GRIPI, L'identité professionnelle de l'infirmière

L’identité professionnelle de l’infirmière

GRIPI

Groupe de Recherche Interprofessionnel sur la Profession d’Infirmière

Un ouvrage ancien qui creuse la question de l'identité infirmière. Devenu difficile à trouver, il reste intéressant à plus d'un titre. Le marasme identitaire est toujours d'actualité, l'ouvrage peut contribuer à travers sa typologie, à enrichir nos réflexions contemporaines. L'occasion de découvrir Françoise Hortala, une infirmière qui soutint une thèse de psychologie en 1978. 

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« L’identité professionnelle ne peut se construire et exister sans un certain degré de satisfaction, sinon il y a désinvestissement, retrait de la personne au travail. Cependant, il faut pouvoir qualifier les satisfactions. Sont-elles de nature personnelle ou professionnelle ? Roustang dit que la satisfaction au travail dépend d’un certain nombre de facteurs en interaction. Citant les travaux de M. Liv, il donne des variables explicatives de la satisfaction au travail qui sont : les caractéristiques individuelles, l’environnement social, la conception du travail, les composantes de la vie professionnelle, les caractéristiques de l’entreprise. »

Les auteurs

Les psychosociologues et les sociologues du S.I.R.V.I.S.O. (Service d’Intervention et de Recherche en Vie Sociale), dépendant de l’I.P.S.A à Angers, se sont interrogés, à partir de leurs pratiques de formateurs et d’intervenants en milieu infirmier, sur certains aspects de la profession infirmière. Caractérisée par sa rencontre avec la souffrance, la maladie et la mort, la profession infirmière leur semblait différente des autres professions, elle demande des motivations particulièrement importantes pour s’y engager. Il leur semblait important de connaître la nature et la force de ces motivations pour exercer la profession.

Reconnaissons que la question, pour être intéressante, n’était pas neuve. Le GERIP (Groupe d’Etudes et de Recherches des Infirmiers psychiatriques), dès 1968, s’y était intéressé et en avait fait le support fondateur du premier groupe de recherche infirmière français (88 hôpitaux sur environ 130 établissements psychiatriques avaient répondu au questionnaire). L’EIEIS (Ecole Internationale d’Enseignement Infirmier Supérieur), l’année suivante, lui avait emboîté le pas en élargissant le questionnement à l’ensemble des infirmières.

Nos chercheurs avaient fait différentes « constats » et posé quelques intuitions qui méritent qu’on les reprenne, ceux-ci étant rarement écrits de façon aussi explicite :

« Aspects de la vocation de la profession : l’infirmière se consacre à la tâche de « soigner ». Vocation qui peut aller jusqu’à l’identification vie professionnelle-vie personnelle ;

- Rôle maternel de l’infirmière : qui soigne les malades assimilés à des « enfants » dépendants ;

- Lien avec la nature  féminine qui retrouve à l’hôpital le sang qui coule, qui salit.

- Travail de réparation du corps malade à travers les techniques de soins infirmiers »

Certains diront que ces chercheurs ne véhiculent là que leurs propres représentations de l’infirmière et portent un regard aliénant sur l’infirmière en tant que femme et sur la femme en général. C’est ainsi que ces chercheurs pensaient en 1980.

Ils ont voulu approfondir ces questions, les aborder à travers une recherche et ont choisi de le faire avec des professionnelles concernées. Ils ont contacté tout d’abord des infirmières enseignantes et des infirmières soignantes de secteurs différents.

En mars 1980, un groupe s’est réuni pour la première fois et des séminaires de recherche se sont institués au rythme de deux jours de travail tous les deux mois. Le groupe a dû apprendre à travailler ensemble, se connaître, élaborer son projet ; il a fallu plus d’un an de fonctionnement avant que les entretiens ne commencent.

Pour se faire reconnaître, le groupe de travail ainsi constitué (à partir d’octobre 1981, 12 personnes) a décidé de se nommer GRIPI (Groupe de Recherche Interprofessionnel sur la Profession d’Infirmière) voulant ainsi indiquer sa détermination à poursuivre le travail de collaboration entrepris.

Le groupe est composé de Thérèse Berneron (Monitrice Ecole de cadres), Jacques Bineau (Psychosociologue, coordinateur du groupe), Yvette Boisson (Monitrice Ecole d’Infirmières), Christiane Bregeon (Infirmière), Yvonne Bruchet (Surveillante, Coordinatrice du groupe), Jacqueline Chabot (Monitrice d’Infirmières), Thérèse Charrier (Psychosociologue vacataire), Pierre Cousin (Sociologue), Monique Lusson (Monitrice d’Ecole d’Infirmières), François Meignan (Psychosociologue), Maryse Penloup (Infirmière en Centre de soins), Philippe Rutten (Psychosociologue vacataire).

Pour nous résumer sociologues et psychosociologues sont des hommes (à l’exception d’une vacataire) et les professionnelles du soin sont des femmes.

« Autrement dit, les infirmières ayant une identité professionnelle affirmée sont celles, qui à travers un parcours singulier, ont pu atteindre, intégrer et mettre en pratique les valeurs universelles de la profession infirmière. Celles qui n’ont pas d’identité en sont restées à la particularité de leur situation, elles sont passées à côté des éléments généraux et fondateurs. »

L’ouvrage

Le GRIPI a décidé d’étudier l’identité professionnelle de l’infirmière pour tenter de répondre à la question suivante : la construction de l’identité professionnelle de l’infirmière est-elle liée à des invariants communs à toutes les infirmières ou bien est-elle dépendante des variables de situations professionnelles ? Cette construction de l’identité professionnelle débouche-t-elle sur une ou  des identités ?

Pourquoi reprendre, aujourd’hui, ces travaux ?

L’identité professionnelle infirmière est aujourd’hui en crise. La création des IPA, un nouveau métier issu du champ professionnel, implique une redéfinition de la place et du rôle de l’infirmière. Ces IPA, qualifiées de super-infirmières par les médias, impliquent qu’il existe des pratiques dites avancées et d’autres qui ne le sont pas; les choix faits en France mettent l’accent sur des techniques médicales plutôt qu’issues du rôle autonome des infirmières rabaissé pour le coup au rang de pratiques ordinaires, banales. Qu’en pensent les infirmières spécialistes cliniques, les infirmières d’orientation et d’accueil et toutes celles qui se sont investies dans les innombrables D.U. qui leur ont permis d’acquérir des compétences qui n’ont jamais été reconnues ? Doivent-elles passer sous les fourches caudines médicales via la formation d’IPA ? Des infirmières cliniciennes de pratiques avancées telles que créées dans la sphère anglophone et francophone auraient insisté non plus sur les pratiques mais sur la pensée clinique. La création d’un troisième cycle dit en sciences infirmières rajoute un élément de crise. L’évolution du rôle des aides-soignantes, à l’autre bout de la chaîne alimentaire vient encore rétrécir la définition du rôle infirmier. Si les infirmières doivent redéfinir leur identité, les IPA doivent également définir la leur : sont-elles uniquement les auxiliaires médicaux définis par le rapport Berlant et les textes qui définissent leur rôle ou peuvent-elles exercer une fonction qui se différencie de la pensée et de la pratique uniquement biomédicales ? Autrement dit, sont-elles encore infirmières ? La crise covidienne qui a vu les infirmières être applaudies à vingt heures mais dans le même temps et parfois aux mêmes endroits être priées fermement de déménager. La sensation d’être envoyées au casse-pipe sans protection, la prime accordée de haute lutte sans modification de la gouvernance hospitalière qui a montré ses insuffisances, tout cela rajoute à la crise identitaire infirmière. Revenir à ces travaux plus anciens permet aux unes et aux autres de réfléchir à l’évolution de la profession et d’articuler éventuellement de nouvelles questions identitaires.  

Une enquête a donc été réalisée auprès de cent personnes issues de la région Pays de la Loire. Cette recherche prend son origine de trois types de réflexion :

  1. La diversité des situations professionnelles est très importante :

  • L’exercice quotidien de la profession d’une infirmière libérale est très différent de l’exercice quotidien d’une infirmière en entreprise ;

  • Il en va de même pour la pratique de l’infirmière ministérielle en santé scolaire qui se situe à l’opposé de l’exercice quotidien d’une infirmière hospitalière dans un service de soins intensifs ;

  • La diversité s’exprime à travers des différences de statuts qui permettent à certaines infirmières d’occuper des fonctions hiérarchiques, et d’obtenir une meilleure rémunération (surveillante et enseignante).

  1. Les relations entre infirmières sont souvent marquées de tension ou de conflits :

  • Les relations entre les infirmières enseignantes et les infirmières soignantes se caractérisent fréquemment par une opposition à propos de l’évaluation des élèves ;

  • Les relations entre service de chirurgie et services de médecine sont traversées par des jugements de dévalorisation ;

  • On constate en milieu hospitalier une méconnaissance de la fonction de l’infirmière hors de l’hôpital ; cela se traduit fréquemment par une absence de liens entre l’infirmière hospitalière et l’infirmière de secteur (libérale, associative ou municipale) chargée de la surveillance d’un malade récemment sorti de l’hôpital.

  1. La formation initiale de l’infirmière est en mutation :

  • Les récents changements de programmes en témoignent, en faisant une part plus importante aux sciences humaines. L’objectif de la formation est d’avoir une vision globale de la personne en la situant dans un environnement psychologique, social, culturel et en prenant en compte la notion d’homme sain et non plus seulement d’homme malade ;

  • On constate chez les formateurs la naissance d’un courant visant à mettre en valeur le rôle propre de l’autonomie de l’infirmière plutôt que sa soumission à l’autorité médicale. »

La diversité des situations professionnelles s’est accrue depuis les années 80, nous l’avons vu, les occasions de conflit se sont donc multipliées. Les formations infirmières répondent à des modèles qui s’opposent (initiale versus IPA, IPA et initiale versus troisième cycle).

Une absence saute aux yeux lorsqu’on lit ces différentes considérations : celle des ISP qui ne sont nommés à aucun moment (même pas quand il est question d’infirmières de secteur) et qui représentent à l’époque 20 % des infirmières (plus que les libérales, les infirmières ministérielles scolaires, etc.). Elles existent tellement peu aux yeux des infirmières enseignantes qu’elles ne sont au cœur d’aucun conflit.

L’ouvrage est rédigé en cinq parties : Historique de la profession d’infirmières, Cadre théorique et problématique de la recherche, cadre méthodologique de la recherche, présentation des résultats et interprétation des résultats.

« Aucune infirmière n’est autonome, elle dépend du médecin qui seul possède la responsabilité des soins ; seul il est autonome devant sa conscience, la morale et la loi. A lui seul incombe la responsabilité première. S’il est vrai que l’infirmière a sa responsabilité propre, c’est une responsabilité seconde, celle de l’exécutante qui n’a pas l’initiative et qui reste l’auxiliaire du médecin. Comment alors, peuvent-elles envisager les éléments indispensables à l’exercice de leur métier ? » Dr M. Salmon, Faculté de médecine de Marseille, 1970.

La partie historique ne se distingue guère de ses homologues citées dans les présentations des différents ouvrages écrits par des sociologues ou par des infirmières issues du champ somatique : les infirmiers d’asile puis de secteur psychiatrique n’y apparaissent pas. Le lecteur qui ne lirait que cet ouvrage pour connaître la profession infirmière ignorerait qu’il a existé deux formations infirmières pendant seize ans, puis trente-sept ans. La partie historique, cela dit part de la région (Pays de Loire), et en présente une version légèrement différente, plus locale, ce qui peut être apprécié.

Le cadre théorique et la problématique de la recherche recèlent quelques éléments intéressants que nous allons reprendre.

Les auteurs relèvent que la préoccupation des professionnelles au sujet de l’identité est présente comme je le notais depuis 1967. Ils ne reprennent évidemment pas les travaux du GERIP. Entre 1967 et 1981, un certain nombre d’articles parus dans les revues professionnelles, de mémoires réalisés en Ecole des Cadres, de thèses, de livres abordent de façon plus ou moins directe cette question de l’identité. Ces travaux étant devenus difficilement trouvables, nous allons reprendre ce que les auteurs en retiennent. Citons donc la thèse de Françoise Hortada « Le phénomène école dans la formation de l’infirmière » (1978), le mémoire de Nicole Tissot sur l’identité de l’infirmière enseignante (1980) ; l’ouvrage de Geneviève Charles qui envisage les conditions de l’avènement de l’infirmière de santé publique (1981), les travaux de Marie-Françoise Collière sur les origines de la profession et son évolution (1982), le livre de René Magnon (1982) traitant du processus de professionnalisation, à travers sa vision des étapes historiques de la profession et le mémoire réalisé à l’EIEIS par Janine Robert-Lacaze, Marie-Thérèse Philardeau et Geneviève Bouzerand : « Auxiliariat médical ou service infirmier, alternative à la Formation Professionnelle Continue » (1975).

J. Robert-Lacaze Fondatrice du GRIEPS (Groupe de Recherche et d’Intervention pour l’Education Permanente des Professions Sanitaires et Sociales) en 1976, et ses deux collègues portent leur réflexion sur les représentations qu’ont les infirmières de leur fonction, leurs aspirations, leurs attentes, leurs places dans la société, l’existence ou non d’un groupe professionnel identifié ayant un projet qui passe par une stratégie du changement et une formation professionnelle continue. Elles sont convaincues qu’une mutation profonde est nécessaire pour qu’elle trouve sa spécificité, sa finalité. La profession infirmière se trouve devant une alternative : auxiliariat médical ou service infirmier.

Françoise Hortala est une infirmière psychiatrique (l’ouvrage ne mentionne pas ce « détail »), enseignante dans une école de cadres infirmiers en 1974. Dans sa thèse de psychologie disponible sur Internet, elle étudie le rôle infirmier dans ses dimensions sociologique, psychologique et psychosociologique. Considérant que l’objectif de la formation est l’apprentissage de ce rôle, elle analyse le système de formation. En posant sa première interrogation : « Qu’apprend-on ? un métier ou une profession ? », elle introduit ainsi le problème de l’identité professionnelle infirmière.

Analysant les différents niveaux de la problématique du rôle infirmier, elle souligne la coexistence de modèles différents, parfois sur un même lieu d’action. Cette diversité est repérée et décrite par la plupart des travaux qui abordent l’identité infirmière, des plus anciens aux plus récents. On parle ainsi facilement de mosaïque infirmière. Les modifications récentes risquent encore de renforcer cette diversité de pratiques, de modes de pensée et de représentations du rôle. Françoise Hortala y voit une difficulté pour la future infirmière dans la constitution de son identité professionnelle. Les différents modèles ne lui offrent pas un « cadre de références stables, prévisibles » et « si l’on admet que l’identification est le mécanisme le plus favorable à l’apprentissage d’un rôle l’absence de modèle identificatoire ou leur multiplication entraînera une difficulté au cours de la formation… »

Elle souligne également que si le « modèle choisi inconsciemment est le médecin, la  constitution de l’identité professionnelle sera difficile et le champ d’action professionnel de l’infirmière ne se démarquera pas du champ d’action médical ». On peut dire qu’avec la carence de la définition du champ d’action professionnel, c’est le degré d’autonomie de la profession qui est en cause. C’est aussi ajoute-t-elle sa difficulté à se reconnaître une spécificité par rapport à d’autres travailleurs paramédicaux ou travailleurs sociaux ou encore les psychologues, qui rend le processus d’identification difficile. Cependant, si le champ, reconnu, de la compétence de l’infirmière est en dépendance de celui du médecin (aspect technique), il existe aussi une dimension informelle, acquise par les infirmières, qui en dépasse les limites (aspect relationnel). On consultera avec profit sur ce thème le travail de Jean-Paul Lanquetin et Sophie Tchukriel : « Les aspects informels du soin infirmier en psychiatrie ». Il faut, dit Françoise Hortala, dépasser l’opposition, la dichotomie entre technique et relation et chercher ailleurs le malaise identificatoire. Son hypothèse est que « si la formation professionnelle se conçoit comme l’apprentissage d’un rôle professionnel, l’identification de ce rôle peut se faire à condition qu’une théorie de soins et de l’organisation de soins le sous-tende". Les infirmières, écrivait-elle donc en 1978, sont à la  recherche d’une fonction de synthèse qui serait cette fonction soignante.  

Les chercheurs ont identifiés quatre types de profil d’infirmières.

Les infirmières décrites comme n’ayant pas vraiment d’identité se caractérisent par les traits suivants :

  • Aucune n’a affirmé nettement avoir voulu être infirmière, elles sont motivées pour une autre profession (institutrice, pharmacienne ou partir avec « Médecins sans frontières), par des raisons floues (désir de relation avec l’autre) ou se sont soumises aux circonstances (« Je devais gagner ma vie, alors pourquoi pas infirmière ») ou au hasard.

  • Aucune n’a de projet professionnel défini sinon quitter la profession.

  • Leur parcours est tributaire de raisons personnelles ou familiales (horaires plus réguliers), influencé parfois par les autres (« On m’a dit « Votre place est à domicile »), et souvent subi (absence de choix de service « On m’a mise aux Urgences, parce que je n’avais rien choisi d’autre »

  • Elles ne se sentent évidemment pas reconnues et souvent ne cherchent pas à l’être.

  • Pas d’initiatives ou alors sur des points secondaires. Caractère routinier du travail et poids du rôle administratif.

  • Elles ont une relation immédiate à la maladie et à la mort difficile à supporter qui se traduit par la fuite, par l’impression de ne pouvoir rien y faire ou par la réduction du soin à des stéréotypes.

Les infirmières au profil identitaire très faible se caractérisent, elles, par une grande diversité de motivations, pour certaines, celles-ci sont nettes et anciennes (« Depuis toute petite je voulais être infirmière ») ; pour d’autres la relation est au cœur de la motivation (« C’est la relation surtout qui m’attirait »), pour d’autres encore c’est le type d’action vis-à-vis d’autrui qui déterminant. Certaines de ces infirmières ne se considèrent pas comme des « soignantes », l’une dit que ce qu’elle fait n’a rien à voir avec la profession, la formation qu’elle a reçue. Pour d’autres ce qui est dominant, c’est la confusion entre le registre professionnel et personnel, soit que les difficultés personnelles constituent un obstacle pour l’exercice professionnel, soit que la situation de travail est perçue seulement comme une opportunité où la personne peut s’enrichir particulièrement dans le registre relationnel. Enfin l’absence de finalité du travail fait que certaines professionnelles en parlent en termes de technique, tâches, routines qui entraînent la passivité. L’une d’elles se considère plus comme une « technicienne de salle d’opération » que comme une infirmière.

Les infirmières au profil moyen se caractérisent par un certain flou, un manque de détermination, de cohésion entre les différents indicateurs d’identité. Si la motivation est forte, on ne retrouve pas l’existence d’un projet professionnel ou, s’il y a projet, il n’y a pas de mise en œuvre de moyens pour le faire aboutir, ou de lutte pour se faire reconnaître. L’infirmière consciente de sa dépendance notamment par rapport aux médecins ou à l’administration investit dans des aspects importants certes du soin infirmier mais mal finalisés –où le personnel prend le pas sur la professionnel. Elle s’octroie peu de droits à l’initiative et donne l’impression le plus souvent d’une bonne exécutante, non engagée dans une organisation professionnelle qui permettrait la lutte pour se faire reconnaître.

La population décrite comme ayant un profil très fort se caractérise par différents traits que l’on ne retrouve dans aucun autre profil.

  • Le travail est toujours finalisé par un des trois invariants (spécifique, relationnel, technique), mais le plus souvent ces invariants sont présents, reliés entre eux dans les réponses et hiérarchisés en faveur de l’invariant spécifique : soigner, obtenir des résultats, etc. A cette force présence des invariants s’ajoute la quasi-absence des indicateurs négatifs.

  • L’expérience professionnelle est importante, dans ce groupe. On constate qu’elle est variée et intégrée, le passage dans différentes situations de travail renforce l’identité. L’infirmière ne perd pas son identité professionnelle à l’occasion de changements : nous retrouvons là le caractère permanent de l’identité. Si l’expérience représente un acquis, elle permet aussi une forte insertion dans la situation professionnelle actuelle et favorise l’émergence d’un sentiment d’harmonie.

  • De manière un peu surprenante, les chercheurs constatent que dans certains cas la motivation ne joue pas un rôle déterminant dans la construction d’une identité professionnelle forte. Des infirmières obtiennent un profil très fort alors qu’elles n’étaient pas au départ motivées pour cette profession.

  • On remarque également une articulation entre des personnalités dites « fortes », et des postes de travail qui demandent à prendre des initiatives, à gérer, à organiser, etc. Dans ce cas, la conjonction personnel-professionnel se fait tant au bénéfice de l’organisation qu’à celui de la personne.

  • L’infirmière qui a un profil très fort est capable d’esprit critique vis-à-vis de son organisation de travail et du monde de la santé en général. Cet aspect de lucidité critique ne l’empêche pas de continuer à s’investir dans sa profession.

  • L’identité professionnelle s’acquiert y compris quand les conditions ne sont pas favorables, car elle est  le résultat jamais obtenus définitivement d’une démarche de confrontation dans des situations ouvertes.

Pour conclure, si l’on peut regretter que les ISP soient absents de cette recherche, elle n’en reste pas moins intéressante et donne à penser.

Dominique Friard

 

 Deux ouvrages de Françoise Hortala :

Hortala F., Berger M., Mourir à l’hôpital, Coll. Infirmières d’aujourd’hui, Le centurion, Paris, 1974.

Biot C, Hortala F., Guinand F. Mourir vivant. Coll. Comment, Ed. L’Atelier, Paris, 1996.

Pour lire sa thèse :

Le phénomène école dans la formation des infirmières (univ-lyon2.fr)

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