Bernard P., Trouvé S., Sémiologie psychiatrique

Sémiologie psychiatrique

Paul Bernard, Simone Trouvé

Numerisation 20240106 3

Un livre qui accompagnera le jeune infirmier qui découvre la psychiatrie, en son début de carrière ; un livre qu’il ouvrira au mi-temps de sa carrière pour y retrouver ce qu’il sait devoir y trouver ; un livre qu’il retrouvera comme un vieil ami au soir d’une carrière bien remplie. Le complément indispensable à l’appli Semio8G qui permet à son utilisateur de mettre en perspective les signes et symptômes (re)découverts.   

« En fait et cela est capital, en psychiatrie l’observateur -comme tout membre de l’entourage familier- est d’emblée impliqué dans une « relation observateur-patient ». C’est à l’intérieur de cette relation que se passe l’essentiel du temps sémiologique qui est, en même temps, un temps thérapeutique. L’écoute du discours du patient aussi bien que la communication par le regard apportent par touches et par approches successives des éclaircissements sur le sens des symptômes à défaut d’une compréhension totale toujours difficile, parfois impossible. Ainsi ne voit-on pas en psychiatrie une antériorité systématique du temps diagnostique sur le temps thérapeutique. La disponibilité de l’écoute, l’échange de regard, la valeur du contact et l’impartialité de l’observateur -bien difficile à maintenir, parce que continuellement remise en question au fur et à mesure de l’émergence des symptômes au cours de l’entretien- ébauchent une communication retrouvée et par là-même revêt une valeur de soins. » (p.4)

L’auteur

Le psychiatre Paul Bernard (1909-1995), est surtout connu pour avoir été pendant 26 ans rédacteur-en-chef de L’information psychiatrique. Il va transformer le bulletin syndical des psychiatres de 1953 en une revue scientifique digne de ce nom. Jean Ayme vante dans ses « Chroniques de la psychiatrie publique » (2) sa compétence et son dévouement qui n’ont d’égal que sa grande modestie. Médecin-chef dans la banlieue lilloise puis à Ste Anne, à Paris, il y crée la première école des Cadres. Il est co-auteur (avec Henri Ey et Charles Brisset) du fameux « Manuel de psychiatrie » publié en 1960.

Il rapporte de ses voyages dans différents pays européens des études qui enrichiront les Documents de l’Information Psychiatrique. Sous ce titre, il fait paraître quatre ouvrages de « psychiatrie pratique » destinés aux « auxiliaires médico-sociaux du psychiatre », remarquables, écrit toujours Jean Ayme, par leur simplicité, leur clarté et leur portée didactique. Il décrit notamment dans « Au-delà de l’asile d’aliénés et de l’hôpital psychiatrique », une organisation de la vie sociale qui ne doit plus rien à l’asile mais qui constitue avec la thérapeutique biologique un véritable traitement psychiatrique. C’est en découvrant ses textes que les infirmiers et les psychiatres de la génération de Jean Ayme ont pu transformer le vieil hôpital en véritable instrument de soin. Leurs successeurs modernes feraient bien de le lire.     

« On peut voir dans l’agression un élément de la défense de l’homme et de sa survivance dans un environnement hostile. L’agression ou, comme on les appelle aussi, les causes et les facteurs stressants « polluent » en permanence l’environnement humain : les microbes, les insectes, autrefois les animaux féroces, le froid, maintenant les bruits, les pollutions atmosphériques, la multitude de substances introduites dans les produits alimentaires, l’exiguïté des espaces et des territoires dans la vie urbaine, la compétition interhumaine, etc. L’organisme et le personnalité s’affrontent donc constamment aux facteurs adverses venant de l’environnement. » (p.95)  

L’ouvrage

« Sémiologie psychiatrique » co-écrit avec Simone Trouvé qui fut surveillante-chef dans son service illustre parfaitement l’esprit d’ouverture vers les soins infirmiers qui anime Paul Bernard. L’ouvrage est divisé en neuf chapitres, chacun consacré à une conduite globale de l’individu : comportement alimentaire, conduites sphinctériennes et excrémentielles, comportement sexuel, comportement agressif, conduite suicidaire, etc.

L’ouvrage se centre sur les conduites plus que sur les comportements et ça fait une première différence.

Le comportement est un concept complexe qui comprend plusieurs aspects. On pourrait le définir comme « l'ensemble des réactions objectivement observables qu'une personne ou un groupe de personnes exécute en réponse aux stimulations du milieu, elles-mêmes directement observables. » Cette définition, inspirée du comportementalisme présente un certain nombre de difficultés : qu'entend-on par une définition objective d'un milieu, de réactions ? Suffit-il de décrire les caractères physiques de la stimulation et les réponses du patient pour appréhender le comportement ? On peut aussi définir le comportement dans une perspective plus systémique en le considérant comme l'expression des interactions entre la personne et le milieu ou groupe. Nous reprendrons la définition proposée dans le dictionnaire Larousse : " le comportement est une réalité appréhendable sous la forme d'unités d'observation, les actes, dont la fréquence et les enchaînements sont susceptibles de se modifier ; il traduit en action l'image de la situation telle qu'elle est élaborée, avec ses outils propres, par l'être que l'on étudie : le comportement exprime une forme de représentation et de construction d'un monde particulier. » Les infirmiers dans leurs écrits relèvent essentiellement des troubles du comportement. Que le comportement soit une réalité observable n'implique pas qu'il soit légitime de ne le décrire que comme un acte. On ne peut se satisfaire d’observations infirmières qui se bornent à noter : « Troubles du comportement ». Un comportement, ça s’observe, ça se décrit et plus précisément on le décrit, mieux on le voit et plus on de chance d’en comprendre le sens.

La notion de conduite, parfois utilisée comme synonyme de comportement, renvoie généralement à un comportement plus élaboré. On considère que la conduite est une réponse à une motivation qui fait intervenir des composantes psychologiques, motrices et physiologiques. Ainsi, décrira-t-on une conduite alimentaire, qui s’envisage à partir d’au moins trois niveaux d’organisation de la personnalité :

- le niveau physiologique (métabolique) qui correspond à la demande énergétique de l’organisme, à la régulation de cette demande et à la satisfaction des besoins nutritionnels en calories ;

- le niveau psycho-dynamique du développement libidinal et plus précisément de la satisfaction orale qui est un plaisir indépendant de la satisfaction du besoin physiologique ;

- le niveau relationnel qui décrit les échanges qui s’établissent entre un sujet et le milieu social et culturel.

La notion de conduite apparaît ainsi beaucoup plus complexe que celle de comportement. Pour caricaturer, on pourrait dire que le patient a un comportement plus ou moins adapté, et que les soignants ont des « conduites à tenir » face à ces comportements. C'est ce que tendrait à donner à penser une certaine conception de l'enseignement des soins infirmiers. Lorsque l'on aborde la violence par exemple, on explique aux étudiants les caractéristiques observables du comportement agressif ou violent du patient et on propose aux étudiants une conduite à tenir face au patient agressif, agité ou violent. Inutile de préciser que cette conception est dépassée car ne tenant pas compte de l'aspect interactif et dynamique du comportement agressif.

La pulsion est une notion, développée par la psychanalyse. Elle est une poussée interne qui fait tendre l'organisme moins vers un but, ce qui supposerait une organisation consciente, que dans une direction. La poussée prend sa source dans une excitation organique qui s'accompagne d'un état de tension, l'atteinte du but par un objet soulage l'état de tension. Les pulsions sont toujours à la recherche du plaisir mais rencontrent souvent le déplaisir, elles se nuancent en une infinité d'émotions. Selon le Grand Dictionnaire de Psychologie Larousse, l'agressivité se définit comme l'ensemble des manifestations réelles ou fantasmatiques de la pulsion d'agression.

Le sentiment est un terme vague dont le sens a beaucoup varié, il est souvent confondu avec l'émotion, la sensibilité, l'affectivité et même la sensation. Il peut désigner aussi bien le fait de sentir, que la faculté de sentir ou le résultat de l'acte de sentir. Il désigne un état affectif ou une tendance affective qui s'applique au plaisir et à la douleur, à l'émotion, à la joie, à la sympathie et à l'antipathie.

L'instinct est l'ensemble des comportements animaux et humains, caractéristiques d'une espèce, transmis par voie génétique et qui s'exprime en l'absence d'apprentissage. On le caractérise aujourd'hui comme une connaissance qui n'a pas besoin d'être définie individuellement. K. Lorenz énonce ainsi que l'agressivité constitue une des tendances fondamentales et innées que l'on retrouve chez chaque espèce. Comportement, conduite, sentiment, pulsion, instinct, il n'est pas simple de penser l'agressivité et la violence.

Revenons à notre sémiologie, le symptôme y est abordé comme le résultat d’une dynamique complexe où intervient la façon dont la personnalité du malade a intégré, réélaboré, transformé des scènes ou des situations vécues d’une manière plus ou moins dramatique ou « traumatisante ». Pour Paul Bernard et Simone Trouvé, la conduite du malade en psychiatrie renvoie à la totalité de sa personne qui nous échappe par définition. Le symptôme n’est pas une aberration à supprimer mais un langage à déchiffrer. La conduite pathologique est un compromis imaginé laborieusement –mais inconsciemment- par le sujet. Par ce moyen précaire, il a trouvé ainsi à équilibrer la dynamique instable de son affectivité et à maintenir tant bien que mal le système économique propre de sa personnalité. Supprimer le symptôme sans prendre en compte la dynamique psychique du patient revient à bouleverser ses défenses et d’une certaine façon à le rendre encore plus malade qu’il n’était.

Ceux qui comme moi, ont été abreuvés, à cette source, ne peuvent en aucune façon, adhérer à la simili-théorie de soins de Virginia Henderson. Que les 14 besoins fondamentaux recoupent pour partie les conduites décrites par Bernard et Trouvé, ne nous autorise pas à découper le patient en tranches ni à déduire quoi que ce soit en termes de dépendance ou d’indépendance. L’approche ne peut être que descriptive et son but est de retrouver ce tout qu’est le patient, tout qui ne saurait être égal à la somme de ses parties.

Bernard et Trouvé n’ont pas attendu les théoriciens de l’holisme pour se réclamer d’un soin qui prenne en compte les aspects bio-psycho-sociaux du patient. Chaque chapitre s’ouvre par la description du fonctionnement physiologique du comportement traité (comportement alimentaire, excrémentiel, sexuel, langage, sommeil, etc.). On part toujours du corps. Chaque conduite est ainsi abordée dans ses dimensions physiologique, psychodynamique et relationnelle (et/ou sociale). Les sciences humaines, si longtemps absentes des études médicales, ont droit de cité dans la sémiologie psychiatrique et éclairent toujours les comportements analysés : sociologie autour du sommeil, des conduites agressives et suicidaires, philosophie autour du délire et des hallucinations, du suicide, linguistique autour du langage, éthologie dans les conduites agressives, etc. Les sciences humaines permettent de prendre du champ, de se décentrer. Elles élargissent notre regard même si nos connaissances en physiologie sont beaucoup, beaucoup plus étendues qu’au moment où l’ouvrage a été écrit. Détaillons le chapitre dédié à la sémiologie des troubles du comportement agressif, il explore d’abord les fondements biologiques de l’agressivité (et notamment le modèle neurobiologique), il décrit ensuite l’agressivité chez l’animal (modèle éthologique) avant de s’intéresser aux interprétations psychanalytiques du comportement agressif. L’agressivité en clinique psychiatrique est longuement décrite : sa banalité sous les traits de la cruauté et de l’esprit de revanche, sa conversion psychosomatique, l’agressivité chez l’enfant et l’adolescent, l’agressivité caractérielle et névrotique, notamment celle massive dans la névrose obsessionnelle, les déséquilibrés psychiques, l’agressivité érotisée dans le sado-masochisme, les conduites criminelles et délinquantes, dans les dérèglements de l’humeur, dans les psychoses aiguës (confusions mentales, ivresses toxiques, « frénésies » meurtrières telles que l’amok dans certaines cultures), l’agressivité dans les délires chroniques (paranoïa), dans la schizophrénie, dans l’épilepsie, les états d’arriération et chez le vieillard. On évite ainsi d’essentialiser l’agressivité, l’agression ou la violence. Le soignant est capable de repérer, de reconnaître ce qui est à l’œuvre chez le patient, il peut ainsi plus facilement en réguler les manifestations sans avoir un recours systématique à l’isolement et à la contention.

L’intérêt pour les soignants

Publié, il y a plus de quarante ans, l’ouvrage reste une référence incontournable pour comprendre les troubles des conduites. Lorsque j’écris pour les soins, il n’est jamais très loin de moi. Je m’y plonge et m’y replonge avec délices. Je ne sais si j’apprécie le plus sa richesse clinique qui me permet d’avoir un regard plus affuté ou l’humanisme profond qui s’en dégage qui me permet d’être un soignant plus à l’écoute.

Pour Bernard et Trouvé, l’infirmier n’est pas un simple distributeur de médicaments, ni une force brute chargée de pacifier les unités de soins. C’est un soignant actif au même titre que les autres professionnels. Il propose des entretiens, des activités occupationnelles (au sens anglo-saxon du terme), des activités de médiation.  Il participe pleinement au rétablissement des patients.  

Dominique Friard

Notes :

  1. BERNARD (P), TROUVE (S), Sémiologie psychiatrique, Masson, Paris, 1976, 4ème édition.

  2. AYME (J), Chroniques de la psychiatrie publique. A travers l’histoire d’un syndicat, Erès, Coll. Des travaux et des jours, Ramonville Saint Ange, 1995.

Date de dernière mise à jour : 06/01/2024

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