Sous l'Adamant coule la Seine

  • Par serpsy1
  • Le 21/04/2023 à 08:46
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Sous l'Adamant coule la Seine

Faut-il qu'il nous en souvienne ?

Ce mercredi 19 avril, pour la sortie nationale du très beau film de Nicolas Philibert "Sur l'Adamant", l'Utopia d'Avignon a organisé une soirée débat en partenariat avec les associations Serpsy (Soin Etudes et Recherche en psychiatrie), Le Point de Capiton et Isatis. Deux heures d'échanges et de débats ont accompagné le film. Quelque chose d'une phrase de Roger Gentis flottait dans l'atmosphère : "La psychiatrie doit  être faite (et défaite) par tous (et par chacun)". 

La longueur de la file d'attente était de bon augure. Il allait y avoir du monde à la séance. Ce 19 avril, à 20 heures, l'Utopia d'Avignon avait organisé une soirée débat autour du film "Sur l'Adamant" de Nicolas Philibert, Ours d'Or au dernier festival de Berlin. Qu'un documentaire traitant de la psychiatrie puisse être primé à un festival est en soi un évènement. Que la nouvelle soit reprise par ces médias qui depuis des années sont fermées à la psychiatrie de secteur, ne relayant que le pire de la discipline, contribuant ainsi à la pérénnisation des mesures coercitives et à la suppression de lieux tels que l'Adamant, nous était une douce ironie. 

La salle était comble. Lorsque Boris, notre hôte nous a présentés, j'ai reconnu quelques visages : Angélo, Joëlle et Serge, Pascale. Les associations Serpsy et le Point de Capiton, partenaires de l'Utopia animaient le débat mais d'autres associations qui n'apparaissaient pas sur l'affiche s'étaient jointes à nous : Isatis, l'Unafam, des représentants du Conseil Local de Santé Mentale. Ces soirées débats accueillent souvent beaucoup de personnes intéressées sinon concernées par la psychiatrie, les débats y sont souvent riches. Certains viennent de loin. Je me souviens ainsi d'une femme qui arrivait d'Uzès à plus d'une heure et demie de route pour participer à une rencontre sur la maladie d'Alzheimer.   

Nous avons donc vu le très beau film de Nicolas Philibert. S'y superposait parfois les images d'autres films récents que nous avions vu, également à l'Utopia : "Habiter", "Funambules", "Les mots des autres". Comment ne pas penser à la nef des fous (Das Narrenschiff) de Jérôme Bosch ou au poème de Sébastien Brandt même si Philibert convoque un tout autre univers beaucoup moins fantastique. Michel Foucault en retire trois enseignements : 

- La folie est intolérable pour la société,

- Le fou n'est pas plaint mais craint, il faut éviter toute contagion en l'envoyant au loin ou en le réléguant dans l'espace laissé libre par les lépreux,

- Le concept de folie est  diffus et imprécis. 

Nef des fousii

La ségrégation, le secret et la dissimulation continuent de prévaloir aujourd'hui comme hier, comme si la folie pouvait se planquer sous le tapis. Qui nous fera croire que des médias puissent découvrir brusquement un lieu de soin amarré depuis plus de dix ans sur les berges de la Seine, en plein Paris. Il y faut une certaine cécité. C'est le premier mérite du film : nous faire découvrir un lieu d'accueil et de soin qui fonctionne quasiment sous nos fenêtres (quand on est parisien). Quand on y pense ce n'est pas rien. Il est assez facile de situer les grands hôpitaux parisiens (qu'ils soient de pointe ou non) mais cette péniche qui fait honneur à la psychiatrie parisienne, qui la connaît en dehors de ceux qui la fréquentent et qui y travaillent ? Segrégation, secret, dissimulation. Il est certain qu'elle tranche avec la vision sarkozyenne, hollandoise et macronienne de la psychiatrie. Rien n'y évoque la violence, les méthodes coercitives qui font trembler les lotissements lors du J.T. La nef parisienne est immobile à la différence de celle de Bosch. Les voyages qui s'y accomplissent sont intérieurs. Il faudrait parler d'abord de l'accueil, l'accueil encore et toujours. La bienvenue à celui qui embarque pour un café, une heure ou une journée dans ce centre de jour. Accueil, bienvenue. C'est le moindre du soin. Recevoir dans un lieu accueillant, que l'on a pensé comme tel. Du bois pour la couleur, l'ambiance, la chaleur, la vie. De la lumière pour chasser les miasmes, les idées noires, les hallucinations. Etre attentif. Et le fil de l'eau qui invite à la méditation.

On pourrait raconter ce que les images de Philibert montrent. Peut-être qu'on verrait mieux. Voir le film, déplier et après raconter. Le sautillement d'un oiseau, qui un dossier sous son bras, pénètre dans la péniche. Chut ! Allez y voir ! Pour nous c'est le banal du soin et des rencontres que nous avons connus ... hier. En arrière-plan, un corps qui s'étire fait quelques mouvements d'étirements. Hôpitaux de jour, CATTP (Centre d'Accueil Thérapeutique à Temps Partiel), CMP c'est de cette façon que nous accueillions, recevions ceux qui cherchaient auprès de nous un havre de paix où poser un peu leur fardeau. Tous ces espaces aujourd'hui fermés, désertés par des soignants requis par d'autres tâches plus sécuritaires. Il y aurait tant à dire. Sur la trouille créée, entretenue. Sur la trouille qui justifie isolement et contention. Et ce lieu miraculeusement découvert grâce au talent et à la curiosité d'un cinéaste.  

Le film a été applaudi. L'hommage des spectateurs au cinéaste mais aussi à une psychiatrie qui privilégie la rencontre, la mise en commun, le comptage collectif de la recette du jour en guise de remédiation cognitive. Mince, les comptes ne tombent pas juste. Il y a une erreur de caisse. On cherche ensemble. Je ne vais pas vous raconter le film. Non. Passe un col vert au fil de l'eau et ailleurs, un autre jour, une vedette de la police.  

Le débat. C'est toujours bon signe quand les spectateurs restent après le générique de fin, quand chacun reste dans son fauteuil et attend. Le débat. Il a duré deux heures. Il y avait tant à dire. Tant à essayer de comprendre. Il y avait des soignants (infirmiers, psychiatres, psychologues,  travailleurs sociaux), membres ou non d'associations locales, des enseignants confrontés aux mêmes attaques contre le secteur public, des artistes (metteur en scène, comédien(ne), peintre), des personnes en soins dans les structures que le néolibéralisme n'a pas encore fermé, des membres de familles dont le proche a été impacté, touché par la maladie mentale. Des familiers des débats de l'Utopia que l'on croise presque à chaque fois. Des inconnus. Tout un peuple de concernés par la psychiatrie et la santé mentale.  

Nous étions trois co-animateurs : Simone Molina, psychanalyste, présidente du Point de Capiton, Marie Morhange, psychologue à Isatis et moi-même D. Friard de l'association Serpsy. Trois regards différents et complémentaires. Trois versions du dépérissement programmé de la psychiatrie, trois professionnels engagés. Et la question, la fameuse question à plusieurs millions d'euros. Que faire, que changer, qu'imaginer, que rêver pour que des lieux comme l'Adamant redeviennent la norme ?  

Il fut finalement peu question du film lui-même comme si les images se suffisaient à elles-mêmes. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment cette psychiatrie française qui faisait notre fierté a-t-elle pu tomber si bas ? Quels choix politiques ? Quels renoncements ont favorisé cette désagrégation ? Les échanges furent combattifs comme l'écrit Simone Molina. Pour un accueil et un "tressage" des expériences et des lieux. Ensemble nous sommes plus forts. On ne défend bien une pratique qu'en nouant des liens, ce dont témoigne le film, le Conseil Local de Santé Mentale et le débat lui-même.

 

D. Friard  

 

 

 

 
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