Quand une affaire d'équipe devient une équipe à faire

Introduction de la journée

Quand une affaire d’équipe devient une équipe à faire

Yves-marie FROT, cadre-Infirmier en psychiatrie, Les hôpitaux de Saint-Maurice (94)

 

3, 2, 1 partez !

Bonjour à toutes et  à tous,

Même si j’ai l’honneur et le privilège de pouvoir contribuer à cette nouvelle journée SERPSY PACA autour de la notion d’équipe, j’ai quand même le sentiment de vivre un évènement qui restera unique : celui de participer à ma plus grande réunion d’équipe ! L’ordre du jour n’est pas si simple, car il nous renvoie à des images, des schémas, des expériences qui peuvent être aussi riches que douloureuses. Tout d’abord, il n’est pas si fréquent dans nos institutions de voir un tel engouement pour une réunion. L’équipe serait-elle un vrai sujet de préoccupation pour nous tous professionnels ? Certains ou certaines auraient-elles tant de remarques à faire sur la question ? Sommes-nous venus en tant que critiques ou en tant que témoins et acteurs d’expériences positives ? Rassurez-vous, à la différence de certaines réunions, il est prévu que nous parlions beaucoup, mais vous aurez aussi un peu la parole !

Le nombre parfois pouvant être intimidant, je me rassure en me disant que finalement je ne suis qu’un soignant qui partage avec d’autres soignants, et un professionnel qui s’adresse à d’autres professionnels quand bien même nous pouvons aussi venir de formations et de disciplines différentes. Nous sommes donc tous bien représentatifs de cet univers soignant, des professionnels qui au quotidien essayent d’accompagner la souffrance au travers d’un groupe que l’on tente d’appeler « équipe ».  Pourtant, si nous sommes là aujourd’hui c’est aussi pour confronter nos représentations aux différents témoignages qui vont construire cette journée. Chaque personne ici présente, chaque soignant est venu pour écouter, commenter ou débattre d’un sujet qui fait partie intégrante de son quotidien institutionnel.

Quand j’ai accepté cette invitation, à distance, loin du temps de réflexion et  d’écriture, je me suis dis que c’était aussi une belle occasion de pouvoir s’exprimer sur un sujet qui me touche, me concerne et pour lequel j’estime aujourd’hui avoir des responsabilités dans mon engagement d’encadrement. La notion d’équipe est et restera toujours une préoccupation fondamentale pour chaque professionnel travaillant dans le domaine de la santé mentale. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’échanger sur nos pratiques, nos ressentis par rapport à notre vécu professionnel. Il nous est donné la possibilité sans contrainte, sans tabou ni réserve d’exprimer ce qui nous satisfait ou nous freine autour de la notion de travail en équipe. J’ai voulu devenir Cadre de santé parce que justement je subissais les limites de la notion que je me faisais de l’équipe.  Je trouvais  la parole infirmière étouffée, trop bornée dans le contexte de groupe pluridisciplinaire. Si je suis venu à SERPSY, c’est justement pour y trouver ce qu’ailleurs ne m’offrait pas, c'est-à-dire un espace de parole sur nos valeurs, nos attentes et nos envies autour du soin. Un moyen de prendre du recul sans se mettre à distance de tous nos quotidiens.

En effet, ne nous mentons pas,  si l’équipe est souvent citée dans le cadre de nos prises en charge, chacun et chacune pourrait témoigner d’une analyse très différenciée sur la question.

Car comme la majorité d’entre  nous, nous travaillons dans une institution hospitalière avec ses avantages et ses contraintes. Nous sommes tous sujets à des modifications de nos fonctionnements et de nos organisations,  avec l’obligation bien souvent de faire du plus ou au moins autant avec du moins. Pour nous tous, les contraintes financières viennent prendre de plus en plus la place de la disponibilité soignante. Disons politiquement que le soin est  aujourd’hui au centre des enjeux économiques.

A vos marques

1, 2, 3 équipe ! Tel est le thème de cette nouvelle journée SERPSY. Encore un titre qui, au travers de notre quotidien professionnel, de nos expériences,  nous interroge, nous interpelle, nous provoque voire nous agace peut-être aussi. Encore un titre qui, pour nous soignants, ne peut laisser indifférent car il suscite autant de  commentaires qu’il nous conduit dans de multiples ressentis et analyses. En effet, qu’il soit d’exclamation ou d’interrogation,  cet appel à réflexion peut nous mener vers des désirs de changement, une motivation entretenue ou retrouvée autant que vers un lâcher prise, un sentiment d’échec ou encore l’impression d’une belle illusion perdue.

1, 2, 3 équipe ! Pouvons-nous l’entendre comme un starter dans cette course un peu folle qu’est le soin en psychiatrie ou encore pouvons-nous le comprendre comme une simple addition que constituerait donc l’équipe ? Avons-nous le droit  d’opposer le 1, 2, 3 équipe !, avec le 3, 2, 1 tout seul ?

Comment pouvons-nous aborder toutes les difficultés à faire cohabiter le pluri-professionnel avec le pluridisciplinaire ? Le premier n’étant pas nécessairement  plus simple à construire seul que le second.

Nous traversons une période de transformation de nos institutions. La nouvelle gouvernance et la loi HPST sont passées par là. Elles nous constituent en  pôles de soins. Devons-nous nous inquiéter de futurs dispositifs de soins mathématico-économiques plutôt que humano-thérapeutiques ? La thérapeutique du chiffre sera-t-elle le mode d’organisation de demain ?

Toutes ces questions ont leur importance quand on décide de s’interroger le temps d’une journée sur la question d’équipe.  L’équipe, cette notion que l’on nous sert à toutes les sauces dans nos institutions : « l’équipe de jour, l’équipe de nuit, l’équipe de renforts, l’équipe d’intra, l’équipe d’extra, l’équipe du matin, l’équipe d’après-midi, l’équipe de thérapie familiale ou encore l’équipe mobile et j’en passe ».  Celle qui comme un seul homme (un pour tous !) se poserait comme le garant d’une bonne prise en charge de toutes les personnes en souffrance dont nous avons la responsabilité. Car il y a parfois des notions qui, dans nos professions, nos activités de tous les jours, nous semblent tellement évidentes que l’on ne se rend pas ou plus compte que l’on passe à coté. Il y a des habitudes tellement ancrées dans nos pratiques, nos fonctionnements qu’on ne les réinterroge plus ou si peu. Il y a des lieux où l’on travaille quotidiennement avec la souffrance qu’elle soit physique ou psychique, que l’on s’évertue à soigner, mais où finalement on finit par oublier le but de nos actions. Il y a parfois des lieux de soins ou l’on parle de soins mais où l’on en parle tellement qu’on en oublie l’objet : le patient lui-même. Nous sommes donc des soignants trop souvent persuadés, voir rassurés que nous travaillons en équipe  qu’on en oublie parfois que nous sommes tout seul à le penser.

Le soin serait-il donc une affaire d’équipe ? Pouvons-nous dans un premier temps se réinterroger sur l’essence de notre travail de soignant ? Rien ne peut se faire sans le patient qui doit rester le moteur de nos préoccupations et de nos actions. L’affaire d’une équipe soignante est donc bien  la personne en souffrance. La remettre d’abord au centre de nos dispositifs, de nos questionnements, de nos fonctionnements. Le soignant se retrouve de plus en plus noyé voir étouffé par un dispositif hospitalier de pôle essayant de le faire pencher vers le soin rentable qu’il peut en perdre le sens premier de sa mission : essayer d’avancer dans  la même direction que les autres professionnels, pour le patient.

Mais une équipe soignante serait donc quoi ou juste? Une équipe médicale qui dirige une équipe paramédicale qui côtoie une équipe socio éducative, le tout organisé par des administratifs ? Ne serait-ce pas aussi cette source de conflits, d’intérêts, d’enjeux, de pouvoirs, d’idéologie, de jalousie qui fait prendre du temps à tout le monde au point de penser très souvent qu’on en perd beaucoup pour pas grand chose ?

Posons-nous quelques instants. Peut-on parler de dynamite ou de dynamique d’équipe ? L’équipe finalement n’est elle pas explosion ou implosion permanente ? N’est-elle pas effusion plutôt que fusion ? N’est-t-elle pas  plus souvent frustration plutôt que satisfaction ?

Combien d’équipes se disent soudées…pour défendre trop souvent des aspirations individuelles ? Combien se vantent de travailler dans le même sens au point de ne même plus voir le coté  giratoire, unique  de leur démarche? Combien se veulent pluri-professionnelles autant que pluridisciplinaires tellement  disciplinées que  le consensus est roi mais  le patient est…où ?

Une métaphore sportive me ferait oser dire qu’aller vers le but entraine souvent plus la mêlée que l’ouverture. La mauvaise passe serait alors un problème d’engagement, l’objectif étant juste que le patient ne se retrouve pas hors jeu de sa propre prise en charge. 

Une équipe reste à faire et est donc une question permanente. Construire, entretenir et la faire vivre est un challenge au quotidien. C'est un véritable défi à l'équilibre. Le "travailler ensemble" n'est pas une qualité naturelle chez nous les soignants. Cette notion qui peut sembler une évidence reste en permanence l'enjeu d'un édifice à construire, à maintenir debout. C'est une réserve pas naturelle de travail qu'il faut quand même absolument protéger. Un environnement fragile, dont l'équilibre professionnel peut être mis en danger. 

1, 2, 3 équipe ? Mais peut-on interroger la place de  l’encadrement ? Quand on parle d’équipe soignante, la cadre de santé y a-t-il encore toute sa légitimité ?

Il me semble que l’encadrement aujourd’hui à une part importante à jouer face à et dans  l’évolution de l’hôpital. Il n’y a pas si longtemps encore les personnels se sentaient encore protégés dans leurs services. Il existait un fossé entre la partie gestionnaire et la communauté médicale, paramédicale. Puis progressivement la Direction des soins a franchi ce rempart ne laissant plus grand bouclier pour les équipes. La mise en place des pôles a fait naître de mini-institutions où les budgets propres et la gestion déléguées rapprochent les professionnels d’un danger imminent : celui de devoir sacrifier ses valeurs soignantes sur l’autel du tout économique. La notion d’équipe doit s’illustrer à l’image du pôle, du tout polyvalent. Le pouvoir donné à certains dans cette nouvelle organisation fait apparaître parfois une vision de la gestion des ressources humaines encore plus impitoyable  et irraisonnée que nos propres directions. La notion d’équipe y est bafouée, le soignant peut être invité à se nomadiser ou au pire à prendre la porte. Le patient n’a de l’intérêt qu’au travers d’une symptomatologie, d’une pathologie qui rapporte.

Mais la mise en place des pôles peut et doit au contraire nous redonner (sans être naïf) la possibilité de retravailler le soin, les objectifs pour et avec le patient. Il me semble que les cadres de proximité dont je fais partie ont le devoir de s’approprier cette évolution et se donner les moyens d’accompagnement et non de management pour défendre les prises en charges des patients au travers des équipes qui s’en occupent. Il me semble encore possible qu’encadrer une équipe puisse relever du prendre soin des professionnels qui la composent. Il me semble fondamental que la gestion des ressources humaines passe aujourd’hui plus qu’avant par une gestion humaine des équipes. A plus petite échelle, celle d’un pôle, il me semble important d’essayer justement ce qu’à l’échelle de toute une institution, il n’est pas possible de faire. Gérer au plus près la vie et l’évolution des équipes soignantes.

Les personnels sont et doivent rester une ressource, une richesse dans le sens humain du terme. Pour pouvoir être disponible auprès de cette souffrance au quotidien, il est nécessaire que chaque professionnel se sente bien autant sur le plan individuel que pluriel. Pour qu’un collectif fonctionne, il faut qu’il soit à sa propre écoute. Il doit entretenir ce qui marche et réinterroger ce qui éloigne. Le cadre de santé se doit parfois d’être le trait d’union entre tout cela. Il doit être le liant entre le pluri-professionnel et le pluridisciplinaire. Il est de son devoir de se poser comme le garant de la pensée collective quand bien même parfois, elle ne correspondrait pas toujours à une certaine norme. Il me semble que l’aspect économique de nos institutions est un mauvais prétexte souvent pour s’empêcher de penser, de repenser le lien.

L’équipe doit être la force de réflexion. C’est elle qui guide le soin. Cette dynamique à créer ou à recréer doit nous aider à comprendre où aller, pour emmener qui, pour aller avec qui.

Aujourd’hui, l’organisation des pôles a sans aucun doute renforcé la domination de l’activité médicale. Pour autant, il est fondamental pour pouvoir défendre notre vision du soin dans cette nouvelle organisation que les professionnels soient en capacité de monter au créneau pour mettre en avant toutes leurs compétences individuelles au service d’une démarche soignante collective. La notion d’équipe ne pourra être entendue qu’au regard d’un même objectif, d’un même projet. L’encadrement de demain ne pourra se pérenniser qu’en passant par la reconnaissance du professionnel humain et non pas objet polyvalent du soin. A ce sujet je vous laisse commenter cette analyse de l’OMS : « le bien être au travail est la seule barrières contre les risques psychosociaux ».

Le fait que  la HAS s’intéresse  au « travail en équipe pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire » qu’elle lance également une initiative comme le PACTE (programme d’Amélioration de Travail en Equipe) n’est pas par simple altruisme ou par souci de garantir de meilleures conditions de travail. Il faut sans doute l’interpréter comme un objectif d’efficience économique des organisations soignantes.

Enfin 1, 2, 3 équipe !,  pourrait vouloir dire également 1, 2, 3 générations de professionnels qui doivent essayer de travailler ensemble. Avec l’arrivée de la génération « y », les équipes soignantes connaissent aussi de grands bouleversements avec dans les 3 prochaines années des départs massifs à la retraite. Les jeunes  soignants sont moins sédentaires. Les équipes devront rechercher une nouvelle dynamique, développer de nouvelles compétences. La fidélisation, la notion de transmission de savoirs, les nouvelles données démographiques, tous ces éléments vont devoir être pris en compte dans la construction de l’identité des futures équipes. Le temps du changement et de nouvelles réformes passeront encore par là.

Alors quand une affaire d’équipe devient une équipe à faire, 1, 2, 3 soignez …

 

Date de dernière mise à jour : 18/04/2021

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