Zilliox Henny, On les appelait "gardiens de fous"

On les appelait « gardiens de fous »

La profession d’infirmier psychiatrique

Henny Zilliox

Gardiens de fous

Un ouvrage écrit par une infirmière diplômée d'Etat qui travaillait au Vinatier dans les années 60-70 avant d'entreprendre des études de médecine et de devenir psychiatre. Co-fondatrice du G.E.R.I.P., son ouvrage est devenu un document historique très  précieux sur l'histoire des infirmiers psychiatrique et sur leur volonté d'autonomie. 

 

« La prise en charge du malade mental est, en fin de compte, l’histoire des cultures humaines et des relations avec autrui » disait Eluard Streiler. Les infirmiers psychiatriques devront, en particulier, se demander comment il sera possible de transformer et d’aménager les hôpitaux psychiatriques traditionnels pour les adapter aux normes nouvelles, car les idées nouvelles d’aujourd’hui deviendront des réalités de la prise en charge de demain. » (p.194)

L’auteure

Infirmière diplômée d’Etat, Henny Zilliox entre en psychiatrie, au Vinatier à Lyon, en 1964. Elle est une des premières femmes à intégrer un pavillon composé jusque-là d’infirmiers hommes qui se sentent dévalorisés par son bagage d’hôpital général. Elle est un peu désemparée face au monde psychiatrique. Son adaptation se fait peu à peu. Henny et ses collègues participent aux stages organisées par les C.EME.A (Centre d’Enseignement des Méthodes Educatives et Actives). Ils profitent pleinement des possibilités d’échanges et de la vie communautaires de quelques jours que ces stages offrent. Ils s’habituent à reconsidérer leur journée de travail au pavillon. « Cet enrichissemennt que nous recevions faisait augmenter en ous le besoin d’information et la nécessité d’aller voir ailleurs. » C’est alors qu’ils entendent parler d’une rencontre d’infirmiers psychiatriques de différents pays, en Allemagne, à Heidelberg. Ils partent à cinq infirmiers (ières), pris sur leurs jours de congés, à leur frais. Ce congrès va changer la face de  leurs carrières et amener la création du G.E.R.I.P. (Groupe d’Etudes de Recherche des Infirmiers psychiatriques), premier groupe de recherche mené et assumés par des infirmiers psychiatriques, dont l’ouvrage de Zilliox raconte l’histoire. Henny entreprend ensuite des études de médecine en travaillant de nuit puis devient psychiatre. L’ouvrage présenté est un extrait de sa thèse. Elle est décédée le 2 avril 2020. Cette notice se veut un hommage à notre ancienne collègue.

« Le rôle capital de l’infirmier psychiatrique dans l’équipe psychiatriques lui apparaît d’une part du fait que l’infirmier psychiatrique et le malade sont en contact permanent pendant un bon tiers de la journée, d’autre part du fait non négligeable que les rapports humains sont décisifs pour l’efficacité du traitement en psychiatrie. L’infirmier psychiatrique se trouve être la pierre angulaire de la réussite thérapeutique, le seul espoir de vie pour le malade en institution. » (p.272).

L’ouvrage

Il est divisé en quatre parties : Historique de la profession, Les Infirmiers (ières) psychiatriques de nos jours, Les grands courants psychiatriques et leurs répercussions pour l’infirmier psychiatrique et Les infirmiers psychiatriques à l’étranger et en France.

L’ouvrage ayant été publié en 1976, son contenu porte bien ses plus de quarante ans. Depuis sa publication, bien d’autres travaux ont été publiés sur l’histoire de la psychiatrie et celle des infirmiers psychiatriques. Plus détaillés, plus pertinents. Nous en avons présenté quelques-uns et continuerons à le faire au fur et à mesure de nos découvertes. Si les grands courants se partagent toujours la psychiatrie, ils se sont beaucoup affinés et à l’intérieur de chaque courant des sous-courants sont apparus. Je renvoie nos lecteurs à la rubrique : Modèles de compréhension de la maladie mentale (http://www.serpsy1.com/pages/modeles-de-comprehension-de-la-maladie-mentale/) qui est à la fois plus précise et plus exhaustive. Je m’arrêterai sur l’approche existentielle que l’auteure décrit en six pages. C’est le courant le plus décrit. D’une façon assez originale, Henny présente l’approche phénoménologique à partir du cahier de rapport (ancêtre des feuilles d’observation infirmières contenues dans le dossier du patient). 

Les observations infirmières dans une approche phénoménologique

Ces observations écrit Henny Zilliox sont « une description non-médicale des phénomènes ». « Ils permettent de consigner ces « instants privilégiés » où se passe quelques chose pour le malade, mais dont la signification peut échapper à l’individu pris dans le jeu affectif qui l’empêche d’analyser le fond. » Ces lignes n’ont pas pris une ride. A une époque où les infirmiers sont contraints de rédiger en suivant des cibles et un plan conçu sous la forme Données, Action, Evaluation, ce rappel est utile. Nous allons d’autant plus le déplier qu’Henny Zilliox, séduite par le modèle américain, se réfère au plan de soins et à tout ce qui prépare l’organisation en data du soin infirmier. Sa réflexion est à rapprocher de celles de Jean-Louis Gérard[1] que nous présenterons bientôt.

« Ces notes traduisent les « données immédiates de la conscience », pour reprendre les termes de Bergson. Dans la mesure où il reste fidèle à cette forme de description, l’infirmier permet une approche plus précise des données. Certes, les risques de projection et d’interprétation ne sont pas exclus. » Nous dirions aujourd’hui que la « description non-médicale des phénomènes » permet la projection et l’interprétation et c’est précisément sur cela qu’une équipe de psychiatrie doit travailler. « Mais lors d’un travail en équipe, un recoupement permet de percevoir le malade à travers plusieurs « vécus ». Ainsi l’infirmier a pour rôle premier de révéler les faits à l’équipe soignante et de les révéler tels qu’ils ont été par lui-même vécus. En effet, dans la perspective de la psychothérapie existentielle, il n’est pas question de taire la subjectivité, qu’elle soit celle de l’infirmier ou celle du malade. Précisément c’est en tant qu’il y a expression de subjectivités –telle ici que celle de l’infirmier révélateur de son propre vécu ou du malade- ; que l’analyse existentielle parlera d’instauration d’un « monde », concept qu’il faut comprendre ici particulièrement comme échanges, rapports, communication, entre deux êtres humains qui vivent dans un même espace et dans un même temps, donc dans une même histoire. Ainsi, l’infirmier, dans la mesure où il révèle le malade à l’équipe, a un rôle, selon les termes mêmes de Husserl, de « monstration » -il montre- et non de « démonstration », au sens d’analyse logicisante, rationalisante, interprétante. » Henny réinterpète ainsi la finalité de l’écrit infirmier. Il s’agit de mon(s)trer et non de démon(s)trer.

« Toutefois, poursuit Henny Zilliox, il ne faudrait pas considérer ce rôle de « monstration » comme la  résultante d’un quelconque voyeurisme. Car, en fait, ce que  montre l’infirmier n’est pas le malade dans sa nudité et dans sa solitude, mais il montre son propre vécu du malade, donc lui-même, infirmier, en rapport, en articulation existentielle, avec le malade. L’infirmier montrant le malade, se montre lui-même. Et n’est-ce pas ce qui fait peur ? » Travail en équipe, monstration de l’infirmier lui-même en relation avec le malade, l’auteure nous montre ce qui différencie l’IDE de l’ISP.

Donc premièrement : décrire les  phénomènes et tels qu’ils apparaissent à l’infirmier.

« Le phénomène, concept qui n’est pas à prendre ici dans le sens commun qu’on lui attribue, à savoir « chose extraordinaire », mais dans le sens phénoménologique, n’est pas une apparence, un masque, voire une illusion, mais il est « l’apparaître », c’est-à-dire la seule possibilité de se manifester en tant qu’existant réel que possède l’être-en-soi. Ainsi, alors que dans une perspective préphénoménologique telle que celle d’Emmanuel Kant, la chose en soi (le « noumène ») reste insaisissable par l’entendement humain, par contre pour la phénoménologie, la chose en soi- l’individu malade en soi- peut être visée. C’est la « visée eidétique » de Husserl. » Que serait un individu malade en soi ? En existerait-t-il une essence ? Si rien de plus n’est dit, on pourrait craindre le pire.

« Si le  phénomène –pathologique ou non- est une multiplicité de vécus, l’être qui saisit, en l’occurrence l’infirmier, est lui aussi un être dont l’apparaître est une multiplicité de vécus. D’ où la question qui se pose, et à laquelle la phénoménologie répond, notamment par la bouche de Martin Heidegger : comment une multiplicité de vécus peut-elle être saisie par une autre multiplicité de vécus ? En d’autres termes, comment peut-il y avoir possibilité d’entente, voire d’écoute, entre deux êtres, disons à facettes multiples ? par quel moyen peut-il y avoir, et pourquoi y aurait-il concordance, adéquation de langage et de sentir ? Binswanger répond alors que précisément pour comprendre une multiplicité de vécus, il faut être soi-même une multiplicité de vécus. Et c’est com-prendre, c’est-à-dire prendre avec, prendre ma propre multiplicité avec la multiplicité du malade. » Dans la multiplicité de vécus d’Heidegger, il y a celles qui se réfèrent au nazisme avec lesquelles ma multiplicité n’est pas à l’aise. Les malades mentaux s’étant retrouvés en camp de concentration puis d’extermination, s’agissant de penser leur soin, Heidegger, en dehors d’Hitler et de Goring, est sûrement le dernier penseur auquel j’accorderai fiance. Soit. En 1976, au moment où  Henny Zilliox écrit, cette part du passé de Heidegger reste  méconnue. Poursuivons donc.

« Entre deux êtres en acte d’approche, il y a rencontre de deux apparaître à facettes multiples. Et une rencontre n’est pas le heurt de tels apparaîtres ; elle est inter-action de deux êtres en ex-istence (ex-eo : aller hors de, dépasser mon être-en-soi). C’est alors, au centre même de cette coexistence, que se fait la visée mutuelle de l'être-en-soi de ces deux êtres, autrement de leurs essences. » C’est dans l’entrelacement de « co-vécus » que naît la rencontre de deux êtres-en-soi qui ne se rencontrent pas sans la médiation de l’entrelacement de leurs vécus. « Comment dire, en effet, que dans le vécu d’un malade, la présence de l’infirmier est exclue, ou inversement, que dans le vécu d’un infirmier, la présence du malade n’est pas ? » Nous sommes ici tout proches de ce que la  psychanalyse nomme le transfert. Pour l’approche phénoménologique, le Dasein du malade n’a pour possibilité, que des possibilités humaines, « à savoir communes à « l’être-humain-malade » et à « l’être-humain » qui se trouve face à lui : l’infirmier psychiatrique. » Il n’y a pas de Dasein pathologique mais un pathos particulier, singulier, qui s’exprime, comme Dasein, à travers des réalités de l’Etre-homme. « Mais en quoi le malade mental comme homme, compris à partir de la présence humaine, se distingue-t-il de l’homme sain ? La maladie est une flexion de l’authentique » [2]

« Le » pathologique est défini comme ce qui « par, dans, à cause de cet entrelacement des apparaîtres humains, cette rencontre des êtres en ex-istence, est sinon « cause », du moins « est à l’origine » d’une angoisse qui ne peut se dépasser si ce n’est en prenant corps ou fuite dans des conduites, des comportements … »

Qu’est-ce qui différencie une rencontre « ordinaire » d’une rencontre en psychiatrie ? « Alors que la rencontre entre deux êtres humains en tant que véritable visée eidétique –compréhensive), est en fait le fruit de l’effort de deux volontés, du désir de deux consciences –qui libres de leur entrelacement phénoménal, puisque contraintes en tant qu’êtres humains à apparaître en des Dasein- mais libres du dépassement de cet entrelacement en vue de la rencontre, au contraire entre le malade et l’infirmier psychiatrique, il n’y a pas, du moins dans un premier temps, rencontre voulue mais cohabitation arbitraire « forcée » d’un même espace asilaire : l’hôpital psychiatrique. »

Quelle est donc la place de l’infirmier  psychiatrique dans cette rencontre possiblement à venir ? Il  devra, dans un deuxième temps, faire de cette cohabitation forcée  un terrain de rencontre, là où seule la volonté, « à savoir la subjectivité et la sensibilité de l’infirmier comme du malade, sont de mise : la rencontre est la communication de deux pathos. » La perception des phénomènes tels qu’ils apparaissent à la subjectivité, est à proprement parler le champ d’action de l’infirmier.  Pour Henny Zilliox c’est dans le cadre de la phénoménologie que la fonction infirmière paraît prépondérante. « Toute une revalorisation du rôle de l’infirmier peut se faire à partir de cette mise en évidence. La nécessité de cette dualité : description subjective du phénomène et son analyse objective –est à la base de la relation de l’infirmier psychiatrique avec tous les autres membres de l’équipe soignante. »

Cette analyse est évidemment discutable, notamment par la réserve que prend l’auteure vis-à-vis de la perception des vécus qui seraient selon elle, déformée par la psychanalyse, elle n’en est pas moins une définition originale de la place, du rôle et de la fonction de l’infirmier psychiatrique. Elle le différencie très nettement de sa consœur IDE. Elle sera peu féconde. Les différents auteurs qui lui ont succédé ne la reprendront pas, ce qui est bien dommage même si je n’y adhère qu’en partie.

Vers la fin des camisoles

La partie consacrée aux infirmiers d’aujourd’hui est devenue un document historique de première main, Henny Zilliox étant à l’origine de la création du G.E.R.I.P. Son ouvrage décrit alors la création de ce tout premier groupe français de recherche infirmier en psychiatrie.

Recrutés après la seconde guerre mondiale, les jeunes soignants bénéficient d’une formation professionnelle sanctionnée par un examen, mal ressentie par les anciens infirmiers. Ils prennent conscience qu’ils auront à soigner et non plus à garder. « Nous sommes même fiers de revêtir une blouse blanche, abandonnant l’ancienne tenue : sarrau  bleu, pèlerine et la casquette. Le port de cette blouse blanche va nous permettre d’avoir des contacts avec les familles des malades. »

Les jeunes infirmiers vont commencer à libérer les agités de leurs camisoles. Des promenades dans l’enceinte du pavillon sont organisées, non sans reproches des supérieurs parfois. Et les infirmiers qu’en pensent-ils ?

« Au fond, tout se passe comme si on pensait pour eux, on décidait pour eux, on organisait pour leur bien. On les traite, en quelque sorte, comme des enfants, des « petits ». N’y-a-t-il pas là un paradoxe ?

On leur demande d’être les instruments d’une psychiatrie nouvelle, plus humanisée, où l’on respectera dans le malade mental, un homme qui lui aussi, a le droit d’être respecté mais qui, par cette prise en charge, doit recouvrer suffisamment d’autonomie pour retrouver cette faculté d’adaptation au milieu de laquelle il doit vivre.

Alors l’infirmier qui ne connaît pas la signification de ce jeu relationnel, va, soit se replier dans une régression au stade « serpillière » ou veilleur de nuit chronique, soit se rebiffer, soit chercher à comprendre et alors essayer de prendre en main sa propre destinée. C’est parmi ces derniers que nous avons puisé la plus grande partie des informations qui ont servi à la base de cette étude. »

En 1949, une première étape avait été franchie. Le C.E.M.E.A, organisme dépendant de l’Education Nationale avait ouvert ses portes aux infirmiers psychiatriques. Il leur procurait un moyen d’acquérir une formation aux techniques d’animation afin d’aider les patients à occuper les longues heures qui passent à  l’asile autrement que dans une désespérante attente. C’est la période de gloire de l’ergothérapie. On s’active et l’on s’occupe. La vie renaît dans les pavillons, « une lueur d’espérance brille à nouveau dans le regard des soignés et des soignants. »

« Tandis que les ateliers divers s’ouvrent, ferronnerie, vannerie, imprimerie, menuiserie, etc. des médecins vont prendre des initiatives qui vont faire frémir plus d’un dans la population –en particulier, « supprimer les murs d’enceinte »-, le Docteur Paul Balvet (qui fit avec Tosquelles les belles heures de St-Alban) fut l’un des premiers à avoir cette audace dont la signification n’échappe à personne, car elle s’accompagne d’un faisceau de mesures qui doivent permettre au malade de recouvrer sa dignité d’être humain. Ainsi l’introduction par ce même psychiatre du pot de géranium dans la salle d’insulinothérapie deviendra-t-il le symbole de cette nouvelle attitude. »

En 1965, paraît Le Livre Blanc de la psychiatrie française sous l’égide d’Henri Ey. Les infirmiers se rendent compte qu’aucun infirmier n’a participé à cette rencontre, que son rôle se résume à trois lignes que J.O Conaly concrétise en disant de l’infirmier qu’il est le meilleur « médicament » du médecin. Seuls ceux qui n’ont pas lu les actes des rencontres du Groupe de Sèvres (1958) seront surpris. Le mépris de classe se porte bien chez les psychiatres. Ce déni de leur place suscite de nombreux remous chez les infirmiers qui commencent à se poser des questions sur la « relation » avec les patients qui leur sont confiés. Ils se trouvent face à l’inertie de patients gavés de neuroleptiques. « Je crois que je les aimais mieux avant, au moins on savait ce qu’ils pensaient, ils parlaient, tapaient, riaient, cassaient, mais ils étaient vivants, alors que maintenant, ils ont l’air d’automates sans réaction, sans visage humain. » Les infirmiers de l’Aerlip adresseront la même critique aux psychiatres à Auxerre, en 1974.

Heidelberg

La création du GERIP

A l’été 1967, le Dr Broussolle, médecin-chef au Vinatier qui participe depuis deux ans aux sessions annuelles de l’organisme international des infirmiers psychiatriques à Heidelberg, en R.F.A. (République Fédérale d’Allemagne) prend contact avec ceux qui doivent se rendre à ce Congrès qui produira une profonde émotion, par contraste. Au moment même où le petit groupe quitte la France, le pays tout entier est indigné par le meurtre du petit Taron, tué par un certain Levêque, infirmier à l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Cet acte a éclaboussé toute la profession qui n’avait pas besoin de ça. A Heidelberg : discours, débats, réceptions, banderoles affirment hautement la noblesse des infirmiers psychiatriques. Broussole, qui deviendra conseiller technique du groupe, poussé par le président de l’I.K.F est préoccupé par l’idée d’organiser le prochain Congrès en France. « A qui s’adresser ? Il faudrait une organisation équivalente, or il n’y en a pas. Demander aux C.E.M.E.A ? Ils ne peuvent pas, cela dépasse le cadre de leur organisation ; en effet, ils dépendent de l’Education Nationale et ne sont donc pas habilités à organiser un Congrès international pour les infirmiers psychiatriques.

Par ailleurs, un important courrier arrive, demandant non seulement qu’une réponse soit faite, mais encore une diffusion plus précise concernant le Congrès international : comptes rendus de ces journées, possibilités de visiter un hôpital psychiatrique allemand, pouvoir dialoguer entre infirmiers de nationalité différente.

La mise en commun de ces idées entraîne une petite équipe lyonnaise qui doit participer à ce Congrès d’octobre 1967, à préparer une réunion de francophones, afin de demander l’avis des participants. C’est donc, sans idée précise et sans plan très élaboré, que se réunissent dans un café du vieil Heidelberg autour d’une bière, des infirmiers psychiatriques. La petite arrière-salle mise à leur disposition est bien trop exigüe pour contenir tous les présents ; il faut bien le reconnaître, ils n’ont pas pensé un seul instant qu’une bonne trentaine de francophones participerait à cette rencontre au pied levé. Une sorte « d’atmosphère pré-Mai 68 » régnait dans la pièce, les questions fusaient de toutes parts.

  • Les uns très inquiets : « Mais enfin, qu’est-ce-que vous voulez faire ? Vous voulez créer un groupe ? ».

  • Les autres, enthousiasmés, reflètent  l’opinion suivante : « Il faut que  nous nous prenions nous-mêmes en charge ; il faut que nous sortions de notre isolement dans les hôpitaux psychiatriques ; nous nous encroûtons dans nos services où la routine et la chronicisation ont contaminé les équipes. »

La petite équipe lyonnaise de trouve donc poussée par les participants à entreprendre une action : la première étant de servir au cours de ce Congrès de coordinateur, rôle qui est attribué au Dr Broussolle (on ne rit pas, il faut bien commencer un jour). Le rôle lui est attribué pour plusieurs raisons : il est avec Henny Zilliox, un des deux délégués français du bureau international I.F.K ; tous les membres de l’équipe lyonnaise dont les différents membres ont  fait connaissance au cours du Congrès sont logés au même hôtel ; les efforts de synthèse des phénomènes de groupe ayant eu lieu au cours de cette rencontre sont faits par quelques membres de l’équipe de Lyon, Dijon, St Alban. Une demande émane du groupe qu’une nouvelle réunion soit organisée avec la participation de tous  les francophones présents.

Cette demande entraîne la création d’un groupe qui doit préparer cette rencontre afin de préciser ce « quelque chose » qu’attendent ou cherchent les uns et les autres. Le noyau réunit une vingtaine de Français. Une question émerge : « Nous ne sommes qu’un petit nombre d’infirmiers psychiatriques et nous ne savons pas si les collègues des autres hôpitaux psychiatriques partageront notre opinion. Alors pourquoi ne pas leur demander leur avis ? »

Des infirmiers psychiatriques de Saint-Alban en Lozère, déjà riches en expériences de regroupements, s’avérèrent à la fois les plus convaincants pour l’entreprise et les plus précis quant à l’idée du projet naissant. Il fallait que ce soit un groupe infirmier, essentiellement axé sur la fonction infirmière en hôpital psychiatrique, dont le but serait l’amélioration des soins aux malades mentaux, sans aucune dépendance politique, confessionnelle ou syndicale. « Il fallait que les infirmiers puissent se rencontrer et sortir de leur isolement, sinon le malade, lui, ne sortirait jamais de l’asile. » Il est remarquable que dès 1967, les infirmiers aient fait le lien entre isolement des infirmiers et isolement des malades. En 2020, ce lien n’est toujours pas fait.

Quelques infirmiers de Dijon, avec une expérience de vie de groupe pour avoir créé une amicale qui fonctionnait bien et qui possédaient des talents d’organisateurs, prirent l’organisation de cette rencontre francophone en mains. Un questionnaire serait diffusé ; chacun des représentants des hôpitaux psychiatriques participant à ce Congrès s’engageait à diffuser le plus largement possible ces questionnaires. En fonction du pourcentage des réponses dépouillées à Lyon, on prendrait une décision en commun : soit un représentant par région puisque les frais allaient être à la charge de celui qui se déplacerait.

Je reproduis ici le questionnaire parce qu’il peut servir de base, aujourd’hui, à un questionnaire du même type :

  1. Comment voyez-vous votre profession d’infirmier (ière) psychiatrique ?

  2. Comment envisagez-vous  son évolution ?

  3. Avez-vous assez d’échanges professionnels ?

  4. Quels moyens pour les  intensifier et les améliorer ?

  5. Connaissez-vous l’évolution professionnelle des infirmiers diplômés d’Etat ?

  6. Connaissez-vous  l’évolution dans les pays voisins ?

  7. Que penseriez-vous d’une association professionnelle qui regrouperait les infirmiers des hôpitaux psychiatriques ?

  8. Si oui, quels buts et quelles limites souhaiteriez-vous lui donner par rapport aux mouvements syndicaux, aux CEMEA, aux diverses amicales locales ?

  9. Seriez-vous d’accord pour une Journée Nationale de rencontre, afin de faire aboutir le projet ?

  10. Comment verriez-vous l’organisation de cette rencontre et ses préparatifs ?

  11. Selon vous, quels contacts sont à prendre ?

  12. Avez-vous déjà une expérience semblable dont nous pourrions tirer profit ?

  13. Si le projet vous intéresse : pouvez-vous inciter des collègues à nous répondre ? Pouvez-vous organiser un regroupement dans votre hôpital ?

  14. Auriez-vous d’autres idées à nous soumettre ?

Quatre-vingt-huit hôpitaux sur environ cent-trente établissements psychiatriques ont répondu au questionnaire. Neuf cent vingt-trois questionnaires furent remplis (sur 2000 distribués). Parmi les réponses 91,6 % étaient favorables à un regroupement. Un groupe d’Etudes et de Recherche fut donc créé.

L’article 2 des statuts énonçait ses objectifs :

« Cette association a pour objet de rassembler les infirmiers et infirmières psychiatriques dans le but de :

  1. Favoriser l’évolution et le perfectionnement des infirmiers psychiatriques par des rencontres, des congrès, des colloques, des conférences, des cours et des publications, en vue d’améliorer les soins aux malades mentaux.

  2. Etudier les problèmes relatifs à la formation professionnelle des infirmiers psychiatriques.

  3. Informer le public du rôle des infirmiers psychiatriques

  4. Susciter des rapprochements entre infirmiers psychiatriques sur le plan international et notamment en participant aux activités de l’association internationale d’infirmiers et d’infirmières et de travailleurs sociaux dans le domaine de la psychiatrie : I.K.F. »

Le G.E.R.I.P se propose un plan d’action qui aura pour premier but de rompre l’isolement dans lequel se trouve l’infirmier psychiatrique, puis d’essayer de définir la profession d’infirmier et de voir quel est son avenir. Ainsi le « quelque chose » n’était plus seulement un regroupement « pour sortir d’un isolement, d‘une ignorance » mais un rassemblement pour améliorer les soins aux malades mentaux. Pour cela acquérir un savoir, donc :

  1. Développer des ressources rudimentaires, emprunter et adapter celles que possèdent les professions voisines ;

  2. Conceptualiser dans le  cadre d’une culture propre ;

  3. Réaliser une  meilleure coordination des concepts de base ;

  4. Planifier la recherche face à la multitude des problèmes soulevés, des approches et des aspects qu’ils représentent ;

  5. Favoriser la  communication et les échanges internationaux pour s’avoir ce qui se fait ailleurs, et éventuellement s’en inspirer ;

  6. Eviter les efforts dispersés, et renforcer la coopération des différents « spécialistes » travaillant en équipe pluridisciplinaire dans le  cadre du même projet.

Le plan d’action se traduit en programme : « Nous devons partir d’ici  avec un plan de travail car le groupe doit être un élément de vie et de dynamisme. Il sera jugé sur ses actes et ses réalisations. Il ne peut vivre qu’avec chaque section. Il sera ce que nous le ferons, nous infirmiers psychiatriques. » Ce programme est publié dans le numéro 1 du bulletin, organe de liaison dont le  lancement s’avère être d’une nécessité absolue. Il fait la synthèse des idées recueillies dans les réponses aux premières questions du sondage.

Donc,

  • L’infirmier psychiatrique veut à son tour réfléchir sur son métier

La psychiatrie, science en pleine évolution, étend ses domaines, revêt des aspects multiples qu’il est difficile pour chacun, de saisir (énumération des problèmes de ll’enfance, du secteur, prisons, reclassement professionnel, etc.).

La coupure entre psychiatrie  et médecine s’atténue, les échanges dans les deux sens se multiplient (infirmiers psychiatrique allant à l’hôpital général, consultations psychosomatiques, psychiatrie introduite à l’hôpital général, etc.).

La psychiatrie évoluant, la profession d’infirmier psychiatrique évolue nécessairement.

Qu’est-ce que la profession d’infirmière psychiatrique ?

Le rapport de l’OMS est technique, il dessine un profil de l’infirmière psychiatrique contradictoire qui, dans la pratique, se trouve mal défini. Que sont-ils, quel avenir leur est réservé ?

Devenir suppose la possibilité d’une formation  continue et initiale.

Quels moyens de formation ? Ils sont rares et ne touchent qu’un trop petit nombre d’infirmiers psychiatriques. Les malades mentaux ne seraient-ils pas mieux soignés si  ceux qui en ont véritablement la charge se reconnaissaient davantage dans leur spécialité ? Les idées tournent autour de la profession mais les infirmiers participent peu à ce travail de recherche alors qu’ils sont directement concernés. Ne devraient-ils pas apporter leur propre réflexion à l’édification des nouvelles conditions de la profession.

La création d’un regroupement professionnel des infirmiers psychiatriques, justifié du fait de l’absence totale de support technique véritable de la profession, doit permettre de parvenir à une plus grande autonomie de réflexion de la part du personnel soignant.

  • L’infirmier psychiatrique veut rompre son isolement

  1. Quelles possibilités existe-t-il pour favoriser les contacts au sein de l’équipe soignante, au sein des autres services, des autres hôpitaux, des autres corps professionnels, dont le sillage se recoupe avec celui  des infirmiers psychiatriques ?

  2. Il faut faire l’inventaire des possibilités dont il dispose. Il  faut se fixer certains objectifs.

  3. Intensifier la participation aux mouvements existants qui concernent plus ou moins directement la psychiatrie et les soins psychiatriques (CEMEA, supports pédagogiques –Ecole des parents, Travail et culture), organismes à dénominateur psychiatrique commun UNAFAM, ADAPEI, Croix Marine, Ligue d’Hygiène mentale, etc.

  • […]

Le premier congrès du GERIP est organisé à Dijon sur le thème : « La psychiatrie moderne et l’infirmier à propos du livre blanc des psychiatres français ». Ces journées nationales d’études et de travail intensifs font la synthèse des travaux partiels des équipes et d’autre part, par leurs échanges, contribuent à faire apparaître l’existence de l’entité propre et autonome, non médicalisée, que sont les soins infirmiers dans la prise en charge des malades mentaux.

Les thèmes des rencontres :

  • 1968 : Le livre blanc de la psychiatrie française et les soins infirmiers

  • 1969 : La formation de base des infirmiers psychiatriques

  • 1970 : La formation continue

  • 1971 : L’avenir du malade mental dans la société

  • 1972 : Les motivations de l’infirmier psychiatrique

  • 1973 : Le secteur

  • 1974 : les répercussions des grands courants psychiatriques sur le personnel soignant et sur ceux qui lui sont confiés

  • 1975 : Prise en charge du malade. Préparation à sa réinsertion et sensibilisation du public.

A la différence majeure de leurs consœurs des soins somatiques, les infirmiers psychiatriques pensent l’équipe et le groupe. L’ouvrage s’achève par une analyse groupale de la naissance et du développement du G.E.R.I.P.  

 

Dominique Friard


[1] GERARD (J-L), Infirmiers en psychiatrie : nouvelle génération. Une formation en question, Editions Lamarre, Paris, 1993.

[2] MALDINEY (H), Cours de psychologie générale, Lyon 1965.

Date de dernière mise à jour : 09/11/2020

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