Fortuna J-F, Sophrologie en pédopsychiatrie

Sophrologie en pédopsychiatrie

Une relation d’aide thérapeutique

Jean-François Fortuna

Editions Chronique Sociale

Fortuna

Un ouvrage rare par la rigueur du travail clinique, l’attention portée aux enfants, à leur discours et par la richesse des observations. On pense avec l’auteur dont on partage le fil des séances, les questions, qu’elles s’adressent à la sophrologie ou au cadre thérapeutique. Une belle réflexion d’infirmier de secteur psychiatrique. Une pratique pour le coup réellement avancée qui ne doit rien aux théories de soins anglo-saxonnes ni à la médecine.

« Pour être dans la rencontre, chercher et amener une réponse à ces questions (Quel est mon objectif ? Quels sont les désirs, les capacités, les difficultés de l’enfant ? A-t-il une demande masquée ?), proposer, observer, entendre, percevoir, (échanger ?) il m’est indispensable de prendre du recul après les séances pour me « repasser le film » et prendre des notes, avant les séances pour m’imprégner davantage du vécu de chaque enfant la fois précédente et repérer les impacts sur moi-même, positifs ou négatifs, les analyser et les corriger éventuellement. Etre en fait, déjà au clair avec moi-même. »

L’auteur

Jean-François Fortuna est un de ces infirmiers de secteur psychiatrique, auteur d’un  ouvrage remarquable, oublié par ses pairs, qu’ils travaillent en psychiatrie ou en soins somatiques. Titulaire d’un Certificat d’aptitude à l’enseignement de la sophrologie pédagogique et d’une Attestation de sophrologie Caycédienne spécialisation handicap mental –enfant- imaginaire. Il dirige actuellement l’Ecole alsacienne de sophrologie. Il fait partie des rédacteurs du Grand Manuel de sophrologie publié chez Dunod en octobre 2019 sous la direction de Bernard Etchelecou.

Il découvre la sophrologie en 1986 : « Après un accident au cours duquel j’avais été grièvement blessé aux jambes, je cherchais à renforcer de façon optimale ma reconstruction sur ces bases nouvelles. » Ses objectifs atteints, il lui reste ce qu’il a appris, des techniques qu’il sait utiliser quand il en ressent le désir, et les ouvrages lus. Il subsiste cependant un sentiment d’inachevé car toutes ces expériences avaient profondément modifié sa façon de concevoir son existence et le regard qu’il posait sur sa profession. Il pense que la pratique de ces techniques de sophrologie pourrait aussi faire prendre conscience aux enfants qu’il soigne, en tant qu’ISP en pédopsychiatrie, qu’il est possible d’être au monde différemment, de percevoir et de concevoir autrement ce qui nous est extérieur mais aussi ce qui nous est intérieur : « la perception de notre corps, nos pensées, nos affects, nos comportements, notre « image du moi », en fait notre « moi je ». »

Il se donne comme objectif de proposer ces outils aux enfants auxquels il cherche à apporter des soins. Leur proposer et leur apprendre à s’en servir afin qu’ils puissent apprendre à se détendre. Ne possédant encore que « quelques rudiments », il se met à la recherche d’un « savoir quoi et comment faire ». Il trouve une piste au « hasard » d’une publicité de l’Ecole Internationale de sophrologie pédagogique de Gérard Durruz, qui l’oriente sur un Centre dans sa ville. Il en parle à son médecin-chef : « Etonné agréablement et intéressé, il me propose de suivre un stage portant sur différentes méthodes de relaxation applicables aux handicaps mentaux et de lui proposer un projet après cela. » Cette formation intensive se déroule sous la forme d’ateliers dans lesquels sont abordés : l’approche neurophysiologique des techniques de relaxation, la relaxation activo-passive, des exercices rythmiques de détente, les méthodes de Schultz (training autogène), Jacobson et Feldenkrais, la relaxation gestuelle, la relaxation par l’expression corporelle à travers le mime, le Taï-Chi-Chuan, l’eutonie, soit un panorama très ouvert sur les différentes méthodes existant à l’époque.

Avec l’expérimentation de toutes ces méthodes et des techniques qui leur sont propres, avec la possibilité de les approfondir de de s’entraîner lui-même, sans compter ce qu’il avait découvert par lui-même, il a accès à un nombre d’éléments déjà suffisant pour animer une activité qu’il ne sait pas encore nommer. Il en parle avec son médecin-chef. Décision est prise de faire l’essai pour une année de fonctionnement d’un « atelier de sophrologie ». Un rapport détaillé est présenté aux médecins et médecins-chefs du service à la fin de la première année d’essai. Il est décidé de continuer, toujours à titre d’essai, mais en affinant davantage les indications, avec la collaboration d’une psychomotricienne et la supervision par le médecin-chef.

L’ouvrage décrit cette expérimentation de deux ans et ses effets sur les jeunes patients et leur groupe. De 1986 à 2002, seize ans de travail sur soi, d’approfondissement, d’expérimentation, de partages avec ses collègues psychomotriciens, éducateurs ou médecins.

« Le sophrologue « organise le voyage de la conscience » avec sa voix en donnant des instructions très précises de concentration progressive sur les différentes parties du corps et le reste du cheminement. La voix n’est pas là pour bercer, ni pour elle-même. Elle est là pour induire la détente à travers le schéma corporel certes, mais surtout pour maintenir l’éveil et l’attention afin de permettre une « exploration » en pleine vigilance, condition sine qua non de la prise de conscience. »

L’ouvrage

La lecture est souvent consécutive à une rencontre avec un ouvrage que l’on croise dans les rayons d’une librairie ou d’une bibliothèque. On peut aussi avoir entendu parler de l’ouvrage et le commander. Rien de tout cela dans ma rencontre avec le livre de J-F Fortuna. Le patron du bistrot de l’Angle, près de chez moi, est féru de poésie. Je lui avais donc dédicacé un exemplaire de mon recueil « Sans cont@ct ». L’ouvrage était à la disposition des clients, et plus d’un en avait lu des extraits. Un jour que je passais devant son bistrot, le patron me dit : « Vous avez vu Fernand ? Il veut acheter un exemplaire de votre livre de poésie. Je lui ai indiqué votre adresse, il m’a dit qu’il passerait vous voir. » Ce fut une belle rencontre une dizaine de jours plus tard. Pendant près de deux heures nous échangeâmes autour du recueil bien sûr mais aussi de la vie. Fernand est un philosophe du quotidien, la moindre chose lui fournit un prétexte à  réflexion. Apprenant que je travaillais en psychiatrie, il me parla de son frère Jean-François qui était infirmier en psychiatrie et avait écrit un livre. Bien sûr, ça m’intéressa. Deux jours plus tard, je trouvais l’ouvrage dans ma boîte aux lettres : « Le retour n’est pas urgent, à mon adresse ci-dessous ou au Bar de l’Angle où je suis connu. Bonne Lecture ! »

Pour une bonne lecture ce fut une bonne lecture.

S’ils interviennent sur le corps, les infirmiers n’en parlent pas souvent et ne le pensent guère. C’est une première originalité de l’ouvrage. A travers  la grille de lecture proposée par la sophrologie Jean-François Fortuna nous décrit ces corps d’enfants en mouvement, empêchés parfois, agités, turbulents ou au contraire trop éteints. Les dessins du bonhomme systématiquement proposés au début et à la fin de chaque séance sont éloquents. Ces corps sont aussi des corps en relation les uns avec les autres. Ils touchent, percutent, agressent, embrassent le thérapeute même qui est convoqué dans l’activité de différentes façons.

L’ouvrage est divisé en 5 chapitres, de la germination du projet à l’évaluation des acquis des exercices avec deux évolutions particulièrement marquantes.

L’auteur commence par retracer son parcours. Il présente ensuite la sophrologie, ses a priori théoriques, ses objectifs. Il décrit ensuite très précisément les étapes de la mise en place de l’atelier et notamment ce qu’il implique sur la façon habituelle d’exercer les soins infirmiers et la modification de ses relations de travail avec les autres professionnels du soin, notamment les psychomotriciens et les éducateurs spécialisés.

Ce n’est pas le centre du propos, juste une de ces incidences : en creux, il montre la qualité des relations entre le médecin-chef et l’infirmier. Le médecin écoute le projet, s’en réjouit, conseille l’infirmier sur les formations, accompagne l’expérimentation, s’en fait le garant en le supervisant. Il semble aujourd’hui que de telles relations soient devenues exceptionnelles. Les infirmiers rapportent plus souvent un climat de guerre larvée. Les « médecins » ci ou ça. Et du côté des médecins, en écho le même discours sur les insuffisances infirmières. On ne peut rien faire de cette façon-là, on va dans le mur, nous et les patients que nous suivons. Certes Jean-François s’est mis en mouvement, il a bossé, il  propose mais si nul ne l’écoute, si l’on ne pense qu’à lui mettre des bâtons dans les roues, rien n’avancera. On sent bien, ici ou là, quand la continuité de l’activité n’est pas assurée que d’autres contingences que le soin interviennent mais c’est rare et dans l’ensemble on a la sensation que son travail est respecté, tous comme les enfants en soin.

Chaque enfant qui investit l’atelier sur prescription médicale est décrit très précisément (parcours de soin, compétences, bilans en tous genres, relations familiales, etc.). Ses descriptions cliniques sont vivantes, ne cherchent pas à enfermer les enfants dans un diagnostic qui est régulièrement discuté. Cette connaissance fine de l’histoire de chaque enfant, de ses relations familiales permet à Jean-François de relier ce qui peut l’être. Ce qui se passe en séance ne relève pas que de l’acte mais peut renvoyer à un sens que chaque enfant, à un moment ou à un autre pourra faire sien. Sans forcer. Jean-François ne crache pas sur la psychanalyse qui est une de ses références, loin de la sophrologie peut-être mais elle n’en est pas moins là. Il a lu Winnicott, Mélanie Klein et ça l’éclaire parfois.

Chaque séance est détaillée. Jean-François prépare chaque séance dans le détail avec ses objectifs, les exercices proposés, il explique comment et pourquoi il est amené à modifier ce qu’il avait imaginé, comment il s’adapte aux enfants et au groupe. Il est constamment en travail, en recherche. Il sait ce qu’est animer un groupe. Les attitudes à y adopter sont différentes de celles mobilisées par une séance individuelle. Il commence par un rappel systématique du contenu de la séance passée. Ce sont les enfants qui sont invités à le faire. Il précise par petites touches ce qui reste par trop imprécis.

Quelques inductions sont présentées dans le détail. Nous sommes avec lui, nous pensons avec lui. L’infirmier novice en matière de groupe ou l’IPA qui n’aurait été formé que par des médecins y trouvera des techniques d’animation de groupe longuement interrogées. Les dessins du « plus beau bonhomme que vous pouvez dessiner » ponctuent chaque séance, ce qui permet de mesurer l’évolution de chaque enfant au fil des séances. Un travail d’orfèvre qui donne ses lettres de noblesse à l’art de la relation. Ce n'est pas les pratiques qui doivent être avancées mais la réflexion théorique qu'elles autorisent. 

Qui veut réfléchir aux soins, à ce qu’est une activité, aux façons de l’animer, de retranscrire le contenu des séances, de rebondir à partir de ce contenu et de préparer les suivantes trouvera un modèle inspirant. A lire et à critiquer sans modération.

Dominique Friard

 

 

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