Venet Emmanuel, Précis de médecine imaginaire

Précis de médecine imaginaire

Emmanuel Venet

Venet

Un ouvrage dédié aux aspects imaginaires de notre approche collective de la maladie. S'en dégage une poésie qui introduit  le lecteur aux aspects les plus complexes de l'Education Thérapeutique du Patient. 

« L’angine, fidèle amie de mon enfance : plusieurs fois par an, et presque toujours en période scolaire, revenait la douleur de déglutition annonciatrice d’un répit. Un peu de fièvre là-dessus et j’avais droit à la visite du docteur, qui voulait une petite cuillère, me trouvait des ganglions, craignait le pire pour mes reins et rédigeait un mot d’exemption pour l’école. Après quoi, toute inquiétude dissipée, je pouvais me consacrer pleinement à mon rôle de malade. »

L’auteur

Né en juillet 1959, Emmanuel Venet est psychiatre et écrivain. Il a travaillé comme chef de clinique et assistant dans le service de Jacques Hochmann entre 1989 et 1991. Il a soutenu une thèse de doctorat intitulée « Approche clinique et métapsychologique de la honte » en 1988. Il travaille au Vinatier de 1991 à 2021 puis, actuellement, à Saint-Cyr-au-Mont d’Or.  

Nous avons rendu compte ici de son « Manifeste pour une psychiatrie artisanale ».

Au fond, Emmanuel est un artisan, qu’il s’agisse d’écrire ou de soigner. A l’instar d’un Pérec ou d’un écrivain d’Oulipo, il écrit à partir de contraintes. « Observations en trois lignes » en rend bien compte. Inspiré par Félix Fénéon et ses Nouvelles en trois lignes, qui rédigea des sortes de haikus modernes inspirés par l’actualité, les chiens écrasés pour la journal Le Matin, Venet rédige un recueil d’observations brèves saisies sur le vif qui ouvre une fenêtre sur des mondes intérieurs bouleversés, fracassés ou cocasses. Il y excelle.

« Où qu’on se tourne on rencontre des gens qui ont le cancer ou l’ont eu. C’est d’autant plus accablant qu’il est difficile de dialoguer avec eux : l’échange frivole prend des allures de refus, le propos grave paraît presque mortel. Au bout du compte, on n’est pas mécontent quand les cancéreux de cachent ou réduisent les relations à leur plus simple expression, bonjour, bonsoir, ça atténue les scrupules. »

L’ouvrage

Publié en 2005, il est composé de quatre parties : Vade-mecum de sémiologie médicale, Premières esquisses d’un traité des ondes, Névrose pianistique et Imprécis de thérapeutique.

Il y a du La Bruyère chez cet écrivain-là. Ses textes courts dépeignent non pas les caractères de personnes bien repérées mais des maladies non pas dans le registre de la médecine mais dans ce qu’elles mobilisent en nous d’imaginaire. L’ouvrage nous introduit en douceur et avec humour en anthropologie de la santé. Lorsque sa mère et celle de son ami Bonnardier échangent autour de l’arthrite de l’une et de l’arthrose de l’autre, c’est bien de cela dont il est question : de l’imaginaire lié aux maladies : « Convenons que l’arthrite médicalement parlant, sonne plus grave, mais la mère Bonnardier avait plus d’ancienneté dans la maladie et plus de pathos dans ses formulations : son statut d’invalide ne souffrait d’aucune discussion. » Les médecins en prennent parfois pour leur grade : « Le docteur Bert était un praticien consciencieux mais qui n’entendait pas grand-chose aux maladies, tandis que le docteur Caillaux exerçait avec vigueur une médecine inefficace. » Ils étaient les médecins les moins nuisibles du quartier, « où l’on ne manquait ni de charlatans ni d’empoisonneurs. » Ces petits récits courts sont rédigés à hauteur d’enfant, un enfant qui se souvient que sa mère et sa complice (la mère Bonnardier) adoraient parler de maladies et particulièrement des maladies rares et/ou graves. Ce sont des bonbons que l’on peut sucer l’un à la fois.

L’apport aux soignants

L’éducation thérapeutique du patient est devenue une obligation plus qu’une mode. On peut imaginer ce qu’en auraient tiré la mère Bonnardier et celle de Venet. L’ouvrage est une merveilleuse introduction à l’ETP. Il nous présente le savoir expérientiel des patients que nous sommes. Souvent très éloigné de la physiologie et de la médecine. Il s’en dégage une façon de vivre avec la maladie et un savoir mourir. L’infirmier qui initie une démarche d’ETP via un diagnostic éducatif ou un bilan éducatif partagé rencontrera souvent le type de représentations décrit par Venet. Il se rendra vite compte que cet imaginaire ne peut être balayé d’un revers de DSM. C’est à partir de ces représentations, de ce savoir populaire, mouvant et en même temps que séculaire que les malades dits chroniques vivent avec leur maladie, parfois en tant qu’acteurs, parfois résignés au pire qui est souvent sûr. Une véritable ressource pour les enseignants (en ETP ou en formation initiale).

Dominique Friard.

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