Hanon Cécile, Le nez du psychiatre

Le nez du psychiatre

L’odeur dans la relation de soin en psychiatrie

Cécile Hanon

Un petit livre sympa qui rend ses lettres de noblesse à l’odorat. Entre les mauvaises odeurs des uns, les parfums exquis des autres et toutes les nuances qui peuvent exister entre ces bords, ce qui est questionné ici  c’est l’odeur en tant que véhicule du transfert.

Numerisation 20200629

 

« Si l’odeur entretient un rapport aussi étroit avec l’amour et le désir, c’est peut-être parce qu’elle a un lien très fort avec la mémoire, et parce que l’odeur d’autrui nous donne l’impression d’avoir en quelque sorte un accès total, immédiat à son identité singulière, tout en restant à jamais fugace, insaisissable, impossible à retenir et à posséder. »

L’auteure

Cécile Hanon est psychiatre de l’adulte et de la personne âgée. Elle est praticien hospitalier à l’A.P.-H.P. Elle est titulaire d’un master en éthique médicale et philosophie pratique, objet de cette publication. Elle est également rédactrice-en-chef adjointe de la revue L’information psychiatrique et directrice de la collection Polémiques aux éditions John-Libbey Eurotext-Doin. Elle est mebre du conseil d’administration de la European  Psychiatric Association.

« Si l’odorat est parfois faible, grossier, et rappelle l’animalité de l’homme, il peut aussi être un sens élaboré, distingué, particulièrement subtil, rappelant le luxe et la sensualité. L’odeur est dénuée de langage propre, elle est éphémère et volatile, mais elle est aussi métaphoriquement riche, subjective, gravée dans la mémoire, participant à la construction de notre intimité et de notre biographie. »

L’ouvrage

Disons le tout de suite pour ne pas avoir à y revenir je n’aime pas le titre. Le nez du psychiatre, ça m’apparaît trop restrictif. Le nez du soignant m’aurait paru plus juste. D’autant plus que le nez du psychiatre ne se distingue en rien de celui d’un infirmier, par exemple de secteur psychiatrique, plus souvent confronté à des odeurs d’intérieur qu’un psychiatre qui intervient pour l’essentiel en entretien. La critique est d’importance mais mineure tant ce que développe l’auteur est intéressant. Personnellement, j’aurais bien lu soixante pages de plus de ce tonneau-là.

Il y a quelque chose d’emblématique dans cet ouvrage. Une façon de s’intéresser aux petites choses même si l’odeur n’est pas tout à fait une petite chose. Du moindre, du presque pas grand-chose mais le soin est fait de ça. Comment entrer en relation avec un patient probablement psychotique dont l’incurie l’amène à dégager une odeur qui tient tous à distance ? Comment dépasser cette première impression désagréable ? Faut-il d’ailleurs la dépasser ? Chacun de nous, quasiment, y a été confronté. A un autre bout de l’expérience (la mienne), il y a aussi ces patientes qui se parfument de fragrances capiteuses, s’habillent d’un déshabillé avant de se rendre en consultation. Le bureau en est envahi.  Tout comme le soignant. Comment mettre en travail cet aspect de la relation ? Les émotions ont une odeur. Comment reconnaître, par exemple l’odeur de la peur quand on est dans une voiture avec un patient et que cette odeur envahit toute l’atmosphère comme elle envahit le patient. Comment aérer ? Faut-il s’arrêter et prendre le temps de canaliser cette peur ? Accélérer et rentre au plus vite ? J’aborde cette question dans un de mes livres (« J’aime les fous », « Claude est sa souffrance »)[1]

Une thématique riche donc et quotidienne.

L’auteure commence donc par définir les termes : la chose et le mot. C’est du nez et de l’odorat du psychiatre dont il est question, l’odeur est celle du patient, celle que perçoit le soignant lors de la rencontre. Si le nez humain est capable d’identifier mille milliards d’odeurs différentes, son langage ne suit pas. Il n’existe aucun lexique stable et précis pour les désigner, sauf chez les parfumeurs et les œnologues mais il est largement inconnu du grand public. On peut décrire les odeurs à partir des effets qu’elles produisent. L’auteure remarque que les individus haineux, xénophobes, sexistes et racistes font presque toujours appel au langage des odeurs pour exprimer et justifier leur détestation d’autrui. Il existe des pages sublimes qui montrent que la connerie peut être sans limite.

L’auteure se demande ensuite si l’odeur peut être une source de connaissance ? Comment notre nez nous renseigne-t-il sur le monde ? Il est fait appel aux philosophes pour penser ce monde d’odeurs. Si les philosophes doutent de la valeur épistémique des odeurs, les écrivains (Calvino, Proust, Baudelaire, Sartre) affirment au contraire le pouvoir de connaissance de l’odorat. L’odeur de l’intime « donne un accès direct, une connaissance immédiate d’autrui, sans filtre ni délai. »

La sémiologie (psychiatrique ou médicale) prend évidemment en compte les odeurs. « Le nez du médecin s’intéresse alors aux odeurs de sueur, sébum, de mucus des voies respiratoires mais aussi aux odeurs des urines, des fèces, des sécrétions vaginales et à celles du suintement des plaies ou des tissus en décomposition. Ainsi, un malade atteint de fièvre jaune était réputé sentir l’étal du boucher, un autre atteint de scorbut ou de variole passait pour sentir la pourriture, la fièvre typhoïde rappelait l’odeur de pain frais, la diphtérie celle du petit lait aigre et les eczémateux, le moisi. » Certains essaieront même de décrire l’odeur de la folie ou celle du schizophrène due à l’acide trans-3-méthyl-2-hexénoïque. Nos modernes diaphoirus de FondaMental nous ressortirons peut-être, un de ces quatre matins, quelque chose de ce goût-là.  

Quelle place ont les odeurs dans le soin et la relation sur laquelle il repose ? Cécile Hanon est claire sur ce point : « D’abord une odeur en tant que telle, prise hors de tout contexte, sur un patient que je ne connais pas, et hors de toute théorie du fonctionnement psychique, ne nous enseignera rien ou pas grand-chose. » Plutôt qu’un savoir des odeurs, elle privilégie un apprentissage des odeurs en psychiatrie.

Du côté de la pratique

Chaque logement a son odeur. Les visites à domicile nous l’enseignent assez vite. Une fois que l’on a repéré ses caractéristiques, on peut suivre l’évolution psychique du sujet qui habite le logement. Odeur de renfermé et de tabac froid chez un patient pris dans une schizophrénie ritualisée, aux troubles négatifs importants. Odeur de cannabis. Odeurs corporelles chez un sujet maniaque qui tutoie les sommets de la manie. Odeurs d’encens et d’autres parfums méditatifs chez le délirant mystique. Odeur de décomposition, de cafards, de grouillements chez le patient qui souffre d’un Diogène. Odeurs de propre, de désinfection chez l’obsessionnel. Etc., etc. Il existe une véritable identité olfactive de cette intimité qui s’ouvre à nous au rythme des visites à domicile. Il s’agit comme l’affirme Cécile Hanon de les apprivoiser pour en percevoir les variations qui sont toutes en lien avec l’évolution psychique de la personne que nous venons voir mais que nous sentons tout autant.

Apport de cette lecture aux soignant(e)s

L’ouvrage permet de poser et donc de réfléchir, si possible collectivement, comment ces odeurs d’intime impactent la relation soignant-soigné. Entre le patient que l’on mettrait immédiatement à la machine à laver avec ses frusques, ce SDF que nous ne calculons pas et que nous éviterons de recevoir dans un bureau,  cet autiste qui se barbouille d’excréments et que nous sommes puissamment tentés de laisser « baigner dans son jus » jusqu’au lendemain matin (les collègues s’en occuperont), les odeurs nous parlent du transfert, de la proximité à l’autre supportable par tel ou tel sujet. Une fois de plus il ne s’agit pas de se comporter en vaillant petit soldat qui peut tout supporter mais d’écouter ce que nous dit notre nez. Quand un patient pue c’est qu’il a des raisons de le faire. Quand on ne peut pas sentir un patient c’est qu’il suscite en nous du rejet, qu’il n’est pas en odeur de soin, comme l’écrit Marie Rajablat dans un article dont nous avons rendu compte dans un texte éponyme présenté dans la rubrique « Transmission ».

Dominique Friard

Notes :

HANON (C), Le nez du psychiatre. L’odeur dans la relation de soin en psychiatrie, Collection Philosophie, Ethique et Santé dir. Martine Samé, Ed Sciences Humaines et sociales, Paris, 2019.


[1] FRIARD (D), Claude est sa souffrance », in « J’aime les fous », Ed. Seli Arslan, Paris, 2019, pp.71-86.

 

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