Sculptures d'équipe

Sculptures d’équipe

Un outil de régulation : la sculpture d’équipe

Dominique Friard, ISP CSM Hélène Chaigneau, Gap (05)

Qui veut organiser une journée de réflexion butte sur un certain nombre de limites qui tiennent à la forme même des conférences qui amène des auditeurs plus ou moins passifs à écouter les experts qui s’expriment en tribune. Cette asymétrie diminue le nombre des échanges, appauvrit l’élaboration commune et réduit parfois à peau de chagrin l’espace de rencontre proposé. L’association Serpsy (soin études et recherche en psychiatrie), dès ses premières journées parisiennes (1998, CHS Esquirol), s’est efforcée de subvertir ce cadre un peu convenu. Lors de sa neuvième journée intitulée « 1,2,3 … Equipe » du 7 févier 2014, elle a consacré une partie de l’après-midi à la réalisation d’une sculpture d’équipe.

La sculpture d’image

Les sculptures naissent dans le cadre du « Théâtre de l’opprimé » développé au Brésil et au Pérou par Augusto Boal (1) dans les années soixante-dix. Boal propose une série d’exercices qui ont pour but de permettre au spectateur de devenir acteur et auteur de la pièce. Aucun spectateur ne se muant spontanément en acteur/auteur, il faut l’y aider en utilisant divers procédés. La sculpture est un de ces procédés. Elle permet d’atteindre le langage du corps, de l’émotion, de tout ce que les mots sont incapables d’exprimer. Ce type de communication non-verbale demande de la pratique, de la confiance, et surtout, elle demande que l’on débranche son cerveau et ses mauvaises habitudes de tout juger, de tout vouloir comprendre, de tout vouloir analyser.

Le groupe se divise en deux, un groupe de sculpteurs et un autre, plus nombreux, qui servira de base, de « matière » à sculpter. Le sculpteur procède par manipulation des membres pour créer l’image qui lui convient. L’expression du visage doit être définie ; le sculpteur peut utiliser la technique du miroir pour montrer avec ses propres expressions celles qu’il souhaite voir sur le visage de sa statue. Il est important de résister à la tentation de parler : d’expliquer à sa statue ce qu’elle est, ou que la statue qui croit avoir compris, anticipe sur les désirs du sculpteur. Une fois chaque sculpture achevée, on peut les placer en galerie, les unes à côté des autres. Chaque statue peut devenir matière à discussion, en laissant le sculpteur lui-même s’exprimer en dernier, pour ne pas influencer les impressions. Après avoir entendu les propositions, le sculpteur peut modifier quelques éléments de son image afin de préciser son idée.

Un objet flottant

A partir de présupposés assez proches, les thérapeutes systémiques ont utilisé les sculptures (ou sculpting ou sculpturation). Elles font partie des « objets flottants » (jeu de l’oie, blason, etc.) qui favorisent une expression plus authentique, moins contrôlable par le système et plus adaptée à ses spécificités structurales. La sculpture est dans ce champ un processus dynamique, actif, non linéaire dépeignant les interrelations dans l’espace et le temps de manière à ce que les événements et les comportements soient simultanément perçus et vécus.  « Elle a pour but de mettre en scène les significations, les métaphores et les images des interrelations de manière à ce qu’elles puissent être partagées par tous, participants et observateurs. L’information n’est pas discutée, mais expérimentée par l’action et l’observation. » (2) On différencie quatre rôles : le sculpteur qui modèle les acteurs et donc révèle son opinion sur le système, l’animateur (ou thérapeute) qui guide le sculpteur vers une clarification et une définition, les acteurs qui se prêtent à la mise en scène du système selon les seules directives  du sculpteur (gestuelles, mimiques et non verbales) et enfin les spectateurs qui observent et commentent, avec l’avantage de n’être qu’observateurs et donc non impliqués dans le processus. Chaque sculpture doit être maintenue une trentaine de secondes de telle sorte que les émotions positives ou négatives puissent être pleinement ressenties. Le feed-back qui succède à la sculpture proprement dite est un temps important du travail. Le sculpteur est invité par l’animateur à se décentrer en écoutant le retour des acteurs. Les spectateurs sont également invités à exprimer leurs observations sur la totalité du processus.

La sculpture d’équipe

Ce modèle, parfois utilisé en supervision systémique ou en formation, a donc été employé avec succès lors de la journée Serpsy. Laure Martin, assistante sociale, thérapeute familiale, à Gap (05) en a été l’animatrice, Claire Perrin, IDE au CHS Gérard Marchant a été la sculptrice, les membres de l’association Serpsy rejoints par quelques volontaires issus de la salle en ont été les acteurs sous les yeux des participants à la journée.

Dans un premier temps, Claire, sur l’indication de Laure, met en scène chacun des personnages de sa sculpture vivante. La tentation de parler est grande, mais l’animatrice est inflexible. Chaque acteur doit copier sa position, les expressions de son visage, se rapprocher ou s’éloigner des autres acteurs selon ses consignes muettes. Ils doivent garder la pause pour figer la scène. Les acteurs se tournent le dos. Les visages sont lisses, inexpressifs, absents. On repère trois sous-groupes : ceux qui réfléchissent, ceux qui agissent, ceux qui dirigent. Le feed-back des acteurs met en avant des sensations de malaise, de la solitude, de la peur, pas de lien entre eux, « On ne sait pas qu’on fait là ». Dans la salle, les spectateurs renvoient le même vécu. « Il aurait pu s’agir d’une scène de rue », « On ne voit pas ce qu’ils font ensemble ».  Les postures des personnages pourraient aussi mettre en scène les angoisses des patients morcelés, clivés, angoisses par lesquelles les soignants sont parfois aspirés. Un spectateur se demande où se trouverait/situerait un patient psychotique dans cette scène. Qu’est-ce qu’une équipe ? La sculpture décrit-elle une équipe malade ou une équipe en travail, une équipe malléable, elle-même sculptée par le travail de sape des patients ? Comment peut-on caractériser une équipe ? Claire explique, le débat rebondit. Chacun réfléchit à sa propre équipe. Laure propose de reprendre les positions et que Claire mette un souffle de vie dans l’équipe. Les acteurs se rapprochent. Elle demande ensuite à Claire de sculpter son équipe idéale.  Elle dispose les acteurs en rond, ils se donnent la main. Ils prennent la liberté de s’approcher les uns des autres en un rond serré presque collés les uns aux autres. Les visages sont ouverts et souriants. Le feed-back des acteurs est beaucoup plus positif. Ils expriment la joie d’être ensemble. Ils sentent plus de confort et de chaleur. Quelques-uns déchantent tout de même ils ne voient pas davantage de sens à leur présence. « Qu’est-ce qu’on fait-là ? » Les observateurs décrivent une équipe idéale, victime de l’illusion groupale. Les acteurs apparaissent indifférenciés, ils sont agglutinés. Ils pointent un risque de télescopage voire d’asphyxie lorsque le cercle se referme sur lui-même. Certains y voient le passage obligé qui permet de devenir une équipe où les différents acteurs se différencient. Ils célèbrent la nécessité du métissage. D’autres notent que c’est une équipe sans patients, une équipe qui ne saurait être malléable.

Conclusion

La sculpture, en tant qu’objet flottant, provoque un mouvement réflexif chez les observateurs qui en étant témoins de son élaboration, plus à distance permettent au groupe de faire un saut de côté. Elle permet d’inverser le rapport auditeurs/experts. Les observateurs occupent la position méta. Ils apportent leur expertise aux acteurs, au sculpteur et à l’animateur. Les acteurs vivent dans leur corps les inconforts. Façonnés, ils sont centrés sur leurs émotions et permettent de percevoir comment les émotions circulent au sein d’une équipe. Le sculpteur, rôle a priori plus actif, est confronté aux conséquences de ses choix. Il passe d’une place centrale à la place décalée de celui qui doit faire face aux différents feed-back. En occupant cette place il permet à chacun de se décentrer. Il permet donc le mouvement. L’animateur doit permettre la circulation de ces différentes informations. L’information vient de l’équipe et y retourne.

 

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