Fustier Paul, Les corridors du quotidien

Paul Fustier

 

Corridors 1

Un ouvrage majeur qui confronte l’institution du manque à combler aux questions liées à la dévotion maternelle, à la tendresse et au Don.

" Nous disions que l'institution du plein se donne comme idéal de répondre à la perfection et sans délais aux "besoins" que manifeste l'enfant. Nous disions aussi que ce modèle institutionnel renvoyait probablement à une reprise de la dévotion maternelle, au sens de Winnicott : une mère toute-présente et toute-puissante, capable de comprendre magiquement et de satisfaire absolument les demandes du nourrisson."

L’auteur

Psychologue, professeur de psychologie à l’université Lumière-Lyon II, Paul Fustier (1937-2016) fut également docteur en musicologie et spécialiste de la vielle à roue. Il publie, en 1972, son premier ouvrage L'identité de l'éducateur spécialisé. Il a participé, dans la foulée, à la création d’une école d’éducateurs spécialisés en cours d’emploi, « Recherches et promotion » à Lyon. L’objectif était de former des adultes  « puisant leur distinction non dans leur naissance et la fréquentation des bonnes écoles, mais dans leur expérience sociale et de leur donner une reconnaissance sociale et des outils pour penser leur pratique ». Il a participé, en 2010, au sein de l'université de Lyon 2, à une recherche sur la clinique des institutions, qui mobilisa notamment René Kaës, René Roussillon et Jean-Pierre Vidal. Il a codirigé avec Gilles Amado, en 2012, un numéro de la Nouvelle Revue de psychosociologie consacrée à l’étude du fonctionnement d’une équipe dans divers champs (médico-social, éducatif, sportif) et sur plusieurs plans (culturel, social, psychique, économique). Si Fustier fut un membre actif de ce que l’on a nommé l’école française de psychanalyse groupale, il n’en poursuivit pas moins un chemin singulier que l’ouvrage proposé décline.

"L'éducatrice répond, au niveau où la demande est formulée. Elle propose la solution qui correspond parfaitement à l'appel, sans qu'il y ait ni recherche, ni doute. La solution est déjà là qui comble, dès le moment où le problème se pose, comme s'il pouvait suffire au jeune de désirer pour obtenir, comme si l'éducatrice était une mère "dévouée" susceptible, dans sa toute puissance de proposer une réalité là où un manque à combler s'était manifesté."

L’ouvrage

Avec les Corridors du quotidien, Fustier s’intéresse non pas au traitement psychothérapique qui se déroule  dans un bureau et fait rupture avec le quotidien mais à l’accompagnement de la vie ordinaire qui se déroule essentiellement dans les corridors, un espace qui manifeste la continuité du temps qui s’écoule. Pour contribuer au soin, ces espaces doivent être l’objet d’une écoute et d’un effort de compréhension de la psychologie et de la psychopathologie ordinaire. Tel est l’objet de cet ouvrage, conçu comme une partition musicale avec un thème et des variations.

Il s’agit de réfléchir aux significations que prennent pour la personne accueillie les dispositifs que l’institution met en place et les pratiques de ceux qui ont en charge le quotidien. L’une des originalités de la pensée de Fustier est qu’il préfère au concept de transfert qu’il réserve à la situation analytique celui de relation d’objet par étayage.

Le chapitre 6 qui constitue la 1ère variation éclaire la thématique du Don. La vie institutionnelle suppose des échanges à partir de « vrais faux Dons » qui donnent sens aux relations qui se nouent dans la vie ordinaire. « Un éducateur, travaillant dans un établissement recevant des adolescents « caractériels », relate avec humour l’ambiguïté d’un Don. Il avait décidé, avec l’accord de l’équipe institutionnelle, qu’il inviterait un adolescent au restaurant, pour favoriser l’émergence d’un « lien privilégié ». Cette invitation s’effectuait naturellement aux frais de l’institution. « Or, nous dit l’éducateur, j’ai vraiment l’impression qu’il s’est passé pendant ce repas des choses importantes, le garçon a été très touché, confiant, désarmé, me manifestant une reconnaissance hors de proportion, comme si, en l’invitant aux frais de la maison, je lui avais fait un immense cadeau ». Et l’éducateur conclut en riant : « Je me suis cru obligé de lui offrir le café, mais cette fois-ci avec mes sous personnels. » (1)

Fustier introduit avec cette anecdote la question du Don et de ce qu’il nomme la position énigmatique. L’adolescent reçoit le repas comme un présent que lui fait l’éducateur, mais c’est un cadeau qui ne lui coûte rien, sauf une certaine culpabilité qu’il « soigne » en offrant le café. Ce Don du café qui révèle la position énigmatique de l’éducateur, est-il une manifestation d’amour ou de tendresse ? Chaque soignant, un tant soit peu présent auprès des patients qu’il soigne, est confronté, à un moment ou à un autre, à cette question : « Quand tu m’invites au restaurant, est-ce pour moi que tu le  fais ? » qui s’oppose implicitement à : « Est-ce que tu le fais par obligation ? ». « La part de gratuité qui apparaît dans les situations citées, précise Fustier, renvoie directement à des actes réalisés pour le « plaisir de faire plaisir », c’est-à-dire par amour. » (1) Sous peine d’apparaître comme une figure maternelle capable de tout donner, le  soignant ne doit qu’offrir des dons lacunaires, imparfaits plus propices à l’élaboration psychique.

Du côté de la pratique

Cela fait des années que je suis Claire. Je la vois une fois par semaine. Nous respectons bien l'un et l'autre nos distances physiques. Nous démarrons et finissons nos rencontres par une poignée de main. Au fil du temps et des années, un rituel s'est fabriqué qui débute au cours du mois de décembre : celui de la bise du premier de l'an. Claire commence à en parler très tôt. "Tu me feras la bise pour la nouvelle année, dis". Je ne dis rien. Ni oui, ni non. Je ne travaille pas le premier de l'an, Claire le sait. Elle précise donc : "Oui, la première fois qu'on se verra en janvier." Lors de notre dernière rencontre de l'année, elle le mentionne encore. Quand janvier arrive, elle ne manifeste rien. Il faut attendre la deuxième rencontre pour qu'à nouveau elle en parle. "Mince, on a oublié de se faire la bise." Elle réfléchit : "Bon, on se la fera l'année prochaine". Et nous repartons comme cela jusqu'à décembre. Cette bise que nous ne devons pas nous faire réaffirme chaque année les  règles de cette relation. Elle repose sur une ambiguïté que je ne dois en aucun cas lever. On pourrait se la faire mais on ne la fait pas. Que je précise : "Mais Claire, je ne suis pas là pour ça, c'est en tant que soignant que je te rencontre" et je me retrouverai, immédiatement "licencié" par Claire, ce qui a été le cas de quelques collègues, trop précis. Il en serait de même si j'acceptais cette bise qui n'engage à rien. Il est des ambiguîtés nécessaires. 

Apport de cette lecture aux soignant(e)s

Fustier part de situations ordinaires, banalement quotidiennes qu’il éclaire avec des concepts analytiques, sociologiques ou ethnologiques. L’éducateur ou le soignant ne les perçoivent plus de la même façon et peuvent modifier leur attitude en conséquence. Ses observations reposent sur des séquences d’analyse des pratiques longuement dépliées. Un ouvrage à lire collectivement chapitre après chapitre.

Dominique Friard

Notes :

1. FUSTIER (P), Les corridors du quotidien, Dunod, Paris, 2008. 

 

Date de dernière mise à jour : 07/06/2020

Commentaires

  • Friard
    • 1. Friard Le 30/04/2020
    Pourquoi ne pas présenter d'autres ouvrages de Fustier ?

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