CNMP, Pour la reconnaissance des soins infirmiers en psychiatrie

Pour la reconnaissance des soins infirmiers en psychiatrie

Collectif National de Mobilisation en Psychiatrie (CNMP)

Un ouvrage devenu historique qui fait le point sur la lutte des infirmiers en psychiatrie pour la reconnaissance de leur diplôme, J-L Gérard en fut le principal rédacteur … POur penser les luttes à venir ...

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« Une étrange malédiction fait que hors du cadre du CMP, l’individu ISP frappé d’amnésie devienne brusquement incompétent. Par contre (et à condition d’en justifier localement le vœu), trois mois de stage dans différents services d’un centre hospitalier (méd., chir.,urg.) lui octroieraient magiquement un droit d’exercice plein et entier, restaurant sa mémoire permanente et lui accordant le DE d’infirmier ! »

Les auteurs

A la suite de la réforme de 1992, fusionnant la formation des infirmiers et infirmières en soins généraux et en soins psychiatriques, des mesures « transitoires » ont accrédité l’idée que les infirmiers diplômés en psychiatrie étaient des sous-infirmiers au service de « sous-malades ». Cette idiotie a entraîné la création du Collectif National de Mobilisation en Psychiatrie. Ce collectif qui va regrouper la majorité des ISP se constitue en réseau national qui part du constat que seule la mobilisation unie et massive de toute la profession permettra de reconnaître les infirmiers psychiatriques comme des soignants à part entière, ce qui leur était contesté au  plan national et européens. Tous ces infirmiers sont les auteurs de l’ouvrage. Jean-Louis Gérard, ISP, cadre de santé, formateur à l’IFCS de Ste Anne à Paris s’est chargé de colliger les textes.

« Dans ces conditions, les infirmiers psychiatriques convertis ne pourront ni porter le titre professionnel d’infirmier ni se prévaloir d’un diplôme d’état d’infirmier tel énuméré aux articles 1 et 3 de la directive 77/452/CEE afin de faire reconnaître leurs diplômes et de circuler librement dans les autres Etats membres de la Communauté comme infirmier en soins généraux. »

L’ouvrage

Il propose la chronique d’une mobilisation nationale qui dura de 1992 à 1996 (mais en réalité dure encore, nous ne désarmerons jamais). Les documents réunis dans cet ouvrage témoignent des obstacles rencontrés au cours de quatre années de luttes et d’âpres négociations. Les ISP ne furent pas tout à fait seuls, des psychiatres, patients, psychologues leur apportèrent leur soutien même si les psychiatres auraient dû être plus nombreux à se mobiliser. Ils portent une part de responsabilité dans ce gigantesque gâchis et se mordent aujourd’hui les doigts de ne pas avoir été davantage pugnaces. Rétrospectivement, il est permis de se dire que la suppression du diplôme d’ISP fut le premier pas menant à la situation actuelle de paupérisation de la psychiatrie et de destruction du secteur psychiatrique.

Les ISP ne furent pas les seuls professionnels de santé à voir leurs études supprimées et leur diplôme rendu caduque. Les études de médecine furent ainsi supprimées par la révolution française de 1793 à 1803, malgré une situation de catastrophe sanitaire. Les officiers de santé créés pour les remplacer, dont l’exercice excluait les hôpitaux et la chirurgie, avaient un exercice limité au département où leur titre avait été validé. Ils existèrent de 1793 à 1892, au moment où les premières formations infirmières étaient mises en place. Cet épisode marqua durablement les médecins et leurs relations avec les autres professions du soin. Plus jamais ils n’accepteraient que des professionnels ne leur prennent leur laine sur le dos. Des auxiliaires médicaux aux attributs limités oui des alter egos autonomes non.

Les infirmiers psychiatriques sont néanmoins les seuls professionnels à avoir vu leurs études et leur diplôme éradiqué deux fois : en 1938 et en 1992.

Cette histoire intéresse chaque professionnel de santé. Elle montre que lorsque l’état, par idéologie ou par mesure d’économie, décide de se passer d’une profession, il le fait quelle que soit l’organisation de cette profession, son nombre, son pouvoir, ses appuis. Les IPA ont de quoi être légitimement inquiets tout comme les aides-soignants et les infirmières : le jour où des robots seront suffisamment sophistiqués pour remplir leurs tâches, ils cesseront d’exister.

Tout commence en 1977. La France rate le tournant de la mise en conformité de la formation ISP avec les directives européennes de 1977. En 1973, une première réforme avait modifié le dispositif de formation des ISP défini en 1955. Une deuxième réforme en 1979 modifia concomitamment les formations en soins somatiques et en psychiatrie. La formation IDE fut mise en conformité avec les exigences de la directive européenne de 1977, la formation des ISP bénéficia d’une demi-réforme (1ère année commune). On aurait pu, écrit Alain Vasseur, ISP, ex-secrétaire national de la CFDT de 1993 à 1999, on aurait pu « dès cette époque, instaurer une formation unique pour les deux exercices (notons au passage que cela aurait permis à tous les ISP d’obtenir de droit le D.E). Si l’on se contenta d’une demi-réforme, ce fut en raison de la réticence de certains syndicats de psychiatres, pourtant eux-mêmes spécialistes, à abandonner le modèle de formation de leurs infirmiers. »[1] Cette occasion ratée va avoir de nombreuses conséquences. Les psychiatres n’auront plus que des infirmiers polyvalents dans leurs services, plus ou moins bien formés à la psychiatrie selon le nombre d’anciens infirmiers psy exerçant à l’IFSI et leur pugnacité à défendre la clinique infirmière en psychiatrie. Les isolements et contentions vont progressivement augmenter jusqu’à l’explosion actuelle.

En 1991, le Ministre de la Santé annonce la mise en place d’un nouveau diplôme unique et polyvalent d’Etat, fusionnant les deux formations soins généraux et psychiatrie, passant de 33 mois à 36 mois, avec application en septembre 1992. Une commission se met en place sous l’égide de M. Piquet, inspecteur à l’IGAS, se met au travail pour la rédaction du programme.

Pour tenter d’établir une réelle concertation, le Collectif de Sotteville (premier collectif créé) invite Mme Bressan, Infirmière Générale, conseillère technique auprès du ministre, dans le but de lui faire comprendre ce qu’est le soin en psychiatrie, l’organisation de la psychiatrie de secteur, la réalité de ses professionnels. Le résultat sera négatif.

« Manifestement, Mme Bressan et le ministère ont déjà pris leur décision. Pourtant la profession est de plus en plus inquiète sur la compétence des décideurs en matière de formation nécessaire pour travailler en psychiatrie. Et trente ans après rien n’a changé. L’exemple en est donné par Mme Bressan elle-même qui, après avoir participé à un repas thérapeutique avec des enfants dans un hôpital de jour, lance sans sourciller : « J’ai bien vu le repas, mais où est le thérapeutique ? » Quant à l’avenir des ISP, il paraît tout réglé car, comme le dira encore Mme Bressan : « Il n’est pas question de donner le DE aux ISP. Il leur faudra passer par trois mois de stage d’évaluation et une validation/ D’autre part, tous ne pourront pas les effectuer ; d’ailleurs à quoi cela servirait-il ? » (seulement 10 % de la profession était prévue). »

Dès le début, les dés étaient pipés.

La lutte du CNMP permit à la profession de se battre, de faire un baroud d’honneur. Plus de 20 %  des ISP (10 000) se retrouvèrent dans la rue à manifester. Ce ne fut pas en pure perte. S’est aussi constitué là, une fierté, au sens anglo-saxons du terme qui allait irriguer les pratiques, initier une littérature.

L’ouvrage raconte les étapes de cette lutte.  

Du côté de la pratique

L’histoire de cette lutte modèle, même si elle fut perdue, peut servir de repère aux collègues de soins somatiques et aux IPA. Quand leur tour viendra, ils pourront s’appuyer sur cette lutte. Ils verront comment leurs collègues ont analysé les textes, renvoyant les décideurs à leur langue de bois. Ils verront que toute lutte repose sur la  création de collectifs de combat.

Ils apprendront également que l’on ne peut pas faire confiance aux grenouilles de ministère, que derrière les politiques prospèrent des administratifs qui font la réalité des politiques de santé, indépendamment des idées politiques des ministres. Ils accélèrent ou freinent selon leur intérêt bien compris. Ce sont les mêmes qui ont créé la démarche Qualité, fermé les lits, noyé les soignants sous les protocoles.

Apports de cette lecture aux soignants

Résumons-le en une phrase : le soin est politique. Un soignant qui se désintéresse de la politique n’est qu’une moitié d’infirmier.

Dominique Friard


[1] VASSEUR (A), La longue marche, in Santé Mentale, n° 48, mai 2000, pp. 48-50.

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