Décontamination de la novlangue managériale

Moment de décontamination de la novlangue managériale

Colloque « L’impossible est notre métier »

13/10/24 IRTS

           Le néo libéralisme nous a volé nos mots. Il en a dépouillé le sens et l'a remplacé par des coquilles vides qui ne disent rien à personne ou le contraire de ce qu'ils sont censés signifier.  Cinq oeuvriers du quotidien entreprennent de décontaminer la novlangue managériale. Un peu de poésie s'il vous plaît ! Une intervention présentée au colloque "L'impossible est notre métier" le 13/10/2023 à l'IRTS de Marseille. Avant la publication chez L'Harmattan d'un ouvrage qui en rassemble toutes les interventions.   

« Moment de décontamination de la novlangue managériale … » C’est quoi cette affaire ?

Notre groupe s’est composé de liens de travail et d’amitiés pour construire notre intervention en recentrant une question essentielle : Comment proposer un dire différent que ce qui est déjà convenu ? Pour ce, il a fallu se demander comment tenir un propos le plus possible subversif.

Nous vivons au sein de nos institutions un moment de rupture de plus en plus persistant. La narration des personnes qu’on accompagne s’effrite et vient les remplacer une étrange attention pour des recommandations opératoires vides de sens. Face à ça, on souhaite proposer une décontamination de cette pseudo-nouvelle-langue pour aller vers une contamination d’un désir résistant !

Nous prenons la parole en tant que modestes oeuvriers du quotidien. L’idée est de montrer comment, malgré nous, nous sommes pris par la banalisation, un aveuglement et un asservissement qui a pour effet qu’on s’y fait. Cette morbide rationalisation aboutit sur une absurdité qui fait céder la pensée.

Des pseudo-protocoles creux, qui se referment sur eux-mêmes. La « novlangue » managériale n’est-elle pas la seule et réelle langue morte, parce qu’elle annule le vivant ? Le langage c’est ce qui caractérise tout être humain, un animal hors du commun, un parlêtre, celui qui parle pour être. La parole, personne ne peut nous l’enlever, c’est ce que nous avons de plus précieux pour entrer dans le monde et le lien social.

Les différents lieux qui nous permettent de témoigner sont principalement : la psychiatrie publique, la protection de l’enfance, la formation en travail social, ou encore la prison. Autant d’exercices qui attestent d’un déracinement du sujet à sa langue. Cette intoxication produit une aliénation qui opère plus rapidement que la contamination à l’engagement et à résister. Mais au fond, c’est une question éthique qui maintient des espaces psychiques et de pensée nécessaires. Il s’agit ainsi d’un peu plus que s’indigner, un peu plus que dénoncer parce que le diagnostic est fait, alors avançons.

Prendre le temps de nous décontaminer ensemble joue sur une scène où le vivant et le sérieux s’imposent : c’est sérieux de s’occuper des gens oubliés dans la nuit du monde.

Les mots ont leur importance, leur force, ce sont des marques qui font effet sur le corps et sur le psychisme. Pour ce nous nous devons de leur donner une place centrale. Et lorsqu’ils sont banalisés, ces maux, cela donne une indication de l’état du lieu dans lequel on circule. Nous souhaitons alors en faire un court récit ici.

Vous nous direz l’effet que ça vous fait, vous nous direz ce que ça vous permet de penser.

La question est : Comment s’entendre pour se faire entendre, dans un monde ou le malentendu est facilement insupportable ?

Écouter les mots, c’est une intention un minima soignante, ça s’raconte, ça compte « la prise en compte » de l’autre, qui n’est pas la « prise en charge » mais une tâche de poids pour tous les champs qui nous intéressent : soigner, éduquer, diriger. Pour tous les « statuts » que nous représentons aujourd’hui. Professionnel ou pas.

Un bon exemple, par la langue établie de l’établissement, c’est comment certains acronymes ne s’entendent plus.

Alors décontaminons les acronymes anonymes !

Un dialogue pas si fictif pourrait mettre en scène un échange en réunion entre deux professionnels :

« Dis-moi, là, pour la semaine prochaine, je dois écrire une NFI ou un RFI ? »

« Ça dépend, est-ce que tu as déjà fourni le PPI ? »

« Oui, tu ne te rappelles pas ? On en a parlé en PSE. »

« Ce jour-là je n’étais pas présent. J’étais en ESS et puis en VAD. »

« D’accord mais est-ce que ce gosse a eu un GOS ? »

« Faut appeler la MDPH, mais je crois qu’il y a eu un RAPT. « 

« Donc pas de PAG ! »

« En effet, de toute façon c’est un TND. « 

« Ah bon ? Il a plutôt des TC qui font penser à un TOP ou un TDAH… »

« Soyons clair ! De toute façon nous l’orienterons vers la PCO ! « 

TSA ! DSM ! TARATATA ! CMP ! MECS ! SEGPA ! ULIS ! TOC !

La machine du langage se (nous) déglingue …

Pourtant, les mots font mouche, on le voit tous les jours dans la pratique, ils reviennent pour être lus, et si on ne peut jamais les traduire complètement, on cherche à ce qu’ils nous nomment et nous représentent. Parfois, souvent, on s’y coince, mais ils renferment des secrets si on les soigne.

Analysons, écrivons par notre travail quotidien les récits de ceux qu’on écoute et accompagne : ce sont des poèmes !

Se défaire du lieu où la novlangue nous établit, c’est entamer une démarche subjective vers l’émancipation, d’abord ensemble au-un-par-un, et c’est un bon début pour le collectif et le vivre ensemble.

Face à ces mouvements normatifs, évaluationnistes, pseudo-diagnostics, d’ingénierie qualité, de comité éthique ; luttons contre ces mots qui viendraient nous définir et nous ranger. Comment ? Déjà se rassembler, se parler, analyser, critiquer, nous décaler, et sortir d’une morbidité dans laquelle on est tenté de s’immobiliser par découragement.

En tant que travailleurs de l’humain, l’asservissement sur le terrain nous fait participer par notre plainte ou encore par le silence ; une triste défense d’évitement, souvent justifiée : le temps, l’énergie, ou tout autre impossibilité. L’impossible ...

Ce que nous nommerons ici l’impossible durant ce colloque, en fait, maintient une ouverture !

Impossible, tu nous tiens !

Ne soyons plus dupe du jeu de langage qui renverse les responsabilités. Tout « Plan social » est une réorganisation de la précarité. Toute « mutualisation » est une polyvalence à moindre coût, les « acquis sociaux » ce ne sont pas des « privilèges » ! Et nombre d’autres torsions de cette nouvelle langue qui fait perdre le sens de nos précieuses singularités. Ladite « novlangue managériale » s’infiltre dans le sens commun et vide les mots de leur substance.

La novlangue fait référence, au terme créé par G. Orwell dans 1984. C'est un langage dont les buts sont l'anéantissement de la pensée et l'asservissement du peuple.

Ainsi, l'écart se creuse entre l’élite « pensante » et « décisionnaire » et le reste de la population, accentuant l'écart dominant/dominé. Pour Orwell, la novlangue ou néo-parlé regroupe des « simplifications lexicales et inversions de sens visant à limiter l'expression de critique contre l'état ».

La novlangue managériale renvoie à des phrases milles fois entendu, passée de l'entreprise (France Télécom par exemple) au service public, tout comme à l'Hôpital.

Lorsque on entend « retour à l'équilibre », il s'agit en réalité de réduction importante des budgets. L’amélioration de l'offre de soin : l’exemple de fermeture d'unités, de service, ou de lits. Un « Redéploiement des ressources humaines », la suppression de postes ... Et bien d’autres encore ...

Ce langage est notre quotidien, dans les établissements, dans les médias, dans le discours des politiciens. Jusque dans l'urbanisme et le lien social où ladite « requalification » d'un lieu ou d'un quartier, la mise au ban d'une population déjà disqualifié socialement, la fameuse « gentrification », provoque l'effet attendu : Empêcher toute mixité !

Une autre fonction de ce « néo-parlé » est d’aplatir le discours, de le rendre « impalpable », les termes employés étouffent les cris que permet, par exemple, la poésie des gens.  N’est-ce pas là une façon de lisser les émotions qui pourrait mener à toutes contestations en tant que cœur de tout mouvement inhérent du sujet ? Ce contrôle à bas bruit de la créativité, du sujet du désir est une façon de nier le caractère absolu de l’altérité (l’éthique réduite à un domaine de compétence) et, de fait, « réduire l’autre au même »[1] pour reprendre la formulation de Levinas.

Comment, alors, ne pas être pris dans le discours dominant ? Comment résister ?

Le plus inquiétant n’est-ce pas la confrontation entre notre propre servitude et la désobéissance qui s’impose ? Pourquoi sommes-nous d’accord sans le vouloir ?

Participer soi-même à une situation qui empire nous laisse-aller à parler la langue qui annule notre pratique. C’est Non ! Notre principe est d’aller à contre-courant. Tout au moins celui-ci.

Ces mots-valises recouvrent l’essence de notre éthique par de belles idées imaginaires qu’on a l’impression de ne pas pouvoir refuser : l’épanouissement et le bonheur ... Mais en fait, il s’agit d’une copulation avec le discours de la marchandisation du travail et du social.

Avons-nous oublié la puissance de l’enfance en nous, sa poésie et sa naïveté essentielle ? Comme le propose Sandra Lucbert en se référant à Alice : Essayez de dire à un enfant : « C’est comme ça », eux, demanderont toujours : « Et pourquoi ? ».

Cette petite question est le premier support pas moins puissant pour poser des actes.

Jusqu’où sommes-nous d’accord pour continuer à supporter cette situation ?

Proposons justement une situation :

Lorsqu’il s’agit pour le travail social d’identifier l’ennemi à combattre, nul besoin pour lui de chercher bien loin celui qui est cause de tous ses maux et désigner ainsi le capitalisme, le libéralisme, que dis-je ? L’ultra-libéralisme qui pénètre à grand renfort de mots désincarnés, de logiques procédurales et managériales, par tous les pores de la peau les métiers de l’intervention humaine. Dans sa volonté de faire de l’humain un rouage dans une mécanique bien huilée, le capitalisme vorace, tel l’ogre des contes, bouffe tout sur son passage et par là-même vide de sa substance l’essence même de ces métiers qui s’attellent quotidiennement à faire en sorte que cet humain puisse exister dans toute son incomplétude.

Il apparaît alors peut-être pertinent, si on souhaite le combattre, de se poser cette petite question : « Où prend naissance le capitalisme ? »

 

J’ose ici une réponse : dans la volonté de domination de l’autre.

C’est pourquoi, les éducateurs de tous poils, du moins ceux qui politisent leur action, s’en défient. Dans l’éducation spécialisée, nulle volonté de domination de l’autre. 

Mais une telle affirmation n’est-elle pas finalement un moyen rassurant de faire l’économie d’une analyse qui pourrait se poser sur la part sombre de ce métier ? Une sorte d’arrangement à moindre coût avec sa conscience. Une manière d’éviter de se regarder dans le miroir alors que nous savons grâce à ce bon vieux Phillipe et son ouvrage « Frankenstein pédagogue »[2] qu’en éducation, grand est le risque de vouloir façonner l’autre à notre propre image. Cet autre bien souvent nommé sur le terrain « personne accompagnée » ce qui ne va pas sans une certaine confusion. Effectivement, Il n’est pas impossible que les éducateurs de tous poils, même ceux qui politisent leur action, croyant être dans de l’accompagnement, fassent finalement autre chose qui lui est à la fois très proche et différent : du guidage.

Afin d’illustrer le propos, voici une petite histoire :

Joly Laura le sait au plus profond d’elle-même. Si elle refuse, quelque chose risque de se briser. Ce sentiment l’effleure à peine mais elle en a l’intime conviction. Alors, elle accepte. Madame Vincent, plus communément nommée Nathalie sur l’unité, est ravie.

Toutes deux s’assoient à la terrasse de ce café de quartier devant lequel Laura passe quotidiennement quand elle se rend ou quitte son lieu de stage. En formation d’éducatrice spécialisée, elle officie comme stagiaire depuis trois mois au sein d’un foyer de vie destiné aux personnes atteintes de troubles psychiques. Nathalie est l’une d’elle. Enseignante, mariée, mère de deux enfants, cette femme de trente-cinq ans a un jour décompensé. Elle oscille maintenant entre moments de lucidité et bouffées délirantes.

Elle est une patiente relativement stabilisée et Laura a obtenu l’autorisation ce jour de l’accompagner pour régler un problème administratif.

Sur le retour, passant devant le café, Nathalie propose à Laura de boire un verre. C’est une invitation. En un dixième de seconde, Laura est traversée par une foultitude de questions. Professionnelle en devenir, voilà qu’une résidente vient personnaliser la relation. En son for intérieur, au milieu de cette vague d’interrogations, une petite voix l’avise d’accepter. Les boissons consommées, Nathalie paye et toutes deux s’en retournent sur l’unité.

Turlupinée par le goût de la menthe à l’eau encore tout frais et présent sur son palais Laura s’en épanche auprès de sa référente de stage. Cela n’aurait pas dû se passer comme ça. Il n’est pas possible d’accepter un verre aux frais d’une résidente. Ce genre d’activité s’organise. Il convient d’en parler en équipe, de demander un budget et une fois le tout validé, le coup en terrasse peut advenir. Laura a bien retenu la leçon. Le lendemain, de la monnaie au fond de sa poche, elle se rapproche de madame Vincent :

« Bonjour Nathalie, je voulais vous parler de ce verre que vous m’avez offert hier. Je ne vais pas pouvoir accepter. Voilà, je tenais à vous rembourser. La prochaine fois, nous organiserons un peu mieux ce genre de sortie. »

Il n’y aura pas de prochaine fois. Nathalie a fortement investi la jeune stagiaire. Elle aime beaucoup faire appel à elle pour diverses choses, prétexte pour l’avoir à ses côtés et déambuler ainsi avec quelqu’un sur les chemins tortueux de sa folle lucidité. Étrangement, ou plutôt naturellement, en peu de temps, Nathalie se fait quelque peu distante avec Laura. Ce n’est pas très plaisant, au nom de la professionnalité, d’être renvoyée à un statut d’objet. Nathalie Vincent a perdu une bonne partie de ce qui constituait sa vie : sa raison, son travail, son mari, ses filles, sa famille, son statut de mère, de femme, de sujet. 

A la terrasse de ce café, offrir un verre à Laura lui a permis de retrouver sa dignité, une part de sa vie d’avant, celle d’une personne libre de décider de la manière d’utiliser son temps et son argent.

Mais elle est maintenant « prise en charge » en institution au sein de laquelle une place lui est attribuée. Celle d’une personne devenue résidente qui n’a plus le droit de payer un verre à quelqu’un.

La rencontre de ces quelques-uns reste essentielle.

Nous rencontrons tous les jours ces gens qui nous enseignent si on les écoute un peu.

À l’image de ce que nous apprennent le fou et l’enfant, ces contemplateurs instinctifs et authentiques qui jouent avec les mots pour interroger la loi du langage, pour tordre les représentations que la norme rend aveugle. Le fou hurle l’injustice du monde. L’enfant ne confond pas le savoir et l’ignorance, il est d’une sagesse savante qui lui autorise les bêtises de l’expérience. Pour se faire entendre, tous deux interrogent la norme comportementale et désigne l’étiquette qui rassure d’un nom qu’on appelle diagnostic. Et là, elle témoigne d’un dit « dys-fonctionnement ». Mais en réalité, ces noms ne servent qu’à ceux qui les donnent. Continuer avec l’impossible de ranger ceux qu’on croit dérangés, c’est l’éthique commune de nos pratiques.

L’éthique d’une pratique touche à ce titre : « L'impossible est mon métier », alors comment faire de mon métier « un » possible ?

Les mots sont l'essence de la clinique, ils sont même : Le sens de notre clinique.

Comment pouvons-nous laisser filer l'outil le plus indispensable de tout lien ?!

Si riche soit elle, notre langue nous offre des mots si banalement employés, et pourtant si essentiels. Un « Bonjour », un « Au revoir », un « Comment allez-vous ce matin ? »

Voilà le possible de notre métier, réhumaniser nos patients avec de simples attentions.

Revenir à l’essentiel.

Réhumaniser à un endroit où la déshumanisation est quotidienne. Un endroit où il n’y a pas de « Monsieur ». Un endroit où les patients sont des numéros.

Nous pouvons être pris dans un flot de rapidités, d’un travail « à la chaine ».

Mais il faut prendre le temps de prendre le temps.

Pour illustrer nos propos, nous nous appuyons sur notre pratique quotidienne.

En tant qu’infirmiers nous « distribuons » des traitements aux patients tous les jours.

Nous nommons cette distribution « JS » qui signifie « Journée Stricte ».

Nous recevons trente patients en une heure.

« Mais je suis pas qu’un distributeur ! »

Ce terme montre à quel point il faut que ce soit rapide, même pour le dire.

D’ailleurs cette appellation ne nomme même pas ce qu’il s’y passe.

À l’hôpital on la nomme la délivrance ... Mais quelle délivrance ? ...

Nous sommes là, derrière notre bureau et derrière nos écrans d’ordinateur qui prennent du temps, trop de temps sur l’échange, d’ailleurs, aussi, ces écrans cachent le patient.

Une collègue a dit : « Avec ce patient je me réfugie derrière cet écran. L’écran me protège ».

Et puis il faut coter des actes, encore et encore ...

L’établissement uniformise la prise en charge.

Où est passée l’institution ?

La « certification » pousse vers des protocoles qui restreignent et ne laissent pas place à la surprise et à l’insaisissable.

Le soin en psychiatrie repose sur la subjectivité, la rencontre et le transfert.

Le protocole, dans son idéal d’objectivation, enferme les sujets soignants et patients.

En appliquant le protocole, nous nous annulons en tant que sujet : Au point de pouvoir dire qu’un suicide est un « évènement indésirable » ...

À quand un évènement désirable ?

Faisons alors appel pour conclure, à l’artiste et au poète, à l’expérience et au désir de partage et de transmission. À l’image de Christian Bobin : « J’essaye de recueillir des choses très pauvres, apparemment inutiles, et de les porter dans le langage. Parce que je crois qu’on souffre d’un langage qui est de plus en plus réduit, de plus en plus fonctionnel. Nous avons rendu le monde étranger à nous-mêmes, et peut-être que ce que l’on appelle la poésie, c’est juste de réhabiliter ce monde et l’apprivoiser à nouveau. »[3]

Il nous dit, en s’inspirant d’Hölderlin, qu’habiter humainement le monde et habiter poétiquement le monde, au fond c’est la même chose. Ce qui s’oppose à l’habiter techniquement, en dehors de toute science, parce qu’on le veuille ou non, de la vie, on n’y comprend pas grand-chose.

Alors, parlons de la vie avec les mots qui viennent et échappent, avec ce qu’ils renferment comme énigme pour tous.

Si on dit que le temps manque, c’est justement qu’il est à prendre pour qu’il ne se perde pas.

L’apparent inutile est en fait une nécessité, il ne devrait jamais être refusé de flâner, de prendre le temps de trainer, de rêvasser, et de rater pour se parler. C’est le cœur du vivant. Vivre, exister, ce n’est bien évidemment ni facile, ni pratique, c’est plutôt quelque chose de l’ordre du désir.

Et « qu’est-ce le désir ? » Une question continue pour nous tous, et par là même supporter ce qui compte, sa recherche !

Dégageons-nous des complications, des : « Ça ne marchera pas ». « Je n’ai pas le choix ». « Si ça continue, je pars ». Ou encore : « Je suis seule ». Non à l’asservissement, et oui à l’assujettissement ! On peut se dire : « Je suis sujet de désir ... » Et ici, aujourd’hui, ensemble, nous ne sommes plus seuls à être seuls ! On acte !

Agir le dire pour continuer d’avoir la force pour être là « au seuil de la solitude »[4] des gens fragiles qu’on côtoie ; parce que restent-ils de nous si on ne prend pas la parole ? Et que restera-t-il d’eux ?

Alors, alors ; proposons de resserrer les espaces et d’allonger les impasses, contempler la nature, le monde et les gens qui le peuplent, autrement dit s’engager vers un désir commun : celui de continuer à y être pour inventer ensemble et de prendre soin des lieux où on exerce, pour les penser, pour les défendre, et prendre soin de ceux qui y circulent. C’est quand même la moindre des choses ...

Et pour faire cela, faut-il choisir ou décider ?

Camille Bernardini, Pascal Levy, Laurent Rigaud, Anaïs Sparagna, Sebastien Firpi


[1]E. LEVINAS, 1982, Ethique et infini, Dialogue avec Philippe Nemo, Fayard

[2]Philippe Meirieu, 2017, Frankenstein pédagogue, ESF édition

[3]BOBIN C., (2018), Le plâtrier siffleur, Poesis, Paris, p.2.

[4]Expression emprunté à notre ami et collègue Antoine Pons, lui-même inspiré par Maurice Blanchot.

Date de dernière mise à jour : 17/12/2023

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