Thérapeutique et toc ! Serge Cottin

THERAPEUTIQUE ET TOC !

Serge Cottin
 

En arrivant dans votre drôle de pays, j'ai discuté avec le chauffeur de taxi, qui m’a raconté cette drôle d’histoire :

mardi midi, il a percuté avec l’aile droite de son taxi, un piéton qui est tombé brutalement à la renverse. Il pleuvait, aussi l’ont-ils mis à l’abri à l’aide d’un brancard, avec sa femme qui n’arrêtait pas de pleurer. Le choc 
fut violent, le pauvre était inconscient, vite c’est urgent, le docteur arrive.., rapidement, il l’ausculte et fait son diagnostic malheureusement je crois qu’il est mort dit-il. A ce moment le patient relève la tête et à la surprise générale, il dit très fort mais non je ne suis pas mort ! promptement à son chevet sa femme lui fait signe de se taire et lui crie : taisez-vous, le docteur sait mieux que vous !...

J’espère qu’il y a des docteurs dans la salle, et qu’ils penseront avec le chauffeur de taxi, qu’il est dans tous les cas hautement souhaitable d’écouter le patient sans impatience avant de prescrire la thérapeutique ad hoc ... je laisse à chacun le soin (sic) de méditer sur cela, et toc !

De façon très surprenante je suis invité à ce colloque 
thérapeutique et toc ! Alors que dans notre service nous n’utilisons jamais ce gros mot thérapeutique Néanmoins, il se trouve que nous nous sommes retrouvés sur l’eau avec des équipes psychiatriques qui n’ont que ce mot là à la bouche ; d’où la question qui se pose: comment, à partir de la même pratique, vivre une semaine à bord d’un bateau avec des malades mentaux, les mots utilisés pour rendre compte de cette expérience unique pouvaient être si différents?

Et surtout pouvez-nous préciser en quoi un tel séjour est-il thérapeutique? 
Car il ne suffira sûrement pas pour nous convaincre de répéter à tout bout de champ :
c'est thérapeutique vous dis-je !



COMMENT TU ME TRAITES, TOI D’ABORD !

En ce qui nous concerne, si nous accueillons des personnes souffrant de problèmes psychologiques entraînant une situation de handicap, et ayant souvent fait de longs séjours en psychiatrie, nous n’utilisons jamais le terme malade ou soigné, car nous les percevons avant tout comme des ouvriers c’est à dire des personnes travaillant en centre d’aide par le travail. Si les personnes sont les mêmes, le point de vue est donc différent, ainsi que le cadre et les mots.

Le regard change-t-il la réalité ou bien est-ce l’inverse? Sûrement un peu des deux et c’est ce constat qui est en quelque sorte à l’origine du mouvement qui a bouleversé les fondements de la psychiatrie dans les années 
50. Il est apparu à un certain nombre de psychiatres (P. Paumelle, L. Bonnafe, F. Tosquelles) que les comportements générés par les camps de concentration n’étaient pas sans rappeler ce qui pouvait être observé dans les asiles psychiatriques de l’époque. Ce sont donc les conditions institutionnelles d’enfermement qui déterminent le type de relations, les normes du groupe, les codes, le langage, les comportements et les interactions. D’où le raisonnement suivant, si l’institution contribue par son organisation même activement à la chronicisation de certains comportements, et donc à l’enfermement, il devient alors évident que si l’on veut soigner les gens, il faut renverser la vapeur, et donc modifier le cadre de l’hôpital. De ce point de vue, nous pouvons dire avec cette psychiatrie qu’on appellera institutionnelle que tout est thérapeutique. Comprenons par là que chaque détail de l’organisation quotidienne a son importance et peut contribuer, soit à renforcer les mécanismes de blocage du sujet, soit à ouvrir les possibilités de liberté. Ainsi, aller en ville, se promener à vélo, faire de la voile ou les courses, partager un repas, c’est briser les murs de l’asile, et oeuvrer à la fois pour ouvrir la personne en proie à la souffrance mentale, à plus d’humanité, et faire avancer la société vers plus de dignité dans le respect des différences de la personne humaine. Alors oui, nous sommes bien quelque part les enfants de Tosquelles et de ses copains (et surtout de ses copines), et faire de la voile avec des personnes considérées comme malades mentales, c’est assurément aller dans ce sens de cette démarche thérapeutique sociale. Le principe même de la loi de 75 sur les personnes en situation de handicap est issu de cette idée fondatrice, et le développement de lieux extrahospitaliers, comme les C.A.T. ou les services d’accompagnement, est la concrétisation de cette réflexion. Donc, de ce point de vue, c’est l’ensemble de notre pratique, et en premier le dispositif institutionnel / centre d’aide par le travail service d’accompagnement et le réseau COALA qui constitue notre panoplie d’outils thérapeutiques (ça y est ai dit un gros mot!) Aussi, concrètement, lorsque nous proposons à ces personnes un séjour de voiles, cela procède de cette approche thérapeutique, ainsi définie, a condition de s’inscrire dans ce mouvement d’ouverture qui respecte un certain nombre de points précis, notamment :
liberté de choix
responsabilité
expression, ouverture


Les personnes choisissent individuellement de s’engager dans cette activité, elles ne sont pas obligées de venir, il faut qu’il y ait une motivation positive. Elles sont responsables, dans le sens où elles sont informées des détails de l’organisation du séjour, elles ont leur mot à dire, elles choisissent collectivement certaines options (courses repas, sorties....). elles assument financièrement une partie du séjour, elles doivent se préparer physiquement (modérer consommation de cigarettes par exemple) par un entraînement sportif adéquat (test natation, sorties en mer)

Elles doivent participer à tous les aspects de cette rencontre sportive et rencontrer les autres équipages. elles doivent en rendre compte, à celles restées àterre, sous formes de divers témoignages: photos, articles, réunion 
...) pour faire partager ce qu’elles ont vécu à bord.

Si l’on considère voiles en tête dans cette optique d’accompagnement social (ou de thérapeutique sociale si vous y tenez 
...), cet événement a incontestablement un  rôle symbolique fort et des répercussions auprès du grand public. En particulier le dynamisme des professionnels de la santé mentale et l’image de la maladie mentale dans la société s’en trouve modifiée; les médias contribuent activement à faire changer le regard sur les personnes accueillies en psychiatrie. (bien qu’il convienne de rester très modeste sur ce sujet et de ne pas trop s’illusionner).

Néanmoins, sans vouloir mettre trop de bémols à la clé, il nous faut reconnaître que ce type de séjour :


-    coûte cher (16000 F pour 6 pers.+2 acc.)

-    ne concerne que des personnes en condition physique correcte,

-    fait se rencontrer exclusivement des publics de santé mentale.

C’est pourquoi nous avons développé une stratégie pour en soulager le coût :

- les personnes participent financièrement,

- nous sommes nous mêmes skipper et accompagnateur,

- nous faisons appel aux sponsors locaux,

- nous organisons une équipe terre,

- nous participons à plusieurs établissements (réseau COALA).

Enfin nous souhaitons participer à des rencontres nautiques hors milieu spécialisé.

 

Bateau a voile

Thérapeutique et expérience


Après avoir abordé cette question du thérapeutique dans une perspective historique et sociale, je vous propose de nous interroger sur le mot lui même et sur notre pratique.

Je vous disais que nous n’employons jamais ces mots 
thérapeutique et soin, car nous parlons plus volontiers d’ accompagnement et d’aide.

Pour que nous puissions nous comprendre, il est indispensable que nous définissions plus précisément le sens des mots.
Thérapeutique fait partie de ces mots valise à soufflet où chacun peut y fourrer tout ce qui traîne : un cheval, de l’eau, du travail, de la musique et magiquement ça devient de l’équithérapie, de l’aquathérapie, de l’ergo Revenons plutôt à l’origine du mot, lui-même, à la racine grecque, car cela vaut le détour. En effet le premier sens attesté selon Alain Rey dans le Robert historique therapeutiqué c’est celui qui prend soin de...., et plus précisément ce mot vient de thérapon qui signifie, quand Homère l’utilise par exemple, l’écuyer, c’est à dire celui qui prend soin du cheval car il est au service du guerrier, qui lui même est au service de dieu...le mot thérapeute servira en grec, à désigner plus tard les ascètes juifs qui vivaient dans le désert près d’Alexandrie, en ce sens qu’ils étaient des serviteurs particuliers de dieu, des adorateurs.

Ce n’est que bien plus tard, à la Renaissance, et surtout au XIXème siècle qu’il sera employé au sens médical, puis après Freud au sens psychologique. Si nous rechignons à utiliser ce mot, c’est d’une part, qu’à force d’avoir été utilisé à toutes les sauces, il ne veut plus rien dire, et d’autre part à cause de sa connotation médicalo-hospitalière, il sent un peu trop la blouse blanche Pour nous la particularité du soin en psychiatrie c’est justement d’être à l’articulation du corps et de l’esprit, de l’individu et de la société, du médical et du social, aussi ne laissons pas aux seuls médecins le pouvoir de soigner la Folie... Que les médecins parlent de traitement thérapeutique avec les médicaments, rien de plus normal ça aide bien c’est souvent indispensable, mais le soin en psychiatrie ne peut se résumer à une procédure médicale. Aussi nous revendiquons le terme 
d’accompagnement, qui en fait est très proche du premier sens grec de celui qui soigne le cheval pour que le guerrier puisse continuer son chemin. En effet, ce qui nous plaît dans ce terme, c’est le mouvement qui va avec. Accompagner, c’est aller avec pour un bout de chemin.., cela suppose une parité, voire une réciprocité, enfin pour le moins une relation où chacun marche sur un même pied. Ce qui n’est pas forcément le cas dans la relation soignant-soigné qui vire souvent au rapport dominant-dominé (si Mr.Sade est dans les murs d’Esquirol je lui fais coucou.)

Pour revenir à l’expérience de voiles en
 tête, le terme d’accompagnement prend tout son sens. Nous sommes embarqués dans le même bateau, nous partageons les mêmes contraintes et aussi les mêmes joies et nous devons être au clair sur le sens professionnel de cette pratique. Il nous faut donc préciser les objectifs de ce travail et les moyens de l’évaluer.

Ce qui est énervant et souvent vain dans l’utilisation du mot thérapeutique, c’est qu’à force de vouloir tout mettre dedans, ça ne veut plus rien dire. En d’autres termes, si les objectifs sont trop flous, trop vagues 
aller mieux écouter le vague à l’âme nous verserons alors inexorablement, dans ce que Paul Waztlawick appelle le syndrome d’utopie c’est à dire une recherche impossible d’idéal, une quête du Graal sans fin. Soyons modeste, il ne peut-être question de faire miroiter des îles inaccessibles pleine de félicité. Simplement, ce que nous proposons avec voiles en tête, c’est un cadre d’observation inhabituel dans un espace-temps unique, où les conditions particulières de vie àbord vont accélérer les processus ou révéler des facettes insoupçonnées des personnes elles-mêmes.

Pour faire court ici, car chaque point mériterait un long développement, disons que la mer, l’océan et le monde aquatique représentent un univers imaginaire sans fond, qui nourrit des émotions primaires intenses. Le bateau et la voile obligent chacun à faire des efforts pour assumer les contraintes de la vie à bord et les exigences de la bonne marche du navire.

La grille d’observation des comportements peut varier suivant le point de vue et la méthode adoptée mais à chaque fois nous partons d’une étude faite à terre par les éducateurs techniques ou par les animateurs du service d’accompagnement, que nous confrontons au retour avec l’analyse faite à bord. Ce qui paraît décisif dans cette expérience c’est d’un coté, le 
rapport au corps, à l’effort physique exigé pour se maintenir en équilibre, aux peurs à combattre pour se tenir debout et actif, aux coordinations nécessaires pour faire naviguer le bateau, au traitement continuel de l’information issue de l’environnement, au plaisir de filer en captant l’énergie du vent; et de l’autre coté, l’étude de la proxémie, c’est à dire qu’il s’agit de voir comment les conditions particulières d'exiguïté influencent les comportements et obligent les individus à composer avec les positions et les rôles respectifs des uns et des autres. Sur le bateau on ne peut se soustraire au regard de l’autre, et ce dans les moindres gestes de la vie quotidienne, ce qui peut vite devenir insupportable si la culture vient à défaillir. Autrement dit, il est nécessaire de faire preuve d’un surcroît d’humanité: politesse et humour, règles de respect mutuel pour pouvoir survivre. Lorsque ces obstacles sont surmontés les individus en ressortent toujours grandis et gagnent en confiance en eux-mêmes et du coup en ouverture aux autres. C’est vrai qu’il y a un effet cathartique dans le fait que les gens soient obligés de changer de scène, de larguer leur rôle habituel et de découvrir une autre façon de vivre.

C’est si vrai, que c’est comme ça que je me soigne... et peut-être bien que si plus de monde allait sur l’eau, le trou de la sécu, il serait peut-être moins gros... Si vous en avez marre de ce mot 
thérapeutique un peu long, un peu toubib et un peu psy pour tout dire, si vous en avez marre d’aller vous faire voir chez les grecs pour trouver le sens des soins que vous prodiguez, venez donc faire un petit tour en Bretagne, car en saluant la compagnie vous vous exclamerez :

yec’hed mat ce qui peut se traduire par 
à votre santé, ce qui vous donne la clé pour comprendre yac’had qui est le mot breton pour thérapie ,et le thérapeute se dit yac’haour, c’est à dire littéralement celui qui vous redonne la santé.


Si vous êtes comme moisavoir que la terre vue du ciel est bleue comme une orange et que les océans sont plus étendus que le plancher des vaches, cela vous
aidera à oublier les jours où il y a du blues dans l’air.

Serge Cottin



Serge Cot

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