Le Passe-Muraille en temps de confinement

Le Passe-Muraille en temps de confinement

Un peu de poésie dans un monde trop brut

 

Un dispositif poétique qui se fait en lisant en écrivant de la poésie pour tisser du lien malgré le confinement

« … Et Delphine m’a dit que tu faisais de la poésie sur Facebook

- Oui Christophe. Chaque jour, sur ma page, je propose un poème et une contrainte d’écriture.

- Je n’aime pas bien le mot contrainte. En ce moment, il y en a trop …

- C’est vrai, en fait c’est surtout une invitation à écrire, à ouvrir son imaginaire. C’est une proposition comme quand nous faisions l’atelier écriture avec Claire. »

S’adapter comme chacun

Le Groupe d’Entraide Mutuelle Le Passe-Muraille de Gap est fermé comme tous les autres. Comment favoriser le lien social quand toute la France est confinée ? Comment répondre aux inquiétudes exprimées par les Gémiens dont nombre d’entre eux fréquentait la semaine passée un C.A.T.T.P aujourd’hui fermé ? Mes anciens collègues du Centre de Santé Mentale maintiennent le lien, téléphonent à ceux qui en ont besoin et réalisent des prouesses sans masque, ni protection. Le Gem n’est pas un lieu de soin mais un lieu où l’on prend collectivement soin les uns des autres. Peut-on prévenir les troubles psychiques provoqués ou aggravés par le confinement ? Peut-t-on s’entraider sans se rencontrer ? En tant que président intérimaire, moi-même ancien soignant, retraité depuis plus de cinq ans, comment puis-je contribuer à maintenir un lien social minimal entre chacun et le collectif ? Comment faire groupe quand on est chacun chez soi ?

Nous avons tâtonné, expérimenté et cherché à nous adapter aux contraintes de chacun. J’écris « nous » car nous sommes plusieurs : José, le geek du Gem, responsable de la commission informatique ; Colette l’animatrice, confinée chez elle ; Armelle, la compagne de José, secrétaire du Gem ; Jacques le vice-président, rentré précipitamment de maison de repos ; Christophe le trésorier. Il faudrait quasiment que je nomme tous les Gémiens tant chacun se soucie des autres adhérents. J’habite en Avignon, à deux heures et demie en voiture de Gap. En train, je n’ose même pas calculer. C’est une chance. Bien avant la pandémie, chacun pouvait me téléphoner pour me raconter les évènements, menus ou dramatiques de la vie quotidienne au Gem. Le Covid 19 n’y a quasiment rien changé. N’empêche, ça dépasse les cent kilomètres autorisés.

Nous avons appelé tous ceux dont nous avions les  coordonnées téléphoniques. Certains ont répondu, d’autres pas. J’ai adressé un mail à tous ceux qui avaient une adresse de messagerie. Peu ont réagi. C’est le lien qui commande, pas la fonction au sein de l’association. La proximité de résidence, les aventures partagées. Chacun appelle les trois ou quatre  personnes qu’il connaît bien, dont il se sent proche. Ça se croise et ainsi ai-je des nouvelles de la plupart. Petit à petit la résistance à la solitude s’est organisée.

Ainsi Christophe et moi nous appelons chaque semaine. Nous le faisions avant la pandémie. Nous continuerons probablement à le faire après. Nous prenons des nouvelles l’un de l’autre. La solitude confinée lui pèse. Le surcroît d’informations qui tourne en boucle sur radios et télévisions l’inquiète. Faut-il ou non mettre des gants quand on fait ses courses ? Un grand professeur l’a dit à la télé. « Je n’ai pas de gants, comment je fais ? » Doit-il enlever ses chaussures et les poser devant sa porte avant de rentrer chez lui ? Est-ce que ? Ne devrais-je pas ?

La liberté est l’âme de la vie

Delphine, une gémienne qui est mon amie sur Facebook, lui a donc dit que j’animais une sorte d’atelier écriture sur ma page et que c’était drôlement intéressant. Christophe était un des participants les plus réguliers à l’atelier Ecriture Sous presse les maux que j’ai co-animé une dizaine d’années au Centre de Santé Mentale. Une fois par semaine, il y rédigeait un texte à partir d’une contrainte née de l’actualité. Chaque texte était lu et partagé.

« J’y comprends rien à Facebook. Je n’aime pas l’idée que tout le monde puisse lire ou voir ce que je fais mais là … »

Christophe n’a pas d’ordinateur et se sert d’un antique téléphone portable. Il peut lire les textos mais n’en écrit pas.

« … Oui c’est dommage, ça m’occuperait d’écrire. Vous avez écrit sur quoi ?

- Attends que je retrouve ça. Voilà, c’était : « Nous irons en cortège comme une noce solennelle ». Nous irons en cortège comme une noce solennelle. C’est un vers d’un texte qui parle du 14 juillet.

- Tu peux me le lire

- Bien sûr. »

Une idée était en train de germer dans un coin de ma tête.

« Le défilé du 14 juillet, c’est un peu comme si les soldats s’étaient mariés avec la  patrie ou la nation, je ne sais pas bien la différence

-On peut le voir comme ça, Christophe, effectivement.

- Oui il y a une certaine  ambiance, une solennité.

- Toi tu es presqu’en train d’écrire le texte, non ?

- Oui mais … Comment faire ? Je ne peux pas te l’envoyer.

- J’ai une idée …

- Aïe aïe aïe

- Tu sais quoi ? Tu écris le texte, tu m’appelles, tu me le dictes et moi je le mets sur la page Facebook, qu’est-ce que tu en penses ?

- Pas bête. Tu sais, c’est pas sûr que j’écrive quelque chose.

- Ça ne nous empêchera pas de nous téléphoner. »

Pendant trois semaines, chaque jour, Christophe m’a dicté son texte pour la page. Certains avaient la brièveté d’un haïku (« La liberté est l’âme de la vie »), d’autres étaient plus longs, plus construits. Je lui lisais le poème, lui annonçais la contrainte du jour qu’il notait.

La poésie, aussi, est contagieuse

« J’en ai parlé à Valérie, ça l’intéresserait de participer aussi à l’atelier écriture. Elle dit qu’elle pourrait te l’envoyer par texto. » Nous avons ainsi amélioré le dispositif. Dès que je raccroche, je rappelle Valérie après lui avoir demandé de ne pas décrocher. Je lis à son répondeur le poème source de la contrainte. Elle peut ainsi le réécouter à volonté.

Petit à petit les Gémiens ont investi ce dispositif.

 « Je ne suis pas hors sujet, là ? »

Non, quand tu écris tu es au cœur du sujet. Ma page est lue par d’autres Gémiens qui likent les textes des copains. Certains se risquent même parfois à proposer un texte, le leur, en commentaire.

Christophe, Valérie, Armelle, José et les autres parlent d’autre chose que du coronavirus. On échange autour d’Andrée Chedid, d’Eustache Deschamps ou de Jacques Prévert. On choisit ses contraintes d’écriture. La sale bestiole est toujours là, planquée dans les recoins des discussions, mais elle est en train de muter.

C’est ainsi qu’au Gem, nous avons résisté au confinement et au déconfinement qui l’a suivi.

Trente-cinq personnes ont participé à cet atelier improvisé. Elles venaient d’un peu partout. Le plus constant a été Yves de Tunisie. Marianne d’Amiens en a été, aussi, une participante régulière. Dans les Pyrénées, Patrick, un infirmier qui travaille en psychiatrie, lors de ses visites à domicile, recueillait les textes écrits par un de ses visités poète à ses heures et les déposait sur la page. Une dynamique s’est ainsi créée. Philippe nous a envoyé un texte de Suisse. Laurent, de Grenoble suivait la page et laissait quelques petits cailloux blancs, signes  de son passage. Isabelle, Sandra, Christophe, des soignants de Laragne (psychologue, éducatrice, infirmier) ont proposé aussi quelques textes. Olivier de Marseille, Laga Fuente de Sète, Véronique d’Aix-en-Provence se sont pris au jeu. Chaque texte a été lu, liké et parfois commenté.

Si certains se connaissaient, d’autres ne s’étaient jamais rencontrés. Ainsi est née une communauté  qui a largement dépassé le cadre du Gem et les frontières des Hautes-Alpes, mais sans Éric Lotterie et Radio Pinpon, notre petite communauté n’aurait pas été la même.

Radio Pimpon

Nous nous sommes rencontrés en octobre 2019, à Paris, à l’Institut Pasteur, lors des Rencontres soignantes organisées par la revue Santé Mentale. Éric avait remporté le Premier prix des Equipes soignantes pour la web-radio qu’il avait créée à l’hôpital psychiatrique de Niort, un média qui donne la parole à ceux qui ne l’ont pas assez : les personnes hospitalisées en psychiatrie. Si Éric assumait la partie technique, les émissions étaient réalisées, fabriquées, mises en voix et en musique par les usagers, hospitalisés ou non. Nous avions papoté et nous étions retrouvés autour d’une même vision du soin. Nous étions restés en lien. Lorsque fin mars, confiné lui-même, il me demande via messenger comment se passe le confinement pour moi, il rajoute : « J’avoue que je culpabilise en pensant aux collègues dans la mouise … Je réfléchis à faire vivre radio Pimpon à distance. Du radio travail en quelque sorte. » Je lui parle de la page poésie. Nos messages se croisent. « Pas mal de patients sont confinés chez eux et c’est la galère puissance 10 pour eux.  Alors on va tenter de faire des trucs à distance. » Le 27 mars, un nouveau projet voit le jour : enregistrer les poèmes pour les diffuser sur Radio Pinpon, à Niort.

Mon épouse, Madeleine Jimena-Friard, infirmière, comédienne et metteure-en-scène, et moi-même, enregistrerons chaque jour, les textes déposés en commentaire sur la page. Nous le ferons chaque jour du lundi au dimanche pendant trois mois. Nous passerons ensuite à un jour sur deux, soit plus d’une centaine d’enregistrements  et d’émissions de radio.

 Le 1er avril, le premier enregistrement passe sur radio Pinpon.

Éric a créé un joli générique qui introduit les textes. On entend la voix du Général de Gaule, à la BBC, annoncer que la France a perdu une bataille mais n’a pas perdu la guerre. Un extrait de l’appel du 18 juin. On poursuit avec les phrases surréalistes et codées de la résistance à Londres qui répètent que la fortune vient en dormant, qu’un ami viendra ce soir, etc. Les parasites sont garantis d’époque. Enfin la voix de Blandine annonce le titre de l’émission : « Les confinés parlent aux confinés ». Les enregistrements durent de quatre à onze minutes selon le nombre de textes moissonnés. Nous avons de quatre à treize textes à lire.

Yves enregistre ses propres textes de Tunisie, dans ses toilettes pour la résonnance, et les envoie chaque matin à la radio. Ses textes courts, sa gouaille, sa belle voix grave font merveille.

Chloé lutte contre la dépression

Nous sommes confinés, nous ne pouvons sortir qu’une heure après avoir rempli une attestation, nous devons respecter les gestes barrière, ne pas nous rapprocher de l’autre à moins d’un mètre, nous ne sommes autorisés à nous déplacer que de moins de cent kilomètres mais les textes que nous écrivons volent sur les ondes. Ils sont écoutés en Tunisie, en Suisse, à Amiens, Saint Etienne, Paris, Toulouse. Nos amis niortais voient l’audience de leur radio s’envoler même si ce n’est pas Europe 1. Je partage quelques-unes des émissions sur ma page. Nous faisons ainsi connaissance avec Christophe Rudelin, dit Cristobal, un infirmier de secteur psychiatrique qui travaille dans un hôpital de jour pour adolescents et qui y propose un atelier écriture dont les textes sont lus à l’antenne. Certains textes sont très émouvants, ceux de Chloé, par exemple, qui lutte contre la dépression et la tentation du suicide. Nous ne pouvons faire moins que lui écrire pour l’encourager. Petit à petit, entre Gap et Niort se tissent des liens entre personnes qui ne se sont jamais rencontrées.

Un chemin qui se fait en marchant

Notre monde nous paraît moins étroit. Il est rassurant de savoir que d’autres que nous vivent la même chose. Ça soutient. Un soignant de Vanne répond ainsi à une Gémienne de Gap qui partage le texte d’un ingénieur limougeaud. Christophe n’a pas Internet mais Delphine, au téléphone, lui raconte ce qu’elle a entendu à la radio. La conversation ne languit plus. Ils parlent d’autre chose que de leurs inquiétudes vis-à-vis du confinement ou du covid 19.

Ce lien avec Radio Pinpon est devenu pour nous un lien qui compte. Il existe des gestes barrière qu’il est essentiel de respecter, il existe des dispositifs qui font tomber des barrières. Bien à l’abri derrière nos écrans, nos smartphones ou nos téléphones, nous entrons en contact,  en utopie même avec des personnes que nous ne connaissons pas, que nous ne rencontrerons peut-être jamais mais ce lien finit par scier les barreaux derrière lesquels nous nous sentons enfermés. S’inventent ici ou là des réseaux, des rhizomes qui associent comme le nôtre près d’une centaine de personnes. Comme l’écrivait Machado, le chemin se fait en marchant.

Un Hors-série en guise de trace

L’aventure continue mais nous avons souhaité en laisser des traces. Un numéro Hors-série présente quelques textes issus de ce travail collectif. Il reprend ceux des Gémiens mais certains des poètes les plus réguliers nous ont autorisés à reprendre les leurs, Uzinamo 65 nous a même offert un poème original. Nous les en remercions. Vous pourrez les retrouver sur Radio Pinpon, la web-radio.

 

Dominique Friard, Président du Gem Le Passe-Muraille

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