Thérapeutique Pierre Bailly-Salin

Thérapeutique ?
Pierre Bailly-Salin


Atmosphere

Quel beau titre et qui recouvre tant et tant de problèmes. "Je le pansais, Dieu le guérit". Cet aphorisme n' est certes pas d' hier mais ne dit-il pas tout ce qui est sous-entendu par cette journée ! .

Il est en effet légitime de ne pas vouloir confondre un acte précis, ponctuel, isolé, anonyme pourrait-on dire (bien qu'encore !) qui est un soin et l'ensemble infiniment plus vaste et plus complexe qui constitue les soins.

L'un, l'acte soin, est technique et limité ; il se suffit parfois à lui-même et ne nécessite rien d' autre, du moins dans une approche rapide.
L'autre, l'ensemble des soins, l'ambiance de ceux ci, le contexte dans lequel ils se situent renvoient à une réalité bien moins simple à cerner. Et pourtant nous savons, nous psy de toute nature, que cette réalité a une existence et une influence indéniable dans notre"art"et dans nos résultats.

(un jeune patient dans la salle demande à ce moment là la parole)
" Monsieur, je voudrais parler, je suis un malade, je voudrais prendre la parole "
- Allez-y, oui ! "
- Je voudrais un jour aider d'autres gens, et plus tard devenir un citoyen. Un citoyen pour pouvoir aider d'autres gens et combattre la maladie avant d'être malade. La maladie que j'ai, j' aimerais la guérir et aider d'autres gens plus tard "
- C' est que ce nous faisons tous, je le pense, en soignant : en soignant on tente d' aider aussi les autres.
- Je vous laisse parler ! 
- Merci ! ")

L'essentiel de ce qui se passe effectivement dans les soins est de l'ordre d'une rencontre. Mais une rencontre maîtrisée et c'est là que nous avançons vers quelque chose. Ce qui distingue le professionnel ou le non professionnel, ce n'est pas la qualité de ce qu'il est capable de mettre dans une rencontre, ce n'est pas la qualité du contact qu'il est capable et en train d'établir, c'est bel et bien la capacité de reproduire ce contact avec la même tonalité thérapeutique.

Tout le monde, à un moment donné, pour reprendre La Boétie : "Parce que c' était lui et parce que c' était moi ", est capable d'établir un remarquable contact réellement thérapeutique, c'est à dire structurant, ouvrant une qualité relationnelle, ouvrant des champs intérieurs qui peuvent s'exprimer. Mais dans les contacts mais de ce type c'est le hasard et l'intuition seuls qui sont mis en jeu.

Ce qui distingue le professionnel, c'est qu' il doit être capable de reproduire à la demande ou quasi à la demande, cette qualité du contact, cette analyse de ce qui s'y passe, de verbaliser la dynamique de l' entretien.

C'est là, où le soin devient quelque chose qui ne mérite plus ou doit dépasser l' adjectif " thérapeutique " et devenir un substantif, une réalité.

Il faut insister ici sur une évolution lourde de sens qui a marqué les dernières décénies. Je veux dire le passage du soin envisagé comme un acte -à l' image de l'acte soin en général- à la notion de prise en charge et d'accompagnement thérapeutique au long cours. Il s' agit là d'un véritable saut épistémologique fondamental dont on n'a peut-être pas suffisamment envisagé les conséquences.

Le ou les soins se sont fondus dans un ensemble plus vaste qui prend en compte les capacités et les difficultés d'avoir une vie psychique de qualité impliquant par là-même une dimension d' étayages multiples dans un accompagnement dynamique dont, pour beaucoup, le primum est à ce qui touche à l' Esprit.

Que cet accompagnement, que cette prise en charge soit facilité par l'externement des malades et la poursuite du travail thérapeutique au long cours en institutions alternatives à temps partiel, écartant la hantise de la chronicité qui avait tant pesé sur les psychiatres et leurs équipes du temps de l' enfermenent asilaire c'est certain et, en ce pays plus qu'ailleurs la politique dite de secteur a contribué à ce que d'aucuns pourraient considérer comme une dérive du sens de la thérapeutique.

Ce contexte, cet environnement "soins"a des caractères spécifiques qui pour être subtils et volatils n'en existent pas moins. Ce coté"technique", qui ne veut pas dire technifié, entraîne de notre part un décryptage et une réflexion. Je ne dis pas que ce décryptage ou cette réflexion soient vrais, mais ils constituent un support pour nous, à une réflexion, à une élaboration, à un essai de compréhension qui, vrai ou faux, à la limite peu importe, va nous permettre de progresser et de donner à cette relation une dimension dans un suivi, dans une trajectoire plus importante.

( Le même patient commence à rire dans la salle et parler à voix forte d' un bébé.
" Le bébé, chaque fois, il m' embêtait ! 
- Si tu veux un jour soigner les autres, il faut que tu les écoutes déjà. ³
- Merci, papa "
La salle applaudit et le patient embrasse les mains de Monsieur Bailly Salin et sort.
)

C' est dans cette perspective élargie du soin que s'est située la psychothérapie institutionnelle. Il s'agissait de l'intégration de toutes les actions soignantes, tout prenant ou risquant de prendre sens dans ces présences croisées auprès du malade.

Mais ces soins, présence plus qu'autre chose, entraînaient de la part de l'équipe soignante un décryptage et une réflexion. Je ne dis pas que ce décryptage ou cette réflexion étaient la vérité, mais ils constituent un support à une élaboration, à un essai de compréhension qui, vrai ou faux, à la limite peu importe, permet de progresser et de donner à cette relation une dimension thérapeutique dans un suivi et dans une trajectoire.

Cette psychothérapie institutionnelle a été un moment, un grand moment de la pensée et de la pratique psychiatrique en France : il y a lieu de craindre qu'une évolution ne se fasse sur cette matière si sensible mais, hélas si peu quantifiable.

L'esprit du temps a évolué et l'informatique imposant ses normes de recueil de données nous a orienté, nolens volens, vers une rigidité de quantification de faits parcellaires qui ne sont pas et ne peuvent pas être le reflet de ce qui se passe réellement et qui est soin.

Je suis rentré récemment dans un service de psychiatrie et j' ai été surpris du silence qui y régnait et du fait que tous les soignants étaient dans un coin en train de remplir des feuilles.

Mais qu' est ce qu'ils font ?

"On remplit les états"
"Vous remplissez quoi ,"
"On remplit des choses"
Il y en avait une derrière l' ordinateur qui"remplissait"aussi ! .
Oui ! mais qu'est ce qu'on nous demande de codifier et de coter?
On nous demande de coter des choses, parfois utiles, mais qui ne sont pas l'essentiel ou qui ne représentent qu'une modeste partie de l'essentiel. Et ce qu'on nous demande de codifier dans nos papiers, dans nos ordinateurs, dans nos recherches, au détriment du soin tout court ; n'est ce pas répondre à une phrase de Goethe qui disait :

"L'essentiel n'est jamais dans les dossiers"


Une anecdote pour illustrer ma pensées à ce propos.

J' ai souvenir d'un de mes anciens collaborateurs, le seul médiocre que j'ai jamais eu. Je lui demandais :

" Avez vous vu Monsieur Untel "
La réponse était toujours vive et tranchée :
" Oui ! , Oui je l' ai vu "
Dans ma perspective, l'avoir vu c'était, bien entendu, avoir eu un entretien avec le malade. Il l'a vu, le patient a été vu : il a pu s'exprimer et dire son mal à être, sa souffrance ou sa demande.

Pour mon gaillard, avoir vu, ce n' était que l'avoir vu au fin fond de la cour à vingt mètres.

" Oui, j'ai vu Monsieur Untel "
Untel : a été vu. Dans une statistique, on peut donc mettre en toute bonne - mauvaise foi : Untel : vu !
Mais qu'est ce qu' il y a derrière les vu de la colonne des Vu ? Rien, du vent, de la poudre aux yeux ... de l'aliment à statistiques pour technocrates en manque de chiffres.

A l'inverse on sent une atmosphère thérapeutique à des choses qui sont impalpables, immatérielles. Notre travail, notre réflexion de théoriciens devrait ne pas accepter ce terme impalpable mais devrait en pousser l' étude bien au-delà de l'impression subjective pour en rendre compte sans pour cela déformer la réalité.

En quoi l'atmosphère d'un service pendant un certain temps, 8 jours 2 jours, trois mois est-elle bonne, est-elle thérapeutique ? ; à quoi est ce dû ?

A la qualité du personnel d'encadrement ?
A tel ou tel soignant quelque soit son statut "officiel"?
Au fait qu' il n' y a pas eu, depuis un certain temps, de ces malades difficiles, à problèmes qui laissent épuisés les individus et les équipes ?
Des journées de ce genre sont faites pour nous permettre ensemble de cerner ou de tenter de mieux cerner ces impondérables qui nous rendent soignants au sens plein du terme, au sens ou vous et moi l' entendons.

Nous devons exiger une quantité et des qualités de temps : des temps de repos, des temps de rupture, qui nous permettent de réellement bien faire ce que nous avons à faire. La revendication essentielle de ce qui faut faire comprendre aux pouvoirs publics, c'est que le temps que nous demandons est un temps nécessaire pour des actions discontinues qui en tant que telles sont épuisantes et ne peuvent pas être faites toutes la journée.

SI nous ne pouvons pas faire comprendre cela aux gens qui nous gouvernent, nous resterons dans des calculs surréalistes d'apothicaires : 12,7 d' équivalent temps plein ! ! ! on entend cela ! !

Il faut expliquer qu'on fait un métier d'artistes où le contact, sa qualité sont essentiels et extrêmement difficiles, du fait même de la maladie. Il faut marteler que nul ne peut répéter indéfiniment un contact thérapeutique valable.

Je vais terminer avec une petite anecdote qui illustre assez bien ce que j' ai tenté de vous dire. Le patient que je devais voir avant la fin de la matinée était dans un état exacerbé et assez terrifiant de paranoïa. Je me suis dis que je risquais de ne pas réussir à établir un contact thérapeutique. Je sortais de deux entretiens importants qui avaient sollicité toute ma sensibilité. En plus j' avais rendez vous l'après midi à l'hôpital de jour, ces petites choses qui pèsent sur la qualité d'un entretien. J'ai donc pensé qu' il me fallait trouver "un truc".

J' ai dit au patient que je n'avais jamais vu et qui attendait son "certificat immédiat":
"Monsieur, je vais vous demander une faveur. Monsieur, je suis fatigué, et j' attache une telle importance à notre contact, à notre rencontre, que je ne voudrais pas la gâcher du fait de ma fatigue ; je vous demanderai la faveur de reporter à demain notre entretien. "

Il faut bien comprendre que le patient était dans un état d'exaspération extrême lié à son arrivée dans l'univers psychiatrique et que son souhait le plus actuel était bien de vouloir me casser la figure en tant qu'acteur potentiel de son internement. Il répondit, surpris, pris à contre- pied :
" Mais oui, bien sûr ! "
Et il a passé l'après midi à répéter à ceux qui voulaient bien l'entendre :
"Bailly-Salin n' a pas voulu me voir ce matin car il était fatigué et il a voulu me voir demain pour mieux me comprendre."

C'est un des malades avec qui j'ai eu le meilleur contact thérapeutique de ma longue vie de soignant. A partir d'un fait inaugural en apparence banal s'est instaurée une relation de soin qui n' eut peut-être pas eu la même densité, ni la même éfficacité.

Au-delà de l'historiette, c'est poser en termes concrets la question du soin, de sa nature et de sa qualité. C'est dire aussi la difficulté d'en rendre compte dans ses innombrables facettes et son infinie diversité..

Cette journée nous aidera, je l'espère, à mieux comprendre notre questionnement sur ce qu'est et ce que n'est pas le soin.

Pierre Bailly-Salin



17 mars 2000

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