Hommage à un génie méconnu

Hommage à un génie méconnu

 

Ils ne payent pas de mine
Les flics ne leur demandent jamais leurs papiers
Leur air quelconque les préserve de toute identification
Ils ne valent que par le statut qu’on leur accorde
Sans cette carapace, ils sont nus
Sans idées, sans idéal, sans plus grand qu’eux
Ils savent renifler d’où vient le vent
Et suivent sa direction
Sans états d’âme
Quand après avoir soulevé une pierre
On en saisit un délicatement avec une pince
On le voit gigoter de toutes ses petites pattes
« Je ne fais que suivre les instructions, dit-il »
Leurs élytres font résonner quelques sigles étranges,
Des acronymes délirants qui font réalité pour eux.
Seule la plus haute maîtrise du bouddhisme
Interdit de les écraser sous le talon.
Ils prospèrent dans les administrations,
Haute ou basses.
Toutes leur font ventre.
Nul ne se méfie d’eux.
Ils sont si propres, tellement insignifiants
Qu’ils ne peuvent pas être dangereux.
Erreur. Tragique erreur.
Ce sont des insectes bâtisseurs
Qui font leur nid dans le bois des maisons les mieux construites
Ils grignotent.
Ils creusent des galeries
A coup de protocoles, de règlements abscons.
Ils maîtrisent les procédures, les processus.
Le vent y souffle sans qu’aucune émotion ne vienne l’arrêter.
Leur petit monde de néant est bien rangé.
Ordonné. Rien n’y dépasse.
Ils comptent.
Je connais de ces monstres
Je les tiens au large
Qu’ils me foutent la paix !
J’en connais un qui est un véritable génie.
Il pond ces petits œufs dans un hôpital où Bonnafé
Fit exploser les contentions.
Chaque matin, le psychiatre communiste y rencontrait les soignants
« Alors, disait-il, alors racontez …
Racontez-moi le quotidien
Qu’avez-vous inventé aujourd’hui ?
Vous avez détaché M. Mallory ?
Il ne s’est pas agité ?
Comment vous y êtes-vous pris ?
Avec une guitare ?
Racontez. Ecrivez.
Que vos collègues à venir se souviennent,
S’inspirent de ce que vous avez fait
Pour inventer leur propre art de soigner »
Notre génie ne rencontre pas les équipes
Ne parle pas aux infirmières
Il pond.
Des notes de service.
Il en a postillonné une qui est une sorte de chef d’œuvre
Lavez les masques à usage unique
Faites les sécher afin de les réutiliser le lendemain matin.
Pas de masques pour les usagers
Leur usage en est trop complexe pour eux.
Il a appuyé sur la touche « Envoyer »
Satisfait de lui.
Là-haut on sera content de lui.
Un masque par soignant pour toute la durée de la pandémie
Personne ne fera plus économique
Ah si tous étaient comme lui que d’économies on ferait.

Ils ne payent pas de mine.
Ils n’ont rien des ogres de notre enfance.
Ils ne tuent directement personne
Ils perpétuent, en toute tranquillité d’esprit,
Des crimes de bureau.


Ces monstres pullulent
Il faut les contraindre à circuler au large,
En plein soleil.
La lumière les tue.

 

Dominique Friard

 

Date de dernière mise à jour : 09/06/2020

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