Friard D., Sans cont@ct

" Sans cont@ct"

D. Friard

Commentaire contextualisé à propos du livre de Dominique Friard: « Sans cont@ct »

paru en 2021, aux Éditions Digobard

Sans cont ct

LE CONTEXTE

Dès le 1er confinement en mars 2020, les structures de psychiatrie ont été fermées. «Le (GEM), Groupe d’Entraide  Mutuelle: Le Passe Muraille de Gap, est fermé comme tous les autres»[1] Les équipes se sont décarcassées pour garder des liens avec les patients. Liens relationnels, sociaux si fragiles et en grand danger de rupture en ce temps pris en otage. «En tant que président intérimaire[2]» (P.8, Ibid) et aussi infirmier de Secteur Psychiatrique (ISP) à la retraite toujours diablement actif, Dominique  Friard  a très vite senti la nécessité de chercher avec les Gémiens du Passe Muraille des ouvertures pour que la tresse de ce lien ténu reste vivante. Car c’est un «lieu l’on prend collectivement soin les uns des autres». Alors «Comment faire groupe quand on est chacun chez soi»? (p.8, Ibid.)

Son expérience d’infirmier en psychiatrie, l'investissement de chacun, ont permis de s'adapter à ces différents contextes. Durant cette première période Dominique F. a proposé sur Facebook un jeu d'écriture partagée à partir de poètes et d'écrivains variés. Il s'agissait d'une invitation à écrire à partir d'un court extrait qu’il choisissait et offrait quotidiennement à la créativité de chacun. Son initiative a permis à certains de tenir bon tant les confinements ont été de rudes épreuves à vivre. C’est long un an et demi, à égrainer chaque jour. «Petit à petit la résistance à la solitude s’est organisée »(ibid. P.16). Et elle a tenu bon la résistance, sans lâcher prise, sans mollesse, luttant contre l’usure tout au long du temps des divers confinements et injonctions contradictoires lancées par l'Agence Régionale de Santé ou les médias. Un long souffle virtuel reliait ainsi chaque matin les Gémiens à Dominique, au monde, et à ses quatre coins[3] : grâce à cette proposition ils échangeaient avec des poètes d’Amiens, de Tunisie, d’Aix en Provence ou d’ailleurs...

« Sans cont@ct » réunit des poèmes que Dominique écrivait au milieu des autres, en réponse à sa propre proposition poétique et à la consigne du jour. J'ai participé à cette aventure. C'est en relisant les textes du recueil que je mesure avec beaucoup d'émotion et de respect toute la mise en travail du vivant que mine de rien, il favorisait en chacun à partir d'une invitation à jouer avec les mots. Ses poèmes retracent avec délicatesse ou abruptement le contexte sidérant  dans lequel nous étions en risque d'enlisement. Il a tendu des planches, des lianes, des viaducs, des branchages feuillus...  comme des bouées, des mains, des regards amicaux. Pour se maintenir à l'air. Pour résister à l’incompréhensible. Pour vivre malgré tout dans cette situation, qui tel un nuage nucléaire au de-là des frontières, a explosé brutalement mais aussi insidieusement. Cette ouverture participait à tisser un sens relationnel, à tricoter du lien que le contexte s'appliquait à effilocher.

QUELQUES EXTRAITS DE SANS CONT@CT

Quelques extraits de Sans cont@ct vont mettre en lumière comment son recueil de textes retrace, à la fois avec humour, tendresse et une précision chirurgicale l’ambiance de ces confinements de 2020.

La violence sournoise des discours castrateurs, culpabilisants, infantilisants et contradictoires généreusement distribués par le gouvernement démasqué, la déchirure du monde et l'atterrante insouciance des chefs qui annoncent la guerre et dirigent le peuple comme s'ils en étaient propriétaires. (Entre autre dans: Je te salis Manu, Dans la rivière au grand cœur, Règne Manu Militari)

(P.18) Je te salis Manu

«Par la force des choses Par les forces de l'ordre

Par ces petits hôpitaux sacrifiés Par ces soignants désarmés

Par ces politiques démasqués Je te salis Manu »

(P57) Dans la rivière au grand cœur

«Dans la rivière au grand cœur Il n'y a plus rien à pêcher.

Qu'un petit Grégory et des plumes de corbeau

Que des sacs poubelle qui feront de magnifiques sur-blouses

Pour des soignants burnoutés, en plein blues.[…]

Qu'une affiche décollée qui vante les mérites D'un candidat en marche»

(P.67) : Règne Manu Militari

«Il déclare la guerre à un virus Minuscule.

 Il a ordonné le confinement généralisé, [...]

Entre grève et crève Il n'ait qu'une consonne de différence

Se disent les blouses blanches hier oubliées [...]

Manu Militari a déclaré l'état d'urgence sanitaire [...]

Pas de masque pas de masque, pas de masque[...]

Pas de masque ni de gants, ni de sur blouse

Mais une prime pour les survivants.

A titre posthume sûrement.»

Le travail collectif par Visioconférence. (Les réunions de SEPSY ont été pendant cette période plus nombreuses et en distanciel via un lien que Dominique nous envoyait)

(P49) Le geek aux doigts gourds

«J'aurais aimé bâiller sans tralalas [...]

Hier soir à l'heure où crépitaient les balcons

A l’heure où le peuple salue les soignants héros

À l'heure où l'on communie en guise d'apéro

J'avais Visioconférence. J'étais le geek de service.»

Ces textes sont d'autant plus poignants qu'ils paraissent au fur et à mesure de l'histoire comme un reportage retraçant des pratiques ahurissantes et les espoirs mijotés pour sortir de cette peur cultivée par le gouvernement et entretenue pour les médias. Dans ce contexte, étonnement, le rire surgit, comme un éclair illuminant l'instant avec ses souvenirs d'enfance.

(P73) : Comme un chien qui fait pipi

« A quoi rêvent les chiens quand ils pissent contre le pied d’un arbre?

A M. Guérin, le prof de gym qui les avait étudié de près? […]

Il avait un jour décidé de nous initier à la course de haies. […]

«Friard, c’est simple, vous tendez la jambe gauche et avec la droite

Vous imitez le geste du chien qui fait pipi. Je vous montre»

[…] Il a reproduit à la perfection la posture du chien

Qui pisse contre le pied d’un arbre. […]

Je n’ai jamais sauté ses haies Mais, admiratif, j’ai souvent repensé

A ce prof de gym qui a poussé son exigence Jusqu’à étudier les chiens qui pissent.

Je ne sais pas à quoi pensent les chiens quand ils urinent contre un réverbère.

Mais, moi, chaque fois que je vois un chien pisser, je pense à M. Guérin.

«Relâche, relâche, étend et tiens.»

Ce recueil montre aussi combien ces parenthèses dans le confinement ont minutieusement raccommodé l'espoir au milieu de ce chaos (Ex : Monde d’après, Déraisonnable)

(P76) Monde d'après

«A travers l’écriture[…]

Je te rêve Monde d’après

En monde fraternel

Où l’on partage ce que l’on a

Sans thésauriser

Où l’on prend soin de tous et de chacun

Où l’on considère chacun pour ce qu’il est

 Et non pour sa couleur de peau, sa religion

Ou le montant de son épargne

Je te rêve»

(P78) Déraisonnable

«En ce temps déraisonnable

Chacun était l’ennemi de chacune. […]

Des baisers prohibés jusqu’au shake-hand

Redouté,

Le danger était partout. […]

Le salut entre nous était tombé sans bruit,

Comme tombe de l’arbre un fruit

Gâté, pourri, trop mûr.[…]

Les poètes écopaient

Et faisaient rimer kopek

Avec Zatopek

Covid avec avide

Et virus avec papyrus […]

Septique et méfiante

Résistante et résiliente

La poésie fleurissait.»

Il témoigne aussi de la vie quotidienne, de l'amour (ex : Mon rêve d’or - Un goût de légende - confinement amoureux - A,noir)

(p.46)  Mon rêve d'or

[...] "Ma rose d'automne, ma confinée

Viens ma favorite,

Prends ma main,

Descendons ensemble au jardin

Effeuillons la marguerite

Ma rose, ton ivresse en moi s'est déployée.»[...]

(P60) Un goût de légende

«En ce temps-là le pain sec avait du goût […]

Et puis un jour le pain sec a perdu son goût, […]

La malbouffe est devenue notre horizon,

Le pain sec est devenu une légende […]

Chaque fois que Madeleine verse de la farine

Dans la machine à pain […]

C’est une autre saveur, d’autres odeurs

Qui peuplent notre maison confinée

Grignoti-grignota

A chaque fois son goût est diffèrent

Mais il a le bouquet d’une légende revisitée»

(P80)  Confinement amoureux

«Nos nuits sont plus belles que bien des jours.»

(P81) A, noir

«Il pense aux couleurs dans les mots de la femme

Noir comme ses cheveux de jais,

Comme ses yeux qui lancent des éclairs fugitifs,

Comme ses idées qui l’entraînent parfois vers la ténèbre

Comme le drapeau qui flotte à sa fenêtre.»

EN CONCLUSION

Peut-être ce qui touche le plus, c’est cette force vitale déployée face au monde dans l’adversité et contenue dans ces poèmes, dans ce jeu d’écriture qu’il nous offre comme un véritable cadeau, offert car ils sont là juste pour dire. Peut-être est-ce qu’en tant qu’homme et femme, nous sommes à la fois Êtres de poésie et de combat ? Dominique Friard, ce poète soignant, nous rappelle que l’écriture et la poésie sont des armes actives, efficaces, puissantes dans la durée et dans l’espace, ensembles contenues dans ce petit recueil, concentré d’intime et d’implication politique, mine de rien, avec talent, il nous effleure l’âme et nous anime le poing.

L’auteur nous montre ici, en acte, une fois encore comment la pratique de l’écriture, la poésie,  la lecture, l’échange, sont une ressource précieuse pour résister à l’étouffement, dire, rester digne et garder la tête haute vaille que vaille.

LE PASSE MURAILLE DE GAP

Enfin  pour étayer le propos dans le contexte du GEM de Gap, voici quelques éléments pour présenter l’association.

Les Gémiens ont connu à un moment de leur vie les soins en psychiatrie. À l’origine du GEM en 1999, Dominique a réuni quelques usagers du soin, autour de ce projet d’écriture d’un journal. Aujourd’hui encore, alors qu’il a quitté les Hautes Alpes, tous les mois, il va les retrouver. Ensemble ils élaborent le Passe Muraille qui a donné son nom au GEM. Ce journal a été la première manifestation de l’existence de ce groupe désireux de  culture, de sorties, d’échanges, de projets, de débats,  de responsabilités,  de désir d’être entendus, de compter, d’être visibles… de démocratie participative dirait-on aujourd’hui. Le premier journal est sorti en 1999. Il y était Dominique, pour qui l’écriture et le journal sont des histoires vitales. Une relation solide.

Le GEM est autonome, actif, solidaire, attentif les uns aux autres. Il n’y a pas de soignant. Ils sont les employeurs de deux animatrices. Quand le premier confinement nous est tombé sur la tête, cette organisation conçue pour la solidarité a été particulièrement  précieuse «pour ne pas perdre l’un d'entre nous » ont écrit les Gémiens dans leur journal Le Passe Muraille.

Véronique Peschard avec en relecture participative

Madeleine Jimena-Friard et Jacqueline Fontaine


[1] Extrait p.8: « Le printemps masqué toujours vivant» du journal Hors Série n°1, de l’association GEM Passe Muraille publiant les textes poétiques écrits durant le confinement, en 2020).  Les extraits de ce 1er paragraphe sont issus de cet ouvrage.

[2]  cf. la présentation du GEM au dernier paragraphe

[3] C’est un atout de Facebook, de se moquer des distances et des catégories

Date de dernière mise à jour : 15/11/2021

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