La mauvaise réputation. Représentations sociales de la folie chez les soignants

LA MAUVAISE RÉPUTATION

(ou l'influence des représentations sociales de la folie sur la pratique des infirmiers en psychiatrie)

Marc LIVET

Maitrise de gestion des organisations sanitaires et sociales Option : gestion hospitalière

Université Paris Dauphine Institut d'Enseignement Supérieur des Cadres Hospitaliers

Promotion 1994-1995

Marc Livet, récent retraité, a vécu une vie professionnelle riche, multiple et intense. Infirmier de secteur psychiatrique à Perray-Vaucluse, en région parisienne, pendant presque vingt ans, il fait ses études de cadre à Lyon, où il fonde, en 1988, avec quelques autres l’ASCISM (Association des Cadres Infirmiers en Santé Mentale). Il fait partie des infirmiers et cadres-infirmiers qui animeront la lutte des ISP contre la suppression de leur diplôme en 1992. Il en sera un des héraults (avec J-L Gérard, C. Bourdeux et quelques autres). Il mène à bien une maîtrise de gestion des organisations sanitaires et sociales en 1995, que nous reproduisons ici. Il fonde la revue Santé Mentale avec Isabelle Lolivier (il en est le premier rédacteur-en-chef adjoint). Il est directeur de la collection « Des pensées et des actes en santé mentale » chez Gaëtan Morin. En 1999-2000, il part en mission humanitaire au Kosovo avec Médecins du Monde (MDM). Il quitte la santé pour le médico-social et devient directeur de l’I.M.E. de Sillery. Et j’en passe et je ne sais pas tout …   

« Au village, sans prétention,
J'ai mauvaise réputation;
Qu' je m' démène ou qu' je reste coi,
Je pass' pour un je-ne-sais-quoi.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En suivant mon ch'min de petit bonhomme,
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
Non les brav's gens n'aiment pas qu'eux
L'on suive une autre route qu'eux...

Georges Brassens
La mauvaise réputation




INTRODUCTION

L'objectif de ce travail est de tenter d'analyser l'influence des représentations sociales de la folie et de la maladie mentale sur la pratique professionnelle des infirmiers[1] qui travaillent en psychiatrie.

Les préoccupations en matière de santé mentale traversent le corps social depuis de nombreuses années et sous des aspects historiques divers la folie a toujours nourri les représentations collectives.

Qu'il soit de droit divin ou diaboliquement mandaté, le fou intégré ou écarté par le groupe social, est depuis toujours considéré en dehors des normes[2] et la maladie mentale comme différente des autres maladies.

Le mental malade, objet de mystère incontrôlable a donc favorisé la construction de stéréotypes nombreux, complexes, imbriqués, dont les volutes occultes flottent depuis toujours dans l'air de toute société.

Il convient, ici, de s'arrêter un instant. En effet, parle-t-on de la même chose lorsqu'on évoque psychiatrie et santé mentale, folie et maladie mentale ? L'identification, la caractérisation, l'articulation de ces notions est complexe et fait toujours l'objet de nombreux débats chez les professionnels. De même, les différences de perception sont sensibles dans la population. Ainsi, dans une recherche concernant les raisons des résistances aux tentatives d'intégration des malades mentaux dans la communauté, JP Brouat[3] insiste sur la comparaison folie et dépression : dans les représentations collectives la folie est affaire de nature, alors que la dépression est passagère. Le dépressif est fréquentable, le fou jamais. Le fou n'est pas fréquentable car dangereux contrairement au dépressif.

La fréquentation du malade peut changer le système de représentation mais peut aussi modifier l'inscription de l'individu d'une catégorie de représentation dans une autre.

La folie est associée à la notion de calamité, souvent héréditaire alors que la dépression est associée à un événement de l'histoire.

Quant à santé mentale et psychiatrie on admet que le premier terme se réfère plus particulièrement à une dominante thérapeutique et le second à une dominante plus sociale prenant en compte des aspects tels la santé publique, la prévention, la réinsertion, la réadaptation.

On pourrait se questionner sur l'opportunité de ce travail de fin d'études dans le cadre de la gestion hospitalière. Sur ce point, nous considérons que le premier fondement de la gestion hospitalière est de s'appuyer sur la cohésion des hommes. L'hôpital est un des rares lieux où se côtoient autant de métiers différents, donc de groupes professionnels et par voie de conséquence de classes sociales différentes. Et pourtant il est demandé à tous ces groupes de partager les mêmes valeurs concernant le soin, le malade, la maladie, l'institution et de construire ou d'accepter des normes reconnues par tous. Il est donc important, de ce point de vue, de prendre en considération les références culturelles et les représentations de l'univers de la maladie de ces différents groupes. La gestion hospitalière est dépendante de la gestion des ressources humaines et la reconnaissance de l'individu par le groupe et du groupe par l'individu favorisent toujours l'appropriation des notions et outils quantitatifs développés dans cette discipline.

Le fonctionnement d'un service hospitalier et les relations de celui-ci avec l'environnement sont fortement influencés par les représentations sociales des différentes équipes, et des membres de chacune d'entre elles. Il est alors important, de savoir qu'elles existent, de les identifier afin de pouvoir en tenir compte dans la mise en œuvre des procédures de gestion, et de renforcer ainsi la cohérence générale de la démarche du ou des groupes.

Deux motivations principales sont à l'origine de cette recherche.
D'une part un intérêt particulier pour le fonctionnement des groupes et donc la volonté d'approfondir ce champ sachant que les représentations agissent sur tous les groupes sociaux. Dans cet esprit, il convenait donc de tenter d'identifier quelle était la nature des interactions en jeu dans cette dynamique.

D'autre part le souhait de caractériser le lien de ces représentations avec la pratique infirmière en santé mentale.

En fonction de 18 ans d'expérience professionnelle dans ce domaine et de l'observation attentive de la pratique des différents acteurs en psychiatrie, notre hypothèse était que les représentations sociales de la folie et de la maladie mentale agissent et ont des incidences signifiantes sur le travail infirmier.

L'hypothèse de ce lien peut à cet égard se référer aux nombreux écrits retraçant jusqu'à une époque récente l'histoire des infirmiers psychiatriques. En effet, celle-ci et d'autre part le travail de D. Jodelet à la colonie familiale d'Ainay le Château, montrent que la société considère que l'aliéné, l'étranger doit à des degrés divers être maintenu à l'écart du groupe social pour ne pas mettre celui-ci en péril, l'environnement mettant en œuvre un système d'interactions complexe pour atteindre cet objectif.

Pour approfondir ce questionnement nous avons choisi deux méthodes d'investigation.
D'une part nous avons tenté, dans le cadre d'une réflexion théorique alimentée par les écrits d'auteurs importants sur ce plan, d'identifier la nature des représentations de la folie et du malade mental.

A cette fin, une première partie sera consacrée aux représentations sociales :
après avoir situé les sciences sociales d'un point de vue historique, et la méthode de recherche en la matière, nous aborderons le cadre général des représentations sociales, puis nous nous attacherons aux représentations de la santé et de la maladie et enfin à celles de la folie et de la psychiatrie, tant sur le plan du concept lui-même qu’à propos des institutions et des acteurs.

D'autre part nous avons confronté une partie de ces représentations aux professionnels eux-mêmes. Cette confrontation fût permise grâce à l'envoi d'un questionnaire destiné aux infirmiers et cadres infirmiers travaillant en psychiatrie.[4]

La deuxième partie sera donc consacrée à l'enquête réalisée :
nous présenterons les conceptions, méthodologie et élaboration du questionnaire puis l'organisation de la diffusion et du retour de celui-ci.

Nous proposerons ensuite les résultats et l'analyse de ceux-ci permettra une confrontation à l'hypothèse de départ et la mesure de l'influence des divers stéréotypes sur le quotidien des soignants.

Cette recherche devant se poursuivre ultérieurement, au-delà de ce mémoire, nous conclurons tout à fait provisoirement, si tant est que cela soit possible en ce domaine.

LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

  1. LES SCIENCES SOCIALES

a) Un mot d'histoire

Si l'on s'accorde pour dire que les réflexions sur la société ont d'abord été des considérations politiques, il faut situer Aristote comme un des premiers abordant la réalité sociale. Jusqu'au 17éme siècle des auteurs comme Thomas More et Nicolas Machiavel contribuent à faire émerger les sciences sociales.

Puis Spinoza propose une explication plus mécaniste des phénomènes sociaux mais c'est surtout Montesquieu, au 18ème siècle, que l'on peut identifier comme le précurseur de la sociologie. Il considère que la recherche des causes est une des étapes initiales nécessaires amenant à la découverte des lois. Il se démarque ainsi du principe de base où c'est la loi divine qui règne au-dessus de tout. Il distingue la nature de la société et les principes qui la font agir. Il considère le premier que les hommes ne sont pas conduits uniquement par leur fantaisie mais que l'infinie diversité des lois et des mœurs peut être intelligemment ordonnée. Cela suppose que l'on peut identifier des causes et les classer.

Depuis le 19ème siècle les sciences sociales se sont divisées autour de notions clés : la sociologie s'est séparée de la philosophie, la psychologie sociale de la sociologie, la démographie devenant une spécialité.

La sociologie, étude de la réalité sociale, voit le jour peu à peu dans plusieurs nations.
La sociologie française se développe en regard des travaux de St Simon, de Proudhon (qui étudie les antinomies entre groupes et classes) et Auguste Comte qui crée le terme de sociologie, combat les doctrines empiristes et souhaite la mise en place d'un cadre théorique.

La fin du 19ème siècle voit Emile Durkheim proposer la première méthode scientifique[5] et poser la question de l'existence de la sociologie en tant que science.

Son œuvre et ses idées (à l'exception du spiritualisme) sont relayées par son neveu Marcel Mauss qui insiste particulièrement sur l'interdépendance de toutes les sciences humaines.

De la sociologie dans les autres pays on retiendra particulièrement l'influence de Marx et Engels qui emploient les premiers de façon cohérente la méthode dialectique.

Max Weber enfin, pour qui l'élaboration des concepts ne doit servir qu'à construire un instrument pour comprendre le réel.

b) Quelques notions et concepts à préciser

Les sciences naissent à un moment donné de l'histoire, utilisant les moyens et réflexions de l'époque, et se heurtent aux obstacles philosophiques, religieux, politiques ou sociaux que cette époque leur oppose.[6]

Autrefois découverte de l'essence, elles deviennent recherche de l'ordonnancement des phénomènes. Dans les sciences sociales, la particularité de l'objet à observer est qu'il est humain, l'observateur est humain, l'instrument de mesure, la réflexion.

Une investigation dans ce domaine met donc en œuvre des notions importantes étroitement liées à l'individu lui-même :

La psychologie sociale, née de préoccupations concernant à la fois l'individu et la société pose la question suivante : comment l'individu peut-il influencer son environnement pendant que celui-ci le conditionne ? Son évolution est liée au développement des sondages et échelles d'opinions depuis la première guerre mondiale. Ainsi les phénomènes du fascisme et de l'hitlérisme ont conduit des questionnements sur le rôle des partis politiques, de la propagande, de l'antisémitisme.
Il est important ici de signaler que la psychologie a permis de constater à quel point sont complexes les opérations mentales qui nous permettent de projeter et de localiser nos représentations du monde. Toutes les opérations de déduction, d'induction, de définition ne s'entendaient par le passé que par rapport à la constitution individuelle. Il n'était pas imaginable d'envisager que cela puisse procéder d'un assemblage complexe d'éléments provenant de sources variables et aussi différentes que possible.
Ainsi, toute classification était présentée (particulièrement par les logiciens et les psychologues) comme produit de l'activité individuelle.

Historiquement cette approche classificatrice ne remonte vraisemblablement pas au-delà d'Aristote, qui, le premier, a proclamé l'existence et la réalité de différences spécifiques.[7]

Mais si l'individu n'avait été éduqué à la pratique de la classification, il n'aurait pu, disons d'instinct, établir que des groupements rudimentaires et des distinctions approximatives. Or, classer n'est pas seulement organiser des groupes mais caractériser leur mode de relation. L'important sera alors de déterminer quelles sont les raisons qui ont amené à établir ce type de disposition. « Toute classification implique un ordre hiérarchique dont ni le monde sensible, ni notre conscience ne nous offrent le modèle. » (Mauss,1969)

L’attitude qui se caractérise par un état dans lequel l'individu est prêt à répondre d'une certaine manière à une certaine stimulation. Elle suppose toujours une relation avec un objet, faisant intervenir des aspects individuel, psychologique et social. Elle est donc construite à partir des représentations (Représenter sera entendu dans le sens de redonner, rendre une présence à une chose ou une personne absente.) concernant l'objet en cause. L'attitude est provoquée par un besoin de l'individu, besoin de répondre à un problème d'assimilation ou de différenciation.

Mais cette investigation ne pourra se faire sans recherche et sans méthode.
Concernant la recherche, si les auteurs s'opposent sur les conditions d’observation : procédures inductives d'après les faits (Bacon), procédures déductives à partir d'axiomes certains (Descartes), observation précédant l'hypothèse (Cl. Bernard), ou hypothèse vrai point de départ, tous s'accordent sur la nécessité de faire abstraction des idées préconçues.

Quant à la méthode considérée comme la plus complète pour parvenir à l'explication, beaucoup s'accordent, semble-t-il sur la dialectique.

Partant du constat des contradictions qui nous entourent, elle est d'abord une attitude vis à vis de l'objet (empirique et déductive). Elle est ensuite une tentative d'explication des faits sociaux, donc directement liée à la notion de totalité. (Grawitz,1984)

Nous pouvons également remarquer que l'idée de faire des enquêtes est très ancienne puisque la première connue date de 3000 ans avant J.C. Elle est signalée par Hérodote et concerne un recensement de la population et des revenus du peuple Égyptien. En France, le rapport de Villermé, des années 1840, s'intéresse à la situation des travailleurs et l'utilisation des enfants dans les usines.

Enfin l'éducation, notion directement liée aux sciences sociales, est définie comme la socialisation méthodique de la jeune génération. É. Durkheim[8] indique qu'il existe deux êtres dans l'individu. L'un est fait d'états mentaux se rapportant à nous-mêmes (être individuel), l'autre fait de systèmes d'idées, de sentiments et d'habitudes exprimant le ou les groupes dont nous faisons partie. (Par exemple les croyances religieuses, les pratiques morales...).

L'éducation répond donc à des nécessité sociales. Ainsi une époque où l'on suspecte la science verra apparaître l'adage « Heureux les simples d'esprit », au Moyen âge la valorisation de l'ascétisme entraînera une diminution de l'intérêt pour l'éducation physique. Nous voyons donc que les règles de la morale sont issues de l'éducation commune.

Pour l'auteur, cela a deux conséquences : d'une part la soumission relative de l'individu à la société mais simultanément la participation de celui-ci à cette soumission puisque l'être édifié par la société est considéré comme le meilleur.

« Nous sommes forcés de suivre les règles qui règnent
dans le milieu social où nous vivons.
L'opinion nous les impose, et l'opinion est une force morale
dont le pouvoir contraignant n'est pas moindre
que celui des forces physiques
 »
(Durkheim,1966).

L'homme n'est un homme que parce qu'il vit en société

Les hommes ne peuvent garder l'homogénéité indispensable à tout consensus social qu'à condition d'être aussi semblables que possible. La perte de généralité, le particularisme entraîne un risque d'éclatement du groupe.

L'éducation est le moyen par lequel la société renouvelle perpétuellement les conditions de sa propre existence. La société ne peut vivre que s'il existe entre ses membres une certaine homogénéité mais la diversité est nécessaire à toute coopération.

L'individu et la société sont donc deux éléments inséparables. Il est par conséquent impossible d'expliquer tout l'individuel par le social et inversement le social par l'individuel. Les phénomènes sociaux n'ont pas leur cause immédiate dans la nature des individus, car alors, sociologie se confondrait avec psychologie. Néanmoins, les réflexions du chercheur devront porter sur les détails qui, étudiés, permettent de vérifier s'il s'agit d'un état mental et lequel.[9]

Si la vie sociale, ensemble des différents milieux moraux qui entourent l'individu, est formée de manifestations diverses émanant toutes d'un groupe, l'analyse de cette composition ne doit pas être confondue avec la vie sociale qui en est l'émergence.

Pour expliquer les phénomènes sociaux il sera nécessaire de partir de la façon dont est constituée la société et non de la constitution des individus. Car les phénomènes sociaux pénètrent les individus de l'extérieur.

c) Recherche et sciences sociales

Les premiers sociologues considèrent que la société ne peut être soumise à la méthode expérimentale et s'attachent donc à la méthode comparative. Pour de nombreux auteurs elle représente la méthode spécifique des sociologues. Pour Durkheim, elle constitue une véritable « expérimentation indirecte » puisque le chercheur tire une relation entre des faits observés.

Pour cet auteur nous sommes trop attachés à trancher les questions d'après le sens commun. Il nous impose ses jugements sans que nous y prenions garde. Le sens commun ne conçoit pas qu'une chose qui répugne puisse avoir quelque raison d'être utile. Nous détestons la souffrance et pourtant celui qui ne la connaitrait pas serait considéré comme un monstre.[10]

Pour Durkheim les faits sociaux doivent être considérés comme des choses (chose étant entendu comme le contraire de l'idée) et comme extérieurs aux individus, car la vie sociale ne peut s'expliquer uniquement par des facteurs purement psychologiques (c'est à dire des états de conscience individuelle). D'autre part, cela évite l'arbitraire individuel.

Les représentations collectives traduisent la façon dont le groupe se pense avec les objets qui l'affectent.

Pour comprendre le fondement d'une société il faut considérer la nature de la société et non celle des particuliers. Le problème réside dans la tendance de l'homme à l'anthropocentrisme et au sentiment de toute puissance et de pouvoir illimité sur l'ordre social.

Durkheim définit un fait social comme un type de conduite ou de pensée reçue de l'éducation, extérieur à l'individu, s'imposant à lui et fonctionnant indépendamment de l'usage que celui-ci pourrait en faire.

Il faut donc considérer les faits sociaux comme des choses et à ce titre, observables, descriptibles, comparables.

« Lorsqu'on conçoit le développement social comme le simple développement de l'idée humaine on est amené à définir la société par l'idée que s'en font les hommes. Procédant ainsi on reste dans l'idéologie, donnant à la sociologie un concept qui n'a rien de sociologique. »

L'auteur précise ce qui sont pour lui les règles importantes de la méthode sociologique : les phénomènes sociaux doivent être considérés comme des choses car ils sont les seuls indicateurs offerts au sociologue en tant qu'observables. Cela permet de passer du stade subjectif au stade objectif.

Ainsi pour réaliser une étude portant sur les phénomènes sociaux il conviendra en premier lieu d'écarter systématiquement toutes les prénotions, favorisant ainsi l'affranchissement des fausses évidences et situant le recherche au-delà des sentiments et des passions.

Il faudra ensuite définir les choses qui sont traitées afin de savoir de quoi il est question. Le groupe de phénomènes devra rassembler tous ceux qui sont définis par les mêmes caractères.

Il conviendra d'observer des règles précises relatives à la distinction du normal et du pathologique. Il est à ce propos possible d'évoquer les droits de la raison sans retomber dans l'idéologie. En effet, pour les sociétés la santé est bonne et désirable, la maladie mauvaise et à éviter. Il s'agira donc de trouver un critère différenciant scientifiquement la santé de la maladie pour que la science puisse éclairer la pratique.

Mais un fait ne peut être qualifié de pathologique que rapporté à une espèce donnée, chaque espèce ayant sa santé, sa pathologie. Cette variation entre les espèces existe aussi à l'intérieur des espèces elles-mêmes. Ainsi ce qui serait normal pour une peuplade dite sauvage pourrait être pathologique pour une autre dite civilisée.

Un fait social ne sera donc dit normal que par rapport à une phase donnée du développement de l'espèce. Il est donc important d'observer un fait mais en situant celui-ci dans son contexte. Ainsi l'intérêt de situer le normal du pathologique aura comme but d'éclairer la pratique et, ces précautions prises, il sera nécessaire de pouvoir classer les faits en normaux et anormaux.

Il y a aussi des règles relatives à la constitution de types sociaux. Ainsi pour étudier l'espèce sociale il convient d'en étudier les différents éléments, les différentes sociétés. Car il est impossible de généraliser, tant chacune d'entre elle à sa propre constitution, sa propre organisation, sa propre physionomie. La classification sera alors basée sur des critères essentiels. Une autre règle concerne l'explication des faits sociaux où l'auteur précise : « quand on entreprend d'expliquer un phénomène social il faut rechercher séparément la cause efficiente qui le produit et la fonction qu'il remplit ». Il faudra donc déterminer s'il y a correspondance entre le fait considéré et les besoins généraux de l'organisme social. Car les causes des phénomènes sociaux reposent sur l'anticipation mentale de la fonction qu'ils sont amenés à remplir ou au contraire sur le maintien de la cause dont ils dérivent.

C'est dans la nature de la société elle-même qu'il faut aller chercher l'explication de la vie sociale. « La cause déterminante d'un fait social doit être cherché parmi les faits sociaux antécédents et non parmi les états de la conscience individuelle ». Sa fonction doit toujours être recherchée dans le rapport qu'il soutient avec quelque fin sociale. Il y a donc nécessité de rattacher le présent au passé, ce qui représente l'effort du sociologue.

Mais il existe une contrainte commune à tout fait social. L'homme social est plus riche, plus complexe, plus durable que l'homme individuel ; il y a donc des raisons intelligibles de la subordination nécessaire.

Enfin la règle de l'administration de la preuve nécessitera pour comparer d'admettre qu'à un même effet correspond toujours une même cause. Ainsi quand des variations seront constatées, il faudra chercher l'élément commun.

La méthode de recherche devra donc être, le plus possible, indépendante de toute philosophie, objective, exclusivement sociologique.

 

II- REPRÉSENTATIONS ET SOCIÉTÉ

« ...l'individu lui-même peut n'être

qu'un simple accessoire

sans aucun rapport avec l'idée qu'on a de lui,

celle-ci étant un produit autonome de l'imagination. »

Charles Cooley
Human Nature and the Social Order
New York, Scribners, 1922.

La représentation est sociale quand le langage qui permet son expression est symbolique et social, quand également elle utilise des concepts propres au champ social.

Les représentations sont une sorte d'interface entre l'extérieur et l'intérieur, entre la réalité physique et la réalité psychique (Moscovici montre, en 1961, que l'affirmation fondamentale des représentations sociales consiste en l'absence de coupure entre l'univers extérieur et l'univers intérieur de l'individu et du groupe ...) Elles sont non pas une simple image de la réalité mais une organisation qui a une signification précise.
Au carrefour de la psychologie et de la sociologie, la représentation sociale entretient avec son objet des rapports de symbolisation (Jodelet,1991). Le sujet procède alors à un « remodelage mental » de l'objet (Moscovici,1976).

Leur processus d'élaboration est ainsi orienté par la fantasmatique et l'idéologie portant sur les relations de l'individu avec le monde et sur la conception globale du monde. En ce sens, elles peuvent conduire à la modification des systèmes idéologiques et fantasmatiques du sujet.

Le concept de représentation sociale proposé pour la première fois par S. Moscovici[11], est depuis utilisé par nombre de professionnels comme les psychologues sociaux, les anthropologues, les historiens, philosophes ou sociologues. De tradition européenne et surtout française, il s'impose désormais dans les sciences sociales.

Mais il est difficile d'en donner une définition commune à tous les auteurs en raison de sa situation de carrefour dense où les voies pour y parvenir sont multiples. La variété d'approches de ce concept en fait aussi sa complexité et sa difficulté d'utilisation en tant qu'outil de travail (car l'étude des représentations sociales est un domaine où, là aussi, il s'agit pour comprendre d'organiser, de hiérarchiser, de classifier).

La conséquence de cette situation est la grande polysémie de la notion de représentation sociale. Elle désigne ainsi un grand nombre de phénomènes et de processus.

Elle fait référence aux processus individuels, inter-individuels, intergroupes, idéologiques. Générée collectivement et donc partagée par les individus d'un même groupe elle marque la spécificité de ce groupe et contribue à le différencier des autres (Pénochet,1995). Sur un plan symbolique le groupe véhicule ainsi de l'interdit, des normes, des codes et comportements. Il se forge des contrats explicites et implicites qui l'entrainent à toujours produire de l'imaginaire.[12]

Les individus ou les groupes d'individus vont percevoir la réalité à partir des représentations qu'ils ont, construites elles-mêmes à partir des interactions entre ces groupes. Cette réalité ainsi constituée pourra alors être adaptée aux normes et aux valeurs admises par ce groupe. Une nouvelle représentation, élaborée à partir des croyances, sera intégrée dans les valeurs communes anciennes, transformant alors ces valeurs, comme la représentation elle-même.

Tout ceci s'élabore en regard des rapports de communication où il sera nécessaire de clarifier plusieurs problèmes centraux posés par le développement des phénomènes de communication :

- quels sont les processus psychologiques qui interviennent dans ces phénomènes ?

- dans quelles conditions objectives se produisent des phénomènes de communication et quels sont les éléments de leur constance et de leur transformation ?

-comment ces processus sont-ils liés à ces conditions ?

Ainsi, l'articulation de ces dynamiques relationnelles et représentatives peuvent amener à proposer les définitions suivantes :

Pour Guimelli, Merahihi et Pénochet la représentation sociale est « le produit et le processus d'une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstruit le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique »[13]

Pour Doise et Palmonari[14] les représentations sociales sont « des principes générateurs de prises de position liées à des intentions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux et organisent les processus symboliques intervenants dans ces rapports.[15] Cette double origine nous amène à évoquer une notion clé chez Bourdieu, la notion de champ, champ étant entendu en tant qu'ensemble d'objets sociaux ayant entre eux des relations de hiérarchie et d'opposition, qui structurent « la répartition d'un capital spécifique de valeur sociale ».

La hiérarchie des valeurs, enjeu de lutte dans ces champs, entraîne des oppositions de même nature que celles qui existe entre les classes d'une société.

Ainsi, certains agents d'un champ déterminé vont défendre des positions de classe de façon méconnue ou censurée mais obéissent aux lois qui déterminent les valeurs de leur champ.

On peut noter que l'étude des représentations sociales est abordée de façon parfois sensiblement différente par les psychologues sociaux et les sociologues. En effet les psychologues sociaux étudient les processus de différenciation catégorielle, d'équilibre cognitif souvent de manière abstraite, c'est à dire en dehors d'un contexte social bien défini, et des rapports qui s'y développent.

Les sociologues s'attachent à l'environnement social et aux rapports de communication établis entre les différentes catégories d'acteurs mais font souvent abstraction des fonctionnements psychologiques nécessaires à la participation de l'individu à une dynamique sociale.

Cette opposition n'entraine pas pour autant de volonté de séparation, l'étude des représentations sociales semble nécessiter cette double approche.

Les représentations sociales auront ainsi une double fonction : rendre l'étrange familier et l'invisible perceptible (Farr,1984), en aidant les individus à s'orienter dans leur univers matériel et social. Mais tenter de pénétrer la cognition sociale se heurte à la difficulté de lier une information objective à un schème causal approprié car d'une part diverses expériences montrent que nous recherchons les informations qui confirment nos vues (donc les preuves d'étayage de nos stéréotypes), et d'autre part nous avons tendance à conserver les opinions que nous nous sommes formées.

Moscovici prend l'exemple d'une personne à qui l'on dit qu'une de ses connaissances a émis à son encontre des propos déloyaux. Cette personne va considérer l'auteur de ces propos sous un jour différent. Et si on lui précise qu'en fait c'était un mensonge et que ces propos n'ont pas été tenus, et bien le jugement aura tendance à persister sur la base des informations fournies (même fausses), car l'on aura entre temps bâti une explication qui s'accorde avec elles.

Ceci montre que nous avons tendance à établir des corrélations entre des événements qui, en réalité n'en ont pas.

Il existe ainsi une certaine imperméabilité à l'information et par voie de conséquence une tendance à résister aux faits et connaissances qui ne résistent pas à nos croyances. Nous cherchons donc à confirmer par tous moyens la représentation ou l'idée que nous avons d'une personne ou d'un groupe de personnes. Les rapports de communication dans l'environnement social sont canalisés dans le but de confirmer les croyances concernant tel ou tel groupe d'individus.

De plus les gens (considérés comme « savants naïfs » par Moscovici, en opposition aux « savants professionnels ») peuvent choisir d'attribuer la cause d'un comportement à l'individu lui-même ou bien aux circonstances. Toutes les études effectuées à ce propos montrent qu'en général on préfère s'en prendre aux individus plutôt qu'aux circonstances, surestimant ainsi la part que prennent les personnes à l'action.

Ce personnalisme entraîne ainsi des erreurs de jugement et se coupe de la réalité objective. Les « savants naïfs », « Monsieur tout le monde » sont donc des mauvais savants qui se bornent à confirmer des théories, sans remise en question et expliquent leurs observations par des causes personnelles. Il faut préciser que les « savants professionnels » ne sont pas immunisés contre ce type d'erreurs.

Si nous considérons que toute information provenant du monde extérieur est elle-même façonnée par des stéréotypes, des préconceptions nous ne pouvons plus admettre que l'objet du chercheur soit l'unique exploration de la nature de l'information. Il nous faut également concentrer nos recherches sur ces mêmes stéréotypes, sur ces théories implicites, ces images.

Les représentations revêtent alors deux traits principaux qui les caractérisent : d'une part elles sont collectives (et à ce titre concernent essentiellement le social) et ne peuvent rendre compte des différences individuelles. D'autre part, elles sont des mélanges de concepts, d'images et de perceptions.

Nous pouvons donc admettre que chaque fois que nous acquérons ou modifions une représentation sociale nous entraînons la modification de comportements en direction des autres et de nous-mêmes. Les conditions de développement des représentations concernant la maladie et plus particulièrement le cancer et le sida sont à ce titre éloquentes.

Les représentations sociales erronées sont alors à considérer non en regard de la logique et de la psychologie mais de l'histoire et de l'interprétation de notre culture. À ce titre les représentations sociales doivent être considérées comme les données de point de départ de la recherche scientifique.

Ne les rapportant plus aux individus et explicitant leur mécanisme dans leur cadre culturel, il semble plus aisé d'en comprendre leurs lois.

Il s'agit donc de bâtir de nouveaux modèles prenant en compte ces dimensions (au-delà de la simple cognition sociale), s'intéressant à l'étude des modes de culture, des relations entre les groupes sociaux, entre les groupes sociaux et les individus.

Les représentations sociales sont à considérer d'un point de vue non pas seulement logique mais anthropologique, car au cœur de la culture et de nos pratiques. Leur analyse doit être comparative par définition, comparaison des groupes des cultures des idéologies et centrée sur la réalité.

« Il n'y a rien dans la représentation qui n'est pas dans la réalité, excepté la représentation elle-même » (Moscovici,1986).

LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

III LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA SANTÉ ET DE LA MALADIE

« Les conceptions de la santé sont les moyens d'accès au sens
que les individus donnent à leur conduites et leur pratiques sociales…
Les représentations de la santé et de la maladie
sont d'abord étudiées pour ce qu'elles peuvent
nous apprendre de notre société »

Cl. Herzlich, 1982

Santé et maladie sont considérés comme des objets particuliers pour l'étude des représentations sociales.

Particuliers car la maladie n'est pas que symptômes, elle est aussi un possible facteur de modifications de notre vie quotidienne et donc de celle des autres membres du groupe social. Dépassant le simple aspect corporel, santé et maladie nécessitent pour l'individu de connaître quelles en sont les interprétations collectives, afin de donner un sens et de déterminer la nature des rapports qu'ils doivent avoir avec elles.

Particuliers parce que nos représentations de la santé mettent en relation notre vision du biologique et du social (Cl. Herzlich)

La maladie sera ainsi représentative des agressions de la société (la pollution par exemple), l'individu ayant tendance à s'attribuer la responsabilité des événements positifs et attribuer à la société la responsabilité des événements négatifs (R. Farr, 1977).

La représentation de la maladie va donc solliciter des causes externes à l'individu, une responsabilité attribuée à un objet nocif ou à l'action d'un être malfaisant.

Les représentations sociales de la santé et de la maladie sont ainsi inscrites, au sens anthropologique du terme dans le « socius » et l'histoire. Elles traduisent de plus la nature des rapports de l'individu à cette même société.

Elles résident en particulier dans l'intérêt à observer la circulation des connaissances profanes et des connaissances scientifiques, les individus intégrant une partie du savoir médical. L'impact de ces représentations semble s'être considérablement accru ces vingt dernières années. La santé occupe une place centrale dans le discours social, la notion de santé est très liée à la notion d'action pour la santé, identifiée à l'intervention médicale et hygiénique.

Ceci a pour conséquence que les dangers pour la santé autrefois extérieurs peuvent désormais être incarnés par les interventions de la médecine elle-même, installant celle-ci au centre de conflits culturels et sociaux ; la représentation devenant elle-même enjeu des débats.

La représentation collective profane s'oppose alors au discours scientifique, devient en quelque sorte consciente d'elle-même et tente d'affirmer sa légitimité : développement de l'homéopathie, des médecines douces, vulgarisation de la distribution des « produits de santé » et récemment proposition de mise en vente pour les particuliers d'une formule simplifiée du dictionnaire des médicaments « Vidal » destiné jusqu'à présent aux professionnels. Elle atteste ainsi le refus de dépendance absolue au médecin. Ces allers retours entre pratiques professionnelles et pratiques personnelles permettent au malade de construire un savoir spécifique basé sur l'observation quotidienne des interactions du biologique, du psychologique et du social de la vie quotidienne.[16]

Santé et maladie montrent donc que l'étude des représentations sociales doit permettre de comprendre comment certains problèmes apparaissent dans une société plutôt (comme c'était le cas par le passé) que de s'attacher aux liens qui existent avec la conduite individuelle. Dans ses travaux consacrés à l'hystérie Freud a d'ailleurs montré comment la paralysie correspondait à la représentation qu'avait la patiente de son être physique et donc la nécessité pour comprendre le syndrome hystérique d'intégrer la représentation sociale du corps (Farr, 1984).

La représentation sociale de la maladie oriente ainsi la décision de consulter un médecin.

Pour illustrer ces propos prenons l'exemple de Goffman qui, à propos de la santé et de la maladie aborde la notion de handicap[17] de la façon suivante :

L'apparition d'un individu se présentant à nous, nous permet de le classer dans une catégorie de référence, car il laisse à voir des attributs qui permettent ce classement. Ces attributs peuvent être des signes attestant de sa différence, de sa fragilité, de sa faiblesse. Cela peut nous conduire à le considérer comme diminué, dangereux, "amputé". Cet attribut constitue alors un stigmate que l'on peut nommer handicap. Ces stigmates conduisent à discréditer l'individu (quand ils sont visibles) ou à le rendre discréditable (quand ils ne sont pas visibles).

Goffman précise trois catégories de stigmates : les monstruosités du corps ; les tares du caractère prenant l'aspect aux yeux d'autrui de manque de volonté, de passions antinaturelles, de malhonnêteté dont on infère l'existence de l'individu parce que l'on sait qu'il est mentalement dérangé, alcoolique, homosexuel ou d'extrême gauche; enfin les stigmates tribaux que sont la race, la religion, la nationalité.
Ces stigmates vont donc présenter une différence fâcheuse d'avec ce à quoi nous nous attendions.
[18]

D'autres auteurs[19] précisent que dans les représentations du handicap
existe un effet de traumatisme lié à une indétermination de l'objet (notion d'innommable), et une notion d'irrémédiable en lien avec le handicap de naissance.

Le discours institutionnel sera alors utilisé comme moyen défensif, prévenant l'émergence de représentations de monstruosité et du sentiment d'incompréhension qui l'accompagne.
On remarque que le handicap mental apparaît comme l'élément le plus handicapant de la condition handicapée. L'adulte handicapé mental provoque dégoût, rejet, pitié (pour les personnes non concernées). Paradoxalement le handicap mental est énoncé comme la caractéristique visible du handicap, dans ses marques corporelles, ses limites de communication.

IV LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA FOLIE

« C'est une méchante manière de raisonner

que de rejeter ce qu'on ne peut comprendre »

Chateaubriand

Nous commencerons ce chapitre en évoquant le concept d'aliénation tel que décrit par Marx.

Pour Marx le processus d'aliénation affecte tous les individus mais le processus aliénant est vécu de façon différente selon la classe à laquelle appartient l'individu. Ainsi « l'ouvrier devient étranger au monde physique dans lequel il vit, au monde social. Il devient étranger à l'espèce humaine elle-même, dans ses rapports sociaux »[20] L'auteur rattache ce concept d'aliénation aux théories qui traitent de la nature de la société.

Ces théories diffèrent en ce qui concerne le rôle du consensus et du conflit, le besoin ou non d'intégration, le souhait de la conformité ou au contraire la fonction innovatrice de la déviance. Mais elles font certaines hypothèses sur la nature humaine. Marx développe ainsi deux théories de l'aliénation. L'une anthropologico-philosophique, l'autre portant sur les rapports entre l'individu et la société. Mais contrairement à d'autres travaux concernant les représentations sociales, Marx pose comme point de départ l'incompatibilité (et non les interactions) des exigences individuelles et sociales. Dans ce cas de figure il convient donc de s'attacher à la transformation de la société si celle-ci empêche l'individu de satisfaire ses désirs. Mais si l'accent est mis sur les exigences sociales qui n'aboutissent pas, par suite de comportements déviants, il conviendra alors de porter les efforts sur l'adaptation de l'individu à la société.

Dans la première théorie ce sont les processus sociaux qui traduisent l'aliénation. Dans la seconde l'aliénation est engendrée par le comportement humain confronté à un problème d'intégration ou plus exactement de non-intégration.

Ces deux approches conceptuelles mettent ainsi l'accent sur les problèmes du processus de socialisation et sur le comportement conforme aux normes, puisqu'il s'agit de produire un consensus autour de valeurs et d'objectifs sociaux.

1) Des malades

« Si le fou porte en lui l'humaine condition,

l'homme porte en lui le terreau où la folie s'enracine. »

R. Bastide 1965.

Si comme l'affirme Michel Foucault[21], la folie n'est pas pensable avant le 17ème Siècle (car intégrée à l'existence des hommes), elle est néanmoins conçue au Moyen âge comme un « surcroît démoniaque » à l'œuvre de Dieu. On notera que cela lui confère un savoir sur l'au-delà divin. Cette image persistera jusqu'à la renaissance où la folie sera peu à peu mise à distance de la raison, raison prise au sens large de pensée scientifique ou philosophique. (Foucault, 1972)

Les conceptions primitives de la folie attribuent donc celle-ci au sacré, religieux ou démoniaque.
La Révolution française, consacrant la liberté de la personne humaine, considère par voie de conséquence que le malade mental a perdu sa liberté. Être à part, il est expulsé par cette nouvelle société basée sur la responsabilité individuelle. Il est souvent regardé avec peur ou dégoût, comme un être dangereux ou menteur. La folie (comme plus tard le cancer et maintenant le sida) fait partie des maux que l'on cache. Mais bien que marginalisé le fou n'est jamais seul. Il vit en relation dialectique avec sa famille, ses voisins, agit sur eux comme ils agissent sur lui. Exerçant ainsi une pression sur son environnement il « cherche » à le faire entrer dans son monde à part, à lui faire partager son mystère, à lui faire intégrer ses propres valeurs, à lui faire un peu de place à ses côtés.

Nous considérons le fou comme un hors la loi, comme un extérieur de nous-mêmes, comme peut être notre mauvaise conscience.

À ce titre, le jugement que nous portons sur lui n'est que le reflet de la projection du jugement que nous portons sur nous.[22]

De même que Durkheim considère que le crime à une fonction sociale, la folie a donc, elle aussi, une fonction sociale. Elle nous délivre des terreurs qui nous menacent.
La folie est ainsi perçue comme cristallisation de toute les transgressions, bousculant l'ordre établi par la société et incontrôlable par elle. La révolution et l'avènement officiel de la liberté de l'individu n'empêchent en rien la loi de Juillet 1791 qui rend passible de peines correctionnelles « ceux qui laisseraient divaguer des insensés ou des furieux... »
[23]

La déviance ainsi traitée par l'exclusion ou la sanction conduit à des comportements discriminatoires. Mais Jaeger[24] cite à ce propos des auteurs comme F. Basaglia et F. Basaglia-Ongaro qui considèrent que les données seraient désormais différentes :

« La production capitaliste, en se développant, provoque d'une part la multiplication des comportements déviants et tend d'autre part à imposer ses normes à tous les niveaux de la vie sociale. On a ainsi à la fois une majorité déviante et une tendance à un contrôle social total. Les mesures de ségrégation et de répression traditionnelles ne suffisent plus car la déviance est partout. Le contrôle ne peut donc s'exercer que par la recherche de l'intégration (du Noir, du malade mental, du pauvre...), par le développement de ce qui se veut une assistance sociale; la société est donnée pour malade et c'est elle toute entière qui devient objet de traitement. »

Ainsi comme nous l'avons pu constater précédemment si l'individu peut agir sur le milieu, son environnement agit profondément sur lui, définissant les règles et les normes auxquelles il doit se conformer.

Pour certains la folie sera générée par le groupe social, la folie étant alors à considérer comme n'étant pas une partie intrinsèque de l'individu mais comme un processus extérieur, propre au groupe qui utilise ainsi le fou pour se protéger.[25]

Mais les interactions de la société peuvent-elles à elles seules engendrer la folie ? Les rapports de l'individu au groupe et du groupe vers l'individu constituent-ils LA condition de mise en route de la folle mécanique ?

Car si tout le monde s'accorde sur le constat que toute société cherche à se protéger de la folie, les débats idéologiques sont encore riches pour déterminer la capacité de cette même société à élaborer la folie.

« J'ai assez vécu pour voir

que différence engendre haine. »

Stendhal, Le Rouge et le Noir

Beaucoup s'accordent pour dire que la structure sociale, telle un rouleau compresseur, pèse de tout son poids sur la forme et le contenu des divagations.

Les thèmes des délires sont souvent fournis par l'actualité, exploités par elle au point que l'opinion ne peut que méconnaître la valeur pathologique du trouble ainsi véhiculé.
Que l'on mette les malades dans la rue et la quiétude sociale s'affole.
Les malades mentaux, individus encombrants sont toujours objet de honte. Annonce-t-on de la même manière l'hospitalisation d'un proche en chirurgie ou en psychiatrie ?
Vingt pour cent des personnes interrogées dans l'enquête du professeur Pichot
[26] sont favorables à la suppression de la charge financière imposée à la collectivité par des éléments improductifs.

Entre 1940 et 1941 l'euthanasie pratiquée par les chefs nazis entraîne la suppression de 70273 malades mentaux permettant ainsi une économie de 88 543 980 Marks par an ![27]

Cette attitude de la société est remarquablement abordée dans l'étude de Denise Jodelet conduite à la colonie familiale d'Ainay Le Château où 1000 malades mentaux sont confiés à 500 familles nourricières de la ville et de ses environs.[28]

Au terme de sa recherche elle considère que, connaître l'autre, c'est le savoir semblable, ce qui est difficile voire considéré comme impossible. Cela conduit donc à éviter le contact et dans ce but à établir un ordre social qui protégera le groupe.

Cet écart se manifestera entre autres par une séparation des ustensiles de cuisine utilisés par les malades et des eaux de lavage de leur linge, renvoyant ainsi aux significations de l'impur, du mauvais, du méchant. L'agi de la pensée sur la folie s'articule alors autour du pouvoir magique et de la pollution, le corps social évitant d'être contaminé.[29]

Ainsi une séparation mise en œuvre au nom de l'hygiène mais qui désigne : « ce qui pour le groupe est la vraie menace, et contre quoi il n'y a de défense qu'individuelle : la pollution sexuelle...Il fallait pour en arriver à la dire, faire le détour par le plus secret de la pensée qui donne la folie magique et maligne, le fou altérité. Détour par la pratique signifiante qui permet d'exprimer le vécu réel ou imaginaire, de ce sur quoi porte la pratique institutionnelle. Détour par lequel, tout étant livré de la maladie, le malade prend un nouveau visage, celui de l'objet refusé. »[30]

Jodelet précise que la régulation sociale du « commerce avec les pensionnaires » dépasse le cadre du simple évitement. Si la communauté supporte, même difficilement, qu'un de ses membres puisse avoir une relation amoureuse avec un pensionnaire, il y a un tabou que l'on ne transige pas : l'instauration ouverte et légale d'une vie commune, c'est à dire le mariage. Toutes les femmes ayant enfreint cette loi ont été exclues du groupe et ont quitté la ville. Le mariage interdit préserve ainsi la hiérarchie sociale mais surtout évite le risque majeur menaçant l'identité collective : l'assimilation et donc l'indifférenciation « bredin-civil ».

L'intégrité collective ne sera donc maintenue qu'à la condition de pratiquer une exclusion sans réserve de toute tentative d'assimilation. Le travail de Jodelet montre l'importance des pratiques de séparation et leur valeur vitale pour le groupe, souvent manifestée par un tabou de contact, tabou à associer au mode de penser.

Ce lien est d'ailleurs évoqué par Durkheim et par Freud. Le premier précise que l'exclusion des idées, « l'incompatibilité psychique », entraîne la dissociation des actes : « pour que les idées ne coexistent pas, il faut que les choses ne se touchent pas, ne soient en aucune manière en rapport » (1968). Freud, quant à lui, indique que c'est parce qu'il y a interdit de toucher que les idées sont séparées (1936). Cette dernière perspective semble, pour l'auteur, plus appropriée à l'approche des conflits et interdits liés à une relation entre groupes, Durkheim traitant le groupe social comme fermé sur lui-même. Ce qui amène l'auteur à préciser que :

« Les manières de traiter, prendre et éduquer les malades instaurent, par la formulation explicite de règles et d'interdits comme par la création de situations signes, des barrières intransgressibles. Ces pratiques établissent sciemment et en toute clarté un ordre que l'on impose avec autorité à des partenaires sociaux. »

Ces pratiques signifiantes assurent la survie du corps social, précisant à chacun l'altérité dont il faut se défendre et la pureté (biologique) qu'il faut préserver (en tant que non contamination), l'intégrité du corps privé étant la condition de celle du corps social.
Mais comment ces croyances empreintes de magie, d'animisme et de sorcellerie peuvent persister à l'heure d'une société qui se modernise et s'abreuve de télévision, si ce n'est en s'inscrivant profondément dans les codes du langage et les actes de la vie quotidienne issus de la tradition. Alors, comme le dit Jodelet, ne faut-il pas, quand une société s'ouvre à l'altérité et que surgissent les fantômes de la fusion, que persistent dans nos têtes et dans l'air de notre temps « des images non domptées ».

2) Des institutions

Toute institution est organisée et produit des normes pour définir ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. Elle code, impose, ordonne et chaque sujet contribue à cette dynamique car il véhicule les normes définies. De plus sa réalité se révèle par la mise en actes de ses représentations imaginaires. (Foucault)

Mais la notoriété des institutions dépend beaucoup de la reconnaissance de leur utilité par le public. Ainsi dans une étude réalisée à Saint-Jean-de Braye[31] (proche d'Orléans), la même institution psychiatrique sera reconnue lorsqu'il s'agira de crise de démence aigüe et rejetée, en termes de méfiance, pour une dépression.

Les auteurs constatent l'importance des notions de défiance et de confiance qui influencent le processus de reconnaissance. L'opinion générale concernant folie et psychiatrie oscille entre deux courants, l'un consacré aux traitements doux pour éviter d'enfermer, l'autre pour protéger et éloigner.

On note également une très forte demande d'information de la population à propos des structures psychiatriques et de leurs acteurs. E. Goffman a également réalisé une étude importante sur les institutions psychiatriques.[32] Il considère l'organisation de la vie hospitalière en psychiatrie comme une coupure avec le monde extérieur, présentant ainsi la vie institutionnelle comme envers de la vie normale, créant une rupture historique dans la vie de l'individu.

La hiérarchie sociale interne représentera également une autre coupure, les soignants symbolisant la norme, les règles en vigueur, en opposition à l'anormal, à la déviance.

R. Castel indique à ce propos dans la préface d' « Asiles » que l'on se trouve en présence d'une lutte de classes classique où « d'un côté se trouvent monopolisés le savoir, le pouvoir et la liberté et de l'autre, l'ignorance, la dépossession de soi et la dépendance..., dans un espace social dont toutes les caractéristiques imposent les déterminations majeures de la servitude...qui devenue nature est la conséquence paradoxale de la socialisation institutionnelle lorsqu'elle est menée à son terme. »

Nous indiquerons enfin que les thèses concernant le rôle historique de l'institution sont sujettes à controverses. Pour Foucault, le processus d'enfermement correspond à une volonté d'exclusion au nom de la raison triomphante. Mais Marcel Gauchet et Gladys Swain[33] affirment, quant à eux, que l'essor de l'asile est parallèle à l'essor de l'Etat-Protecteur et vise à intégrer l'Autre, le déviant, à prendre en charge les faibles et les démunis, lié en cela à l'avènement d'une société démocratique. Le « traitement moral » de la maladie instauré par l'aliéniste Philippe Pinel et particulièrement son surveillant Jean Baptiste Pussin accorde au fou le statut de malade (et non d'insensé). Le fou est d'abord un homme et doit donc être traité comme tel.

3) Des professionnels

Cette approche générale et succincte doit également évoquer les représentations concernant les professionnels et plus particulièrement les infirmiers. Dans une étude historique M. Jaeger[34] nous rappelle qu'à l'origine le personnel « infirmier » se confond avec les servants, les domestiques. L'image du gardien de fous dont la charge essentielle est de contenir les furieux et la divagation des infirmes est celle d'un individu dangereux, ignare, sans foi, ni loi, dépravé et violent, le plus souvent alcoolique. Néanmoins les infirmiers remplirent une fonction que ni les médecins, ni les religieuse ne pouvaient assumer et qui les rendaient indispensables : la maitrise physique des symptômes physiques de la folie. A la violence de la folie correspond à cette époque la violence des soignants.

Compte tenu de l'inscription profonde des représentations dans le langage et dans la tradition, abordé plus haut, il n'est pas étonnant que cette image quoique considérablement modifiée perdure tout de même dans des aspects tels l'absence de savoir, une apparence physique de nature marginale, voire les rapports de force physique avec les malades.

Et cette image du gardien de fou pèse encore lourdement dans la perception négative que beaucoup ont de la psychiatrie. (Jaeger, 1989) Ces représentations et la perception de l'hôpital comme institution totalitaire amèneront Goffman à préciser que « chaque groupe tend à se faire de l'autre une image étroite stéréotypée et hostile, le personnel se représentant le plus souvent les reclus (les malades) comme des êtres repliés sur eux-mêmes, revendicatifs et déloyaux, tandis que le personnel paraît aux reclus condescendant, tyrannique et mesquin. Alors que le personnel à tendance à se croire supérieur et à ne jamais douter de son bon droit, les reclus ont tendance à se sentir inférieurs, faibles, déchus et coupables. »

4) De l'image, des médias, de l'opinion publique

« Tout ce qui touche à la folie renvoie à des données trop profondes

pour que l'on s'illusionne

sur l'efficacité de la simple information. »

M. Jaeger 1989

Gérard Massé[35] dans son rapport au ministre de la Santé souligne que l'image de la psychiatrie est un enjeu considérable pour donner un nouveau souffle à cette discipline qui souffre d'une image négative dans les représentations sociales à plusieurs niveaux : la maladie mentale, les lieux de soins, la psychiatrie et les patients eux-mêmes. Il indique également que certes, l'asile dérange mais il protège et rassure, bien que la psychiatrie soit considérée par l'opinion publique soit comme trop répressive, soit comme trop laxiste.

L'enquête réalisée pour le SICOM[36] montre que l'opinion publique associe (à 70%) la maladie mentale à la folie. Elle associe également les débiles mentaux, les dépressifs, les mongoliens ainsi que les « meurtriers » dans la catégorie des malades mentaux. Elle ne considère la dangerosité et l'enfermement nécessaire que dans 25% des cas.
Public et professionnels s'accordent pour souligner la fréquence des maladies mentales, leur inacceptation par la société, l'insuffisance d'information et de médiatisation due à la concurrence d'autres causes plus porteuses d'espoirs.

On note également une attitude de méfiance et de scepticisme de la part des médecins généralistes, qui ne connaissant pas les institutions psychiatriques, craignent de ne plus pouvoir suivre un malade hospitalisé (comme si celui-ci disparaissait), et attendent que ces institutions fassent la preuve de leur efficacité.

Les représentations sociales sont de nos jours principalement véhiculées par les médias. La folie est ainsi régulièrement "traitée" par la télévision. Partant de l'hypothèse qu'à la fin des années 70 la folie avait dépassé le cadre des faits divers pour obtenir des plages de programmation importantes à des heures de grande écoute, G. Azémard[37] montre que l'on peut distinguer trois périodes de traitement de la folie par la télévision :

- La période 77-79 où une mobilisation politique et théorique prône la désinstitutionalisation, particulièrement avec les émissions de D. Karlin.

- Puis 1982 qui voit apparaître une embellie dans la programmation "psy" à la télévision,

- les deux dernières années référencées dans l'étude correspondent à une période d'essoufflement. D'après l'auteur, l'évolution significative des représentations se fait dans le mouvement de fond des grandes émissions qui s'astreignent à la vulgarisation scientifique.

Un film vidéo relatif aux « psychiatres et la télévision »[38] indique que les reproches du public s'articulent autour de deux axes principaux : d'une part la psychiatrie fait plus de mal que de bien et l'hospitalisation a des effets désastreux, d'autre part la psychiatrie est incompréhensible et les psychiatres s'expriment dans un langage nébuleux. Les psychiatres indiquent quant à eux qu'il ne faut pas se montrer plus savant qu'on est.

Un autre document vidéo, « Le psychiatre, la folie et le cinéma »[39] montre que les images le plus souvent présentées concerne quatre domaines :

- Le premier évoque une représentation très forte de l'enfermement (murs, trousseaux de clés, grilles, évasions).

- Le deuxième aborde le comportement des professionnels perçus comme des gardiens intolérants et brutaux.

- Le troisième situe la perception des thérapeutiques comme systématiquement contraignantes, voire agressives (injections effectuées de force, camisole, baignoires fermées, jets d'eau, électrochocs, lobotomie).

- Le dernier présente les malades comme des individus au regard fixe et perdu, tricheurs, délirants, agités et bruyants.

Dans un dernier document[40], les médecins généralistes indiquent qu'ils perçoivent la psychiatrie comme trop carcérale, les efforts à faire nombreux et leurs rapports avec les psychiatres souvent étranges.

Dans la presse écrite, trois versants sont régulièrement développés[41] :

- L'image du malade mental, classiquement identifié à un homme, célibataire, âgé d'environ quarante ans, perçu dans les années 70 comme un déséquilibré, forcené, assassin.

- Le psychiatre : comme expert il est considéré compétent,

- comme thérapeute il est considéré comme incompétent, irresponsable voire pervers et « fou comme ses malades ». L'institution caractérisée par l'asile qui fait peur.

Deux quotidiens acceptent d'aborder régulièrement le problème de la souffrance psychique, Le Monde et Libération.

Enfin, les conclusions récentes d'un rapport remis au ministre de la Santé[42] indiquent :

« S'il est éminemment difficile d'agir sur les représentations sociales de la psychiatrie, celles-ci sont largement entretenues par les relais d'opinion. En effet le caractère péjoratif de l'image de la psychiatrie est renforcé par une action médiatique orientée vers le spectaculaire et non vers la sensibilisation voire de simple information sur la santé et/ou les maladies mentales. Dans cette mécanique négative, l'institution et les acteurs de la santé mentale eux-mêmes contribuent parfois à entretenir cette situation. »

« Les troubles psychiques pâtissent d'une image extrêmement négative dans l'esprit du grand public. En fait ce sont les gens souffrant de troubles psychiques qui sont gravement pénalisés. (...) La souffrance psychique dérange, fait peur, ou pire, n'est pas crédible. (...) Les représentations des "maladies mentales" engendrent la peur, donc l'intolérance et l'exclusion. La rançon pour les patients, c'est la honte, le retard dans les soins, les difficultés de réinsertion. (...)

Les représentations fausses sont bien évidemment le résultat d'une absence d'information ou d'une information erronée. Le "malade mental", comme on dit de manière globale, mélangeant dans une fraternelle confusion toutes les formes de souffrance psychique, est dangereux et incurable. Il est interné dans des asiles où il est soigné (sans que l'on sache bien de quels soins il s'agit) par des gens que l'on appelle les "psy" et qui sont en général aussi fous que leurs malades. Les mots "maladies mentales" pèsent d'un poids très lourd. Le public ne sait pas que 800 000 personnes sont suivies en France dans le seul secteur public pour troubles psychiques dont 73 000 sont hospitalisées tous les ans. Le public ne sait pas que personne n'est à l'abri et qu'aujourd'hui 25% des Français connaissent dans leur entourage quelqu'un qui est en difficulté. Le public ne sait pas que la souffrance psychique va du chagrin d'amour à la schizophrénie en passant par toutes les conséquences traumatisantes des accidents de parcours de l'existence... »[43]

SYNTHÈSE PARTIELLE

Si les réflexions concernant la société sont anciennes, les sciences sociales se sont considérablement développées au cours du 19ème siècle. Les recherches dans ce domaine sont le plus souvent comparatives et uniquement valables pour un groupe et dans un contexte donné. Elles tentent de distinguer de façon objective les différences et leurs causes, le normal du pathologique.

Les représentations sociales, mélanges de concepts, images et perceptions, au carrefour de nombreuses voies, concernent les interactions entre les groupes, entre les groupes et les individus, et se réfèrent pour cela aux cultures et aux traditions, la santé et la maladie étant de ce point de vue, des objets d'étude particulièrement éloquents.
La folie, phénomène complexe aux perceptions multiples, a toujours été présente dans les représentations collectives. Pouvant être perçu symboliquement comme l'envers de nous-même, capable éventuellement de prendre notre place et nous la sienne, le "fou" amène le groupe social à élaborer un ordre social précis pour se différencier et se protéger de toute tentative d'assimilation.

Cette volonté de protection très présente dans l'opinion publique et relayée en cela par les médias, se rencontre également dans les institutions psychiatriques et chez les différents acteurs professionnels.

« La peur du fou est ainsi profondément inscrite dans notre culture.

Le fou, personnification de la déraison depuis la Révolution française,

est conçu comme invivable car pouvant,

en droit, prendre notre place et nous la sienne. »

M. Gauchet et G. Swain
La pratique de l'esprit humain

L'ENQUÊTE

« Le questionnaire est le moyen de communication essentiel

entre l'enquêteur et l'enquêté... »
Grawitz, 1984

OBJECTIFS

Pour traiter ce sujet, il nous apparaissait important de « rencontrer » les professionnels. Important pour confronter des stéréotypes de la folie aux acteurs eux-mêmes. Important aussi, pour tenter d'évaluer, au plus près du terrain, le niveau d'influence de ces représentations.

CHOIX DE LA MÉTHODE

Pour atteindre ces objectifs nous avons choisi d'utiliser un questionnaire.
Nous avons privilégié un envoi en grand nombre pour les raisons suivantes :

- D'une part parce qu'il nous semblait que l'identification d'opinions générales nécessitait, pour être fiable et représentative, que celles-ci soient partagées par un grand nombre d'individus, d'origine géographique et institutionnelle différentes.

- D'autre part l'opportunité d'utiliser un traitement informatique de ces informations et donc la confrontation à une expérience et une méthode nouvelle pour nous. Méthode qui demandait un nombre important de réponses pour être utilisable.

Enfin, la possibilité, compte tenu d'activités associatives personnelles de solliciter la participation de collègues « relais » pour diffuser et récupérer les questionnaires.

LE QUESTIONNAIRE

a) Élaboration

Pour élaborer ce questionnaire nous avons procédé de la manière suivante :

-Nous avons d'abord identifié des représentations communes en matière de folie et de psychiatrie. Puis nous les avons associées à la pratique professionnelle. Nous avons ainsi formulé des questions ayant une double caractéristique, aborder les représentations et se référer à la pratique infirmière.

-Pour faciliter le traitement envisagé et ne pouvant assurer nous-mêmes les entretiens, nous avons choisi des questions pour la plupart, fermées, laissant toutefois la possibilité de commentaires en annexe.

- Puis nous avons groupé les questions par thème (violence, soins...), et avons tenté de les hiérarchiser.

- Nous avons enfin testé le questionnaire auprès de 10 personnes, ce qui a permis de le modifier et d'en établir une version définitive, après avis technique des conseillers de ce travail. Cette version comprend 31 questions dont 6 factuelles, auxquelles il faut ajouter 3 questions ouvertes (2 visant à préciser des réponses, 1 pour d'éventuels commentaires complémentaires).

- Nous avons enfin adjoint une lettre d'accompagnement déterminant le cadre de la démarche.

b) Diffusion et retour

Après avoir contacté par téléphone les personnes « relais » sollicitées pour la diffusion et la récupération du questionnaire, 1200 exemplaires leur ont été envoyé dans 24 établissements répartis principalement dans le sud, le centre et l'est de la France, ainsi qu'en Ile de France.

Compte tenu des délais nécessaires pour la saisie informatique, une date butoir de retour fût fixée. À cette date, ont répondu 16 établissements qui ont renvoyés 740 questionnaires exploitables.

Les 8 établissements restant, ont précisé ne pas pouvoir être dans les délais et retourneraient les questionnaires ultérieurement.

c) Mode de traitement

Le traitement informatisé des réponses fût mis en œuvre à l'aide du logiciel "Modalisa".
Cela nécessita d'une part la saisie des questions et des réponses possibles puis une opération d'encodage de celles-ci, le logiciel offrant la possibilité de traitement, (une fois tous les questionnaires enregistrés), sous forme de tris à plat, de tris croisés traduits si besoin par des graphiques.

TRAITEMENT ET RÉSULTATS

a) Caractéristiques de l'échantillon

Les questions factuelles permettent de caractériser l'échantillon de la façon suivante :

1.Vous êtes :

Sur les 740 soignants ayant répondu, on trouve 547 infirmiers (soit 74,4%), 185 cadres (soit 25%) et 7 infirmiers généraux (soit 1% environ).
Ces chiffres peuvent être considérés comme représentatifs des statistiques nationales fournies par le ministère de la santé.

2.Ancienneté de diplôme infirmier :

521 personnes (soit 70,4%) ont 11 ans et plus d'ancienneté de diplôme. Il y aurait vraisemblablement eu un intérêt supplémentaire à caractériser cette ancienneté de 11 à 15 ans puis de plus de 15 ans pour une meilleure appréciation de l'âge du professionnel. 3. Vous êtes :

En effet, la question 3 nous montre que 540 personnes (soit 73%) ont plus de 36 ans, dont 253 (soit 34,2%) ont plus de 46 ans.
Nous pouvons donc considérer que la population concernée est sur un plan professionnel assez âgée.

4.Vous êtes :

Les femmes représentent 505 individus (soit 68,2 %) de l'échantillon, ce qui comparé, aux statistiques nationales du SESI (1) peut être considéré comme représentatif.

5. Région :

La répartition géographique ne peut être considérée comme significative, les réponses étant principalement localisées sur le centre et l'île de France,351 et 281 réponses (soit respectivement 47% et 38%).

6.Vous exercez :

Enfin, 465 personnes, soit 63% travaillent en intra- hospitalier.
On constate sur ce point une évolution des pratiques et des modes de prises en charge. En effet la proportion de soignants qui travaillent strictement en intra- hospitalier diminue au bénéfice de ceux qui travaillent en intra et extra, c'est à dire 154 personnes, soit 21%.
Nous pouvons peut être constater ici une plus grande mobilité professionnelle.

a) Résultats

Les résultats sont déterminés question par question à l'aide de tris croisés effectués à partir de l'ancienneté de diplôme, du sexe des individus, et du lieu de travail (intra, extra, les deux).

Q7: Pensez-vous que la maladie mentale:

Les individus pensent majoritairement que la maladie mentale ne se guérit pas (82,7%). On constate un faible % de sans avis. Les perceptions étant différentes selon les maladies mentales (cf folie et dépression), il aurait été souhaitable de souligner ces différences dans la question.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Le "pessimisme" s'accroît avec l'ancienneté. Les sans avis sont plus nombreux en début de carrière.

Par rapport au genre :

Les femmes sont plus pessimistes que les hommes. Les représentations de la dangerosité, donc de la gravité des maladies mentales, sont peut-être plus fortes chez les femmes.

Par rapport au lieu d'exercice :

Les écarts sont faibles (de 2 à 3%). Mais la maladie se guérit plus en intra, ce qui peut paraître paradoxal, l'intra étant le lieu des pathologies les plus « lourdes » et d'une chronicité plus importante.

Q8: Les maladies psychiatriques nécessitent en général des soins :

95% évaluent la nécessité de soins de plusieurs années à toute la vie. Ceci concorde avec l'approche non guérissable de la maladie, donc impliquant des soins constants.
La guérison en quelques semaines apparaît quasiment inenvisageable (0,7%).

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Plus on est ancien, plus on pense que les soins seront longs. On relève une nette augmentation de cette opinion à partir de 10 ans de carrière. Cela est à associer au constat, pour les anciens, de fréquenter les mêmes malades depuis longtemps, voire pendant toute une carrière.

Par rapport au genre :

Les femmes sont plus pessimistes que les hommes. On remarque un écart important pour une durée de soins toute une vie (10%). On retrouve ici le lien avec la notion d'incurabilité évoqué en Q7.

Par rapport au lieu d'exercice :

Le lieu de travail n'a pas d'influence importante sur cette perception tout de même un peu moins marquée en extra hospitalier.

Q9: Beaucoup de personnes se trouvent en psychiatrie non parce qu'elles sont malades mais parce qu'aucune autre structure ne peut les accueillir. Etes-vous :

Avec 56% d'opinions favorables, on retrouve ici la vocation de lieu de vie de l'hôpital psychiatrique. En l'absence d'un nombre suffisant d'autres structures (MAS, CHRS...), l'hôpital conserve une fonction sociale.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Cette opinion est à peu près stable pendant la carrière, excepté un fort % de sans avis chez les plus jeunes, sans doute dû à une absence d'expérience
L'hypothèse de la longue fréquentation des malades (habitude) et de la stabilisation des pathologies est peut-être un indicateur de renforcement, les malades pouvant être alors considérés comme n'ayant plus leur place à l'hôpital.

Par rapport au genre :

Les femmes plus d'accord mais aussi plus "sans avis" que les hommes.

Par rapport au lieu d'exercice :

L'extra hospitalier n'ayant pas de vocation à l'hébergement durable, la perception du lieu de soins comme lieu de vie est ici beaucoup moins sensible. Ceci explique un écart de 20%.

Q10: On entend souvent dire qu'une partie des patients pris en charge ne sont pas réellement malades mais sont plutôt installés à l'hôpital.

17% considèrent ces malades nombreux. L'hôpital assume peut-être ici encore une fonction sociale. Mais la majorité (78%) estime qu'il ne faut pas y voir une volonté délibérée de vivre à l'hôpital.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Plus l'expérience professionnelle augmente moins on estime nombreux les patients "installés". Cette expérience favorise sans doute une meilleure lisibilité de la pathologie, donc un plus grand discernement d'éléments diagnostiques non perceptibles au départ.

Par rapport au genre :

Les femmes sont nettement plus favorables que les hommes à cette perception.

Par rapport au lieu d'exercice :

Le faible % des "nombreux" chez les individus qui travaillent dans les deux est assez surprenant (10%) et de plus inférieur à l'extra. Le travail dans les deux types de structure favorise une approche plus globale et peut-être une distance plus importante vis à vis des représentations. Les "nombreux" sont majoritaires en intra. Il y a peut-être un lien entre la notion d’»installé" et celle de chronicité.

Q11: En psychiatrie, pensez-vous qu'il est possible de mesurer l'efficacité des soins:

La capacité à mesurer l'efficacité des soins apparaît sans équivoque (75%). On peut associer ce résultat à l'implantation importante, ces dernières années de la notion d'évaluation et des actions réalisées dans ce domaine mais peut-être aussi à un discours défensif vis à vis des professionnels "non psy" qui considèrent cette évaluation impossible et de l'opinion publique qui ne sait pas trop de quel soins il s'agit. On remarque un % de sans avis assez important (8,5%) attestant de la persistance d'un doute à ce propos de cette efficacité.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme:

Malgré un fléchissement pour la catégorie 1 à 5 ans (attribué peut-être au constat d'un décalage entre l'apprentissage théorique récent et la réalité du terrain ), le taux est stable.
L'absence d'opinion augmente avec l'ancienneté.

Par rapport au sexe:

Ici encore les hommes sont plus optimistes que les femmes.

Par rapport au lieu d'exercice:

La position majoritaire de l'extra (85%), est sans doute liée à la nature des pathologies prises en charge. L'intra est plus le lieu des psychoses anciennes et "stabilisées" où le maintien de cette stabilité n'est sans doute pas considéré comme indicateur d'efficacité des soins, la mesure se situant à long terme.

La position de l'extra est assez déterminée, les sans avis étant les plus faibles.

Q12: Face à la maladie mentale les infirmiers se sentent:

Seuls 63% se sentent efficaces, renvoyant à l'incurabilité de la maladie mentale. Si l'on associe les sans avis on peut penser que 36% des personnes interrogées ne savent pas si ce qu'elles font a une quelconque utilité. Ceci est étonnant, comparé à Q11 où 75% pensent pouvoir mesurer l'efficacité.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

L'absence d'avis reste important tout au long de la carrière et très important en début, par manque d'expérience. On note que le sentiment d'efficacité augmente avec l'ancienneté. Il serait sans doute intéressant de développer cette notion.

Par rapport au genre :

Les femmes se sentent plus impuissantes et sans avis que les hommes.

Par rapport au lieu d'exercice :

On se sent plus efficace en extra hospitalier qu'en intra mais il faut noter que ce sont les individus qui travaillent dans les deux à la fois qui se sentent nettement plus efficaces pour des raisons dues là encore à une approche plus large et systémique des prises en charge. De plus le sentiment d'impuissance est plus fort là où se trouvent les pathologies les plus "lourdes".

Q13: Les soignants en psychiatrie doivent-ils avoir un rôle de protection de la société:

Les avis sont partagés de façon sensiblement identique. Si le rôle de protection de la société se ressent par rapport aux hospitalisations sous contrainte, la perception peut être différente selon que l'on se place du point de vue des malades hospitalisés contre leur gré à leur entrée (environ 10% des admissions) ou présents dans l'établissement (environ 35%)

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Plus on est ancien, plus on est d'accord mais les sans avis sont assez importants. Les jeunes, plus en désaccord, associent plus difficilement cette fonction à la notion de soins, seule développée en formation. En fait ils peuvent considérer être là pour soigner, non pour "enfermer".

Par rapport au genre :

Peu de différence significative à ce propos.

Par rapport au lieu d'exercice :

L'accord plus important en intra s'explique par le fait que l'extra est beaucoup moins confronté aux HO et HDT.

Q14: Vis à vis de l'agressivité des patients le travail infirmier en psychiatrie nécessite une vigilance :

Presque 60% considèrent cette vigilance très importante. On peut voir ici une éventuelle persistance de l'image du fou par nature dangereux et violent. Ce que confirmerait la faiblesse du % de la catégorie "insignifiante"

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Cette image très forte en début de carrière (68%), s'atténue avec les années, mais assez peu, restant largement supérieure à la moyenne. Les années de pratiques professionnelles tendraient à modifier la représentation.

Par rapport au genre :

Les femmes sont plus sensibles à l'agressivité potentielle. La notion de violence étant culturellement associée à l’homme, les femmes apparaissent plus fragiles sur ce plan, et souhaitent donc davantage s'en prémunir.

Par rapport au lieu d'exercice :

L'intra est plus sensible à la notion de violence car plus souvent confronté aux situations qualifiées de difficiles sur ce plan. En effet, c'est l'hospitalisation intra qui accueille plus particulièrement les situations de crise et les pathologies les plus "lourdes".

Q15: Dans l'élaboration des projets de soins la violence est-elle une donnée à prendre en compte:

La tendance est ici plus nuancée, "parfois" étant majoritaire (57%) Ceci peut être attribué à la nature de la question qui porte plus sur la pratique concrète que sur des considérations générales relatives à la maladie mentale. La position "jamais" est insignifiante (0,5%).

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

L'ancienneté n'a pas d'incidence particulière.

Par rapport au genre :

Les femmes sont une nouvelle fois plus sensibles que les hommes à cette notion, dans tous les cas de figure.

Par rapport au lieu d'exercice :

On retrouve ici les mêmes tendances que pour la question précédente, et pour les mêmes raisons.

Q16: Lorsqu'on distribue les médicaments, doit-on faire attention aux problèmes de dissimulation:

La dissimulation est perçue comme constante dans 70% des réponses. On peut voir ici, un lien direct avec la représentation du fou menteur et tricheur évoquée dans la première partie.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

L'image semble forte car l'ancienneté n’exerce aucune influence.

Par rapport au genre :

De nouveau la perception est plus forte chez les femmes.

Par rapport au lieu d'exercice :

En extra hospitalier les malades se préoccupent le plus souvent eux-mêmes de leur traitement, leurs rapports avec les soignants, à ce propos, concernent les traitements retard et la délivrance d'ordonnances par les médecins. La confrontation à la dissimulation éventuelle ou imaginaire est moins présente.

En intra, ce sont les infirmiers qui commandent, préparent, distribuent, et contrôlent les traitements.

Q17: Les infirmiers sont souvent obligés de lutter contre l'oisiveté des patients. Êtes-vous:

La nécessité de lutte contre l'oisiveté recueille une très forte majorité (71%) qu'il faut associer à la représentation du fou tricheur (Q16) et ici fainéant. Les sans avis représentant tout de même 9%.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

L'ancienneté joue peu sauf en tout début de carrière où cette notion est moins présente.

Par rapport au genre :

Les femmes expriment une position de nouveau majoritaire.

Par rapport au lieu d'exercice :

La notion d'oisiveté est nettement moins perçue par l'extra hospitalier où les patients ne viennent qu'une partie de la journée. Leurs relations et activités avec l'extérieur sont plus nombreuses et fréquentes. Ils ne vivent pas dans les lieux à temps complet, avec les soignants. L'apragmatisme inhérent à la psychose est un indicateur moins présent de façon constante.

Les soignants de l'intra sont tout au long de la journée confrontés à cette pseudo passivité qui renvoie à l'inactivité, donc à l'oisiveté, donc au stéréotype de fainéantise.

Q18: Les soins infirmiers en psychiatrie sont plutôt de nature :

L'aspect psychologique arrive en premier lieu, puis médical et en dernier rang mais assez proche l'aspect social. Les 73 sans réponses correspondent à une absence de hiérarchisation demandée des réponses.

Bien que la psychiatrie se situe dans le champ de la médecine, la notion psychologique prévaut car elle fait écho à la dimension relationnelle des soins infirmiers, tandis que le médical est plus assimilé à une approche biologique , donc somatique, du patient. Le social, très présent, confirme le rôle social attribué à l'hôpital psychiatrique (au sens de l'hébergement).

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

L’ancienneté n'a pas d'influence particulière à ce niveau.

Par rapport au genre :

Pas de différence ici non plus si ce n'est une approche légèrement plus médicale pour les hommes.

Par rapport au lieu d'exercice :

Choix psychologique plus marqué en extra, sans doute influencé par des prises en charges plus individuelles, une fonction hôtelière moins importante, et donc un travail relationnel individuel plus développé.

Le critère social nettement plus éloigné, cette vocation étant, ici, absente.

Q19: Le travail infirmier en psychiatrie comporte une partie hôtelière:

La perception d'un travail hôtelier important est forte, voire très forte dans 35% des cas. On peut confirmer le poids de la fonction lieu de vie de l'hôpital.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

On note une fluctuation de cette notion au long de la carrière, comme si l'attention des professionnels oscillait, par période entre un intérêt pour les soins et un intérêt pour la fonction lieu de vie. On remarque également une baisse régulière du choix de l'item "insignifiante"

Par rapport au genre :

Les femmes sont plus réceptives que les hommes à l'argument hôtelier.

Par rapport au lieu d'exercice :

Le critère "important" est plus faible en extra car la fonction hôtelière y est beaucoup plus limitée.

Q20: Cette fonction hôtelière est-elle:

Si 25% souhaite l'éviter, cette fonction est considérée indispensable par 58%
On note une différence importante avec le travail en hôpital général où les infirmiers centrent l'essentiel de leur fonction sur le soin. On constate donc une appropriation de cette dimension chez les infirmiers "psy". Mais est-ce pour assumer la mission sociale de l'hôpital ou pour éviter que d'autres catégories de personnel viennent les remplacer sur ce plan ? Enfin, le nombre des sans avis est assez élevé (15%).

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Plus on est ancien plus on considère la fonction hôtelière indispensable. On peut penser que les jeunes sont plus favorables au soin dont les techniques, développées en formation sont sources de valorisation. Ces techniques revêtent moins d'importance avec le temps et permettent de mettre l'accent sur une approche plus humaine et sociale.

Par rapport au genre :

Les sans avis sont plus importants chez les femmes qui confèrent un caractère moins indispensable que les hommes à cette fonction. Les femmes centrent plus leur rôle professionnel sur le soin peut-être pour se situer à contrario d'une fonction hôtelière que culturellement on leur attribue.

Par rapport au lieu d'exercice :

L'extra, moins confronté à cette fonction exprime le % le plus faible.

Q21: De manière générale les infirmiers sont confrontés à l'agitation des patients:

46% considèrent cet état de fait fréquent mais il aurait sans doute fallu préciser ce qui était entendu par agitation, l'aspect surprenant étant 1 seule réponse pour le critère "jamais".

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Moins citée en tout début de carrière, la fréquence diminue de plus en plus avec les années. Cette baisse peut être due au fait qu'' on y prend moins garde avec le temps ou que ce qui semblait de l'agitation n'apparaît plus comme tel mais comme un élément diagnostic plus "scientifique" comme par exemple dans le cas des phases maniaques.

Par rapport au genre :

Les femmes perçoivent l'agitation plus fréquente que les hommes. En regard des questions précédentes on constate que les femmes ont une lisibilité plus forte des manifestations pathologiques de cette nature, qui les heurtent peut-être plus.

Par rapport au lieu d'exercice :

Les phases aiguës de la pathologie étant plus représentées en intra, l'extra est bien moins sensible à ce critère (28%), les individus travaillant dans les deux structures se situant à l'intermédiaire (47%).

Q22: Dans la majorité des cas les médicaments prescrits ont pour principal objectif de calmer les patients. Etes-vous :

Les avis sont très partagés et semble-t-il assez représentatifs de ceux de la population. On note tout de même que 49% associent le traitement à la sédation de troubles tels l'agressivité ou l'agitation, objectif unique des premiers neuroleptiques (1952), pourtant secondaire de nos jours.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Si l'objectif de calmer, du traitement est fort en début de carrière (54%), elle s'atténue très vite (38%), pour remonter ensuite régulièrement jusqu'à 50%, les sans avis diminuant progressivement.

Par rapport au genre:

Les points de vue sont sensiblement équivalents pour les hommes et les femmes.

Par rapport au lieu d'exercice :

Le contexte pathologique plus "lourd" en intra semble ici encore avoir une influence, l'extra étant majoritairement contre (51%), avec un taux de sans avis élevé. On remarque, fait surprenant, que les "d'accord" sont majoritaires chez ceux qui travaillent dans les deux structures, alors que cette catégorie tendait à pondérer les deux premières.

Q23: Fermer à clé les portes de l'unité de soins:

La fermeture des portes est nécessaire pour 75% des individus, dont 60% pour protéger le patient. On peut lier ces résultats à la volonté historique de mise à l'écart de la société, et de non-divagation des malades.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

L'enfermement nécessaire est très fortement perçu par les jeunes professionnels (près de 80%). Mais plus on est ancien, moins on considère que cela protège le patient et plus cela rassure les soignants. Ceci est paradoxal, l'expérience développant, à priori, l'assurance. Peut-être peut-on voir ici l'utilisation d'une solution moins contraignante (surveillance constante). Enfin 17% environ considèrent la nécessité de fermer inutile.

Par rapport au genre :

La protection du patient est majoritaire chez les femmes mais l'inutilité majoritaire chez les hommes.

Par rapport au lieu d'exercice :

La fermeture des portes est une pratique exclusivement intra, ce qui explique l'écart de 14%, mais les 56% indiquent la persistance de l'image. On note un fort taux d'inutilité pour "les 2".

Q24: L'isolement d'un patient s'accompagne la plupart du temps de sa mise en pyjama et de la suppression de tout objet dangereux pour lui ou pour les autres (lacets, briquets, etc.):

Avec 81% de réponses favorables, on voit apparaître la notion de sécurité avec son aspect carcéral, et le problème de responsabilité qui renvoie à la fonction de régulation sociale dévolue à la psychiatrie.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

La tendance reste la même au cours des années, avec une nouvelle fois un effet de balancier entre le tout début de carrière (92%) où il n'y a aucun avis contre, et la période qui suit immédiatement (78%).

Par rapport au genre :

Les femmes semblent plus réceptives a la notion de sécurité, qui est associée à la violence et la dangerosité, comme pour Q14 et Q15. Les sans avis sont également moins important que pour les hommes.

Par rapport au lieu d'exercice :

L'extra n'est pas confronté aux situations d'isolement essentiellement assumées par l'intra. La différence est donc nette entre les deux structures. Mais 68% est un taux important, en l'absence de cette confrontation, indiquant ainsi que les représentations à ce propos, bien qu'atténuées par le lieu d'exercice, restent fortes dans la profession.

Q25: D'après vous les entretiens thérapeutiques sont:

Lorsqu'on aborde la pratique du soin sous ses aspects, disons positifs et concrets (les stéréotypes étant moins sollicités), les résultats sont sans équivoque. 89% estiment les entretiens efficaces, alors qu'ils n'étaient que 75% pour la mesure de l'efficacité, et que 40% se sentaient soit impuissants soit sans avis vis à vis de la maladie.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Les nouveaux diplômés sont unanimes (100%) la perception d'efficacité de l'entretien reste très importante, malgré un fléchissement dans la période 6 à 10 peut-être dû comme dans nombre de questions précédentes, à une légère lassitude ou baisse de motivation passagère et fréquente après quelques années de carrière.

Par rapport au genre :

Le genre n'influence pas les réponses à cette question.

Par rapport au lieu d'exercice :

Les réponses favorables sont supérieures en extra où la pratique de l'entretien est très développée, mais supérieures également pour les sans importance (6%), ce qui peut sembler paradoxal, ou expliquée par le fait que cette pratique étant courante, elle entraîne une relativisation plus conséquente.

De plus, le taux le plus élevé se trouve pour "les 2".

Q26: Dans l'avenir les soins infirmiers en psychiatrie évolueront:

Si 68% pensent que les soins infirmiers en psychiatrie évolueront beaucoup, 23% sont néanmoins sans avis à ce propos. De plus on ne sait dans quel sens cette évolution est perçue. Enfin cela peut également indiquer que ces soins sont actuellement peu évolués. On considère d'ailleurs que c'est la pratique qui fait évoluer l'image et non le titre (cf Q31).

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Ici le recul de l'expérience permet de voir le chemin parcouru et donc d'envisager la continuité de cette progression. Ce qui peut expliquer la croissance constante des taux avec l'ancienneté, excepté pour la tranche 1 à 5 (pour les raisons évoquées en Q25)

Par rapport au genre:

Les femmes semblent de nouveau plus "pessimistes", y compris pour les sans avis.

Par rapport au lieu d'exercice :

Une nouvelle fois ce sont les individus qui travaillent dans les deux structures qui envisagent nettement une évolution importante (78%) les sans avis étant franchement moins nombreux que dans les autres catégories.
Cette situation professionnelle semble exercer une influence signifiante sur les perceptions des soignants.

Q27: Si un membre de votre famille avait un problème psychiatrique, l'hospitaliseriez-vous dans votre service:

Les réponses sont sans appel, 71% étant contre. L' "utilisation" de la psychiatrie ne se perçoit que pour les autres, pas pour soi. L'idée d'être assimilé aux fous, de faire partie du monde d'en face n'est pas envisageable. Les sans avis sont d'ailleurs relativement peu importants (9%).

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

La fréquentation de la folie, donc sa démystification, atténue progressivement le phénomène de rejet de façon significative (92% à 68%). Les nouveaux diplômés expriment une opposition déterminée (aucun sans avis).

Par rapport au genre :

Les femmes sont nettement plus opposées que les hommes avec 8% d'écart.

Par rapport au lieu d'exercice :

L'extra est plus nuancé. On peut y voir deux raisons : d'une part les pathologies les plus aiguës, ou "lourdes", se trouvent en intra, d'autre part les conditions d'accueil hôtelier ont été pendant longtemps (et sont encore parfois) de qualité médiocre, ces raisons renforçant l'image négative de la folie et surtout des institutions.

Q28: Indiquer que l'on est infirmier "psy" à des personnes extérieures au milieu professionnel est:

La tendance générale est à l'indifférence (61,5%), les individus ne percevant pas d'intérêt particulier à préciser leur domaine d'exercice professionnel. N'y a-t-il pas là une forme de banalisation de la fonction liée à l'évolution de la profession ou à sa perception sociale ? Les 23% "valorisant" sont-ils à mettre en rapport avec une perception d'ascension sociale liée au métier et au milieu social d'origine ? De plus, est-ce l'aspect infirmier ou l'aspect "psy" qui est déterminant ?

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Pour les jeunes professionnels plus sensibles que les anciens à ce propos, indiquer leur spécialité renvoie peut être au souci de communiquer l'attrait un peu magique de tout ce qui relève du domaine psychologique.

Par rapport au genre :

Pas de différence notoire à ce propos, si ce n'est que les femmes souhaitent plus que les hommes éviter d'en parler.

Par rapport au lieu d'exercice :

C'est en intra que l'on souhaite le moins communiquer la nature de son domaine d'activité. Mais on note que ce sont ceux qui exercent dans les deux structures qui y voient la plus grande source de valorisation, et de façon très nette (30%).

Q29: Vis à vis des autres professionnels de la santé, l'infirmier psychiatrique est perçu de façon:

On remarque un net sentiment de dévalorisation vis à vis des autres professionnels, "autres" étant peut-être trop large. Le poids des représentations de l'historique de la psychiatrie et des professions infirmières DE et PSY est significatif. L'impression de ne pas être compris par les soins généraux (qui ont, de plus, des droits plus étendus) s'exprime encore beaucoup. (cf. presse professionnelle)

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

La perception positive augmente nettement avec l'ancienneté (9 à 20%). On retrouve une période de doute après quelques années (28,5% de sans avis), la perception négative culminant dans les premières années de vie professionnelle (78%).

Par rapport au genre :

Les femmes ont une perception plus négative que les hommes.

Par rapport au lieu d'exercice :

La différence se fait ici sur les sans avis plus importants en extra (28,5%), qui ne semble pas préoccupé par l'image donnée à l'extérieur. L'aspect négatif majoritaire en intra (64%) est sans doute associé à l'institution elle-même, dont l'image peut accentuer les complexes éventuels.

Q30: Vis à vis de la population l'infirmier psychiatrique est perçu de façon:

La perception positive, majoritaire (51%), est à lier à l'image que la population a de la profession infirmière en général.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

On devient plus positif avec les années, le taux de sans avis étant assez stable (légèrement décroissant) mais élevé (environ 26%).

Par rapport au genre :

La perception est plus négative chez les femmes qui de plus ont un avis plus marqué.

Par rapport au lieu d'exercice :

On constate une nouvelle fois que l'intra est moins réceptif à la nature de l'image donnée à l'extérieur (32% sans avis). Mais lorsque les avis sont exprimés, c'est en intra qu'ils sont le plus positif (54% pour 49%), ce qui peut paraître paradoxal.

Q31: L'obtention du diplôme d'État contribue-t-elle à modifier la perception de l'image de l'infirmier de secteur psychiatrique:

L'impact du DE sur l'image est estimé relativement faible. L'indifférence est importante (32%). Cela semble ne pas convaincre, en tous cas ne pas suffire pour une modification escomptée.

Par rapport à l'ancienneté de diplôme :

Le besoin de reconnaissance est marqué en tout début de carrière (52%), puis s'estompe, les professionnels étant à pied d'œuvre et exploitant les acquis de formation, pour enfin remonter après quelques années, des besoins supplémentaires en la matière se faisant de nouveau sentir.

Par rapport au genre :

Le besoin de reconnaissance est plus important chez les femmes (41% contre 34,5%). Cette différence peut se justifier par un souhait général de reconnaissance professionnelle des femmes, vis à vis des hommes.

Par rapport au lieu d'exercice :

C'est une des rares fois où un souhait de cette nature est plus fortement exprimé par l'extra. Mais se sentant déjà reconnu sur les bases fondamentales de leur pratique, il s'agit ici, d'un plus de reconnaissance à obtenir. Cette volonté est encore plus exprimée par ceux qui travaillent dans les deux structures.

Synthèse Cette recherche montre que les stéréotypes concernant la folie, le malade mental et l'institution restent présents dans la pratique des infirmiers en psychiatrie. Ceci s'accompagne de perceptions pessimistes ou réalistes, (selon l'interprétation que chacun donne), de la fonction de la psychiatrie dans la société, et d'un sentiment de déconsidération de la part des autres professionnels. On observe néanmoins une volonté de modifier ces perceptions et cette image.

Les maladies mentales sont toujours considérées sans guérison possible pour 90% des soignants qui sont amenés à se poser la question de l'utilité de leur action pour 40% d'entre eux.

On retrouve ici la maladie mentale perçue comme une fatalité contre laquelle on ne peut rien.

Les représentations de violence, dangerosité, agressivité restent très présentes (Q14,Q15, Q24) alors que seuls 3% des patients sont officiellement considérés potentiellement comme tels.

Si la majorité refuse de jouer un rôle de protection de la société (Q13), 75% trouvent utile de fermer les portes à clé (Q23), ce qui renvoie, au-delà de la volonté de protéger le patient, à la nécessité d'enfermer les malades mentaux à l'écart de la société.
Cela donne également à l'hôpital une fonction sociale, de lieu de vie et d'accueil de ces "exclus" (Q19, Q20).

Nous constatons également :

- que l'ancienneté de carrière tend à atténuer le poids des représentations sociales de la folie. Les représentations sont fortes en début de carrière, proches de celles de l'opinion publique puis se modifient, attribuant plus de place aux repères professionnels. La fréquentation de la folie incite donc à modérer l'influence de ces représentations.

- que les femmes sont nettement plus "pessimistes" et sensibles aux stéréotypes que les hommes, différences exprimées dans la quasi-totalité des questions.

Nous pouvons faire l'hypothèse, ici, d'un lien avec les rapports homme- femme, de notre culture et de nos traditions. Ainsi force physique, violence, et danger sont culturellement plutôt attribués aux hommes tandis que fragilité, faiblesse, sensibilité sont plutôt attribuées aux femmes. Ne parle-t-on pas, lorsqu'un délit est commis par un malade mental, du "dangereux forcené" lorsqu'il s'agit d'un homme et de "la malheureuse" lorsqu'il s'agit d'une femme.

- que l'intra est plus pessimiste que l'extra.

En effet, l'hôpital est une structure qui tend à vivre repliée sur elle-même, accueillant des situations pathologiques difficiles, l'aspect carcéral s'exprimant alors fortement et amenant les professionnels à adopter des pratiques allant dans ce sens, sans pour autant que cela émane d'une volonté délibérée.

L'extra hospitalier, ouvert sur l'extérieur inscrit dans le tissu social, n'assumant pas de fonction de lieu de vie, est par conséquent moins dépendant de ces représentations. Mais il est surprenant de constater que les individus qui travaillent simultanément dans les deux types de structures ont une vision encore plus large des choses, une approche plus systémique. On peut penser que la perception plus globale du système atténue la dépendance vis à vis des représentations.

Donc si l'on modifie les pratiques, on tend à modifier les représentations.
- que toutes les questions centrées sur des éléments concrets de la pratique recueillent des réponses nettement plus unanimes, le lien avec les représentations étant perçu moins fortement.

- que 90% des individus en s'opposant à l'hospitalisation d'un proche dans leur service (Q27, excepté parce qu'on ne peut être le thérapeute d'un de ses proches) semblent refuser l'éventualité de faire partie de l'autre monde (la folie) ou que cet autre monde les envahisse, la différence devant restée marquée et l'assimilation (au sens où Jodelet l'entend) impossible à envisager.

L'élaboration et le traitement du questionnaire ont soulevé les difficultés suivantes :
Tout d'abord, parvenir à différencier une formulation de questions portant sur l'image de la psychiatrie et la pratique professionnelle et non simplement sur l'image de la folie.

Ensuite, déterminer les stéréotypes suffisamment éloquents à confronter aux soignants, mais en évitant de trop heurter.

Enfin tenter de regrouper les questions par nature et les hiérarchiser.
Nous avons, compte tenu des réponses fournies, estimé des questions imprécises : la Q7 aurait pu aborder "les maladies mentales" et les différencier ; la Q26 aurait pu préciser le sens de l'évolution ; la Q27 aurait pu éliminer la possibilité d'être thérapeute du membre familial ; la Q29 aurait pu préciser de quels autres professionnels il s'agissait. De même, la Q23 aurait pu être hiérarchisée évitant ainsi les doubles réponses.
La lettre d'accompagnement du questionnaire aurait pu préciser davantage l'objectif de la démarche. La crainte d'influencer les réponses a peut-être entraîné un manque de précision.

Le traitement des questions ouvertes n'a pu s'effectuer sur un plan informatique, leur encodage s'avérant finalement trop complexe. Celles-ci ont été traitées par lecture et restitution de leurs orientations principales.

L'envoi des questionnaires, leur distribution et leur retour ont été perturbés par les congés de Pâques et une grève des postes. Ainsi 200 questionnaires n'ont pu être intégrés à temps dans l'enquête et le seront ultérieurement.

Nous pouvons également dire que la richesse des réponses nécessiterait un traitement plus approfondi et plus précis de chacune des questions, ce que nous n'avons pu faire ici mais que nous projetons également de mettre en œuvre dans les prochains mois.
Il convient enfin de faire un point sur les réactions que le questionnaire a suscitées.
En effet, 20 personnes environ, dont un tiers sur le même établissement ont jugé le questionnaire "réducteur; donnant une mauvaise image de la pratique infirmière en psychiatrie; idiot; sans rapport avec la réalité; méprisant pour les patients et les soignants; se demandant si l'auteur avait déjà travaillé en psychiatrie". D'autres ont été surpris, certains choqués. D'autres encore ont barré le terme "oisiveté" (Q17) pour le remplacer par un ? ou "apragmatisme".

Ces réactions sont intéressantes dans la mesure où, bien qu'étant trop peu nombreuses (20/740) pour influencer les résultats, elles sont représentatives, de l'impact possible des représentations, où l'image devient réalité et la réalité insupportable parce que porteuse d'images elles même insupportables. Les représentations sont parfois si fortes qu'il devient impossible de les évoquer sans gêne, les théories de soins s'érigeant alors en système de protection.

Cette démarche, que nous pourrions qualifier de première approche, et nécessitant donc un approfondissement certain, nous semble satisfaisante tant sur le plan de la méthode employée, que de la richesse du matériel recueilli. Mais les quelques réponses apportées ici ont suscité de nombreuses autres interrogations qui nous incitent à poursuivre dans cette voie.

CONCLUSION GÉNÉRALE PROVISOIRE

La folie est un domaine où les représentations sont fortes et multiples. L'image de la folie, de ses lieux et de ses acteurs demeure négative. Alors que la souffrance force traditionnellement le respect d'autrui, la souffrance psychique engendre plutôt rejet, peur et exclusion. Les maladies mentales exilent l'individu hors du champ social, son champ social et les professionnels contribuent malgré eux à cet exil. Alors si l'on se pose la question de savoir si les représentations sociales de la folie influencent la pratique des infirmiers en psychiatrie, la réponse est oui.

Mais si cette étude a permis de lever une partie du voile, elle a aussi montré ses limites car particulièrement dans ce domaine, les choses ne sont pas si simples que cela. La folie n'est pas singulière elle est plurielle, et il conviendrait, pour préciser la nature des représentations de caractériser les maladies mentales, les différents sens que nous leurs donnons, les interprétations que nous en avons et que ces précisions soient également demandées à l'opinion publique.

Il conviendrait également de préciser la nature des rapports que les professionnels ont avec la folie.

Mais il est certain que la souffrance mentale nécessite une prise en compte sociale collective indissociable du champ de la santé publique. Pour cela elle requiert la participation de tous les professionnels et aussi le soutien actif mais surtout éclairé de l'opinion publique.

Si l'on peut convenir au terme de cette étude qu'une modification des pratiques peut amener une modification des représentations, il est indispensable qu'un travail sur ces représentations et leurs incidences ait lieu dans toute formation de tout professionnel agissant de près ou de loin dans le champ de la santé mentale.

C'est pourquoi nous avons décidé de poursuivre cette étude en collaboration avec d'autres recherches similaires et d'autres partenaires sensibles à cette problématique.

La folie est à ce point ancrée dans les profondeurs de la nature humaine, suscite tant d'émotions partout où elle est évoquée qu'elle mérite que chaque professionnel s'interroge sur le sens et les incidences de son action, ne serait-ce que par simple respect du fou d'abord homme et citoyen.

Marc Livet


[1] Lire partout infirmier, infirmière

[2] Nous entendrons la norme au sens proposé par E. Zarifian dans son dernier ouvrage," Des paradis plein la tête", c'est à dire uniquement comme la convention d'un groupe social en un lieu donné, à un moment donné.

[3] Boiral P., Brouat JP., "Les représentations sociales de la folie"

[4] Pour ce faire, 24 établissements psychiatriques répartis sur le territoire national ont été sollicités. La distribution et la récupération des questionnaires fût facilitée par la collaboration très efficace d'un réseau de correspondants identifiés.

[5] Durkheim E., Les règles de la méthode sociologique, PUF, Paris,1967.

[6] Grawitz M., Méthodes des sciences sociales, Dalloz,1984.

[7] Mauss M., Oeuvres.2. Représentations collectives et diversité des civilisations, Ed. Minuit, 1969

[8] Durkheim É., Éducation et sociologie, PUF, Paris, 1966.

[9] Durkheim É., Textes. 1 Éléments d'une théorie sociale, Ed. Minuit, 1975.

[10] Durkheim É., Les règles de la méthode sociologique, PUF, Paris, 1967.

[11] Moscovici S., La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF, 1961.

[12] Bretin-Naquet M., Cours de psychologie sociale, Maitrise de gestion hospitalière, 1994.

[13] Guimelli Ch, Merahihi N, Pénochet JC, Représentations sociales et image de la psychiatrie.

[14] W. Doise et A. Palmonari. L'étude des représentations sociales, Delachaux et Niestlé, 1986.

[15] Ibid.

[16] W. Doise et A. Palmonari. L'étude des représentations sociales, Delachaux et Niestlé, 1986.

[17] On se référera, à ce propos, à Marcel Jaeger qui dans son dernier ouvrage « Guide du secteur social et médico-social », Privat, 1994, indique : « Le handicap étant affaire individuelle, on préférera l'expression d'inadaptation sociale pour indiquer que les difficultés sociales d'un individu ne tiennent pas seulement à ses déficiences, mais aussi aux normes qui lui sont opposées et au contexte. »

[18] E. Goffman, Stigmates, Ed Minuit, Paris, 1975.

[19] Giami A., Assouly-Piquet C., Berthier F., La figure fondamentale du handicap : représentations et figures fantasmatiques, Rapport du contrat de recherche Mire-Geral, septembre 1988.

[20] Israël J., L'aliénation de Marx à la société contemporaine, Ed Anthropos, Paris, 1972.

[21] Foucault M., Histoire de la folie à l'âge classique, Plon, Paris, 1961.

[22] Bastide R., Sociologie des maladies mentales, Flammarion, Paris 1965.

[23] Jaeger M., La psychiatrie en France, Syros/Alternatives, Paris, 1989.

[24]Jaeger M., Le désordre psychiatrique, Payot, Paris, 1981.

 

[25] Zarifian E., Les jardiniers de la folie, Odile Jacob, Paris, 1988.

[26] Pichot P. (dir), Enquête sur l'opinion publique à l'égard du malade mental.

[27] H. Baruk, Psychiatrie sociale, PUF, Paris, 1982. 

[28] Jodelet D., Folies et représentations sociales, PUF, Paris, 1989.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] Cette étude a été réalisée par JL. Chiffe, Ph. Verdier et M. Garnier à propos des représentations sociales des institutions de soins en santé mentale auprès d'une population de 16000 habitants. Étude réalisée en collaboration avec le Centre Communal de Promotion de la Santé (CCPS).

[32] Goffman E., Asiles, Ed de Minuit, Paris, 1968.

[33] Gauchet M., Swain G., La pratique de l'esprit humain ; L'institution asilaire et la révolution démocratique, Gallimard, Paris, 1980.

[34] Jaeger M., « Garder, surveiller, soigner, Essais d'histoire de la profession d'infirmier psychiatrique », Cahiers VST, n° 3, 1990.

[35] Massé G., La psychiatrie ouverte, Rapport au ministre de la Santé, ENSP Editeur, 1992.

[36] Enquête GMV Conseil pour le SICOM (Syndicat interhospitalier de communication externe des hôpitaux spécialisés de Paris), Avril 1993.

[37] Azémard G., Les traitements télévisés de la folie et l'avenir de la vidéocommunication locale, in Regards sur la folie, L'Harmattan, Paris, 1993.

[38] « Les psychiatres et la télévision », Film présenté par le PSYCOM 75, réalisé par JC Pénochet.

[39] « Le psychiatre, la folie et le cinéma », Via Storia Production

[40] « La psychiatrie vue par les médecins généralistes », réalisé par PSYCOM 75.

[41] Les cahiers de la Verrière, Institut National Marcel Rivière, Journées d'études du DPRP, « Identité professionnelle et psychiatrie ».

[42] Rapport à madame le ministre des Affaires sociales, de la santé et de la ville. Comité de pilotage "image et communication en santé mentale", Avril 1995.

[43]E. Zarifian, Des paradis plein la tête, Odile Jacob, Paris, 1994,
pp. 179-180.

Date de dernière mise à jour : 02/11/2023

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