Goethe J.W., Les souffrances du jeune Werther

« Les souffrances du jeune Werther »

Johann Wolfgang Goethe

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Un célèbre roman épistolaire qui décrit de l’intérieur les circonstances qui mènent le jeune Werther au suicide. Une autopsie psychologique … à travailler en formation

« Que de fois j’apaise avec sa mélodie [celle d’Homère] mon cœur tumultueux, car tu n’as jamais rien vu d’aussi changeant, d’aussi inconstant que ce cœur. Ô mon ami, ai-je besoin de te le dire, à toi qui tant de fois supportas la lourde peine de me voir passer de l’accablement à l’extravagance, et de la douce mélancolie à la pernicieuse passion ? Aussi bien, je traite mon petit cœur comme un enfant malade, je lui passe toute ses volontés. Ne va pas le redire : il est des gens qui m’en feraient un crime. »

L’auteur

On ne présente pas plus Goethe que Molière ou Shakespeare. Goethe (1749-1832) est un géant de la littérature allemande. Il fut romancier, dramaturge, poète, théoricien de l’art et homme d’Etat. Les souffrances du jeune Werther est son premier roman (1774). Il est alors, lui-même, un jeune homme de 24 ans. Le succès est considérable, le roman apporte à son auteur notoriété et richesse. Il constitue une des œuvres majeures du Sturm und Drang (Tempête et passion), un mouvement politique et littéraire allemand précurseur du romantisme. Les fictions du Strum und Drang mettent en scène des conflits sociaux entre un individu plutôt jeune et la société. Les personnages sont victimes du mauvais fonctionnement de la société, de la violence exercée par des jeunes hommes qu’on empêche de se marier ou d’avoir une vie sexuelle, de ses conséquences (viol, infanticide commis par les jeunes abusées), de la jalousie entre frères et sœurs, de l’arrogance des aristocrates vis-à-vis des roturiers, de la brutalité autoritaire des pères de famille, des préjugés de toutes sortes. La notion d’adolescence n’a pas encore été décrite mais nous y retrouvons bien la matrice de ce que doivent affronter les adolescents detous temps.

« Elle ne voit pas, elle ne sent pas qu’elle prépare un poison qui causera ma perte et la sienne ; et moi, avec délices et voluptés, je vide à longs traits la coupe que pour ma perte elle me tend. »

L’ouvrage

Les souffrances du jeune Werther appartiennent au sous-genre du roman épistolaire mis au goût du jour par Samuel Richardson (« Pamela ») en 1740 et surtout par Jean-Jacques Rousseau (« Julie ou La Nouvelle Héloïse ») en 1761. Il constitue un procédé utilisé par certains romanciers pour obtenir un effet de réel. Nous en retrouvons aujourd’hui la plupart des aspects dans le roman par textos (« Idylle, mensonges et compagnie » A. Niedercom) ou courriels (« Pseudo », E. Balaert). Plus de narrateur omnipotent mais un individu qui s’exprime en première personne à un correspondant dont il est séparé. Le lecteur a immédiatement accès à une intimité dont il devrait a priori être exclu. Il s’agit ici des lettres qu’envoie le jeune Werther à son ami Wilhelm dont nous ne saurons presque rien sinon qu’il remplit la fonction de Surmoi. Le roman s’achève par une longue note de l’éditeur au lecteur qui fait le récit des derniers moments de Werther qui se suicide, évènement que celui-ci n’aurait évidemment pas pu raconter par lettre. Le sous-genre est particulièrement adapté à l’expression du sentimentalisme (Empfindsamkeit) qui caractérise cette période qui vise à prendre ses distances avec la raison et les excès des Lumières.

Goethe nous fait, ainsi, entrer dans la peau du jeune Werther et nous décrit les étapes qui le conduisent à se suicider. De ce point de vue, le roman est un chef d’œuvre. Qu’un si jeune auteur puisse décrire avec autant de pertinence ce voyage au pays de la dépression, à un moment où la PMD n’avait pas encore été décrite est remarquable. Il est vrai que Goethe, lui-même, tomba amoureux de Charlotte Buff fiancée à son ami Johann Christian Kestner. En 1772, celle-ci lui déclare qu’il n’a pas le droit d’espérer plus que de l’amitié. Aussi désespéré qu’il avait été passionné, Goethe quitte Wetzlar. Il est en proie à des idées de mort. Au lieu de passer à l’acte, il écrit le roman dans une sorte de fièvre. Le destin malheureux de Charles-Guillaume Jerusalem qui se suicide par dépit, humiliation lui fournit la chute du roman.  

La première lettre du premier livre est datée du 4 mai 1771. Werther arrive à W. pour résoudre une affaire de famille. C’est un jeune homme qui ne « veut plus remâcher, comme [il l’a] toujours fait, un peu de misère que le destin |lui] sert. » Il se reproche d’avoir suscité une passion amoureuse chez la sœur d’une jeune fille de ses amis. Il recherche la solitude qui est pour son cœur, dans cette contrée paradisiaque un baume délicieux. Invité à un bal, il rencontre une jeune femme prénommée Charlotte (Lotte), fille d’un bailli qui depuis la mort de sa mère s’occupe de ses 6 frères et sœurs. Il apprend que Lotte est fiancée à Albert, un homme pétri de qualités, il n’en tombe pas moins immédiatement amoureux de la jeune femme qui partage avec lui les goûts esthétiques et sentimentaux de leur génération. Face à cet amour impossible, il finit par s’enfuir pour tenter de l’oublier.

La première lettre du second livre est du 20 octobre 1771. Werther s’est mis au service d’un ambassadeur qui ne l’apprécie guère. Il rencontre une jeune femme avec laquelle il partage de nombreux gouts et la même vision du monde. Il est contraint de quitter cette société lorsque le comte qui l’a invité lui fait observer que les roturiers n’y sont pas admis et que même lui, n’a pas le pouvoir de l’y imposer. Humilié, Werther retourne à W. pour retrouver Charlotte désormais mariée avec Albert.   

Comprenant que cet amour, bien que partagé, est impossible, Werther se tire une balle dans la tête.

Ce que l’ouvrage apporte aux soins

Admirablement construit, le texte est semé d’indices qui montrent que non seulement les affects dépressifs mais également la tentation du suicide sont constamment présents chez Werther. Le lecteur soignant, comme pour une autopsie psychologique du suicide, peut les rechercher et observer comment à un moment tout semble converger vers l’issue fatale. Il observe que Werther est régulièrement en proie à des idées sombres sinon noires. L’idée du suicide devint petit à petit la perspective d’une libération. Il imagine différentes façons d’en finir et fixe son choix sur les pistolets d’Albert qui lui seront donnés par Lotte elle-même. Werther résiste néanmoins. Il faut une série d’évènements extérieurs pour affaiblir ses dernières défenses et l’amener au passage à l’acte.

Avec ce format lettre, nous avons accès à l’intériorité du suicidant. Nous sommes Werther, nous pensons, agissons avec lui. En ce sens ce roman est pour le soignant d’une très grande richesse. La formation à la prévention du suicide ou  celle, universitaire, des infirmiers de pratiques avancées (I.P.A) devraient intégrer la lecture réflexive des souffrances du jeune Werther. L’étudiant serait invité à repérer les différentes étapes qui mènent au suicide. Werther paye ses dettes, écrit des messages à sa belle indifférente avant de passer à l’acte. Lotte et Albert ne voient pas la dépression à l’œuvre chez Werther. Ses idées exprimées et même rendues concrètes par l’esquisse du geste fatal devant Albert ne sont pas prises suffisamment au sérieux. Ils fournissent l’arme qui mettra fin aux tourments de Werther. Aurait-on pu prévenir ce suicide ? Aurait-il été possible d’éviter cette issue fatale ?

La publication du roman entraîna une véritable épidémie de suicides mimétiques qui prit le nom de fièvre de Werther.  

Dominique Friard

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