Cadoux Bernard, Ecritures de la psychose

 

« Ecritures de la psychose »

Folie d’écrire et atelier d’écriture

Bernard Cadoux

Cadoux

Un livre qui répond à quelques questions simples : Comment penser une activité de médiation ? Comment relier pratique et théorie ? Que se passe-t-il, psychiquement, au cours d’un atelier Ecriture, tant au niveau de l’écriture, que du groupe, de ses participants et de ses animateurs ?

«  Nous sommes ainsi amenés à concevoir l’écriture non pas comme la réalisation extérieure de quelque chose qui aurait déjà été inscrit au-dedans, mais comme une tentative d’inscrire au-dehors ce qui n’a pas eu d’inscription psychique. Non pas comme figuration d’éléments refoulés, mais comme essai de traitement original d’éléments déniés. »

L’auteur

Petit-fils d’un cordonnier savoyard dont « l’at’lier » le marqua durablement par ses odeurs et les histoires qui s’y contaient, Bernard Cadoux, né en 1946, à Annecy, est psychologue clinicien et psychothérapeute, chargé d’enseignement à l’université Louis Lumière II. Il a contribué à la mise en place du D.U. Soins psychiques, Créativité, Expressions artistiques. Il organise, depuis plusieurs années, des ateliers d’écriture avec des personnes qui souffrent de psychose. Il est par ailleurs membre associé des Ateliers d’art cru (Bordeaux) et membre de la revue Art et Thérapie (Paris). C’est dans les couloirs de l’asile qu’il a rencontré, un patient délirant, Bernard Glücksman, alias S. Rodanski, autrefois poète surréaliste, en quête d’une ville introuvable qu’ils chercheront ensemble. Cette recherche sera l’occasion d’un film et d’un livre intitulés tous deux « Horizon perdu ». (2)

« La consigne, au sens étymologique, ce qu’on signe ensemble, oriente toujours l’alliance de travail vers la fiction, c’est-à-dire la fabrication de récits, et se formule de la même manière : « Nous sommes là pour faire des histoires, ensemble à partir de la mise en commun de nos pensées. » Cet appel à la fiction est indispensable pour donner une véritable dimension psychothérapique au groupe d’écriture. Il remplit, me  semble-t-il, la même fonction que la règle du « faire semblant » qui régit le jeu au sein du psychodrame. » p. 237.

L’ouvrage

Mon seul regret d’organisateur de journées de réflexion consacrées à l’écriture a été l’indisponibilité de Bernard Cadoux. S’il ne suffit pas de proposer une médiation, fût-ce avec un cadre rigoureux, pour qu’elle soit investie et qu’elle soit thérapeutique, s’il ne suffit pas que des œuvres soient produites pour qu’elle permette à chaque un et au groupe d’avancer dans sa problématique, la question à laquelle chacun de nous se heurte est comment évaluer ce qui se vit, se dit, se pense et se fabrique dans ces groupes. L’ouvrage de Cadoux, nous propose non seulement des réponses à ces questions, et des réponses séduisantes, mais également ce que je nommerai une méthodologie de travail.

Avant d’en arriver à l’atelier écriture à proprement parler, Cadoux nous propose de considérer le besoin d’écrire qu’ont certains patients confrontés à la psychose comme un mode de traitement spontané, dont il faut repérer les effets pour en dégager les fonctions psychiques précises. Il envisage cette question à partir de plusieurs types d’écriture : l’écriture de deux écriveurs qu’il a rencontrés dans sa pratique, sa propre écriture de thérapeute confronté à des patients psychotiques et l’écriture de trois poètes dont la lecture l’a soutenu dans son travail clinique : S. Rodanski, A. Artaud et F. Pessoa.

L’ouvrage est divisé en quatre chapitres.

Dans le premier « Ecrire contre l’effondrement », Cadoux envisage l’écriture comme un secours contre la catastrophe psychique psychotique. Il s’essaie à décrire les fonctions psychiques de l’écriture et s’interroge sur le support comme premier destinataire, sur la première symbolisation que constituerait le geste d’écrire, sur l’interlocuteur et le destinataire, pour lui, forcément maternel. Ecrire serait ainsi une manière de restaurer le récit maternel premier qui aurait dû permettre à l’enfant de devenir sujet de son histoire. L’écriture dans son adresse faite à l’autre permettrait de fabriquer de l’intime, cet « espace du dedans » manquant lorsque les parents n’ont pas pu en esquisser les contours.

Dans le deuxième chapitre « Le pousse à écrire ou l’écriture contre-transférentielle », Cadoux montre que c’est au prix de son inscription dans la relation intersubjective que l’écriture, de simple défausse sur l’extérieur devient un traitement possible de l’angoisse psychotique. L’écriture du thérapeute (contre-transférentielle) est une tentative infinie de traiter les impacts projectifs qui cherchent à s’inscrire par effraction dans son psychisme. « De prise de notes en écriture, d’écriture en réécriture, d’un interlocuteur à l’autre, le thérapeute se livre à l’interminable roman de la clinique. » (1) La clinique commence avec le récit que l’on fait à un autre, à plus d’un autre.

Le troisième chapitre nous propose trois lectures des œuvres de Rodanski, Artaud et Pessoa. Ces trois parcours illustrent que l’écriture est aussi une affaire de groupe. L’écrivain, dans sa solitude relative compose avec le désordre de ses groupes internes, groupes parasités parfois par tous ces autres qui parlent en lui ou qui font régner en lui un infernal silence. Le travail de (re)création n’est possible qu’avec le secours d’un groupe externe (surréaliste pour Artaud et Rodanski, mouvance avant-gardiste pour Pessoa) qui assure un minimum de continuité que celle-ci s’incarne dans un interlocuteur privilégié, une bande d’amis ou un groupe d’appartenance avec lequel le sujet partage des représentations et des modes de penser.

Le quatrième chapitre, enfin, présente l’atelier d’écriture comme lieu d’émergence du sujet. A l’archéologie du dispositif utilisé par Cadoux succède le cadrage actuel, cadrage nécessaire né de l’histoire et du vécu des animateurs et du groupe. Les transferts en jeu dans le groupe (transfert sur le groupe lui-même, sur l’écriture, sur chacun des animateurs et sur le couple qu’ils forment et les transferts latéraux sur les autres participants) sont présentés et commentés. L’atelier écriture permettrait à chacun de construire de l’intime à partir de l’expérience « d’extimité » faite avec les autres au sein du groupe.

Du côté de la pratique

L’écriture en tant que médiation est une des plus faciles à organiser : il suffit d’une feuille de papier et d’un crayon. Elle ne suscite que peu de dépenses dans une époque contrainte. C’est sûrement pour cette raison que j’ai débuté cette médiation en septembre 1978 et qu’il ne s’est guère écoulé de périodes dans ma carrière où je n’ai pas  pratiqué, d’une façon ou d’une autre. Cet ouvrage, bien qu’exigeant sur un plan théorique, est un guide qui ouvre tout autant de questions qu’il  n’en résout. Chaque question en amène d’autres, etc. Cheminer avec Bernard Cadoux est un bonheur.

Apport de cette lecture aux soignant(e)s

Les médiations sont tellement peu enseignées que tous les livres sérieux qui les décrivent sont mieux que bienvenus. Qu’il s’agisse d’écriture, une écriture trop souvent mise en cage, en diagnostic, en cible à l’IFSI ne peut que me réjouir. Comment partager tout simplement le plaisir d’écrire avec un groupe de patients si l’écriture ne renvoie qu’à la théorie, au pensum, à l’obligation ?

 

Dominique Friard

Notes :

  1. CADOUX (B), Ecritures de la psychose, Aubier, Psychanalyse, Paris, 1999.

  2. RODANSKI (S),Horizon perdu, Chambéry, Comp’Act, 1986.

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