Ponet Blandine, Folie, leçon de choses

« Folie, leçon de choses Journal d’une infirmière en psychiatrie » (1)

Blandine Ponet

Blandine

Il n’existe pas de guide de voyage pour aller en schizophrénie, ce livre pourrait en tenir lieu.

"Les murs de l'hôpital psychiatrique tracent un au-delà plus sûr et plus marqué que beaucoup d'autres frontières. Et s'il  nous arrive de les oublier, les patients, eux, ne les oublient jamais. "

L’auteur

La dernière fois que j'ai vu Blandine, c'était à Saint-Alban, un lieu naturel où nous rencontrer tant l'histoire du lieu est marquante. Je lui avais proposé d'écrire la préface d'un livre qui ne vit jamais le jour dans la forme où il avait été pensé. La vie c'est comme ça. On fait des projets sur du sable et il suffit d'un coup de vent. Je ne peux pas présenter Blandine Ponet simplement. Je pourrais, bien sûr, écrire qu’elle est titulaire d’un DESS de psychopathologie clinique. Je pourrais rajouter qu’elle anime des ateliers de lecture de poésie, à la médiathèque de Toulouse et dans son cadre professionnel. Il faudrait que je dise aussi qu’elle est infirmière, ou abeille parce que le matin, quand on est abeille, pas d’histoires, faut aller butiner. Infirmière pour Blandine quand elle cite Henri Michaux, c’est pareil qu’abeille. « On est de la place où on est. Et il n’y a pas à faire d’histoires. » Justement, Blandine, je la vois assise dans les travées d’un congrès ou  intervenante à Gap, par exemple. Je la vois et je l’entends. Elle commence à parler pour poser une question ou présenter son intervention. J’entends sa voix, son rythme, sa respiration. Elle pose comme ça dans l’espace un mot, un mot qui l’interloque, un mot qui la surprend. Elle parle et je la vois penser. Quand Blandine parle, il y a les silences. Des silences profonds. Des silences qui donnent à penser. Elle pose un mot : abeille par exemple ou port. Elle prononce le mot port. Et ce n’est plus le même mot. Elle nous fait entendre le seuil, le franchissement. Et dans le mot qu’elle pose, qu’elle flaire, elle voit plus de noblesse, plus de poésie et d’ampleur que dans le mot col qui lui paraît marqué d’étroitesse. Port, col, c’est parti. Elle nous emmène. Elle en a fait un livre, un autre livre. (2)

"Les corps des patients. On y pense souvent sans faire très  attention à leurs manières de bouger ou d'être immobiles, à leur raideur ou à leur démarche lourde et maladroite. A leur discrétion, leur effacement ou au contraire à leurs manières d'amplir l'espace. Pourtant les manières d'être des corps sont entièrement présentes, comprises -parfois au prix de malentendus-dans ce qui s'engage entre soignants et patients."

L’ouvrage

La meilleure façon de présenter l’ouvrage de Blandine consisterait à ouvrir les guillemets et à en citer un passage. Blandine écrit comme elle pense. Avec les poètes qui la bordent, comme on borde le lit d’un enfant le soir avant le coucher. Avec les images de films qu’elle interroge et que nous redécouvrons à travers ses yeux. Des petits chapitres courts et vifs écrits au fil des rencontres avec les patients psychotiques, des petits chapitres posés comme des petits cailloux pour retrouver son chemin ou se presque perdre avec le patient, des petits chapitres courts comme le songe, comme la rêverie. Blandine rêve le soin, les patients, la rencontre. Là où Bion théorise, Blandine vit. La rêverie maternelle ? Il suffit de lire Blandine. Elle égrène ainsi des questions d’importance. « Ecrire d’eux, à propos d’eux. Et le risque qu’ils soient tellement nécessaires à mon écriture qu’ils en deviennent otages. […] Pourtant écrire et travailler en milieu psychiatrique sont devenus pour moi des choses équivalentes. A la place d’infirmière, parce que le corps est pris constamment dans la réalité du rapport à l’autre, l’écriture est toujours là : on écrit avec le corps ou avec le stylo suivant les moments, mais c’est toujours d’écriture qu’il s’agit. » (1) Ecrire pour Blandine, écrire d’un patient « est presque toujours un acte d’amour ». Et quand elle écrit que ce sont les mêmes mots que ceux que je cherche pour dire au patient ce qu’il m’a fait, ce que j’ai ressenti. Je peux garantir, sans ouvrir les guillemets parce que je m’y reconnais, que c’est juste, que c’est tout à fait juste. Les mots de ce livre, les mots de Blandine « ce sont des mots habitables où [le patient] peut être avec moi et moi avec lui et pas sans moi, pas sans lui, comme c’est si souvent le cas en psychiatrie. » (1) 

Ecrire donc. Des impressions au sens pictural du terme. Des impressions de voyage, des traces de rencontres, remarquables ou non.  Avec cette question qui insiste : quel est cet autre de l’autre côté de la frontière psychiatrique ? « Je ne le lâche pas, il ne me lâche pas. Il s’impose. » Blandine ne lâche pas, elle avance à se façon sans nier l’étrangeté radicale du psychotique, en la reconnaissant au contraire et en tentant de construire une relation qui en tienne compte … Elle en fait ce livre. Un livre de petits pas, de doutes, d’avancées fulgurantes. Elle prend les choses par l’envers des mots. « La psychiatrie, c’est ce qui introduit un autre. Etre cet autre, c’est accepter d’entrer dans le concernement. Ou certaines fois, y être engagé avant même de le savoir, à son insu. » (1) Etre cet autre et construire l’espace où les choses peuvent être dites. Ne pas nier la déviation mais au contraire s’appuyer sur elle pour la reconnaître et pouvoir la dire. « Construire le chemin qui va de l’extrême solitude de celui qui délire au monde des autres : que les deux mondes ne soient pas séparés par un clivage qui annule l’un ou l’autre, mais soient un tant soit peu reliés. » (1)  

Du côté de la pratique  

Lors de la première journée serpsy organisée au C.H. Esquirol, à Paris, nous avions mis en scène le procès du soin. D'une façon très sérieuse, avec juge, avocats de la défense et des parties civiles, président, etc. et des témoins. J'étais l'avocat chargé de contrer les arguments des défenseurs du soin. Arrive Valérie, une usagère très militante. Elle commence son témoignage en disant qu'elle ne témoignera pas de son propre vécu mais lira un texte écrit par un infirmier, Paul Arène qui exprime ce qu'elle tient à dire sur les restrictions de liberté imposées aux usagers. Tout se taisent. Patricia commence alors à lire un texte que j'avais écrit et signé sous un pseudonyme pour garantir l'anonymat des personnes dont je parlais. Je suis pris dans un drôle de truc. Je ne peux revendiquer la paternité du texte, je ne peux pas non plus le critiquer même par jeu. Je fais aussi l'expérience étrange, pour la première fois, d'entendre mes mots dits par quelqu'un d'autre, un destinataire imprévu et un lieu tout aussi inimaginable. A ce moment-là, qui est qui ? Qui est le soignant ? Patricia m'a appris que les textes comme les mots échappent à qui les écrit. 

Apport de cette lecture aux soignant(e)s

Mieux qu’une définition de l’empathie, le livre de Blandine. A lire à haute voix, en formation, ou dans une unité, à petites lampées, avec les points de suspension pour la pensée. En ces temps de confinement psychiatrique, il faut plus que jamais lire les collègues infirmiers, et Blandine tout particulièrement. Elle parle le schizophrène mieux que personne, si tant est que le schizophrène existe. Dans la bouche de Blandine, le mot n'est pas étiquette, il ne dit pas le rejet de l'autre, il dit un long apprentissage pour penser juste, juste ce qu'il faut pour ne pas occuper indûment la place de l'autre. Mine de rien, au coin d'une phrase ou à l'orée d'une autre, se dessine un savoir y faire avec la folie qui manque singulièrement aujourd'hui. 

Dominique Friard

Notes :

  1. PONET (B), Folie, leçon de choses, Journal d’une infirmière en psychiatrie, érès, Toulouse, 2011.
  2. PONET (B), L’ordinaire de la folie. Une infirmière engagée en psychiatrie, érès, Toulouse 2006.

 

Date de dernière mise à jour : 22/09/2020

Ajouter un commentaire