Friard Dominique, L'isolement en psychiatrie : séquestration ou soin ?

L'isolement en psychiatrie : séquestration ou soin ?

Dominique Friard

Isolementlivre

Le premier ouvrage publié en France sur l'épineuse question de l'isolement en psychiatrie; basé sur le témoignage de dix patients isolés il remet en question l'aspect thérapeutique de cette pratique controversée. 

" Ainsi lorsque nous leur avons demandé quels conseils ils donneraient à un autre patient isolé, aucun n'a répondu : "Quand tu sens que tu perds le contrôle va en parler avec une infirmière" mais au contraire "Reste calme. Ecoute l'infirmière". Ecouter l'infirmière et non pas tenter de lui parler. "

L'auteur

Dominique Friard, né le 16 octobre 1958 à Paimboeuf (44) est infirmier  de secteur psychiatrique, formateur et superviseur d’équipes. Diplômé en décembre 1980, il a travaillé au Centre Hospitalier Esquirol, à Saint-Maurice (94), où il a créé en 1994, le Groupe de Recherches en Soins Infirmiers du XIVème secteur de Paris. Co-fondateur de l’association S.E.R.PSY (Soins Etudes et Recherches en PSYchiatrie), il quitte la région parisienne en 1998 et s’installe dans les Hautes-Alpes (05). Il y crée l’association A.L.E.D.S (Associations Laragnaise d’Exploration en Démarche de Soin) et y poursuit ses recherches.

Rédacteur-en-chef adjoint de la revue Soins psychiatrie puis de la revue Santé Mentale (à partir de 2001), en réaction contre la suppression du diplôme d'ISP, il milite pour la clinique infirmière en psychiatrie qu'il explore au fil de nombreux articles et de quelques ouvrages portant sur des aspects peu connus du soin en psychiatrie.

Dès les années 90, le groupe de recherche se préoccupe de ce que les personnes hospitalisées en psychiatrie, notamment pour schizophrénie, savent sur leur traitement médicamenteux. Faisant le constat qu'elles ignorent que l'halopéridol est prescrit contre les hallucinations, ce que les soignants n’expliquent guère, les membres du groupe tournent un film destiné à expliquer les principaux symptômes et les effets thérapeutiques et indésirables du traitement : "Vivre en ville". Avec le soutien du laboratoire Lily, D. Friard rédige une série de fascicules d'éducation thérapeutique du patient : "Quelques réponses aux questions que vous vous posez". Ces ouvrages constituent la première collection dédiée à l’Education thérapeutique du patient en psychiatrie.

Dans le cadre de son D.E.A. de droit médical, il s'intéresse à l'isolement thérapeutique et publie en 1998 le premier ouvrage consacré à cette question. Il est un des rares soignants à remettre en cause la dimension thérapeutique de l’isolement.

Ses collègues de serpsy, A-M. Leyreloup, E. Digonnet, I. Aubard et M. Rajablat creusent également l’entretien infirmier et la toilette, les portes ouvertes et fermées, les ateliers thérapeutiques.

D'autres ouvrages suivront, dont le dernier publié en 2019, a pour titre "J'aime les fous". Il y explore des séquences de soins auprès de personnes rencontrées dans le cadre de sa pratique ambulatoire. Ses récits conçus comme des petites nouvelles incitent le lecteur à s’inviter dans la tête d’un infirmier de secteur psychiatrique.

" Insister sur la réglementation de l'isolement et de la contention revient à permettre du jeu dans un système qui apparaît figé, à recentrer médecins et infirmiers sur le soin (leur mission fondamentale), à modifier l'équilibre du pouvoir dans l'institution, à introduire un tiers (juge, CDHP), à contribuer à rendre les infirmiers réellement responsables des actes qu'ils réalisent."

L'ouvrage

Il reprend les grandes lignes de son D.E.A de droit médical. Le Groupe de recherche en soins du XIVème secteur de Paris, sous l'impulsion de l'auteur, s'intéresse à un sujet alors tabou : la chambre d'isolement. Sans le savoir, ils vont mener leur recherche parallèlement à celle de l'ANAES (future H.A.S). Ils organisent, dès mars 1996,  des journées consacrées à l'isolement (De la chambre d'isolement à la chambre de soins intensifs) qui rassemblent plus de 200 soignants au C.H. Esquirol. Le travail est alors suffisamment avancé pour qu'ils interviennent autour du vécu des patients isolés. 

D. Friard n'est pas plus passionné que cela par le droit mais comme c'est l'intitulé de son D.E.A, il est bien obligé de l'étudier. L'ouvrage comprend donc une partie juridique. L'isolement en tant que pratique d'enfermement repose sur un vide juridique qu'il explore en s'appuyant sur la  constitution et le droit à la sûreté, défini comme le droit de ne pas être enfermé arbitrairement, un droit plus fondamental encore que la liberté d'aller et venir, fruit d'une reformulation qui affadit de fait un droit aussi fondamental qu'imprescriptible, repris ensuite dans la déclaration de l'O.N.U. Il analyse les différents textes en vigueur en suivant la hiérarchie des textes. L'isolement n'apparaît que dans la circulaire du 15 mars 1960 relative à l'architecture des hôpitaux psychiatriques. 

Il s'intéresse ensuite aux modalités pratiques d'isolement qu'il décrit très précisément à partir du discours des infirmiers. Ces pratiques sont décrites à partir de trois outils : un questionnaire adressé aux infirmiers du Centre Hospitalier Esquirol en juillet/août 1994, un questionnaire auquel 440 infirmiers de 28 établissements,à Paris et en province, ont répondu; ces réponses ont été confrontés aux critères ANAES et enfin une enquête retrospective sur dossiers qui ne prenait en compte que les écrits médicaux et infirmiers. 

La troisième partie, enfin analyse le discours de dix patients qui ont été isolés. Cinq isolements repontaient à moins de trois semaines, trois à trois  moiss, un à un an, et un à deux ans. Les patients ont été interrogés à partir d'un questionnaire qui comprenait quatre questions fermées et dix questions ouvertes. Trois patients avaaient été isolés trois jours,  trous une semaine, trois entre quinze jours et trois semaines et un trois mois. Sept registres d'analyse ont été retenus : pathologie et troubles du comportement, soins, théories explicatives, contrat d'isolement, conditions matérielles, ressenti et relation soignant/soigné. Cette partie est la plus riche et la plus dense de l'ouvrage. Tout en subissant des fluctuations liées à l'évolution de leur état psychique, le témoignage des patients est non seulement recevable mais extrêmement précieux pour comprendre ce qui se joue autour de l'isolement. Les différents points  traitant des conditions matérielles d'isolement apparaissent tout à fait pertinents. Le deuxième acquis est que même délirants, les patients devenus usagers, peuvent participer indirectement, et même directement à l'évolution du cadre de soins. Il est évident qu'un tel constat ne peut qu'apparaître paradoxal lorsqu'il s'agit de les enfermer. Le troisième acquis est que soin et enfermement n'apparaissent pas suffisamment séparés, la notion de soin, si elle n'est pas manifestée danss le discours médical, explicitée aux infirmiers et dans la pratique infirmière jusque dans les plus petites choses semble invisible au patient. Autrement dit, il ne suffit pas d'énoncer que l'isolement est un soin pour qu'il le soit et qu'il soit perçu comme tel par les patients. Il faut qu'il soit intégré dans l'ensemble de la prise en charge, dans les  éléments du décor. Il doit être un moyen et non pas une fin. Il faut qu'il soit parlé, repris entre soignants et entre soignants et soignés pour devenir thérapeutique, c'est-à-dire le vecteur d'une élaboration psychique. Il faut que nous soyons constamment en mesure de le démontrer.

Du côté de la pratique

Au-delà des références au droit et à la constitution, l'ouvrage donne à voir la réalité très contrastée de l'isolement tel qu'il se pratiquait dans les années 1990-2000 et tel qu'il se pratique encore aujourd'hui. Il donne surtout à entendre ce que les patients ont à en dire. A un moment où les médiateurs de santé et les pairs-aidants n'existaient pas, il inaugure une façon d'être à l'écoute qui est amenée à se développer. Si l'on peut demander aux patients comment ils ont vécu l'isolement que nous avons été obligés de leur imposer, si l'on peut entendre leur vécu sans chercher à nous justifier, on peut entendre et accueillir beaucoup de contenus. Il reste encore du travail.

Apport de cette lecture au(x) soignant(s)

L'isolement et la contention ne doivent être utilisés qu'en dernier recours dit la loi. Qu'est-ce que cela signifie exactement ? Comment peut-on s'en passer ? A quelles réalités cliniques fait-il appel ? Peut-il être thérapeutique ? Ces questions doivent être posées et l'ouvrage accompagne les soignants dans leur  réflexion. Bien sûr, c'est parfois inconfortable mais à tout prendre ça l'est moins qu'un séjour en isolement. 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 19/10/2020

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