Groupe à médiation théâtrale, entre position méta et travail d'équipe

Groupe à médiation théâtrale, entre position méta et travail d'équipe

 

Chady Prévoteau Doctorante en psychologie clinique, Psychologue clinicienne Médecins du Monde, Bruxelles, Clarisse Vollon Doctorante en psychologie clinique, Psychologue clinicienne C.H. Montperrin, Aix-en-Provence et C.H. Valvert, Marseille.

Cette intervention s’appuie sur un travail de recherche mené en service de psychiatrie adulte et ayant trait aux capacités interactionnelles des patients psychotiques ainsi qu’à l’influence de leurs rapports souvent fusionnels avec le monde extérieur sur leurs représentations environnementales. Notre travail s’appuie également sur nos expériences respectives de psychologues cliniciennes avec les équipes d’unités d’hospitalisation pour patients particulièrement chroniques. En effet, nous nous sommes rendus compte dans le cadre d’un groupe thérapeutique à médiation théâtrale que nous pouvions observer la possibilité, pour eux, d’accéder à une position « méta » c’est-à-dire la capacité d’adopter un point de vue différent sur eux-mêmes et sur le monde extérieur. Nous nous sommes également intéressées à la position « méta » des équipes soignantes. Quelle est la pertinence clinique d’une telle position ? Existe-t-elle réellement ? Comment le thérapeute peut-il la promouvoir et la mettre à profit d’une démarche thérapeutique ? Dans quelle mesure cette capacité est en interaction avec la position « méta » des soignants ? Comment cette capacité peut influencer voire modifier le positionnement psychique d’une équipe ? Pour répondre à ces questions nous posons deux hypothèses. Notre première hypothèse est que le dispositif groupal à médiation théâtrale permet aux patients psychotiques de transformer leurs représentations environnementales et ainsi de renforcer leur position « méta ». Notre deuxième hypothèse est que le renforcement de la position méta des patients psychotiques se fait en accordage avec la transformation de la position « méta » de l’équipe soignante.

La position « méta » et ses défaillances chez les patients psychotiques

Voici les quelques éléments d’épistémologie nous permettant d’appréhender ce que nous appelons « position méta » chez des patients psychotiques en situation de groupe thérapeutique. De façon générale, il est possible d’appréhender la position méta d’un patient au regard de trois éléments : la symbolisation et phénomène transitionnel, la fonction alpha, la structuration du Moi. Tout d’abord, la symbolisation est sous-tendue par l’accès aux phénomènes transitionnels (Winnicott, 1951). L’enfant utilise la symbolisation quand il peut faire la distinction entre fantasme et réalité, entre objets intérieurs et objets extérieurs. C’est alors qu’il accède à ce que nous pourrions nommer un début d’activité mentale c’est-à-dire aux fantasmes et aux pensées ; mais c’est aussi ce qui édifie la relation du sujet au monde extérieur et à la réalité. La fonction alpha permet, quant à elle, la transformation des éléments béta, éléments sensoriels bruts et des expériences émotionnelles, en éléments alpha qui sont « susceptibles d’être emmagasinés et de remplir les conditions des pensées du rêve » (W. R. Bion, 1962, p.25).Enfin, la construction et la reconnaissance du premier objet comme double de soi, comme miroir de soi se réalise pour Winnicott (1971) lorsque la mère regarde son bébé, ce que son visage exprime correspond à ce qu’elle regarde. Ce sont les débuts des relations intersubjectives qui permettent à l’individu de se construire. S’agissant de la structuration du Moi, celle-ci est aussi imprégnée de la fonction d’individuation du Soi que possède le Moi-peau : « le sentiment d’être un être unique » (Didier Anzieu, 1995, p.126). La membrane qui recouvre les cellules organiques dessine la frontière entre les corps étrangers et les substances semblables auxquelles elle accorde l’entrée. Cette membrane protège l’individualité. Ces trois éléments sont inopérants pour des patients psychotiques, ce qui rend difficile leur accès à une position « méta ». Or, il nous semble que les travaux de R. Kaës (1976) suggèrent qu’il est possible pour les patients et les membres de l’équipe de modifier leur position méta à travers son modèle du groupe. En effet, Kaës (1976) pose l’hypothèse d’une réalité psychique inconsciente en groupe qui ouvre trois espaces psychiques : l’espace de la réalité psychique commune et partagée qui est propre au groupe, l’espace des liens entre les membres du groupe et enfin l’espace intrapsychique des sujets membres du groupe, tous ces espaces communiquant bien entendu entre eux. Une des bases de ce travail est formée par les tensions, les écarts, les correspondances entre ces espaces. Nous partons du présupposé qu’il existe une circulation des éléments inconscients entre ces trois espaces, qui sont eux-mêmes contenus par un quatrième espace tel un contenant maternel : l’institution qui « porte » le groupe. C’est cette circulation des éléments inconscients qui permet l’inter-influence de la position « méta » des patients sur la position « méta » des soignants, ainsi que des modifications du regard posé sur le patient par l’équipe.

 La position « méta » du patient

Présentation du groupe thérapeutique

Nous avons mis en place notre groupe thérapeutique à médiation théâtrale sur trois ans, en Centre Hospitalier Psychiatrique, à raison d’une séance hebdomadaire. Ce groupe semi-ouvert accueille en moyenne de deux à six patients psychotiques adultes, ainsi qu’une psychologue clinicienne et une infirmière, qui ont elles aussi été amenées à jouer lors des séances. La visée du groupe était d’encourager et de développer les capacités interactionnelles des patients au niveau corporel et émotionnel. Voici les règles du groupe : une présence régulière, une liberté d’expression avec un respect de soi, de l’autre et du matériel, une règle de discrétion qui consiste à ne pas divulguer en dehors du groupe ce qui est dit dans le groupe, une présence continue lors de la séance et une règle d’abstinence (de faire-semblant lors du jeu).

Le groupe est constitué des temps suivants: La relaxation ; des exercices qui permettent d’appréhender les limites entre dedans et dehors avec une prise de conscience des différentes parties du corps en les mobilisant ; un travail d’engagement du corps, dans l’espace qui le contient, une prise de conscience du corps en tant qu’unité, ainsi qu’une prise de conscience de l’autre ; un temps de jeu des émotions/des affects : les patients à tour de rôle sont invités à désigner un affect/ une émotion et tous les participants (thérapeutes y compris) se mettent à le jouer (mimiques, gestuel, etc.) ; des mimes, c’est-à-dire du jeu sans voix ; des improvisations théâtrales à proprement parler. A la suite de ces exercices, le groupe se place en cercle pour un échange sur les vécus de chacun.

L’émergence de la position « méta » d’un patient nommé Guillaume grâce au dispositif

Guillaume a une vingtaine d’années, il est diagnostiqué schizophrène, et est hospitalisé après un homicide. Sa présentation est singulière : il est grand avec une carrure assez imposante, les cheveux longs, il porte des lunettes aux verres très épais qui laissent entrevoir un regard peu rassurant. La plupart du temps, il porte des vêtements de couleur sombre, voire tout à fait noirs, ainsi que des rangers. Il a souvent des gants qu’il met quelle que soit la saison. Son apparence est visiblement travaillée de sorte qu’il ne laisse pas l’autre indifférent. Lors des toutes premières séances, les propositions de Guillaume pour des thèmes d’improvisation laissent les autres membres du groupe soit dans un silence perplexe, soit les amènent à refuser d’emblée ses thèmes. Les lieux qu’il suggère pour le jeu vont de l’Atlantide qu’il présente comme une « ville engloutie sous les eaux », à la Cité interdite des Tibétains avec le Dalaï Lama, en passant par l’Himalaya, le Grand Canyon ou encore une yourte en Sibérie. Il semble que les thématiques qu’il apporte sont le reflet de son monde interne délirant et mégalomaniaque dont il ne fait pas part dans le groupe autrement que par les thèmes proposées. Nous pouvons observer que Guillaume continue à proposer des thèmes de plus en plus intrigants et inaccessibles pour les autres membres du groupe. Les interactions existent mais à mesure que nous avançons dans les séances, elles laissent un fossé entre les membres du groupe et Guillaume qui ne semble pas pouvoir se représenter ses propres capacités interactionnelles. La difficulté de Guillaume à investir une position « méta » et à se représenter lui-même face aux autres est importante.

L’improvisation qui semble être un tournant pour Guillaume est celle où nous mettons en place la technique de la mise en abîme, avec comme lieu Montperrin. En effet, nous avons mis en place un ensemble de techniques dans notre groupe thérapeutique dont l’objectif est d’améliorer l’accès à une position « méta » en vu de faire évoluer dans un premier temps les capacités interactionnelles des patients psychotiques et dans un second temps de l’équipe. Lors de certaines improvisations théâtrales, nous avons pu proposer aux participants de jouer de mettre en scène la « folie » en improvisant une situation d’hospitalisation en psychiatrie. Nous mettons en place par ce biais la technique de la mise en abyme ou théâtre dans le théâtre, transposée à la folie : ce ne sont pas des comédiens qui jouent des comédiens, mais des fous qui jouent des fous, ou bien, des fous qui dans une position plus « méta » renversent les rôles en jouant des soignants. Par l’utilisation de cette technique, les patients mettent en mouvement leur vécu en interrelation avec ceux des autres membres du groupe et des thérapeutes, dans le jeu.

 Ici nous sommes trois dans le jeu : le co-thérapeute joue une infirmière, un patient nommé Ahmed joue un patient et je joue aussi une patiente. Un conflit naît entre les deux patients et l’infirmière, laquelle se trouve dans le bureau infirmier au téléphone, apparemment avec un collègue. A la porte les deux patients souhaitent avoir leur argent pour aller boire un café. Le ton monte, l’infirmière se plaint au téléphone des patients, qui eux entendent tout. Nous avons pu observer les effets (rire du public, jeu de plus en plus enfantin entre la clinicienne et Ahmed qui cherchent à provoquer l’infirmière dans le jeu), mais surtout ce qui est intéressant ce sont les inter-influences du jeu et du vécu du groupe. Les éléments inconscients qui circulent dans le groupe du au renversement de rôle dans le jeu (la clinicienne joue un patient) ont des effets sur les membres du groupe. Il y a dès lors une émergence progressive d’une position « méta » observable pour Guillaume, dont les interactions et la posture dans le groupe se modifient au cours des séances. Petit à petit, sa capacité à pré-symboliser les évènements se développe ce qui lui permet d’accepter les propositions de thèmes faites par les autres membres du groupe. Il développe aussi une capacité de mise en pensée des pensées (fonction alpha de W.R. Bion, 1962). Deux séances plus tard. Anaelle, une patiente, souhaite jouer avec Guillaume. Elle propose comme lieu un tribunal. Guillaume joue un prisonnier et elle une reine. Nous pouvons voir les liens avec le vécu de Guillaume dans la réalité. Il semblerait que dans la dynamique transférentielle (lors de la technique de la mise en abîme), Guillaume ait pu évoluer dans son positionnement de façon élaborative, en corrélation avec les modalités d’investissement du clinicien dans le jeu. Nous pouvons observer l’émergence d’un espace pour la séparation et la différenciation (il accepte les propositions de thèmes venant des autres, et laisse peu à peu de côté sa toute-puissance pour être en relation avec les membres du groupe). Le cadre du groupe semble avoir pour lui une fonction pare-excitative. Il semble être touché dans le jeu par les propos d’Anaelle et a une présence toute particulière au niveau du corps et des répliques qu’il propose. Nous pouvons observer la circulation d’éléments de réalité interne des vécus propres à Guillaume qui se structurent et se transforment pour prendre une forme nouvelle dans le jeu. Cette émotion forte ressentie au niveau contre-transférentiel par les thérapeutes contraste avec des mouvements contre-transférentiels d’inquiétude et d’incompréhension qui étaient auparavant partagés avec les membres du groupe face à Guillaume. Nous pensons que ce dernier, grâce au dispositif groupal et à la technique de la mise en abîme, a pu avoir accès à une position « méta » où le Moi est plus structuré et où il a accès à une forme d’individualité qui peut exister autrement que par la destructivité de toute altérité.

Troupe de theatre

 Position « méta » et cadre interne chez les membres d’une équipe soignante

Avant de nous attacher à illustrer notre seconde hypothèse, il nous apparaît nécessaire d’effectuer un petit détour théorique pour comprendre ce que nous entendons par position méta dans une équipe soignante. En grec « méta » signifie « au-delà », « après », c’est « ce qui dépasse » ; c’est donc ce qui permet d’introduire un espace et un temps différent entre deux objets, deux individus. Définir la notion de position « méta » nécessite avant tout de définir la notion de cadre interne. En effet, ces deux notions sont essentielles pour le soignant lorsqu’il doit interagir avec les patients et spécifiquement en situation de groupe thérapeutique. Nous définissons la notion de cadre interne comme la capacité que les membres d’une équipe auront de créer un espace à l’intérieur d’eux, dans leur vécu, dans leurs ressentis, dans leur environnement intrapsychique, permettant d’accueillir le vécu psychique du patient et faire interagir avec lui leurs mouvements internes, les parties de leurs personnalité les plus adaptées. Cette définition s’appuie sur le travail de G. Benedetti (1995) qui souligne que l’inconscient du thérapeute se trouve aussi devant la tâche importante de recevoir l’autre, le non compréhensible, en l’incorporant. A ce sujet, le travail de W.R. Bion (1957) a notamment pu mettre en évidence l’existence concomitante de personnalité psychotique et non psychotique chez le thérapeute.  Cette conception du cadre interne permettra de  porter  une attention permanente aux mouvements transféro-contre-transférentiels en jeu dans les situations cliniques de groupe, que se soit par exemple en réunion communautaire lorsque l’équipe et les soignants sont réunis ou bien durant les moments spécifiques des groupes thérapeutiques. Cette attention permanente s’appuie également sur les travaux de H. Searles (1979) et de J. Guillaumin (1998) sur le contre-transfert. En effet, il s’agira pour les membres de l’équipe d’être suffisamment attentifs sur leurs mouvements internes afin de mieux maîtriser leur portée ou, à défaut, de pouvoir mieux en mesurer l’impact car comme le souligne Searles (1979), à certains moments, ou même pendant de longues périodes d’angoisse particulièrement intenses dans son travail, le soignant régresse en fonction de ce qui peut se passer avec les patients. Nous arrivons tout doucement à la notion de position « méta » qui est selon nous une globalisation du cadre interne. En effet, nous l’envisageons comme la capacité qu’auront les membres d’une équipe soignante à mettre en place un certain nombre d’enveloppes psychiques souples et malléables dans leurs interactions avec les patients tout en offrant une certaine résistance, une fonction pare-excitante, aux attaques extérieures. Ces enveloppes devront border et séparer un certain nombre d’espaces : un espace réservé à l’accueil des éléments extérieurs et donc une partie du patient à l’intérieur d’eux (le cadre interne), et un espace réservé à leurs singularités psychiques respectives, permettant ainsi de se préserver et de se protéger tout en pouvant circuler psychiquement de leur lieu intime de réflexion et de reprises à celui propice aux interactions avec les patients. Cette définition s’appuie sur les travaux de P. Casement (1988) qui parle de « superviseur interne » pour définir une approche et une écoute bifocale de la rencontre clinique, celle où le soignant est plongé dans la rencontre et celle où il parvient à être observateur et analyste de cette rencontre grâce à une « dissociation thérapeutique » à l’intérieur d’eux-mêmes.

 De la position « méta » du patient à la position « méta » de l’équipe

Nous venons d’évoquer ce que nous envisageons comme les spécificités de la position « méta » et du cadre interne chez les membres d’une équipe soignante, nous allons aborder la façon dont le renforcement de la position méta des patients psychotiques se fait en accordage avec la transformation de la position « méta » de l’équipe soignante (2e hypothèse). Nous sommes arrivés à la fin de l’année de prise en charge (elle va d’octobre à juin) avec Guillaume. Lorsque je rencontre l’équipe du service où Guillaume est hospitalisé, pour échanger sur ce qui s’est passé au sein du groupe pendant ces quelques mois, je peux constater que les soignants n’investissent plus le patient de la même façon. Des échanges autour du passage à l’acte qui a amené le patient à être hospitalisé, les soignants sont passés à la tristesse de Guillaume, un des soignants dit « il est plus fuyant en ce moment, on le voit moins ». En effet après avoir investi d’autres activités thérapeutiques (l’équitation notamment), le patient semble être aux prises avec de forts affects dépressifs, se rendant compte de son enfermement et de l’impossibilité pour lui d’être libre et de marcher simplement dans la rue seul. Un infirmer prend la parole lors de la réunion et dit être inquiet au sujet de Guillaume : « Je le trouve morose en ce moment, il ne veut plus aller au cheval. Il reste seul. Je crois qu’il commence à se rendre compte de ce que ça engendre cette hospitalisation, comme conséquences ». Une des infirmières qui m’accompagne lors du groupe (elles sont trois à ce moment-là à tourner dans le dispositif) me confie les mêmes mouvements contre-transférentiels : « Je le sens pas très bien en ce moment, on reste vigilant. C’est rare de le voir comme ça. A vrai dire je sais pas quoi en penser, mais c’est vrai qu’il a l’air triste ». Nous pouvons constater que les mouvements à l’intérieur du cadre interne des soignants à l’égard de Guillaume se sont modifiés. Ils sont plus à l’écoute de leur contre-transfert et arrivent à se connecter de manière plus évidente avec leurs sensations face au patient, en recevant les vécus psychiques de ce dernier. Les soignants décident de recevoir l’ambivalence de Guillaume (qui à la fois s’est inscrit dans diverses activités thérapeutiques et les désinvestit pendant cette période) et de l’accueillir avec bienveillance : lors de la réunion, une des infirmières dit : « on a pris le parti de ne pas le forcer à continuer ses activités absolument, même si on essaie de le pousser, de pas le lâcher non plus. Mais je crois qu’il a besoin d’être tranquille. Sa situation, c’est quand même pas facile non plus. Il est là, sans pouvoir sortir et ça fait quand même un sacré bout de temps que ça dure ». Nous repérons dans cette phrase de l’infirmière : « Mais je crois qu’il a besoin d’être tranquille » qu’elle vient dire quelque chose de sa propre capacité psychique à créer un espace à l’intérieur d’elle qui lui permette d’accueillir le vécu psychique du patient. Ce qui marque une porosité plus importante de son enveloppe psychique constituant son cadre interne, c’est à dire une augmentation de la capacité à laisser circuler des éléments psychiques de l’environnement extérieur à son environnement interne. En tant que thérapeutes (c’est-à-dire l’infirmière et moi-même), nous sommes dans une position « méta » plus efficiente vis-à-vis de Guillaume, tout comme l’équipe. Dans le jeu, les répercussions des mouvements psychiques de l’équipe sont en inter-influence avec notre propre position « méta » : j’observe que ma propre écoute et mon positionnement ont changé. Dans un des jeux d’improvisation, je me surprends à endosser face à Guillaume qui joue le contrôleur de train, le rôle d’une vieille dame acariâtre qui prend beaucoup de place, réclame de l’aide de façon virulente, etc. Guillaume lui se montre bienveillant et protecteur à l’égard de mon personnage, sans perdre son sang froid,  il réussit à contourner les exigences de mon personnage sans rentrer des rapports conflictuels avec celui-ci. J’ai pu observer que c’est au même moment où la technique de la mise en abîme a été mise en place que la position « méta » de Guillaume et de l’équipe s’est améliorée. C’est au moment où j’ai joué la patiente en hôpital psychiatrique que j’ai pu commencer à développer un processus d’autoréflexion qui m’a permis à la fois d’être dans la relation thérapeutique et d’avoir un regard sur celle-ci. La co-thérapeute et moi accueillons volontiers désormais les propositions de thème faites par Guillaume et nous sommes plus à même d’accueillir aussi bien son « inquiétante étrangeté » que ses vécus de tristesse et de désinvestissement.

Conclusion

A travers le parcours de Guillaume dans le cadre de l’activité de groupe à médiation théâtrale, nous avons pu apprécier à quel point, grâce à des outils spécifiques tel que la mise en abîme, le patient a été capable d’investir un positionnement psychique différent vis-à-vis de son environnement. De plus, nous avons pu observer que ce mouvement a glissé non seulement sur le positionnement psychique des co-thérapeutes de groupe, mais aussi plus globalement sur celui de l’équipe soignante du patient, leur permettant ainsi de porter un regard différent sur lui. Pour ces raisons, l’équipe n’aurait pas besoin de faire elle-même l’expérience de certaines situations thérapeutiques pour éprouver les décentrages psychiques nécessaires à la prise en charge du patient en psychiatrie. En effet, nous pensons que l’enveloppe psychique du patient et l’enveloppe psychique de l’équipe en tant groupe, seraient suffisamment poreuses pour permettre la circulation d’éléments inconscients (dont ceux appartenant notamment à leur position « méta » respectives) favorisant ce type d’interactions. A l’inverse,  nous avons pu observer également une véritable interaction entre ce qui pouvait se passer au sein d’une équipe, notamment au niveau de ses conflits internes et les productions des patients dans le cadre d’activités thérapeutiques sans qu’aucun élément manifeste ne circule. Il est donc particulièrement important d’être à l’écoute de ces échanges inconscients entre équipe et patients, de ne pas sous-estimer leurs influences réciproques et les perspectives thérapeutiques qu’elles peuvent offrir.

 

Bibliographie

  • Anzieu, D. (1995). Le Penser. Du Moi-peau au Moi-pensant. Paris : Dunod.

  • Benedetti, G. (1995). La mort dans l’âme. Psychothérapie de la schizophrénie : existence et transfert. Ramonville Saint-Agne : Erès.

  • Bion, W. R., (1957).  Différenciation des personnalités psychotiques et non psychotiques. In Réflexion faite (pp.51-73). Paris : P.U.F., 1983.

  • Bion, W. R. (1962). Aux sources de l’expérience. Paris : P.U.F., 1979.

  • Casement, P. (1988). À l'écoute du patient. Paris : P.U.F.

  • Guillaumin, J. (1998). Transfert/contre-transfert : études psychanalytiques. Bordeaux : L’esprit du temps.

  • Kaës, R. (1976). L’appareil psychique groupal : constructions du groupe. Paris : Dunod.

  • Searles, H. (1979). Le contre-transfert. St-Amand : Folio Essais.

  • Winnicott, D.W., (1951). Objets transitionnels et phénomènes transitionnels. In De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1969.

  • Winnicott, D.W. (1971a). Jeu et réalité. L’espace potentiel. Paris : Gallimard, 1975.

 

Date de dernière mise à jour : 19/04/2021

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