L'antipsychiatrie VIII

L’antipsychiatrie (VIII)

L’antipsychiatrie peut se rapprocher de la psychothérapie institutionnelle dont elle partage (sur un mode beaucoup plus radical) la critique des institutions psychiatriques. Elle naît en Grande Bretagne dans les années 60. D. Cooper qui a créé le terme, propose de fonder des « communautés thérapeutiques » dans le but de responsabiliser les malades dans leur prise en charge. La psychiatrie étant un outil de répression sociale, il s’agit de rendre aux malades le pouvoir. Dans ces communautés, il ne devrait plus y avoir ni soignants, ni soignés. Tous, sans distinction de sexe ou de statut, doivent participer à la communauté thérapeutique, qu’il s’agisse de contribuer aux tâches ménagères ou soignantes.  R. Laing et A. Esterson fondent en 1965 la « Philadelphia Association » et ouvrent trois lieux d’accueil thérapeutique (households). L’expérience de Kingsley Hall à Londres fonctionne de 1965 à 1970. La maladie mentale naissant de l’oppression sociale et familiale, pour guérir les malades, il faut radicalement changer de modèle social et familial. La maladie, peut être comparée à un voyage qu’il faut mener jusqu’à sa destination ultime. Pour en guérir, il faut être accompagné. C’est la « métanoïa » considérée comme une conversion ou une transformation, au-delà du délire paranoïde. Laing considère qu’il faut assister le malade et laisser évoluer le processus schizophrénique jusqu’à son terme au lieu de l’interrompre par une hospitalisation et un traitement médicamenteux.

L’expérience de Mary Barnes, racontée dans l’ouvrage « Un voyage à travers la folie » sera pour eux le témoin de la validité de leur approche théorique, ce qui ne se confirmera pas pour les autres patients, amenant la fin de l’expérience de Kingsley Hall. L’ouvrage se présente comme une sorte de journal de voyage essentiellement écrit par Mary Barnes.  Joseph (Joe) Berke, le thérapeute, intervient pour faire le récit de sa rencontre avec Mary,  puis pour donner quelques repères sur le voyage thérapeutique entrepris par sa patiente. Lorsqu’il arrive à Kingsley Hall, il est épouvanté par la maigreur de Mary qui repose, nue, sur un matelas, dans un état « crépusculaire ». Mary veut descendre au plus profond d’elle-même, retourner au stade prénatal. Elle suggère qu’on la nourrisse par une sonde dans l’estomac et qu’on lui en place une dans la vessie et le rectum pour l’évacuation de ses excréments liquides et solides. La communauté composée de trois psychiatres (Esterson, Cooper, Laing), d’une infirmière spécialisée en psychiatrie (Cunnold), d’un assistant social (Briskin), d’un homme d’affaires (Wilkenson) et d’un écrivain (Segal), s’y refuse. Si Mary veut rester à Kingsley Hall, il faut qu’elle se mette à manger, ce qu’elle finit par accepter. Berke est d’abord investi comme « renfort vital » de Mary. Il donne le biberon à quelqu’un qui a l’aspect physique d’une femme de quarante ans. A sa façon de parler, de bouger, de faire, on pouvait croire que Mary était redevenue un bébé. On ne la considérait plus comme une adulte mais comme un bébé, une enfant de trois ans, de six ans ou une adolescente selon sa manière d’agir. Elle pouvait cependant tout à coup passer du bébé à l’infirmière d’âge mûr et tenir des propos sensés et convaincants sur les problèmes que posait sa présence ou celle de quelqu’un d’autre à Kingsley Hall. Berke apprend vite à repérer les différents états du moi de Mary. Il lui était cependant difficile de suivre les brusques variations de position causées par des incidents intérieurs tels un souvenir, un rêve. Mary réagissait souvent à sa confusion en le frappant. Alors, écrit-il, « je savais au moins où nous en étions. » Leur première rencontre se borna à un échange de grognements. Mary qui aimait cela, était secouée de rire et de peur. Elle croyait qu’il était un ours (il en a la stature) et qu’il allait la dévorer. Parfois, avant de lui donner du lait, il poussait des grognements menaçants puis lui mordait le bras ou l’épaule. Elle hurlait, le mordait, hurlait de plus belle. Les morsures et les étreintes jouèrent un rôle important dans ses premiers rapports avec Mary. Lorsqu’elle le serrait ou le mordait, peu importe avec quelle violence, elle découvrait qu’il n’était pas englouti, digéré, empoisonné, lacéré ou endommagé, si bien que son angoisse concernant les effets mortels de sa voracité diminuait. De même lorsque Mary s’aperçut que la voracité qu’elle attribuait à Berke, ne la détruisait pas, elle commença à lui faire confiance. L’ouvrage permet de suivre le parcours de Mary Barnes à partir de ses propres mots, en première personne, et à partir des soins et des représentations de celui qui fut son thérapeute. [1]

Barnes ii

Pour l’Italien F. Basaglia, la révolution politique en même temps que la dissolution de l’asile sont les seules réponses à la maladie mentale. Il est à l’origine de la loi 180 qui ferme les asiles. T. Szasz aux Etats-Unis est à l’origine du courant antipsychiatrique américain. En France, ce courant existera également à travers les expériences d’accueil alternatif (Collectif Réseau Alternatif) qui verra la création d’une foule de micro-communautés qui inspireront la psychiatrie de secteur dans la création de petites structures situées en ville (appartements thérapeutiques, familles d’accueil).

(A suivre !)

D. Friard


[1] BARNES (M), BERKE (J), Mary Barnes, un voyage à travers la folie, Paris, Seuil, 1973.

Date de dernière mise à jour : 27/10/2020

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