Hochmann J., La consolation

«  La consolation » 

Essai sur le soin psychique

Jacques Hochmann

Un livre-parcours : celui d’un psychiatre qui évoque les étapes qui ont jalonné une pratique engagée, politiquement tout autant que cliniquement.

Hochmann

« Ce que je critique ici, c’est plutôt l’utilisation de neurosciences et des sciences cognitives (ou des fragments de vérité qui leur sont empruntés) pour consolider l’insertion médicale de la psychiatrie, afin de préserver un statut professionnel.

Comme toute justification idéologique, celle-ci ne peut se faire qu’au prix d’un rétrécissement des concepts. C’est cela pour moi, la crise contemporaine de la psychiatrie : une crise des concepts, une crise des valeurs, enchâssées dans une crise du langage. »

L’auteur

Jacques Hochmann, né en 1934 à Saint-Etienne, est un psychiatre et psychanalyste français qui s’est spécialisé dans le  domaine de l’autisme. Il est professeur émérite à l’université Lyon I, membre honoraire de la Société Psychanalytique de Paris, membre de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon. Hochmann est un des hérauts de la psychiatrie communautaire.

Avant d’exercer comme psychanalyste, il  s’est d’abord orienté vers les neurosciences et souhaitait pratiquer la médecine expérimentale tout en se formant à la psychiatrie et à  la neurologie. Il a travaillé en criminologie, notamment avec des adolescents délinquants.  Il part aux Etats-Unis où il s’est initié, directement, aux idées de Carl Rogers. C’est aussi aux Etats-Unis qu’il rencontre les praticiens de l’école de Palo Alto et qu’il s’initie à  la dynamique de groupe dans l’orientation de Kurt Lewin. Un psychiatre et psychanalyste particulièrement ouvert, ce qui le distingue de nombres d’idéologues d’un courant ou de l’autre.

Il a créé et dirigé à Villeurbanne, l’ITTAC (Institut de Traitement des Troubles de l’Affectivité et de la cognition), un centre de soins psychiatriques ambulatoires pour enfants et adolescents.  

J’ai eu le bonheur d’entendre Jacques Hochmann au château de Monbazillac, dans un congrès d’AMP organisé par la fondation John Bost. C’est une de mes grandes joies professionnelles. Il s’agissait de réfléchir à la souffrance psychique. Hochmann  a débuté son propos par une anecdote très simple. Son voisin de chambre la nuit précédente avait un peu abusé des vins locaux. De plaintes formulées à voix haute à sa compagne jusqu’à la libération du surplus, avec fracas dans les toilettes, le voisin intempérant a bercé la nuit d’Hochmann et notre réflexion du matin. Hochmann nous amena dans la chambre du pauvre homme, décrivant ce qu’il en était de sa douleur, forcément solitaire et de sa souffrance que nous ne pouvions que partager. Petit à petit, il nous permit de comprendre des concepts complexes qui éclairèrent notre réflexion. Il me plaît de décrire ainsi un homme dont la réflexion part du terrain, s’en nourrit mais n’en demeure pas moins exigeante.

« Le patient psychotique a ceci de particulier qu’il accroche des morceaux de son identité à tout ce qui l’entoure. Par le biais de l’identification projective, il est conduit à déposer dans les objets animés ou inanimés avec lesquels il entre en contact une part de son capital imaginaire. Ce qui parle dans le poste de télévision, ce qui sent dans cette fleur, ce qui s’agite derrière ce rideau, c’est encore lui. Cependant, lorsque ces objets sont des êtres humains, une tendance que Woodbury a fort bien dénommé « personnification », fait que les proches du psychotique sont amenés à jouer réellement les rôles qu’il leur octroie ou à se laisser réellement posséder par le sentiment qu’il injecte en eux. »

L’ouvrage

Ce parcours d’un psychiatre engagé qui regroupe des textes publiés entre 1972 et 1992 débute par un hommage à Odette de Champdivers que Hochmann n’hésite pas à nous présenter comme la première infirmière psychiatrique. A partir d’un marbre signé Huguenin, dont le titre est La consolation Hochmann nous esquisse l’histoire de Charles VI, roi fou, soigné par la fille d’un marchand de chevaux qui contient en condensé tous les aléas des traitements psychiatriques. « Ils se contentent d’être l’un à l’autre, l’un pour l’autre, une présence, un souci, un soin, une élection. »  (1) Entre mise à distance et efforts désespérés pour modifier le malade mental et pour le ramener à la norme, entre identification sans mesure et aspiration dans une impossible fusion, la crête est étroite, il est aisé de basculer d’un côté ou de l’autre. Engagé, Hochmann l’est doublement. Il l’est d’abord en tant que psychanalyste. Il a découvert la psychanalyse après avoir tâté de la contre-culture californienne et de ses avancées thérapeutiques (thérapies corporelles et premières thérapies familiales systémiques). Hochmann donne sa place, toute sa place au contre-transfert, à travers une autoanalyse continuelle : « Quand j’éprouve, en écoutant un patient, un sentiment bizarre, inattendu, inhabituel chez moi, je suis fondé à penser que quelque chose du discours de ce patient, que je n’ai as perçu, m’a remué. En cherchant en moi les raisons de cette émotion, je puis retrouver ce que le patient, à son insu, a cherché à me communiquer et l’aider ainsi à en prendre conscience. » Hochmann est enfin engagé politiquement. Ainsi que de nombreux psychiatres de sa génération, il critique assez vertement l’institution psychiatrique. La malheureuse histoire d’Antoine, est à cet égard assez caractéristique. Il se décide à privilégier les soins ambulatoires intensifs et les psychothérapies de famille à domicile (ce qui reste encore aujourd’hui une expérience novatrice). Avec quelques autres médecins qui partagent les mêmes analyses politiques, la même utopie et le même rejet du colonialisme, il fonde en 1964, à Villeurbanne une association (Santé mentale et communauté) sur le modèle de l’Association de Santé Mentale du 13ème arrondissement qui fonctionne toujours même si elle n’a plus le monopole des soins extra-hospitaliers. Suppression de la hiérarchie, autonomie des soignants, réseau (avec quelques 40 ans d’avance) : « Ainsi le soin n’est plus le monopole d’une équipe repliée sur elle-même, et qui, ignorante du monde extérieur, voudrait répondre, à elle seule, à tous les besoins de ses clients. »  (1)

En neuf chapitres, Hochmann nous invite à réfléchir avec lui à cette psychiatrie communautaire, à ses succès et à ses échecs. Le premier chapitre décrit l’institution, son histoire, son dispositif. Un certain nombre de réflexions sont toujours d’actualité, qu’il s’agisse de la fonction des visites à domicile, des groupes d’accueil spécifiques et de leur relative vacuité. Les deux chapitres suivants, à travers deux histoires cliniques montrent comment tout cela fonctionne. La Comtesse du Regard, présenté comme un essai de familialisme appliqué, décrit une psychothérapie à domicile, menée en présence et avec la collaboration des membres de la famille. Le récit se lit comme un roman. Les dents de la mère, dont le sous-titre est « Récit d’une aventure avec des adolescents réputés psychopathes » devrait être lu par tous les soignants convaincus que les malades mentaux sont naturellement violents, que seule la solution sécuritaire peut résoudre ce problème.

Du côté de la pratique

Hochmann revendique d’être un praticien, la théorie n’étant qu’un accessoire important. La consolidation est donc truffée de situations cliniques et de réflexions nées de sa pratique de psychiatre et de psychanalyste. Tout soignant peut y trouver son miel. Qu’il en ait une lecture critique ou non. Qu’il s’agisse de penser les visites à domicile, la formation de groupes d’accueil spécifiques, l’hospitalisation à domicile dont Hochmann fut un des pionniers. Elle est présente tout au long de l'ouvrage.

Arrêtons-nous sur le psychopathe. " A l'inverse, au contact de l'institution psychiatrique, le psychopathe change, au moins superficiellement, et se met à lui ressembler. Parfois il va se transformer, abandonnant sa quête d'amour et ses fredaines, en un gentil chronique passif et oublié." Une telle phrase donne à penser. En quoi ce patient ressemble-t-il à notre institution ? Quelle part avons-nous dans son comportement ? "Quant aux entretiens, s'il en réclame plus que son dû et s'il y exhale son éternelle plainte, son angoisse et son vide douloureux, il entend que ce soit hors de toute référence professionnelle. Avec le médecin homme ou l'infirmier, c'est une relation de "copainé" qu'il recherche, sinon de complice. Avec le médecin femme ou l'infirmière, il joue tantôt les séducteurs et tantôt les bébés souffrants." Vous y êtes ? Vous associez, ça vous fait penser à .... Voilà l'intérêt de cet ouvrage. Penser à ...

Apport de cette lecture aux soignants

A lire tranquillement, à méditer notamment dans le cadre des formations à la consolidation des savoirs en psychiatrie. C’est dans certains vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. Encore faut-il en garder le souvenir.

Dominique Friard

Notes :

HOCHMANN (J), La consolation. Essai sur le soin psychique, 1994, Editions Odile Jacob, coll. Psychologie, Paris.

Date de dernière mise à jour : 27/05/2021

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