Friard D., "J'aime les fous". Dans la tête d'un infirmier psychiatrique

« J’aime les fous »

Dans la tête d’un infirmier psychiatrique

Dominique FRIARD

Un ouvrage qui embarque le  lecteur comme dans un recueil de nouvelles mais où la clinique garde ses droits.

« J’aime ceux qui ont du vif argent, du mercure, des horloges, une araignée, des moucherons, des grillons, un quartier de Lune dans la tête. J’aime les fous et c’est pour cette raison que je suis infirmier de secteur psychiatrique. J’aime ceux qui ont besoin de deux grains d’ellébore, ceux qui ont la cervelle en écharpe, des papillons dans le compteur, ceux qui yoyotent de la touffe, ceux qui marchent à côté de leurs pompes, qui pédalent dans la choucroute, qui ondulent de la toiture, qui ont une écrevisse dans le vol-au-vent, une hirondelle dans le soliveau, ceux qui ont perdu la  tramontane, ceux qui ont paumé la Sorbonne, qui battent la breloque, qui se moquent de la barbouillée, ceux qui sont tout étourdis du bateau, ceux qui sont comme la mule du pape et boivent à leurs heures, j’aime ceux que l’on veut envoyer aux Petites-Maisons ou à Charenton. »

L’ouvrage

« Soigner, écrire, enseigner constitue un triptyque qui résume mon parcours dans le soin. Petit poucet rêveur, j’ai semé mon itinérance mémorielle d’écrits repères, d’écrits coups de cœur, de diamants multicolores. »

Par ces quelques lignes en introduction de « J’aime les fous », Dominique Friard annonce la couleur. En effet, l’auteur, nous emmène en voyage à travers 17 récits, comme autant de diamants multicolores, où clinique et théorie s’entremêlent joyeusement. Chacun des titres est en soi une invitation ; le bateau ivre, à la poussière des souliers, une fois mon cœur s’est emballé, au bout de l’enfer…

Cet ouvrage qui se veut support de transmission vous embarque comme un recueil de nouvelles car chaque récit, chaque vignette clinique stimule profondément notre mémoire d’où surgissent alors les sujets en souffrance que nous avons rencontrés et qui, au fil de la lecture, viennent se superposer à ceux racontés par l’auteur…

C’est ainsi que nous rencontrons Mr Briquet qui sera reçu en entretien par Dominique et une étudiante infirmière ce qui permet au patient d’exprimer sa souffrance et de dérouler son histoire. L’observation clinique très fine de l’infirmier, c’est à dire l’attention portée à la présentation, au discours, aux mimiques du sujet singulier accueilli, les réflexions, interrogations enrichies par le dialogue avec l’étudiante infirmière tous ces détails pris dans leur ensemble font de la clinique un objet vivant, aléatoire et contextuel.

C’est dans l’après-coup de l’entretien que les échanges entre infirmier et étudiante vont éclairer la problématique hystérique du patient. Grâce au récit et à la précision de leurs ressentis lors de la rencontre nous appréhendons avec eux les questions, les hypothèses que les professionnels vont confronter avec les éléments du dossier. Nous comprenons comment cet entretien a enrichi le questionnement de l’étudiante et tout ce qui lui a été transmis grâce à la participation et l’analyse de l’entretien. Et nous les suivons dans leur chemin de questions : l’hystérie est-elle une psychose ? (p 92) Quels en sont les symptômes ? Qu’y a-t-il derrière le théâtralisme ? Le danger de vivre la satisfaction d’une jouissance maximale ? (p 94)

Nous ferons la connaissance de Claude, patient hypocondriaque lors d’une sortie thérapeutique dont l’angoisse finit par remplir tout le volume du minibus et imprégner toutes les personnes présentes. « Comme nous voyons la sueur perler sur son front, nous voyons sourdre la douleur de tout son être. Elle filtre du dedans, menace de déchirer son corps sous une poussée si longtemps retenue. Il nous communique une impression angoissante d’oppression et de resserrement. » Nous voyons comment l’auteur qui conduit le véhicule et sa collègue savent tirer parti de la bonne connaissance du patient pour trouver à la fois pour lui comme pour les autres patients présents des moyens de contenir cette angoisse et d’apaiser cette souffrance. Dans le développement théorique qui suit le récit l’auteur fait référence aux quatre temps de la plainte (p. 76 à 81) d’après le travail d’une collègue infirmière (M . Rajablat) et aux questions qu’il se pose (quel sens donne-t-on à son discours ? Y a-t-il des souffrances indicibles ? Qu’entend-on de la souffrance du sujet ? Névrose ou psychose ?..)

 Ce « Plaidoyer pour les soins ambulatoires en santé mentale » nous permet à travers ces récits de rappeler  l’importance du secteur psychiatrique (circulaire du 15 mars 1960) dont « les buts à atteindre sont clairement définis : entreprendre les soins au stade le plus précoce ; assurer une postcure médico-sociale évitant les récidives ; éviter la désadaptation qu'entraîne l'éloignement du malade de son milieu naturel, en faisant que tous les établissements ou services soient facilement accessibles ; éviter l'hospitalisation ou la réduire au minimum indispensable ; supprimer des lits d'hospitalisation en tenant compte des organismes extrahospitaliers existant. (D. Friard, le secteur psychiatrique en France serpsy1.com). Ces dispositifs ambulatoires et situés au cœur des villes, sont de véritables lieux d’accueil pour toutes ces personnes évoquées dans les récits.

Non seulement, nous pouvons lire cet ouvrage comme un livre d’aventures, ce qui n’est pas sa moindre qualité  surtout quand la qualité des observations et des questionnements cliniques éclairent notre pratique infirmière et nous rend chaque histoire presque familière… Au point que nous revoyons d’autres histoires, rencontres, situations et découvrons alors d’autres pistes…

En cheminant avec l’auteur dans l’ouvrage, nous avons le sentiment de l’accompagner dans ses réflexions et de partager ses émotions, ses doutes mais aussi ses intuitions. Chaque rencontre nous rappelle l’importance de l’écoute, première qualité de la présence, et donc du temps nécessaire à consacrer au soin psychique. Ce temps mobile, complexe, et qui en aucun cas ne peut se réduire à une cotation à l’acte. « Ne jamais laisser le temps prendre le pas sur la nécessité de penser ensemble autour de ce que nous racontent les patients de leur souffrance. », nous alerte l’auteur. Il nous rappelle aussi l’intérêt (voire l’amour oui car le titre du livre nous y autorise) authentique pour l’autre qui engage le soignant en psychiatrie sur ce chemin énigmatique de l’être humain…

Car de quoi sommes-nous fait ? Dès qu’on prête un réel intérêt à l’autre, qu’on s’efforce de rester authentique, de comprendre ses ressentis, ses questions, ses souffrances… un lien se crée, les émotions ou les comportements de l’autre nous touchent, nous interrogent quelquefois même la nuit rentré chez soi... S’agit-il d’amour humaniste du prochain ? L’amour de l’autre comme un soi ? Ouvrons les questions et surtout, surtout, gardons-nous d’y répondre trop vite.

Les éléments théoriques apportés généreusement par Dominique Friard, nous donnent quelques grains à moudre. Ils traversent les récits sans les appesantir, et nous rappellent qu’ils ne sont que des façons de mieux comprendre l’autre, sinon de mieux l’entendre… A travers le soin de l’esprit en souffrance, c’est toute la construction de notre humanité qui est envisagée.

C’est pourquoi j’utilise très souvent ce livre en formation continue car ces voyages (qui peuvent être lus dans n’importe quel ordre) en compagnie de ces « fous » nous aident à mieux les accompagner, les écouter, les accepter tant leur humanité renforce la nôtre

Pour qui est féru de lecture, la bibliographie est une véritable caverne d’Ali baba du soin en psychiatrie.  Les théories  d’Anzieu à Young, de Bergeret à Dolto, jouxtent celles de Freud et Lacan, jusqu’à la Laplantine, de J-L Gérard à J-P Lanquetin, de J. Oury et F. Tosquelles à Mucchielli en passant par Foucault et Winnicott, pour n’en citer que quelques-uns. Chacun.e peut y glaner son bonheur en fonction de ses recherches du moment.

« Au fil des pages se dessine un art de soigner aux antipodes des protocoles et des conduites à tenir », nous informe la quatrième de couverture comme un effet d’amuse-bouche stimulant l’appétit et l’envie d’aller voir plus loin au cœur des récits

Comme vous l’avez déjà compris je recommande cet ouvrage sans aucune modération… à tous les infirmiers en psychiatrie et à leurs formateurs….

Dominique FRIARD, infirmier de secteur psychiatrique totalise une pratique clinique d’une quarantaine d’années dans différents lieux de soins et a été souvent bâtisseur (ou co-constructeur) d’espaces de soins innovants ;

Il a beaucoup participé à valoriser et à faire reconnaître le soin infirmier en psychiatrie et à donner à ses acteurs l’envie sans cesse renouvelée de rencontrer l’autre ainsi que des outils pour penser ce soin

Il intervient en formation initiale et continue mais aussi comme superviseur d'équipes dans le sud de la France. Il a publié de nombreux articles et  ouvrages sur le soin : Le groupe de lecture, une approche thérapeutique de la psychose, 1997,   L'isolement en psychiatrie séquestration ou soin ? 1998 Electroconvulsivothérapie et accompagnement infirmier, 1999 ainsi qu’un ouvrage de poésie Sans cont@ct en 2021.

Membre du comité scientifique de l’INFIPP titulaire d'une Maîtrise de Santé Mentale, d'un DEA de Droit Médical, il a été rédacteur en chef adjoint de la revue Soins psychiatriques et a rejoint l'équipe de la revue Santé Mentale en 2001, où il est rédacteur en chef adjoint.

Il est vice-président de l'association SERPSY, expert auprès de la HAS sur la violence.

Jacqueline Fontaine and Co.

ISP, cadre de santé, formatrice, présidente de Serpsy