Gigou Y, Coupechoux P. Mon métier d'infirmier

Mon métier d’infirmier

Eloge de la psychiatrie de secteur

Yves Gigou, avec Patrick Coupechoux

Editions d'Une

Gigou

Cet itinéraire d’un soignant engagé retrace le parcours d’un infirmier qui s’est battu toute sa vie contre l’asile, dans sa version coercitive. Les mains dans le cambouis, Yves Gigou, avec l’amicale complicité du journaliste Patrick Coupechoux nous présente quelques figures remarquables de la psychiatrie de secteur.

« En fait, il y avait mille activités ou peu s’en fallait : les « Jeudis soirs » par exemple de (18 à 21 heures) à la Maison des jeunes et de la culture Gérard-Philippe à Champigny, où nous animions des ateliers lecture, des séances de ciné, avec les patients qui vivaient en ville et qui venaient exprès ; ces soirées étaient encadrées par un infirmier, une psychologue et un médecin. […] Je me souviens toujours du regard et des larmes de cette patiente lorsqu’elle a découvert les chœurs et les musiciens de la Symphonie des Mille de Gustav Mahler, grandioses. Formidable partage d’émotions. »

L’ouvrage

Yves Gigou est né le 12 avril 1948. A priori rien ne prédisposait cet ouvrier spécialisé, âgé de 16 ans, à travailler en psychiatrie. L’entreprise Legris à Ozoir-la-Ferrière qui fabriquait des robinets n’était en rien une succursale de La Salpêtrière.

Il suffit de peu de choses pour qu’un destin bascule. Une kermesse à l’hôpital de La Queue-en-Brie où bossait le père de son camarade de travail Michel décida de son avenir professionnel.  « Je crois qu’il régnait dans ce lieu comme un air de liberté qui m’enchantait. Si je me  référais à  ce que je connaissais : les fêtes de la  paroisse –sous l’œil du curé- cette kermesse m’apparaissait comme un joyeux bordel […] Entre deux chamboule-tout, les gens se marraient, certains d’une façon un peu étrange, mais cela ne me perturbait pas, la vie était belle. En fait pour la première fois de mon existence, je me sentais bien, pas comme à l’école ou à l’usine. » Nous sommes nombreux à être entrés en psychiatrie pour cette raison. A l’occasion d’une kermesse ou d’une quelconque occasion, on découvre un lieu où règne une certaine liberté. Pas comme à l’école ou à l’usine. La Queue-en-Brie, à l’époque, était un lieu à la pointe de la psychiatrie désaliéniste. On y soignait l’ambiance.

Yves et Michel décidèrent dans la foulée de devenir infirmier en psychiatrie. Fin des petits boulots, des salaires de misère, promotion sociale ont aussi compté. Comme l’écrit Yves en y regardant de plus près, d’autres motivations plus profondes existaient également. On peut probablement les retrouver chez la plupart des soignants qui se sont investis en psychiatrie.

Le 11 juillet 1966, Yves entre donc à l’hôpital psychiatrique de Villejuif qui avait encore tout de l’asile. Il y fait ses premières « armes », premières découvertes avant de commencer la formation d’infirmier psychiatrique. Il y rencontre le futur psychanalyste Gérard Pommier qui l’emmène au séminaire de Françoise Dolto. Yves est membre du Parti Communiste, ce qui ne sera pas toujours simple pour lui. La position critique du Parti vis-à-vis de la psychanalyse, cette science bourgeoise, passe mal. Il adhère à la CGT. C’est un militant. Ses racines ouvrières, comme celles de nombre d’entre nous, affleurent souvent et colorent ses rapports avec l’institution. Engagés auprès des patients, engagés politiquement, Yves marche sur ses deux jambes, il lutte contre l’aliénation sociale et contre l’aliénation psychique.

Il quitte Villejuif pour le secteur de Mme Amado, à La Queue-en-Brie. Mme Amado c’était quelqu’un. Yves écrit qu’il n’a jamais pu l’appeler autrement que Madame Amado, « une pionnière de la psychiatrie de secteur, avec la vision, l’humanité, l’intelligence, le courage que cela supposait à une époque où l’enfermement et le mépris des fous étaient de mise, malgré la révolution désaliéniste qui s’annonçait. » Il y fait ses universités. Activités de médiation, séjours thérapeutiques, visites à domicile, le secteur de Mme Amado propose une des palettes de soins les plus complètes de l’époque. Yves y reste un quinquennat. C’est une façon intéressante de mener sa carrière : éviter de rester plus de cinq ans dans un lieu, une manière d’éviter de se chroniciser, de s’acheter des charentaises et de contribuer au maintien ou à la recréation du vieil asile qui ne fait que sommeiller.

Il part ensuite travailler en pédopsychiatrie, à la Fondation Vallée, chez Roger Misès qui était non seulement un praticien mais aussi un théoricien. A son arrivée à la fondation en 1957, Misès avait libéré les enfants attachés et réorganisé la fondation pour en faire une institution humaine. En 1957, il y avait encore des tickets de rationnement. Quand on pense qu’aujourd’hui, avec tous les moyens thérapeutiques que nous possédons, on est à nouveau à  attacher des enfants.

L’importance des CEMEA est régulièrement évoquée dans les histoires des infirmiers psychiatriques de ces années-là. Pour ceux qui leur ont succédé, comme moi, qui n’ont pas connu ces stages où se solidifiait des convictions et des savoir-y-faire avec la folie, c’est un fait historique. Yves nous y fait pénétrer. Recruté comme instructeur permanent, il doit « coordonner » l’activité des instructeurs bénévoles dans la région parisienne, encadrer des stages et en « inventer » d’autres. « La perspective de la psychiatrie de secteur créait d’énormes besoins, il fallait former des bataillons d’infirmiers au désaliénisme qui constituait à l’époque quelque chose d’absolument nouveau. » Eh oui, si l’on veut combattre l’asile, supprimer le recours à la contention et restreindre l’usage de l’isolement, il faut former les infirmiers. Yves fut de ces formateurs. Il deviendra rédacteur-en-chef de VST (Vie Sociale et Traitement), alors une des toutes premières revues dédiées au soin en psychiatrie et au désaliénisme. Yves raconte comment elle cessa de l’être et se positionna dans le champ de l’éducation spécialisée et le travail social. Ces pages sont passionnantes. Le portrait qu’il dresse de son ami Lucien Bonnafé, un des psychiatres qui rénova la psychiatrie après avoir été un grand résistant, admirateur du surréalisme et communiste est touchant.

Il part ensuite travailler chez Guy Baillon, à Ville-Evrard. Guy est aussi un psychiatre viscéralement attaché au soin dans la communauté. En quelques années, il vide son service pour accueillir les malades dans une myriade de lieux : CMP, CATTP, hôpital de jour, hôpital à temps plein (le moins possible, précise Yves), un foyer, des appartements thérapeutiques en ville, le domicile des patients (qui vivaient chez eux) qui y recevaient parfois chaque jour un soignant, une institution pour personnes âgées, et enfin « le navire amiral », la porte d’entrée dans les soins : le Centre d’Accueil et de Crise, le CAC ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 qui accueillaient tous ceux qui en ont besoin. « Sans oublier une « boutique » où les gens pouvaient venir déposer les affaires dont ils ne voulaient plus, qui étaient vendues par des patients –un dépôt-vente thérapeutique pour le dire autrement. »

A la fin de son quinquennat, Yves retourne à Villejuif, le vieil asile de ses débuts, comme surveillant-chef (cadre-supérieur de santé). Il se donne comme objectif de rénover l’un des pavillons d’hospitalisation, une annexe de l’UMD, et surtout d’en ouvrir les portes. Il se heurte là à la  vision sécuritaire de la psychiatrie. « Pour eux les patients étaient dangereux, ils pouvaient agresser les gens dans la  rue, se mettre eux-mêmes en péril et la seule solution raisonnable était de les boucler à double tour. » Il dut faire ses preuves, montrer que tout militant qu’il était, que tout rédacteur-en-chef de VST (ce repaire de gauchiste) qu’il avait été, il restait infirmier et pouvait à l’occasion faire une injection et contenir un patient agité (uniquement par la qualité de sa présence). L’enjeu, toujours le même, mais abandonné au fil du temps, des réformes et des économies à  réaliser est de transformer les gardiens de fous en infirmiers psychiatriques.

Il  fait fonction d’infirmier général pendant un an et s’échappe (et échappe en même temps à la formation à Rennes) pour travailler à Thiais, Rungis et Fresnes dans un secteur. Il fait valoir ses droits à la retraite en 2005 lorsqu’il apprend que le  médecin qui l’a fait venir part travailler au service psychiatrique de la MGEN.

L’ouvrage s’achève par l’évocation du discours de Sarkozy, à Antony, et la  création du collectif des 39 rassemblé pour lutter contre ce discours sécuritaire et les pratiques qu’il inspire. Les dernières phrases évoquent l’éveil d’un printemps de la psychiatrie encore bourgeonnant, hésitant.

Une carrière bien remplie dont le récit peut être enseignant pour peu qu’il soit le support à des lectures complémentaires.

Les technocrates d’aujourd’hui peuvent bien raconter ce qu’ils veulent, se raccrocher aux branches pour élucubrer que le secteur c’est ringard, dépassé, que la psychothérapie institutionnelle c’est mort, qu’en dehors du cerveau et des neurosciences il n’y a point de salut, l’isolement et les contentions prospèrent. On peut faire autrement. Collectivement. Avec un vrai lien entre infirmier et psychiatre. C’est une histoire d’engagement partagé. Une histoire à construire ensemble.

Mon métier d’infirmier c’est de travailler avec quelques autres au dépérissement de l’asile, à soigner chacun au plus près de chez lui, en fonction des difficultés qui l’assaillent.  C’est un métier exigeant qui oblige à lire, réfléchir, fréquenter les séminaires, se remettre en cause, ne jamais rien tenir pour acquis, faire alliance avec les médecins, les patients, les familles et la société civile..

Merci Yves de nous le rappeler !

Dominique Friard

 

Commentaires

  • Philippe Bertrand
    • 1. Philippe Bertrand Le 15/07/2021
    Merci pour votre témoignage, Philippe Bertrand ISP blouse noire du Rouvray .

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