Du singulier au pluriel et du pluriel au singulier : regards croisés 

« Du singulier au pluriel et du pluriel au singulier : regards croisés »

Anne-Laure Friard, Educatrice spécialisée, Marie-Laure Vella, infirmière, C.H. Montperrin (13)

Je m’appelle Marie-Laure. Je suis infirmière diplômée d’état depuis 2002. Exerçant en psychiatrie, j’ai d’abord débuté dans l’intrahospitalier pendant 6 ans, puis 2 ans en CMP et enfin 3 en CATTP/HDJ.

Bonjour, je m’appelle Anne-Laure, je suis éducatrice  spécialisée depuis 7 ans. Après un parcours professionnel à l’Aide Sociale à l’Enfance dans un foyer d’urgence à travailler au quotidien avec des enfants et ado accueillis 24/24 et 7j/7, j’ai choisi de m’orienter vers la psychiatrie adulte en extrahospitalier pour utiliser autrement ma pratique.

A mon départ, mon ancienne équipe m’a traitée de folle. Premièrement, j’allais travailler avec des « malades » mais en plus avec des infirmiers...qui comme tout le monde le sait : boivent du café à longueur de journée, fument des clopes, abrutissent les patients à coup de médocs et n’en glandent pas une.

Heureusement, mon parcours personnel m’avait appris très jeune, la véritable identité professionnelle des infirmiers. Avoir un des fondateurs de SERPSY comme parent cela aide à comprendre le travail de réflexion autour de la clinique.

Nous travaillons ensemble et déjà se présente pour nous une première tension, une première difficulté : comment transcender le paradoxe d’une présentation respectueuse des règles déontologiques (discrétion) autour d’un discours commun de deux soignantes exerçant dans une même équipe adressée à un public du même hôpital ?

Les situations d’équipe présentées ont donc été maquillées sans pour autant renoncer à leur singularité et à ce qu’elles révèlent de la difficulté d’être au quotidien en présence de la folie.

J’arrive ainsi il ya 3 ans (pour la petite anecdote, nous avons pris notre poste le même jour !). Etant la première éducatrice sur cette structure, j’avais pour mission de montrer ce qu’un éducateur pouvait apporter de différent dans le travail d’un hôpital de jour/CATTP/ appartement thérapeutique.

La première étape était de faire accepter cette profession différente dans une équipe exclusivement infirmière. De nombreuses interrogations ont pu naître avec ma venue. Quelles étaient mes compétences en matière de psychopathologie ? Que pouvais-je faire avec les patients ? La grande question des médicaments ? Pouvait-on me laisser seule en activité ou au repas ? Etais-je capable de gérer en cas de crise… Il a fallu rassurer, expliquer et du temps pour que confiance et place se gagnent mais aujourd’hui, je pense que toute l’équipe est sereine quant à ce que chacun apporte à l’autre dans son travail.  C’est pourquoi l’équipe a toujours été une notion présente dans mon esprit.

Je pense l’équipe comme l’équipage d’un bateau.

Avant le départ du port, le capitaine a recruté son équipage : des individus différents, souvent doués dans un domaine, embauchés au gré des rencontres (bonnes ou mauvaises). Une fois le navire appareillé, ils se retrouvent dans la même galère et doivent cohabiter dans cet espace restreint. Il ne suffit pas d’être sur le même bateau pour que chacun se respecte. Il faut le temps d’apprendre à se connaître, à apprécier les compétences professionnelles de l’autre, savoir la place de chacun. Tant que le beau temps est de la partie, l’affaire roule mais c’est en cas de tempête qu’il faut se serrer les coudes. C’est dans ces moments là que l’équipage est important. Pour la survie du bateau il faut faire confiance à son coéquipier, s’assurer de faire sa propre tâche pour réaliser le but commun : sortir de cette mauvaise passe sans trop de dégâts.

Quant à moi, ma conception d’une équipe est marquée par celle du compagnonnage. Mon équipe est composée de membres avec qui je mange le pain du quotidien souvent amer celui de la souffrance, parfois sans sel celui de la routine. Mon équipe c’est celle dans laquelle je m’investis, celle qui ne me dédouane en rien de ma responsabilité singulière. C’est celle qui m’enrichit par son pluralisme de positionnement face au patient dans la relation. C’est aussi celle qui m’agace parfois par son immobilisme lié certainement à des peurs inconscientes.

Je distingue 3 niveaux d’équipe :

  • tout d’abord, l’équipe quotidienne : celle que le patient voit tous les jours, pour des soins du quotidien : infirmier/éducateur/ASH. C’est l’équipe en première ligne, celle qui vit près du patient, dans une proximité physique et dans des rituels familiers : café le matin, activité thérapeutique, repas, … Celle qui répond aux besoins primaires, qui peut observer le patient au plus près de ce qu’il vit : les bons moments, les angoisses, les crises, le partage des rythmes sociaux : Noël, anniversaire, Pâques, …

  • puis à un deuxième niveau, il y a l’équipe élargie : celle qui gravite autour du patient mais plus ponctuellement : cadre de santé, médecin, assistante sociale, tous les professionnels qui de près ou de loin participent à sa prise en charge. Cette équipe permet de prendre du recul par rapport à cette proximité, à ce quotidien. Elle remet du sens dans notre pratique, dans l’objectif à atteindre, redéfinit les projets, recadre si besoin, ponctue autrement la vie du patient : les rendez-vous médicaux et sociaux ont des fréquences plus éloignées.

  • Enfin, il y a l’équipe institutionnelle : celle qui nous rattache à l’institution : cadre supérieur et chef de pôle. Cette équipe donne les directives de notre pôle, la validation des projets de grande envergure qui cadre notre action. Elle est moins présente dans une proximité du patient mais est présente dans l’esprit du soignant. C’est celle qui nous rattache au port.

C’est à travers le quotidien que se tisse l’expérience du partage, du faire ensemble, du « être là » tout autant dans les temps formels de relève (qui au passage sont remis en cause par la hiérarchie) que dans les temps informels qui pourtant permettent un espace intermédiaire, un temps de liens, de « soudure » entre les différents membres de l’équipe.

L’équipe se construit au quotidien et sur les habitudes. Animer une activité thérapeutique avec une collègue pendant un certain temps nous aide à apprendre sa manière de fonctionner, d’observer et de réagir. L’échange post-activité permet de décrypter le travail effectué. Le quotidien cela peut aussi être les repas thérapeutiques. Comment mon collègue appréhende le repas ? La distribution de la parole, les thèmes abordés, la mise en place du cadre : qui met la table, la débarrasse… Mais aussi au détour d’une activité spontanée à l’accueil, une partie de cartes endiablée, une décoration de Noël, un séjour thérapeutique…

L’équipe se construit dans les temps formels  nombreux sur ce lieu qui regroupe 3 structures différentes avec 3 pratiques différentes mais aussi et surtout pendant les temps informels. Ces temps de relève, de repas, de pause où de l’extérieur un observateur pourrait croire que ça rigole. Mais non, ça travaille, ça tisse du lien, ça crée du plaisir : le plaisir d’être ensemble et de partager. Et de partager ce qui nous unit : la prise en charge des patients. Car ce qui est essentiel dans une équipe c’est de ne pas oublier ce qui nous lie, nous réunit.

L’envie de s’investir et le sentiment d’appartenance ne peuvent exister qu’à partir du moment où il y a conscience d’être une équipe. Elle n’est donc pas innée, jamais totalement acquise et toujours en mouvement. Etre affectée à un poste ne signifie pas faire partie d’une équipe pour autant. Ce n’est pas parce que l’on met plusieurs êtres en présence que la groupalité est acquise encore moins le partage des valeurs communes de base nécessaire à un travail thérapeutique.

La conscience du travail effectué s’affine avec le temps, l’expérience et amène à créer de nouvelles compétences. La prise de conscience du rôle de chacun pas seulement dans ses fonctions liées à la pluridisciplinarité mais aussi en fonction de sa personnalité amène à interpeller chacun dans sa singularité. Il s’agit d’une sorte de gymnastique qui permet au singulier de révéler son potentiel et vient donc en quelque sorte exacerber le meilleur du pluriel.

Les 10 commandements :

Equipe :

  • 1 : au patient tu t’ancreras

  • 2 : autour de sa souffrance, tu échangeras

  • 3 : dans la confiance, tu partageras

  • 4 : ta liberté d’action et de penser tu préserveras

  • 5 : de l’expérience de chacun tu apprendras

  • 6 : des différences tu t’enrichiras

  • 7 : au cadre, tu te réfèreras

  • 8 : au singulier, tu te révéleras

  • 9 : au pluriel, tu t’investiras

  • 10 : travailler dans le plaisir, tu n’oublieras pas

Une équipe apaisée est une équipe qui travaille dans un cadre permanent mais qui a conservé une possibilité de souplesse afin de répondre au mieux à la réalité du terrain.

C’est une équipe qui prend le temps d’être avec les patients, d’être aussi sans eux. C’est une équipe qui affronte ses tensions internes et arrive à les dépasser. Là, le rôle de l’institution est majeur car il instaure la distance nécessaire dans la relation et crée un écart. Elle doit pouvoir juguler la violence fondatrice et accorder à chacune de ses équipes une supervision.

L’équipe reste un assemblage complexe de personnalités, de rythmes différents et aussi de transferts. Elle est mise en danger parfois, elle est enveloppée souvent. Mise à l’épreuve du feu de la folie, elle fait appel à ses ressources internes, à sa cohésion face au clivage, à la dissociation, à la persécution des patients mais aussi j’ose le dire à ces mêmes mécanismes qui existent dans l’institution.

Il faut beaucoup d’énergie à une équipe pour rassembler ce qui est éparpillée, pour retrouver une direction. Notre garde fou ou plutôt notre garde cap reste et demeure le patient et sa souffrance.

C’est parce que nous gardons la conviction que nous réalisons un travail relationnel thérapeutique au quotidien que pour l’instant nous arrivons à constituer un Moi soignant fort.

Comment concilier le pluriel  et le singulier ? Comment travailler ensemble sans s’écraser les uns les autres (quand on voit notre bureau infirmier on comprend que ce n’est pas un jeu de mot) ? Peut être ne faut-il pas concilier mais plutôt réconcilier les deux.

Toujours fragile dans son équilibre interne, l’équipe reste solide en s’appuyant sur un socle de valeurs communes. Pouvoir remettre en question les pratiques professionnelles (tant les siennes ou celles des autres) sans crainte d’effondrement est un gage de bonne santé de l’équipe.

Nous avons envie de terminer sur une image envoyée par un ami pour la nouvelle année, qui pour nous résume bien la vision groupale nécessaire et à la fois un discernement humble qui permet de construire. Elle traduit un double mouvement : retourner au fondamental aspect thérapeutique de la fonction de l’équipe et en même temps un décollement nécessaire pour ne pas s’enfermer dans rien, ni idéal, ni conception.

Ce que je ne savais pas m’était déjà connu. Ce que je sais n’existe déjà plus.

En vous remerciant de votre attention.

Regards

 

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