Ausloos Guy, La compétence des familles

"La compétence des familles" (1)

Temps, chaos, processus

Guy Ausloos

Un ouvrage passionnant qui renverse la perspective psychiatrique classique ; à la notion de famille pathogène l’auteur superpose celle de famille compétente. L’intervenant doit constamment se décentrer afin de laisser émerger leur solution. Autrement dit, la famille n'est pas le problème mais la solution. 

Ausloos

« Je dirais que les familles savent, mais qu’elles ne savent pas qu’elles savent et qu’elles ne savent pas ce qu’elles savent. » (1)

L’auteur

Le nom de Guy Ausloos est familier aux collègues qui participent à mes formations aux entretiens cliniques infirmiers. J'illustre souvent tel ou tel point pratique soit en m'inspirant d'Ausloos, soit en détaillant sa façon de prévenir la récidive suicidaire. J'aime son élégance et j'éprouve un vrai plaisir à la partager avec mes collègues.  

Né à Liège en 1940, Guy Ausloos commence en Belgique des études de philosophie puis de médecine. Sa formation en pédopsychiatrie, en psychiatrie d’adultes, puis psychanalytique et psychothérapique se réalise en Suisse francophone. Il acquiert une grande réputation dans la thérapie des adolescents. Il s’installe au Québec en 1986 comme psychiatre en pays minier puis à Montréal. Il participe depuis 1970 au mouvement systémique. Praticien original, brillant conférencier, formateur dans de nombreux contextes, Ausloos part de sa pratique davantage que des théories, ce qui en fait un compagnon de lecture stimulant.

" [...] si je demande à un enfant de me parler de la profession de son père, en me répondant, il me fournira une information qui l'informera lui-même sur ce qu'il sait de son père, informera son père sur ce que son fils en sait et informera le reste de la famille sur ce que le fils sait du père. En même temps, chacun des membres de la famille se sera demandé ce qu'il aurait pu répondre à une telle question. "

L’ouvrage

L’ouvrage se divise en trois parties ; temps, chaos et processus.

Ausloos part du postulat qu’une famille ne peut se poser que des problèmes qu’elle est capable de résoudre. Le rôle du thérapeute consiste alors à activer un processus dans lequel la famille pourra observer, expérimenter, changer. Faire de la thérapie consiste à permettre la circularisation de l’information dans la famille, l’information pertinente étant celle qui vient de la famille et y retourne. Ces postulats impliquent de passer du temps immobilisé du diagnostic au temps dynamique de l’évolution potentielle. Le thérapeute doit essayer de s’abstenir de chercher à comprendre, ne pas se centrer sur les contenus mais sur les processus qui ne s’arrêtent jamais, qui sont toujours en fonctionnement, en équilibration. Il doit faire en sorte de sortir de son impatience thérapeutique et cesser de parler de résistance des familles.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Ausloos nous invite à penser à partir du chaos à percevoir non pas comme échec, dégradation, aliénation mais comme source de vie, de création, d’innovation. Admettre que nous vivons dans la chaos et que nos efforts pour le contraindre sont voués à l’échec, serait le début de la sagesse. Pour échapper au chaos, on a tenté le règne de l’ordre et du contrôle (et on continue à essayer même si ça ne marche pas et si ça accroît le chaos). L’ordre est dans l’esprit de l’homme, il n’est pas dans la nature. Notre besoin de comprendre et d’expliquer nous porte à créer (ou à adhérer à) des théories qui nous donnent l’impression ou l’illusion d’être capables de prévoir une partie des comportements de nos patients. Nous sélectionnons ainsi certains actes qui confirment la théorie et augmentons ainsi la probabilité de l’acte prévu. Nous masquons notre chaos au lieu de l’assumer. Il faudrait faire en sorte de ne pas se fixer d’objectifs. Chaque fois que nous nous fixons des objectifs pour une famille, nous l’empêchons de se fixer ses propres objectifs. Il nous faut apprendre à lâcher prise, c’est-à-dire à abandonner nos constructions théoriques au vestiaire pour pouvoir les reprendre en sortant, apprendre à nous jeter à l’eau sans savoir où l’on va mais en sachant très bien nager et en étant convaincu que l’on va quelque part. De cette façon nous pourrons nommer l’innommable, évidemment proche du chaos. « Il y a une personne ou une famille qui a un (ou des) problème(s) qui se manifeste(nt) par la souffrance, les dysfonctionnements, les pathologies mais que personne ne connaît vraiment ou n’est capable d’énoncer valablement sans quoi on aurait pu trouver la  (ou les) solution(s), puisque ce problème est généré par le fonctionnement du système et que ce problème, par définition même, comporte sa solution dans le fonctionnement du système, en fonction de ces paradigmes de base, même si pour le moment personne n’est capable de la trouver puisque cette solution n’est pas de l’ordre de la personne mais de l’ordre du système. »

Ausloos, nous invite à partir de ces postulats à collaborer avec les familles, c‘est à dire, étymologiquement, à travailler avec elles. Collaborer avec les familles, ce n’est donc pas faire de la thérapie mais travailler ensemble avec nos compétences, nos valeurs, nos responsabilités respectives et aussi nos insuffisances.

Du côté de la pratique

J'étais à Paimboeuf, ma petite ville natale, chez mon frère. Mon neveu Kevin, profitant d'un moment de calme dans l'élevage des moules, avait entrepris de réaliser l'arbre généalogique familial. L'épais dossier qu'il avait constitué montrait le sérieux de sa démarche. Je pensais posséder tout ce qu'il était possible de savoir sur l'histoire  familiale. Mes parents étant morts jeunes, mes connaissances en ce domaine ne pouvaient plus guère être renouvelées. Kevin sortit alors de son dossier le livret militaire de mon grand-père. J'appris ainsi que ce grand-père, décrit par mon père comme quelqu'un de rigide qui parlait peu avait été réformé pour cause psychiatrique pendant la guerre 14-18. Ainsi s'éclaira la carrière militaire avortée de mon père en 1945, mon goût pour la psychiatrie et notre exemption du service militaire à mon frère et à moi. Nous avions tous deux été exemptés pour raisons psychiatrique. L'information vient de la famille et y retourne. 

Apport de cette lecture aux soignant(e)s

« J’attends du lecteur qu’il ne me croie pas, pour qu’il se mette lui-même à croire, à créer, à innover et à rendre caduc ce qu’il vient de lire. Et qu’à son tour, il se mette à croire sans croire à ce qu’il croit, mais avec conviction, audace, témérité, pour que changent les idées reçues, que disparaissent les doctrines, que l’art devienne le moteur de nos interrelations. » (1)

Les étudiants souvent allergiques aux théories abstraites trouveront dans cet ouvrage une antidote efficace. Il est difficile d’imaginer un esprit plus ouvert que celui de Guy Ausloos. Ces a priori étayés cependant sur la théorie systémique l’amènent à distiller des conseils pratiques dont les étudiants et les jeunes infirmiers pourront faire leur miel. Sa façon de procéder avec les personnes hospitalisées après une tentative de suicide est un modèle du genre : déviations, humour, prise au pied de la lettre, elle fourmille de trouvailles techniques. Il ne s'agit pas de copier sa méthode à l'identique, ça ne marcherait pas, mais de s'en inspirer.  

Dominique Friard

Notes :

1- AUSLOOS (G), La compétence des familles, Erès, Relations, Ramonville, 1995.

Date de dernière mise à jour : 24/09/2020

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