Bellahsen Mathieu, Knaebel Rachel, La révolte de la psychiatrie

La révolte de la psychiatrie

Les ripostes à la catastrophe gestionnaire

Mathieu Bellahsen, Rachel Knaebel

Avec la collaboration de Loriane Bellahsen

Bellhassen

Un ouvrage qui retrace les étapes et les tenants et les aboutissants de la catastrophe gestionnaire qui a englouti la psychiatrie et en a fait une entreprise de normalisation de gré ou de force de comportements déviants, avec la complicité objective de certains soignants et de certains médecins. Un ouvrage qui propose des pratiques altératrices susceptibles de permettre la riposte.

 

« Cette idéologie de l’inclusion où « pas une tête ne dépasse » est en quelque sorte cautionnée par le recours à la figure médiatique de l’autiste de haut niveau ou autiste dit Asperger, objet de l’intérêt majeur d’une certaine branche des neurosciences qui y voit une évolution ultime de l’être humain dans une société de la concurrence et du numérique. »

Les auteurs

Mathieu Bellahsen est un jeune psychiatre de secteur, chef de service engagé dans le soin et dans les luttes militantes. Il  est cofondateur d’UTOPSY, membre du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire et du Printemps de la psychiatrie.

Rachel Knaebel est journaliste à Basta ! Elle suit essentiellement des sujets économiques et sociaux.

Loriane Bellahsen est psychiatre et travaille en pédopsychiatrie.

Ce sont des visages familiers à ceux qui se battent pour des soins respectueux de la personne hospitalisée, suivie en CMP ou membre d’un club thérapeutique. Ils sont d’abord et avant tout disponibles.  

« Dans la pratique quotidienne de la psychiatrie dans un établissement de service public, c’est à la réparation de la parole trahie et à la construction d’une parole fiable que le collectif de soin s’attelle, collectif à géométrie variable constitué par l’équipe et les personnes en soin, les proches, les personnes de la cité. Si une parole est promesse, alors elle engage à tenir. A défaut se répète le cercle infernal des trahisons, des traumatismes et des silences honteux. »

L’ouvrage

Il débute par une question toute simple, que faire ?

« Que faire quand on est infirmier, psychologue, aide-soignant, éducateur spécialisé dans un hôpital psychiatrique, que les  conditions de travail et de soin deviennent insupportables et inacceptables, mais que votre direction, votre agence régionale de santé, votre ministère, vous ferment les portes de leur bureau et vous laissent sans aucun interlocuteur ? » Que faire quand vous voulez faire grève et que vous êtes réquisitionnés ? Le cadre est posé. Nous ne serons pas dans la plainte. Ce livre est un livre de combat. Il s’agit de réagir à ce que les auteurs nomment la catastrophe gestionnaire.  La première bonne nouvelle c’est qu’on peut faire, que certains ont commencé à faire et qu’on en parle dans les medias, que ça commence à faire du bruit. Les lecteurs de serpsy (le site ou la page Facebook) en ont eu des échos et ont parfois été aux premières loges.

On peut faire mais avant il convient de comprendre contre quoi on se bat, qui sont ceux qui nous emprisonnent qu’on soit usagers, soignants ou familles ? Dans quel système sommes-nous pris ? Comment en est-on arrivé là ?

L’ouvrage est donc construit en deux parties : Néolibéralisme et scientisme : double attaque sur la psychiatrie et Quelle nouvelle hospitalité pour la folie ? D’un côté des mots en « isme » qui ne résonnent pas très bien aujourd’hui et de l’autre l’hospitalité qui réveille en nous d’autres images qui nous mènent vers l’accueil inconditionnel qui constitue pour nous soignants, un idéal à conquérir chaque jour.    

Le premier chapitre s’intéresse aux trente penaudes, « 1980-2010, les années qui ont démantelé la psychiatrie française ». Les auteurs se livrent à une passionnante analyse des trente années qui suivent le rapport Demay qui insistait sur le fait qu’il est inacceptable que les soignants puissent concourir en quoi que ce soit à cette dénaturation de la psychiatrie qu’est son utilisation à des fins de répression politique. » Comme nombre de rapports celui-ci est restée lettre morte achevé par le tournant de la rigueur. Dès la fin des années 80, les nouveaux hauts fonctionnaires français font main basse sur l’hôpital public armé d’une logique gestionnaire qui n’a pas fini de faire des dégâts. Un ancien ingénieur des eaux et forêts, Jean de Kervasdoué va faire parler de lui et de sa conception de la maîtrise des dépenses. Au lieu de ramener des States des jeans ou des disques de rock, il en importe les « groupes homogènes de malades », le « programme de médicalisation des systèmes d’informations » (le fameux PMSI). S’installe ainsi, petit à petit, d’une manière presqu’indolore une logique de mesure de ce que « produit » un hôpital en termes de soin. En 2004, tout est prêt pour que soit mis en place en M.C.O. la T2A, la tarification à l’activité. La psychiatrie y échappe et continue à être financée par une dotation annuelle de fonctionnement, c’est-à-dire par une enveloppe globale. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2020 change tout. Il s’agit d’instaurer un financement compartimenté de la psychiatrie en fonction d’indicateurs –de population, de qualité, de recherche- et du codage de l’activité. Elle prévoit également d’unifier les modes de financement publics et privés qui n’ont absolument pas les mêmes contraintes. De nouvelles agences de contrôle et de gestion sont créées : HAS (Haute Autorité de Santé) et ARS (Agence Régionale de Santé). Les auteurs racontent ainsi la mise en place progressive puis accélérée du paysage que nous connaissons actuellement. Ainsi concluent-ils les réformes hospitalières qui se multiplient depuis les années 1990, quels que soient les gouvernements, vont toutes dans la même direction : une prise de pouvoir du management sur les préoccupations médicales. On leur pardonnera facilement le terme restrictif de préoccupations médicales qui oublie que les préoccupations soignantes sont tout autant  laissées de côté. Nous n’oublions pas non plus que les médecins au pouvoir ont rarement fait d’étincelles. Il suffit de se souvenir des grandes concentrations hospitalières d’avant-guerre pour s’en convaincre. Le livre se poursuit avec le récit des attaques répétées contre le secteur, pensé à l’origine pour soigner chacun au plus près de chez lui, balayé par la loi HPST, la création des mégapoles liés au GHT, centripètes et non centrifuges comme l’était les secteurs psychiatriques qui fonctionnaient bien. Ici ou là, les uns ou les autres pourront marquer quelques points de désaccord avec les auteurs. Ainsi, contrairement à ce qu’ils énoncent le rapport Piel/Roelandt, enterré par les Etats Généraux de la psychiatrie en 2003 n’a jamais réellement tenté d’être mis en application. Ces critiques sont mineures et nourrissent la réflexion.

Le deuxième chapitre décrit la nouvelle neuropsychiatrie et l’installation de son hégémonie sur la psychiatrie contemporaine. Il raconte la promotion du cerveau et la création d’une conception de l’homme où tout n’est qu’organe sans rien qui dépasse. Les deux auteurs déconstruisent d’une manière réjouissante la conception de l’imagerie cérébrale qui nous vend une imagerie fonctionnelle à coup de statistiques plus ou moins frelatées. Le chapitre suivant consacré à l’autisme constitue une analyse au scalpel de la destruction organisée de la pédopsychiatrie. Sûrement un des plus réussis du livre. L’inclusion tant vantée y apparaît au mieux comme un trompe-couillon ou au pire comme une véritable exclusion de l’extérieur comme nombre d’entre nous l’ont dénoncée dès la fin des années 90. On revient à la psychiatrie adulte avec l’analyse des étapes qui amène la bureaucratie d’état à privilégier le privé lucratif aux dépens de la psychiatrie publique. La partie s’achève enfin avec la déconstruction de la résistible ascension de FondaMental, la « fondation qui veut sauver la psychiatrie avec l’argent de Bettencourt, de Dassault » et de quelques laboratoires pharmaceutiques.

Je ne dirais pas que la deuxième partie est plus intéressante, elle est simplement moins désespérante. La première partie est consacrée à tout ce que nous avons collectivement laissé faire par inaction, par manque d’intérêt, de pugnacité. Chaque espace abandonné se transforme en machine de guerre qui sera utilisée contre nous et les usagers. Les mots ronflants qui ne décrivent aucune réalité vraie sont utilisés pour masquer ce qui est réellement à l’œuvre. La deuxième partie donc est consacrée à une nouvelle hospitalité pour la folie, ce qu’au printemps nous nommons aussi le renouveau du soin psychique.

Le sixième chapitre est un constat implacable de tout ce qui dysfonctionne aujourd’hui en psychiatrie : l’augmentation constante du nombre de patients suivis en psychiatrie, les consultations en CMP de moins en moins accessibles, l’extension des hospitalisations et des soins sans consentement (après 2012), l’entrée du juge à l’hôpital et les mesures attentatoires aux libertés. Nous pourrions également en rajouter.

Le septième chapitre est dédié aux luttes soignantes (là le terme utilisé est celui de soignant pas de médecin) : grève de la faim au Rouvray, Perchés du Havre, psychiatrie parisienne contre le GHU, campement d’Amiens, mouvement du Vinatier, pédopsychiatrie en lutte à Paris, grèves à Lavaur et à Toulouse, etc.

Il s’agit de réinventer des pratiques alternatives affirment les auteurs. Oui mais comment ?

Les innovations « néolibérales » sont bien souvent des reprises de pratiques situées sur un autre fond que la norme de la concurrence généralisée. « Un des enjeux est donc aujourd’hui, à l’inverse, de capter des pratiques du fond néolibéral pour les dévier ou les faire dériver vers un autre horizon. Ces pratiques peuvent être qualifiées d’altératrices en ce qu’elles s’agencent de façon nouvelle à l’institué, en l’occurrence ici l’hôpital (et la communauté). […] Il faut donc opérer un double mouvement. Par exemple dans un secteur de psychiatrie, s’appuyer sur ce qui reste de de l’hôpital public pour que de l’instituant émerge et qu’en retour cela puisse consolider différemment les formes instituées (sans pour autant écraser les créations propres aux pratiques instituantes ». Il s’agit, plus simplement, de pouvoir répondre à la question : est-il possible aujourd’hui d’instituer des organisations de soins à partir des besoins réels des personnes les plus en souffrance, des organisations qui s’adaptent réellement à elles ? Partir des pratiques implique de construire ensemble des lieux, des événements, plus ou moins éphémères et plus ou moins pérennes. Des lieux où se pose la question du lien entre les gens. «  Rendre ces espaces dynamiques pour qu’ils se dépassent eux-mêmes, en somme les subvertir, est l’une des formes nouvelles portées par les pratiques altératrices. » Il devrait y en avoir de plus en plus d’exemples. Mais pour que ça puisse advenir, il faut y mettre du jeu : jeu entre instituant et institué, jeu dans les relations de pouvoir et de soin, jeu entre les personnes qui composent les collectifs de lutte et donc s’intéresser à ce que fait chaque groupe et chacun.

Du côté de la pratique

Partager le pouvoir ne va pas de soi, ça implique un changement d’attitude mentale vis-à-vis de l’autre. Considérer un patient ou un infirmier comme un partenaire implique un effort quand on est psychiatre ou infirmier. Les discours ne sont pas normés. Le passif est parfois tel entre les uns et les autres que la communication est tout sauf fluide. Derrière les proclamations d’intention, toutes généreuses, se cachent parfois de vieux réflexes paternalistes. Patients et infirmiers ont à créer, aux aussi, des liens « altérants » avec les producteurs de la violence réelle ou symbolique qui les oppriment. « Le combat se situe aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, nous sommes sur les bords de plusieurs logiques et ces bords ne tiennent qu’à un fil. Les pratiques altératrices poussent ainsi à fonder un autre cadre de pratiques et de pensées à partir de l’institué sur lequel elles émergent. » A méditer partout, y compris dans les collectifs dits de combat.

Apports de cette lecture au(x) soignant(e)s

Il faut lire ce livre d’abord parce qu’il permet de mieux comprendre le monde dans lequel on soigne, comment il s’est fabriqué, quels en sont les récifs. On ne sera pas d’accord sur tout et ce n’est pas grave. On peut toujours limer un côté ou un autre, rajouter un angle, l’essentiel est de connaître le contexte du soin. On peut toujours dire qu’on enferme un patient ou qu’on l’attache parce qu’on n’a pas le choix de faire autrement, cette affirmation n’a aucun sens si l’on ne peut pas situer ce qui se passe sur un plan pratique avec une dimension politique qui elle nous redonnera le choix. On a toujours le choix. Ce  livre le montre en racontant les combats de collègues parfois moins bien lotis que nous en termes de personnel, de direction, de cadres de santé. Il en faut du courage pour commencer une grève de la faim !!! Tous ne l’ont pas, c’est sûr mais les pratiques altératrices se fabriquent à plusieurs, en collectif.

Unissons-nous !

Dominique Friard

Notes :

  1. BELLAHSEN (M), KNAEBEL (R), La révolte de la psychiatrie. Les ripostes à la catastrophe gestionnaire, Cahiers Libres, La découverte, Paris, 2020.

Date de dernière mise à jour : 29/06/2020

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