De Clercq Michel, Lebigot François, Les traumatismes psychiques

Les traumatismes psychiques

Michel De Clercq, François Lebigot

De clercq

Un ouvrage classique qui permet de comprendre ce qui est en jeu dans ce que l'on nomme le traumatisme psychique. 

« Il est rare que le sujet parvienne tout seul, ou dans des dialogues superficiels avec ses proches, à dépasser le stade de l’abréaction pour accéder à celui de la catharsis. Il lui faut un interlocuteur compétent, qui l’incite à verbaliser « authentiquement » et « sincèrement » son expérience, au-delà du simple récit narratif, pour prendre conscience de sa signification personnelle.  L. Croq »

Les auteurs

Michel De Clercq (1955-2000) était psychiatre, diplômé de thérapie familiale. Responsable de l’Unité de Crise aux Cliniques universitaires de St-Luc en Belgique, il a rédigé un ouvrage réputé sur leconcept de crise. Agrégé de l’enseignement supérieur en 1995, il est nommé chargé de cours en 1996 et dirige l’Unité de Psychopathologie Adultes en 1997. Il décède accidentellement en 2000.

François Lebigot, né en 1943, est un médecin militaire et psychiatre français, spécialiste du traumatisme psychique. Il est professeur agrégé du Val de Grâce, ancien chef de service de l’hôpital d’instruction des armées Percy de Clamart. Il est également président de l’Association de langue française pour l’étude du stress et du trauma (ALFEST) qui publie la Revue francophone du stress et du trauma dont il est rédacteur-en-chef. Il a également travaillé dans les CUMP (Cellule d’Urgence Médico-psychologique)  dès leur création en 1986.

« La première grande étude réalisée aux Etats-Unis est l’étude  ECA (Epidemiologic Catchment Area) de Saint-Louis (Helzer, 1987) qui examine une population de 2493 personnes répartie sur tout le territoire américain. Elle trouve une prévalence d’ESPT sur la  vie entière de 0,5 % chez les hommes et de 1,3 % chez les femmes, mettant également en évidence que 15 % des hommes et 16 % des femmes présentent certains symptômes psychiques spécifiques après une expérience traumatique. »

L’ouvrage

Le vécu des populations en temps de Covid est souvent pensé en termes de  traumatisme psychique. Une pandémie pourrait en cacher une autre. Nous serions ainsi face à une épidémie, à venir, de traumatismes psychiques. Nous ne prendrons pas parti pour ou contre cette projection mais nous bornerons à présenter un ouvrage classique du domaine afin que chaque soignant ait des éléments de réflexion et quelques idées pour accueillir ceux qui en souffrent.

Le traumatisme psychique est un phénomène qui se déroule au sein du psychisme, sous l’impact d’un événement potentiellement traumatisant. Vécu dans la frayeur, l’horreur et le sentiment d’impuissance en conjoncture d’absence de secours, il ne se réduit pas seulement à sa composante énergétique d’effraction des défenses psychiques, mais il implique aussi une expérience de confrontation soudaine avec le réel de la mort (la nôtre ou celle d’autrui), sans la médiation du système signifiant qui dans la vie courante préserve le sujet de ce contact brut.

Les événements qui ont endeuillé les Toulousains (AZF), les Niçois (14 juillet 2017) et les nombreux attentats terroristes qui ont défrayé la chronique récente appartiennent à ce genre d’événements tout comme les agressions physiques graves.

La notion de stress parfois utilisée pour décrire ce phénomène renvoie à ce qui se passe dans l’organisme lorsque le sujet est soumis à une agression ou une menace. On le rencontre lors d’agressivité verbale, de menaces de violence.

On distingue trois phases dans la pathologie psychotraumatique :

  • La phase immédiate, ou “ réaction émotionnelle immédiate ” (qui dure de quelques heures à une journée).

Sur un plan sémiologique, il peut se manifester sous la forme d’un stress adapté, accompagné de symptômes parfois gênants tels pâleur, sueur, tachycardie, spasmes viscéraux, tension anxieuse, etc.

Il peut s’agir aussi d’un stress dépassé dans ses formes de sidération, d’agitation, de fuite panique et d’action automatique. Ce stress dépassé débouche le plus souvent sur un syndrome psychotraumatique durable.

  • La deuxième phase, dite post-immédiate, est une phase d’évolution et de surveillance : ou bien on voit le stress s’éteindre (“ queue de stress ”), parfois non sans décharges émotionnelles différées, psychiques ou neurovégétatives, ou bien on voit émerger des signes d’installation d’une névrose traumatique durable, dans sa phase de latence ou de “ méditation ” qui quoi qu’on en dise n’est pas silencieuse : euphorie exagérée du sujet heureux d’en avoir été “ quitte pour la peur ” mais fasciné par ce qu’il vient de vivre ou attitude de retrait dans la perplexité anxieuse et déjà dépressive, premières reviviscences, et premières ruminations mentales.

  • La troisième phase, celle des séquelles différées, voire chronicisées ne renvoie plus au stress. Elle va des pathologies psychotraumatiques provisoires (qui s’éteignent au bout de quelques mois), aux syndromes durables correspondant à l’état de stress post-traumatique aux névroses traumatiques (avec altération de la personnalité) et à des cas proches de la psychose.

La période post-immédiate des premiers jours aux premières semaines est essentielle : ou bien elle voit l’extinction progressive des angoisses et des réactions de stress ou bien elle correspond à la période de latence d’une névrose traumatique avec déjà sa perplexité, son retrait social, ses prémices stressants, ses premiers cauchemars.

Les victimes de traumatisme psychique sont :

  • les blessés physiques,

  • les impliqués (survivants indemnes)

  • les intervenants

Comprendre

Un sujet impliqué dans un événement exceptionnellement grave est confronté à la question de la mort. Cette confrontation se fait selon deux modes qui dans la clinique n’auront pas les mêmes conséquences.

  • Le premier est celui de la menace vitale, qui va déterminer des réactions de stress ;

  • Le second est plus complexe : le sujet fait une rencontre avec le réel de la mort. Cette rencontre s’accompagne d’effroi et non d’angoisse, mais elle peut aussi dans l’après-coup susciter elle aussi des réactions de stress. Ce n’est que plus tard que l’apparition d’un syndrome de répétition viendra témoigner de ce qu’il y a eu traumatisme, ce bref moment d’effroi parfois oublié.

Le traumatisme psychique

Dans le stress, le sujet fait face à la menace, mobilise ses ressources défensives (dans cette perspective l’angoisse en fait partie) et parvient à maintenir à l’extérieur de son appareil psychique toute image réelle, comme il le fait habituellement.

Dans le trauma, une image du réel de la mort fait effraction dans le psychisme et s’y incruste, comme un “ corps étranger ”.

Dans la vie courante, les stimulations du monde environnant nous arrivent via nos organes des sens et sont prises en charge, organisées par nos représentations déjà là dans notre inconscient. Nous ne percevrons pas des données brutes en provenance de l’extérieur mais des images pacifiées, organisées, sélectionnées, agencées pour créer du sens, voire faire surgir des significations. Cette rencontre avec la mort, avec le réel de la mort ne se fait pas. L’image traumatique pénètre telle quelle en nous et ne trouve dans l’inconscient aucune représentation pour l’accueillir, l’organiser, la lier, la transformer. Elle n’a pas de place en nous. La mort n’est pas représentée par le sujet. Nous savons tous que nous allons mourir mais nous n’y croyons pas. Nous vivons comme si nous étions immortels. Tout le monde sait ce qu’est un cadavre mais personne ne sait ce qu’est la mort. Incrustée dans le psychisme, l’image du réel de la mort n’aura donc aucun lien avec les représentations, elle ne se comportera pas comme un souvenir, elle restera intacte, au détail près, et lorsqu’elle surgira à la conscience (dans le cauchemar ou le vie éveillée) ce sera toujours au temps présent, comme un événement en train de se produire. Il se passe/s’est passé quelque chose que nous ne savons pas traiter et qui nous envahit.

Ce qui se passe/s’est passé, qui nous envahit nous renvoie à notre condition d’être mortel, ce que nous ne pouvons accepter, ni même nous représenter.

Le franchissement vers l’originaire

L’image traumatique est donc étrangère aux représentations de l’inconscient, mais elle a des affinités avec une zone secrète, cachée, interdite de l’appareil psychique : l’originaire.

Elle rejoint la zone originaire des perceptions sans mots où ont été refoulés, oubliés, lors de l’acquisition du langage, les premiers éprouvés, ressentis du nourrisson, voire du fœtus. Lieu interdit mais aussi fascinant. A la fois “ objet perdu, paradis perdu et expérience du néant. Lieu de fusion avec la mère, d’indifférenciation où aucun “ je ” n’existe. A la fois fascination et répulsion extrême. Temps où l’on est totalement dépendant d’un environnement sur lequel nous ne pesons pas.

Ce n’est pas l’angoisse qui surgit alors mais l’effroi.

Ce moment correspond au moment de la déflagration, au moment où l’univers s’écroule, où les murs tombent, où les vitres explosent et à nos premières réactions. Les sujets lorsqu’ils se souviennent de ce très bref instant du trauma, parlent de “ blanc ”, de “ panne ”, “ d’absolu silence ”, de “ vide ”, etc.

L’angoisse, elle surgit après, passé le moment de l’effroi. Soit que l’image incrustée constitue une menace, mais une menace interne cette fois-ci (de néantisation), soit que la menace externe s’impose à nouveau dans l’après-coup du traumatisme ou parce que la situation continue à évoluer, soit le plus souvent ces différentes possibilités se conjuguent et se renforcent mutuellement.

Les effets du trauma

Nous aurons donc deux types de troubles immédiats :

  • ceux qui résultent de l’effet de sidération que provoquent cette confrontation à l’horreur de la néantisation, et la pression, qui peut être très vive de l’angoisse ;

  • ceux qui s’installent durablement dans le fonctionnement de l’appareil psychique.

Les répercussions psychiatriques

Dans les situations où le sujet mobilise toutes ses ressources pour faire face à la menace externe : secouriste, soignant, enseignant qui s’affaire auprès des blessés avant l’arrivée des secours le moment de l’effroi passe alors inaperçu ou est vite oublié de celui qui verra plus tard, avec surprise apparaître les premiers symptômes de la répétition. Parfois même il ressent un bref soulagement, ou une discrète euphorie de quelques heures ou quelques jours, parce qu’il en est sorti indemne.

On constate dans ces cas-là un “ stress adapté ” : un état de tension anxieuse modérée qui sert l’adaptation à la situation, en particulier lorsque celle-ci continue d’évoluer.

Cette absence de répercussions immédiates peut être très provisoire. Les symptômes aigus apparaissent dans les heures qui suivent le retour en zone de sécurité ou dans la famille. Dans les jours qui suivent peuvent se développer un état d’angoisse allant jusqu’à la panique, nécessitant le transfert à l’hôpital, où des cauchemars apparaissent.

Quand ils apparaissent dans l’immédiat ou très rapidement, les troubles psychiatriques peuvent prendre diverses formes, le surgissement de l’angoisse étant la manifestation clinique la plus couramment observée.

Les états anxieux

Dans l’immédiat après-coup, le sujet est submergé par l’angoisse. Il est habité par les images de l’enfer qu’il vient de traverser. Cet état émotionnel intense peut l’entraîner dans une fuite panique incoercible parfois collective.

On observe schématiquement trois types de réactions :

  • une agitation désordonnée, plus ou moins intense et durable, une logorrhée, des cris voire des hurlements qui aggravent souvent le débordement des capacités mentales ;

  • à l’opposé, une inhibition psychomotrice avec pâleur, sueurs, parfois errance ou retour chez soi automatique, troubles massifs de l’attention, de la mémoire et de la concentration ;

  • enfin on observe aussi des états conversifs : paralysies, troubles sensoriels, aphonies, etc. Des manifestations psychosomatiques aiguës peuvent aussi se produire : ulcères gastroduodénaux, diabètes, accès hypertensifs, crises d’asthme, manifestations dermatologiques, maladie de Basedow.

Les syndromes psycho-traumatiques précoces

L’angoisse est présente là aussi comme un halo autour de l’impact de l’image de néantisation.

Dans les heures qui suivent l’événement, la première ou la deuxième nuit, le syndrome de répétition envahit la conscience du sujet.

Il arrive que le sujet ne sorte pas du tout de l’effroi ou des moments traumatiques qui se prolonge des heures voire des jours.

Le survivant est dans un état d’hébétude, de sidération, il semble fasciné par une scène à laquelle lui seul assiste. Par rapport au monde extérieur, il est perplexe et détaché, et ses échos lui parviennent comme à travers un filtre, ou bien il est totalement absent, la seule “ réalité ” à laquelle il a affaire est le réel de l’événement qui continue à se dérouler devant lui.

Les répercussions psychologiques immédiates

L’image traumatique installe une menace interne donc à demeure une source d’angoisse qui aura ses effets dans l’immédiat mais également sur le long terme. Elle a traversé l’appareil psychique sans trouver de représentation pour l’accueillir jusqu’à rencontrer le néant de l’origine. Ce franchissement, au moment où il s’effectue, est ressenti par le sujet comme un temps où il a été dépourvu de mots pour faire une réalité de l’expérience qu’il était en train de vivre. Tout s’est passé pour lui comme s’il avait été déserté par le langage, comme s’il avait quitté le monde des êtres parlants.

C’est un sentiment de honte qui surgit dans l’après-coup de cette destitution, sentiment que plus tard la répétition saura entretenir et même accroître. Cette honte s’accompagne généralement d’un vécu d’abandon : le langage, le monde des hommes ont abandonné le sujet. L’avenir peut s’en avérer gravement obéré : rancune envers les proches, irritabilité, repli sur soi agressif, etc. Un sentiment de culpabilité s’attache à cette régression profonde. Un vécu dépressif peut en résulter, parfois de manière fulgurante.

La menace interne

Au sortir de l’événement, le sujet ne se sent en sécurité nulle part : “ J’avais l’impression que ça pouvait péter partout, n’importe quand ”. La mort peut être pensée comme ubiquitaire, omniprésente. Certains rentrent se cacher chez eux, volets fermés, guettant les bruits et n’en sortent plus. Très vite, des patients peuvent exprimer deux choses qui vont les accompagner longtemps, l’une découlant de l’autre.

D’un côté, la fin de l’illusion d’immortalité, de l’autre le sentiment dépressogène de “ n’être plus comme avant ”. Et ils ne sont plus comme avant, la peur les habite, le danger est partout. Certains se vivent comme en sursis, déjà mort, des zombies. Ils ne sont plus capables d’aimer parce que les retrouvailles avec l’originaire paralysent le désir. La culpabilité du survivant trouve parfois là son origine.

La honte et l’abandon

Ils peuvent aussi se manifester précocement. La honte empêche le sujet, rentré chez lui, de raconter à son entourage ce qu’il vient de vivre, que celui-ci ne pourra pas deviner. Le point de départ d’un malentendu avec les proches et d’un repli sur soi agressif est souvent là. De même précocement peuvent apparaître des phobies, par exemple une phobie des transports “ J’ai peur de croiser le regard du passager assis en face de moi et qu’il voie dans mes yeux toute cette horreur que j’ai à l’intérieur. L’ensemble des comportements de la victime indique qu’elle se sent victime d’une souillure qu’elle voudrait cacher (rite de lavage par exemple).

La culpabilité

Elle n’est pas toujours consciente, elle est souvent rationalisée (ou projetée) et liée en totalité ou en partie au franchissement traumatique. Elle peut être aggravée par d’autres facteurs tenant à l’événement : mort d’un autre secrètement haï dont on se sent responsable, faute à l’origine de l’accident, sentiment de ne pas avoir été à la hauteur, etc.

Cette culpabilité peut entraîner un effondrement dépressif.

Le traitement

Des soins immédiats prennent place tout de suite au sortir de l’événement. Ils consistent en un accueil, une invitation faite à la victime qui sort de l’enfer à retourner dans le monde des vivants. C’est un temps où elle est incitée à parler, à passer outre sa conviction d’avoir vécu quelque chose d’indicible. Ce temps n’est pas un debriefing. Mais en est l’amorce.

Le debriefing appartient à un deuxième temps. Il est lui-même suivi de soins à court, moyen et long terme. Il rend possible l’engagement dans un processus thérapeutique. Des entretiens ultérieurs seront proposés et le plus souvent réalisés. Peu nombreux, focalisés sur l’événement, ils peuvent suffire à élaborer l’événement traumatique. Parfois un travail plus long sera nécessaire.  Et dans ce cas, dans ce cas seulement on cherchera des éléments de reconstruction dans la vie du sujet, son activité onirique et fantasmatique.

Le debriefing est essentiellement collectif. C’est une méthode qui s’adresse à des groupes. Il implique un minimum d’histoire commune.

Le debriefing individuel bien que contestable théoriquement est imposé par la pratique, notamment lors de catastrophes telles que celle vécue à Toulouse.

Il s’agit de se focaliser sur l’événement avec un léger débord sur l’avant et l’après. Il s’agit de reparcourir minutieusement les faits, les émotions qui se sont succédées, les pensées qui ont émergé. Et d’autres rencontres ultérieures sont prévues. Dans ces rencontres, l’absence de groupe de référence est un handicap. En revanche la confidentialité permet à la victime d’aller plus loin dans son récit, les associations sur des souvenirs, des fantasmes intimes sont possibles.

Apport de cette lecture aux soignant(e)s

Cette lecture permettra de mieux comprendre ce qui est en jeu dans le traumatisme psychique. A minima il leur pointera quelques erreurs à ne pas faire :

  • Se contenter d’un simple récit de l’événement. Il faut proposer une ouverture vers une élaboration. Autrement les sujets ont la sensation de ne pas avoir été écoutés.

  • Le désir d’apaiser et de rassurer l’a emporté sur une véritable écoute. Ni dédramatisation, ni déculpabilisation. La parole la plus violente que l’on puisse adresser à un rescapé est justement qu’il est rescapé, qu’il a eu de la chance, que ça c’est positif, etc.

  • Interroger longuement la victime sur son enfance, ses éventuels antécédents psychiatriques, ce qu’elle interprète, pas toujours à tort, comme une volonté de minimiser l’expérience vécue et de chercher dans sa maladie les causes de sa souffrance.

  • Ecourter la séance. La durée doit rester ouverte.

  • La rencontre est trop précoce pour un débriefing

  • Trop de neutralité bienveillante et silencieuse ou trop de compassion sont également anxiogènes.

Louis Hecktor

Notes

DE CLERCQ (M), LEBIGOT (F) (dir.) , Les traumatismes psychiques, Masson, Paris, 2001.

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