes de mort). La  personne est émotionnellement troublée et cherche une solution instantanée. C'est alors qu'apparaissent les fantasmes de mort; 

3) Stade de l'idéation. Lorsque les solutions s'avèrent inefficaces, les idées suicidaires apparaissent (fantasmes);

4) Ruminations. A cette étape, les solutions envisagées au début sont pratiquement épuisées. La personne réflechit sérieusement sur la planification de son suicide (avec les moyens pour y arriver). 

5) Cristallisation. Devant l'absence de solutions, la situation devient insupportable. La personne est prête à n'importe quoi pour arrêter de souffrir. Le suicide est planifié.

6) Passage à l'acte. Tout conduit à la finalisation de l'acte suicidaire.

Quand cela est possible, l'hospitalisation est recommandée lors d'une crise suicidaire. La prise en charge psychiatrique a pour objectifs de protéger la  personne contre elle-même, de débuter une relation thérapeutique ou de l'affermir. Selon une recommandation de la HAS : "la crise psychique peut s'exprimer par des problèmes somatiques mal étiquetés, un isolement, des troubles de la communication et de l'apprentissage, une hyperactivité, une encoprésie, des blessures à répétition, des préoccupations exagérées pour la mort, une tendance à tenir la place de souffre-douleur de la part des autres." Ces signes particulièrement présents chez les enfants et adolescents ne sont bien sûr pas aisés à anticiper. Il est donc difficile de repérer ces crises quand la personne n'est pas hospitalisée. En effet, des indices peuvent alerter les soignants qui ensuite peuvent définir un mode d'intervention (prévention, évaluation et suivi de crise) selon les individus et le contexte dans lequel ils vivent. 

Hors hôpital, comment repérer les crises suicidaires ? 

      Chez l'adolescent, la crise psychique peut se révéler avec une chute inquiétante des résultats scolaires, des conduites excessives, l'expression d'une hypersensibilité provoquant une altération de la  communication, des troubles alimentaires et/ou un comportement violent envers soi-même et les autres. Chez l'adulte, le idées suicidaires sont souvent invisibles par l'entourage. La dépression est le premier signe révélant un sentiment d'impuissance général. Des situations peuvent aggraver : une démission sociale (conditions de travail, vie conjugale, addictions, pathologies diagnostiquées, situation économique, etc.). Chez la personne âgée, les idées suicidaires peuvent être exprimées. Le comportement est particulièrement visible (refus de se lever, de se soigner, de s'alimenter, de participer à la moindre activité, etc.) ... Les personnes âgées sont souvent les plus déterminées à réussir un geste suicidaire. Elles n'ont plus rien à perdre (perte du conjoint, d'un "chez soi", d'activités sociales investies, le sentiment de solitude, l'apparition de troubles physique et/ou neurologiques, etc.). Chez les personnes atteintes de troubles psychiques, la crise suicidaire est constituée d'une alternance de moments à haut risque et de moments d'accalmie. Certains signes peuvent marquer une aggravation du risque. Il est difficile de les repérer : repli sur soi, rupture des contacts habituels, réduction ou abandon des activités, autres symptômes... Comment accompagner les personnes vulnérables pour éviter qu'elles ne commettent l'irréparable ? 

Quand le suicide provoque un  deuil

Le suicide est une mort violente.  Pour la famille, les proches, il y a un risque inhérent au processus traumatique, celui du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) dont les critères diagnostiques doivent être systématiquement recherchés dans le cas de deuil après mort violente. Le SSPT se caractérise par : la réactivation (chargée émotionnellement) de l’événement traumatique sous forme de « flashs », d’images intrusives, de cauchemars à répétition (images récurrentes de l’adolescent pendu dans sa chambre) ; des conduites d’évitement de toutes les circonstances qui, de près ou de loin, sont en lien avec l’événement traumatique (exemple : évitement du métro, car l’enfant s’est jeté sur les rails). De même, évitement et/ou retrait social du fait d’un ressenti intérieur qu’il est difficile d’exprimer ou de partager avec autrui. Cette difficulté d’expression expose la personne traumatisée au risque de ne pas pouvoir «métaboliser » psychiquement ses affects. Le risque de décompensation dépressive n’est pas négligeable ; l’hypervigilance. Les personnes se retrouvent dans un état de stress chronique. Elles décrivent un état constant de tension intérieure qui les rend vulnérables et facilement irritables, parallèlement à de grandes difficultés de concentration ou de mémorisation. Il peut en résulter des troubles anxieux, des troubles du sommeil. Le recours aux médicaments anxiolytiques et/ou anti dépressifs, sans être systématisé, est généralement utilisé.

Pour conclure

La vulnérabilité est la porte d’entrée des personnes sujettes aux idées suicidaires (enfants, ados, adultes, personnes âgées). Les situations de violences conduisent à un processus de résilience qui n’est pas toujours accompagné. La dépression peut être un indice supplémentaire mais il n’est pas le seul critère. Les soignants, les aidants peuvent contribuer à relier les personnes dépressives à un retour à la vie, à se réconcilier avec eux-mêmes. La  dépression est un syndrome qui se manifeste sous différentes formes, selon les individus, les pathologies, l’âge... La prévalence des troubles dépressifs est estimée entre 2,1 à 3,4 % chez l’enfant et à 14 % chez l’adolescent. Les infirmier-ière-s en psychiatrie peuvent proposer des entretiens, faire partie d’une équipe interdisciplinaire pour accompagner les personnes vivant des situations complexes, initier des groupes de pair-aidance, proposer des  programmes ciblés en prévention (addictions….) pour faire émerger la parole, interagir dans le tissu social.  La prévention du suicide est aussi une cause majeure de santé publique. Les soignants ont parfois des outils disponibles pour surveiller les facteurs de risques, informer les populations (familles, entourage…) en développant des stratégies pédagogiques en s’inscrivant dans une logique territoriale, dans un réseau comme Vigilan’S, Ce jeune dispositif  (2015) a la spécificité de constituer un réseau aidant autour d’une personne ayant tenté un suicide. Il s’agit de garder contact avec elle. La difficulté des professionnels de santé est de repérer les facteurs de risques. Les relais, le développement de la relation thérapeutique, le lien social et l’investissement politique pourraient favoriser une meilleure prévention.

 

Christine Paillard, docteure en sciences du langage et spécialisée dans la terminologie interdisciplinaire en sciences infirmières. 

 

Pour aller plus loin: 

Kernier Nathalie, Le suicide, Presses Universitaires de France, "Que sais-je ?", 2020.

Prévenir la réitération suicidaire, Collectif d'auteurs, in Santé Mentale, n° 256, Mars 2021. 

Paillard Christine, Dictionnaire des Concepts en Sciences Infirmières. 

 

Date de dernière mise à jour : 29/11/2021

Ajouter un commentaire