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Cicourel A.V, Le raisonnement médical

Le raisonnement médical

Une approche socio-cognitive

Aaron V. Cicourel

Cicourel

Le raisonnement médical est analysé sous l’angle de la sociologie cognitive et de la connaissance médicale elle-même. Ce recueil regroupe un ensemble d’études menées par observation participante dans différents services médicaux aux Etats-Unis. Elles portent sur le raisonnement diagnostic et la décision thérapeutique.

« Les limitations de la mémoire et du langage des patients et l’abstraction des descriptions médicales sont des aspects incontournables des échanges médecin-patient. D’une part les connaissances ou les croyances fondamentales du patient peuvent quasiment l’empêcher de répondre aux questions qui lui sont posées ; d’autre part, les connaissances, les médecins insuffisamment attentifs aux soubassements socioculturels, sexuels et cognitivo-linguistiques de la communication interindividuelle ne comprennent pas toujours en quoi les schémas de pensée culturels et populaires et les appréhensions de leurs patients peuvent façonner le rapport à la maladie de ces derniers, tout autant que leur compréhension des informations relatives à leur état de santé ou à leur traitement. » (p.33)

Aaron Cicourel est un sociologue américain, né en 1928, élève de A. Schütz (philosophe des sciences sociales et sociologue, fondateur de l’idée d’une sociologie phénoménologique) et H Garfinkel (sociologue américain, fondateur de l’ethnométhodologie). Après avoir contribué au développement de l’ethnométhodologie, Cicourel se tourne ensuite vers la sociologie cognitive.

Son principal terrain d’enquête est formé par les interactions entre médecins et patients, et en particulier l’usage en contexte des catégories professionnelles et ordinaires servant à nommer les troubles et les symptômes. Ses travaux intéressent donc particulièrement ceux d’entre nous qui se préoccupent d’éducation thérapeutique du patient et d’annonce de la pathologie. Les questions liées à la stigmatisation liée à la pathologie peuvent être également éclairées par ses travaux.

Avant d’aller plus loin, quelques mots (trop brefs) sur les deux courants cités : ethnométhodologie et sociologie cognitive, les sciences humaines étant peu ou pas enseignées à l’IFSI et dans la formation I.P.A.

L’ethnométhodologie est une approche sociologique qui étudie les stratégies utilisées par les individus pour comprendre et produire l’ordre social dans lequel ils vivent. Ses premières recherches ont permis de développer l’analyse des catégorisations et l’analyse conversationnelle qui ont constitué des innovations méthodologiques importantes pour interroger les rapports entre le discours et l’activité dans le cadre des interactions sociales.  L’ethnométhodologie ne vise pas à observer, de l’extérieur, des phénomènes dont elle offrirait une lecture à partir de concepts discutés au sein de la discipline mais s’intéresse, de l’intérieur, à la manière dont se fabriquent les principales caractéristiques observables d’un phénomène. L’observateur doit, ainsi, être membre de la communauté, du village étudié. Cette position lui permet d’étudier un processus dont il fait partie, il a ainsi une compréhension plus intime de ce qui se passe. Il ne s’agit pas de minimiser les perturbations dues à la présence du chercheur mais de l’intégrer quitte à donner au lecteur des éléments pour qu’il puisse les prendre en compte dans sa lecture. L’ethnométhodologie répond à trois critères de scientificité :

- Observation du réel (le chercheur observe la réalité d’un terrain) ;

- Limite de l’objet (le chercheur connait l’ensemble de son terrain de façon pratique, parce qu’il en est membre il a toute légitimité à en poser les limites) ;

- Accumulation du savoir (la description du sens en train de se faire au sin d’un groupe depuis la position de membre/chercheur permet d produire un savoir rigoureux parce que positionné dans l temps et l’espace. Il ne peut ainsi perdre de sa validité). Des travaux infirmiers s'inspirent de l'ethométhodologie et/ou me semblent en relever : ceux de Catherine Mercadier ("Le travail émotionnel des soignants à l'hôpital", Editions Seli Arslan, 2002) et ceux de Jean-Paul Lanquetin et de Sophie Tchurkiel sur les aspects informels du soin en psychiatrie (Lanquetin J-P, Tchurkiel S., "L'impact de l'informel dans le travail infirmier en psychiatrie". 

La sociologie cognitive est l’étude des comportements humains (notamment de l’apprentissage et des manières de connaître) à travers l’interaction et les interconnexions entre individus. Discipline de la sociologie dont le développement est favorisé par l’essor des sciences cognitives, elle est initiée par A. Cicourel qui introduit le terme en 1974 mais en l’utilisant dans un sens très différent (il focalise sur l’étude du langage et de sa signification).

« Les entretiens médicaux montrent que l’étude des discours est régie par des conditions bien réelles, quoique pas toujours remarquées par les chercheurs -de là leur valeur pour la linguistique appliquée. Par exemple, les patients ne parviennent pas toujours à se remémorer des détails précis ou des séquences exactes d’évènements : les descriptions qu’ils fournissent peuvent induire l’interviewer en erreur, comme il peut arriver aussi que le médecin qui interrompt fréquemment le patient en cherchant à cerner un sujet donné, reçoive des informations incongrues ou sans rapport avec le sujet concerné, alors qu’il doit s’efforcer en même temps de se rappeler si chaque réponse est adéquate et si telle séquence d’évènements est claire. » (p.64)

Aaron Cicourel, qui incarne pour Pierre Bourdieu la face « la plus exigeante, la plus ascétique, la plus rigoureuse, la plus aride parfois, de la sociologie »[1] investit dès le début des années soixante-dix les milieux hospitaliers universitaires. Il travaille au sein de divers services de médecine interne, d’oncologie, de maladies infectieuses, de rhumatologie, de pédiatrie. Il n’hésite pas à porter la blouse blanche, à jouer le jeu de l’observation participante aussi loin que la déontologie le permet. Il est professeur à la fois au département de sociologie et à la faculté de médecine, où il donne des cours de conduite des entretiens médicaux et siège dans diverses commissions pédagogiques et administratives. Travaillant sur le terrain à la façon d’un anthropologue, Cicourel se fait ainsi accepter dans le milieu médical. Il observe, il prend des notes, enregistre. Au centre de sa réflexion, l’immense difficulté des médecins comme des patients à communiquer. Il recueille ainsi à la fois l’histoire de la maladie telle que le patient la raconte au médecin, et telle que le médecin la recadre par ses questions et ses notes. Il reconstitue ainsi le raisonnement médical qui aboutit à un diagnostic, à une prescription, sinon à une intervention, décisions lourdes de conséquences, souvent mal expliquées et mal comprises. Pour éclairer un phénomène tel que la non-observance du traitement, le travail qu’il a réalisé nous intéresse donc au premier-chef. Nous le suivrons pas à pas, en reprenant ses mots mêmes.

Une communication contrariée

Le contexte local au sein duquel un discours est tenu reproduit, à un niveau microcosmique, les contraintes et les ressources organisationnelles et institutionnelles plus vastes qui reflètent les différences de statut et de pouvoir inhérentes à une société donnée ; et les échanges verbaux médecin-patient propres aux sociétés occidentales sont des formes de discours implacablement institutionnalisées. Autrement dit, le discours tenu par un médecin à un patient est le fruit du fonctionnement institutionnel global.
«  Les langages adoptés d’un côté comme de l’autre sont révélateurs non seulement des différences de statut qui caractérisent telle ou telle stratification sociale, mais également des codes (ou registre linguistique) qui différencient les connaissances de base des participants, les croyances liées à la maladie et à ses causes et les tentatives de contrôle et de direction des discours tenus par les membres du cops médical aussi bien que par ceux et celles dont ils ont la charge..  ” (1)

Selon les médecins, trop de patients mettent leur santé en péril en interrompant arbitrairement un traitement particulier, en manquant des rendez-vous essentiels, en ignorant des conseils médicaux importants ou en dissimulant les éléments les plus gênants de leur maladie. Les impressions et les inférences relatives à la sensibilité du médecin, à ses explications ou à leur absence peuvent susciter des interrogations qui, en faisant douter de la compétence du praticien concerné, affaiblissent la confiance indispensable au suivi des recommandations thérapeutiques. Les patients peuvent penser que leur docteur n’est pas réceptif à leur point de vue ou estiment qu’il leur fournit des informations insuffisantes sur la nature de leur maladie et son pronostic thérapeutique. Quant aux médecins, ils ont parfois l’impression que leurs patients ont honte de parler de ce qui les préoccupe, refusent d’expliciter leurs problèmes ou tiennent trop peu compte des explications qu’ils leur fournissent ; enfin, il peut arriver que la peur d’être atteint d’une maladie mortelle dissuade de faire état de symptômes qui permettraient de poser un diagnostic précis et de prescrire un traitement approprié. La non-observance du traitement serait ainsi le produit de l’interaction médecin/patient, la conséquence d’une mauvaise communication.

Les différences sociales, sexuelles ou ethniques peuvent engendrer des problèmes de confiance tant chez le patient que chez le médecin, que ceux-ci se manifestant par une tendance à dissimuler des informations ou par un refus global de poser des questions et de fournir des réponses  ; de fait, les descriptions de douleurs ou de symptômes peuvent renvoyer à des différences sexuelles ou ethniques que tous les médecins ne savent pas reconnaître  d’un groupe social ou ethnique à l’autre, un même problème sera tantôt minimisé, tantôt exagéré, tantôt généralisé. Ainsi, par exemple, au Maghreb l’homme a-t-il tendance à minimiser tous ses problèmes de santé (c’est l’âme qui supplante le corps) alors que la femme tend à tous les exagérer.

De l’importance des statuts


Les échanges langagiers médecin-patient, poursuit Cicourel, peuvent révéler des différences de statut et de pouvoir qui se manifestent par des regards et des intonations de voix aussi bien que par la façon dont le médecin pose les questions ou ignore celles posés par les patients. Les patients semblent souvent vulnérables. Les examens physiques leur sont pénibles. Ils supportent mal de rester partiellement ou totalement dévêtus pendant les allées et venues des différents professionnels.

Le langage employé par les médecins ne dépend pas seulement de la formation suivie et du désir d’être précis et concis il affirme également une image et un statut professionnel par rapport aux patients ou aux personnes qui travaillent dans le même cabinet ou le même hôpital. La spécialisation choisie et le niveau de revenus souhaité par le médecin peuvent influer sur les conditions organisationnelles de travail telles que le nombre des visites prévues chaque jour ou les coûts de fonctionnement des divers types de cabinets. Les conditions financières et quotidiennes de travail peuvent faire varier les degrés d’attention qui sont accordés aux patients pendant les entretiens, les examens et les tests.

Le lieu de l’exercice médical impose des contraintes spécifiques au médecin, tant en ce qui concerne le traitement des informations que pour ce qui est des réactions exprimées. L’entretien médical peut aborder différents thèmes, dont certains ont parfois une charge affective importante le médecin doit donc être attentif à un contexte social qui est susceptible de changer d’un instant à l’autre, selon la façon dont il dirige l’entretien et les différents thèmes abordés par lui-même ou par les patients.

Que les propos médicaux soient francs et directs ou ambigus et indirects et qu’ils procèdent ou non d’un choix délibéré, le médecin n’a pas forcément conscience de l’impact de ses paroles sur le patient. Lorsque des choix lexicaux ou syntaxiques visent à dissimuler la gravité d’une situation, les informations fournies par le patient ne permettent pas toujours de vérifier si le médecin a atteint son but ou non. Même quand l’importance du langage employé lors des entretiens médicaux et des auscultations est évaluée à sa juste mesure par le médecin, les remarques et les commentaires des patients montrent qu’ils ne comprennent pas toujours ce qui leur a été dit dans certains cas, les deux parties en présence ne se comprennent pas du tout pendant la plus grande partie sinon la totalité de l’entretien.

Des croyances des patients en matière de maladie

Les limitations de la mémoire et du langage des patients et l’abstraction des descriptions médicales sont des aspects incontournables des échanges médecin-patient. D’une part les croyances fondamentales du patient peuvent quasiment l’empêcher de répondre aux questions qui lui sont posées  ; d’autre part, les médecins insuffisamment attentifs aux soubassements socioculturels, sexuels et cognitivo-linguistiques de la communication interindividuelle ne comprennent pas toujours en quoi les schémas de pensée culturels et populaires et les appréhensions de leurs patients peuvent façonner le rapport à la maladie de ces derniers, tout autant que leur compréhension des informations techniques relatives à leur état de santé ou à leur traitement.
Les entretiens médicaux et les reconstitutions d’histoire clinique sont pour Cicourel de la linguistique appliquée. Il s’agit d’une situation semi-contrôlée qui donne lieu à des textes abstraits résumant l’interprétation de complexes expériences antérieures. « Des processus cognitifs et linguistiques s’inscrivent dans le contexte local d’une interaction sociale organisée de telle sorte qu’un lieu devienne une source d’information permettant de construire un dialogue et l’histoire médicale qui s’ensuit. Les activités discursives et rédactionnelles sont contraintes par certains rituels juridiques et médicaux que l’on associe aux prestations de soins et aux interactions prenant place en milieu bureaucratique. Les entretiens médecin-patient et les anamnèses qu’ils occasionnent s’apparentent de ce fait même à des microcosmes de structures sociétales plus vastes, relatives au contrôle des informations et à la stratification sociale. »
[2] Comme tout couple auditeur-locuteur, le médecin et le patient doivent parvenir à créer et à construire de la cohérence au moyen et à partir des propos d’autrui. La pratique du langage devient ainsi un moyen essentiel d’identification de fragments de discours ou de textes qui contiennent des références uniformes, en entendant par-là la façon dont un référent exprimé dans telle ou telle partie d’un long dialogue puis temporairement laissé de côté est finalement réintégré. L’histoire clinique d’un patient permet d’examiner un texte qui s’enracine dans une interaction sociale antérieure  elle jette par conséquent une lumière rare sur les connaissances et les processus de raisonnement de ceux qui ont contribué à façonner le contenu et la forme du texte, tout en laissant entrevoir également comment les croyances sont liées à des pratiques langagières, des émotions, des sentiments et des raisonnements qui font partie intégrante d’environnements socioculturels complexes.

Les systèmes de croyance sont décrits par Cicourel comme des ensembles de schémas (ou modules de connaissance) qui n’interagissent pas toujours entre eux pour former des abstractions ou des prévisions de plus haut niveau clairement intégrés et hiérarchiquement structurées. Les gens utilisent ces modèles mentaux pour comprendre leurs expériences quotidiennes et les informations factuelles complexes qu’ils doivent traiter chaque fois qu’ils sont confrontés à des modes de communication aux contenus hautement formalisés.

L’analyse du discours d’une patiente, croisée avec les entretiens médicaux, lui permet de mettre en évidence que les croyances relatives à la maladie laissent observer des formes particulières de discours et de pensées réflexives ou semi-conscientes qui renvoient autant à ses expériences personnelles qu’à ses perceptions de telle ou telle information factuelle. Même si la patiente interrogée avait appris que les tests de laboratoire pratiqués avaient confirmé la nécessité d’une opération consistant en l’extraction d’un utérus cancéreux, elle avait continué à se dire convaincue que sa maladie avait quelque chose à voir avec les visites qu’elle avait rendues deux ans plus tôt à son époux atteint d’un cancer du pancréas en phase terminale. Cette conviction pouvait être associée de surcroît aux informations colportées par les médias, à la façon dont son médecin avait discuté de da maladie avec elle et aux modalités administratives pour le moins impersonnelles de la transmission des résultats de l’étude des frottis effectuée dans l’hôpital où elle avait été admise.

Quoique ne souhaitant pas s’immiscer dans les croyances de cette femme, son médecin avait néanmoins tenté à plusieurs reprises de la rassurer sur la nature de l’opération à venir et lui avait bel et bien expliqué en quoi sa maladie consistait. La croyance de cette femme qu’elle n’avait pas le cancer et avait donc été opérée à tort semblerait avoir coexisté dans son esprit (ou partiellement interagi) avec l’idée qu’elle et ses enfants avait pu contacter le cancer en étant contaminés par son époux « contagieux » emporté lui-même par un cancer du pancréas neuf mois avant que son gynécologue l’eût examinée pour la première fois. Les soupçons qu’elle avait conçus quant à la réalité de son cancer contrastaient à la fois avec sa vision générale de cette maladie et avec sa conviction que «  ..le cancer est peut-être contagieux sans que personne ne nous en avertisse  ; mon fils chéri embrassait toujours son papa sur le front et, euh, ma fille faisait pareil depuis trois semaines, vous savez, ils suent vraiment à grosses gouttes, et je me demande si des germes ne peuvent pas être transmis par la sueur ... » Elle semblait craindre autrement dit que toute sa famille ait été contaminée. Non seulement, elle suggéra que les troubles urologiques de son fils étaient peut-être liés au cancer de son époux, mais elle énonça également que sa fille avait un problème, décrit comme une « boule » dans la nuque à un autre moment de l’entretien. Sa croyance au caractère contagieux du cancer procédait par conséquent de la combinaison de plusieurs pathologies familiales qui conféraient une cohérence spécifique à son récit.

Ainsi ces croyances ne donnent à voir aucune intégration perceptibles pas plus qu’elles ne paraissent être régies par un système de contrôle directif, capable d’intégrer continûment tel ou tel apport d’information à des schémas déjà existants, de façon à hiérarchiser des champs de savoir précisément définis. L’intégration des informations et la résolution des conflits semblent plutôt s’intégrer à l’intérieur de structures ou de schémas de croyances parallèles qui se maintiennent en dépit de nombreuses tentatives de clarification de la part du médecin.

Abstraction par recodage ou abstraction étayée sur un contenu 

Il existe ainsi un contraste saisissant entre les croyances de la patiente sur la maladie et ses causes, et les discussions formelles offertes par le médecin. Les conceptions culturelles fondant le système de croyances de la patiente ont donc interagi avec (tout en les intégrant) les connaissances factuelles du médecin.
Pour clarifier le contraste entre les connaissances des patients et celle des médecins, Cicourel propose d’élargir les notions « d’abstraction par recodage » et « d’abstraction étayée sur un contenu ». La notion d’abstraction par recodage peut être étendue à toutes les situations où le problème juridique, médical, fiscal, d’assurances, etc., d’un individu est recodé en un système symbolique ou bureaucratique.

Tout patient est exposé à des modèles mentaux fondés sur des processus d’abstraction qui mettent l’accent sur un certain répertoire de patterns ou de configurations applicables à une large gamme de situations. Les médecins recodent les actes de parole du patient en un système symbolique différent, qui privilégie le langage abstrait ou formel tout en utilisant des mémoires externes telles que les dictionnaires de termes médicaux, les manuels de médecine, les examens de laboratoire et les radiographies. Quand ces deux modes de savoir apparaissent dans la vie quotidienne, ils interagissent, et l’un tend à être favorisé aux dépens de l’autre, en fonction de leur mise en œuvre par des individus assurant divers rôles sociaux au sein de tel ou tel milieu organisationnel ou institutionnel.
Les patients ont ainsi toujours du mal à suivre les explications du médecin et les recodages symboliques dont elles s’accompagnent, que ceux-ci restent tacites ou soient spécifiquement explicités. Si cultivés soient-ils, leur savoir ou leur rationalité ne sauraient rivaliser avec le langage médical et le système mnésique externe sur lequel tout médecin s’appuie (système de surcroît constamment réactualisé par les praticiens qui se tiennent au courant des derniers progrès médicaux).

Chaque fois que nous devons nous confronter à des procédures bureaucratiques, nous devons faire face à des individus qui sont passés maîtres dans l’art de recoder l’information dans différents systèmes symboliques. Nos contacts avec les médecins, les avocats, les dentistes, les comptables et d’autres cadres ou techniciens impliquent le plus souvent des interactions caractérisées par une inégalité de pouvoir. Dans ces contextes, nous devons couramment faire appel à des formes de raisonnement et d’émotions qui interagissent ou s’interpénètrent, en complète opposition avec les opérations de recodage que les personnes et les procédures bureaucratiques nous forcent à affronter.
La notion de non-observance a partie liée avec cette opération de recodage décrite par Cicourel. L’infirmier serait appelé à déplier l’information médicale afin de la clarifier, de l’expliquer au patient. Il ne peut le faire qu’en partant des croyances en matière de santé et de maladie propre à chaque patient.

Dominique Friard


[1] BOURDIEU (P), WINKIN (Y), Préface, in CICOUREL (A.V), Le raisonnement médicalune approche socio-cognitive, Seuil, Collection Liber, Paris 2002.

[2] CICOUREL (A.V), Le raisonnement médicalune approche socio-cognitive, Seuil, Collection Liber, Paris 2002.

Date de dernière mise à jour : 29/07/2023

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