Maman déchire, une soirée à l'Utopia
« Maman déchire » d’Emilie Brisavoine
Séance du 31 mars 2025 à l’Utopia d’Avignon – Rencontre avec le public.
Malgré la fraicheur de ce lundi soir pluvieux de printemps, une trentaine de personnes étaient présentes dans la salle n° 1 du cinéma Utopia, pour voir le film de la réalisatrice Emilie Brisavoine ‘Maman déchire ». A l’issu du film, une rencontre avec Serspy était annoncée sur la gazette du programme du mois de mars. Serspy est venu en nombre. Il y avait Emmanuelle et Julie, toutes deux infirmières en psychiatrie, Angelo, moniteur-éducateur dans un centre d’accueil, Dominique, infirmier de secteur psychiatrique, formateur et superviseur, et Madeleine, metteur en scène et art-thérapeute. Tous les cinq présents pour échanger avec les spectateurs et éventuellement répondre aux questions. Une petite bande éclectique qui aime la discussion et n’est pas frileuse à donner et soutenir son opinion de soignant ou d’éducateur.
Quand Boris, notre interlocuteur privilégié à Utopia nous a sollicité pour animer une soirée, il nous a simplement dit « J’ai pensé à serpsy pour ce film. Je vous envoie le lien. Dites-moi ce que vous en pensez. Vous verrez, c’est du lourd ! » Et c’est vrai, qu’il nous a fallu un peu de temps pour bien saisir de quoi il retournait, tant la réalisatrice nous plonge dans un univers très personnel, très intime où il est question de sa propre mère qui accepte d’être filmée et de leur relation de fille et de mère. Un film comme un documentaire, avec caméra portée lors des déplacements et de longues séquences avec plan fixe où la réalisatrice se met elle-même en scène filmant face caméra son désarroi et sa quête d’un lien qu’elle voudrait authentique avec cette mère-là sans y parvenir. Film où elle intègre son propre frère cadet avec qui elle échange autour de cette relation à leur mère. Le point commun qui contextualise le film, est leur toute récente paternité à l’un et à l’autre. Chacun étant le parent d’un petit garçon d’à peine un ou deux ans. L’apparition de cette nouvelle génération déplace les lignes, la mère devenant grand-mère, le fils devenant père, et la fille, mère.
Et c’est là, que le hic fait surface. Une bulle de savon venue des profondeurs éclater à la surface d’une eau devenue calme et apparemment heureuse que la naissance d’un enfant suscite, pour un temps. La bulle révélant la faille. Le hic c’est l’enfance. Leur enfance. Cette enfance qui les rattrape à leur corps défendant submergeant la jeune mère d’angoisses profondes où la dépression la frôle de son aile obscure, alors que chez son frère, ce tout jeune père, apparaissent diverses somatisations qui lui gâchent la vie et l’envahissent au point de mettre en péril sa relation avec sa compagne, mère de son fils.
Pour nous faire remonter le fil jusqu’à ce temps où la mère devenue grand-mère, était encore une princesse de la nuit, lointaine, exubérante, imprévisible, absente, Emilie Brisavoine ressort des cartons ses carnets intimes de petite fille où elle consignait librement ses pensées et émotions, par des écrits, des dessins et des collages de toutes sortes.
Il y a un peu de ça dans « Maman déchire », quelque chose du patchwork, dans le ton, et la forme. C’est un film à la fois journal intime, expression libre, mêlant tour à tour, le dessin animé où l’on fait parler « son enfant intérieur », la voix off sur des films de vacances où l’on rit aux éclats, l’humour, la vie quotidienne de bébé qui mange avec papa, des photos de famille un peu ratées à Noël ou aux anniversaires, avec le temps qui passe, la dérision, les smartphones, la visioconférence, et aussi quelque chose de la téléréalité par des séquences de conflits pris sur le vif, en direct, comme autant de tentatives déterminées de rendre compte, de faire récit. Désir de comprendre, désir de réparation. « Pour ne pas contaminer l’enfant dont je suis le père, et qui déjà montre des signes de malaise…» dit le frère.
C’est là que nous sommes attendus, en tant que soignants et c’est ça qui intéresse de discuter. Comment faire pour que nos traumatismes psychiques, nos douleurs profondes, nos angoisses enfantines non traitées, en résidus, atteignent le moins possibles nos propres enfants ? Comment fait-on avec sa douleur ? Comment fait-on avec une mère comme celle-là, elle-même blessée dans son âme d’enfant, petite fille mal aimée, rejetée par la honte d’une mère célibataire (une fille-mère, disait-on à l’époque). Une mère qui n’est pas dans la capacité de reconnaître ses torts, ni ses défaillances, qui a fait « ce qu’elle a pu ». Une mère plaignante, une mère victime.
Assez vite, il a été question du diagnostic. De quoi s’agit-il ? Mais au-delà de la question médicale, je me souviens de l’intervention au début des échanges, d’une spectatrice qui a mis l’accent sur la dimension artistique du film. En effet, depuis les années 1970, les artistes femmes se sont emparées des médias comme le cinéma, les arts plastiques ou la danse et souvent en les mêlant tous ensemble, dans des performances artistiques parfois violentes, pour dire ce qu’elles ne pouvaient pas exprimer dans le consensus socialement accepté. C’était important de situer cette œuvre dans un mouvement artistique, peu connu, et assez récente, à dimension politique et féministe. Ceci afin d’éviter de tomber dans une critique superficielle, d’être face à une artiste narcissique.
Beaucoup de choses se sont dites, et je crois que tout le monde a parlé, d’une manière ou d’une autre, car parfois les personnes échangeaient entre elles.
Une réflexion m’a paru particulièrement pertinente car je ne me l’étais pas dit de cette manière. C’est quand une des collègues de serpsy a présenté le soignant comme un étranger à qui on peut dire des choses à distance, parce que justement il n’est pas pris dans les rouages des liens familiaux. Une belle façon de dire ce qu’est un « tiers » me suis-je dis.
Une autre collègue parlant du déplacement. Comment se décaler par rapport à une situation donnée. Comment se « décoller ». Avec cette belle image, que chacun de nous ne voit que de sa place, et ne peut donc pas envisager un ensemble par tous les côtés. Peut-être qu’une solution peut venir d’un autre point de vue.
Un autre aspect est abordé par notre collègue éducateur, par ailleurs très féru de psychanalyse, à prendre en compte selon lui, qui donnerait une lecture encore différente de ce qui se joue entre les individus, est la présence de la haine au fondement de nos relations, intra familiales aussi. Le reconnaître est déjà une manière d’y travailler.
Pour ma part, la question d’un spectateur, apparemment bien informé, me revient en mémoire sur cette affaire de « l’épigénétique ». Qu’est-ce que nous en pensions ? J’aurais dû botter en touche, ne sachant pas précisément de quoi il retournait ! Mais cela m’a permis de préciser que c’est d’abord par le langage, la relation à l’autre qu’elle soit verbale, ou autre, l’art, la danse, la matière, le dessin, la terre etc… que quelque chose peut se réagencer dans l’histoire singulière de chacun. Depuis je me suis renseignée sur cette notion. En effet, cette découverte de l’épigénétique dit que l’expression de certains gènes se modifie en fonction du contexte. Et pourrait se transmettre ? C’est une affaire à suivre.
Le film a été projeté à 20 h. Nous avons quitté le cinéma, il était presque 23 h. La pluie avait cessé. La nuit humide. Il semblait que soir-là quelque chose s’était ouvert dans l’espace laissé entre nous, dans notre aptitude à écouter et à dire autour de ces questions qui nous tracassent et nous occupent sans savoir exactement comment y répondre. Mais en continuant à chercher.
Madeleine Esther
Date de dernière mise à jour : 19/05/2025
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